Chapitre 13

Ils voyageaient depuis deux heures quand la neige commença. Au début, il ne s’agissait que de quelques flocons délicats, mais lorsque Jenny surprit Hugh échanger un regard avec Lucas, elle sut que les deux hommes croyaient que cela allait empirer.

Ils poursuivirent leur route, mais elle voyait qu’ils cherchaient un abri. À un moment donné, ils s’arrêtèrent pour contempler une chaumière sur une colline avec de la fumée s’échappant en volutes de sa cheminée.

Lucas leur dit :

— Y aura là une âme pour nous offrir le gîte, m’sieur.

— Certes, mais je préférerais point attirer d’attention inutile sur nous. Annan n’est située qu’à quinze miles au sud-est de Dumfries. Nous devrions pouvoir couvrir cette distance avant la tombée de la nuit, mais nous devons trouver un endroit pour laisser passer cette tempête. Ce ne sera point la première fois que nous nous fabriquons notre propre abri dans une telle situation, Lucas.

— Nenni, m’sieur, ce l’sera point. Y a un ou deux villages d’vant aussi. Y aura…

— Il y aura un boisé avant que nous n’atteignions le prochain village, le coupa Hugh. J’aimerais mieux que nous restions entre nous pour éviter tout commentaire. Si Sa Seigneurie était accompagnée d’une femme, personne ne nous prêterait attention. Toutefois, vu la situation, à moins que nous n’insistions sur le fait que je suis son mari… bien, je préférerais que nous ne mentionnions aucun nom. Cela serait très difficile, peu importe l’endroit où nous demanderions asile. À mesure que nous nous rapprocherons d’Annan, nous courrons également le risque que quelqu’un la reconnaisse.

Lucas hocha la tête, mais la neige tomba plus dru, et Jenny vit Hugh contempler le ciel plus souvent tandis qu’ils chevauchaient. Le temps s’était aussi refroidi.

Quand ils arrivèrent au boisé mentionné plus tôt, l’allure des chevaux avait ralenti au pas. Les dents de Jenny claquaient et il était difficile de distinguer la route.

Dans le boisé, ce fut plus facile, car les arbres étaient surtout des hêtres, créant une canopée haute et dense. Elle s’éclaircissait au-dessus de la route, mais jusque-là, elle avait permis à la neige de tomber de manière sporadique seulement sur des parcelles du sol. Ils chevauchèrent presque jusqu’à la limite est du boisé avant que Hugh vire et quitte le chemin pour pénétrer dans une petite clairière sous la canopée.

— Nous allons nous arrêter ici et allumer un feu, dit-il en jetant un coup d’œil à Jenny.

Elle tenta de sourire, mais ses lèvres étaient engourdies.

Grimaçant alors qu’il mettait le pied à terre, il s’avança pour l’aider à descendre tout en déclarant :

— Vos lèvres sont bleues, jeune fille. Avec votre épaisse cape à capuchon, je croyais que vous aviez suffisamment chaud. Vous auriez dû parler.

— Je ne m’étais point rendu compte combien j’avais froid, dit-elle alors qu’il la déposait sur ses pieds.

Ils lui semblaient aussi engourdis que ses mains et ses lèvres, et quand elle essaya de marcher, elle trébucha.

Marmonnant un juron, il la souleva dans ses bras et cria à Lucas d’aller chercher des couvertures dans le panier de chargement et d’installer la tente avant d’allumer un feu.

— Sa Seigneurie est gelée jusqu’aux os, ajouta-t-il. Jette-moi simplement ici ce que je peux utiliser pour la réchauffer pendant que tu t’occupes de la tente et du feu. La neige a-t-elle transpercé et trempé la cape ? demanda-t-il brusquement à Jenny.

— Nenni, point encore, dit-elle.

— Pour une femme raisonnable, vous êtes aussi stupide qu’un bébé parfois, rétorqua-t-il. Vous deviez savoir que vos mains étaient froides. Et n’essayez point de m’affirmer qu’elles ne l’étaient point.

— J’ignore à quel point elles sont froides. Je ne les sens point, affirma-t-elle.

Sombrement, il dit :

— Je vais vous mettre debout. Je vous retiendrai en même temps, mais je veux que vous remuiez les pieds pendant que je frotte vos doigts. Ce sera douloureux, mais c’est pour le mieux. Et c’est bien mérité puisque vous n’avez pas été plus précautionneuse par un temps semblable. Voyez-vous, vos mains et vos pieds gèleront en premier, jeune fille. Quand Lucas aura mis les paillasses à terre et les aura habillées de couvertures, lui et moi irons ramasser davantage de bois pour le feu. Cependant, entre-temps, nous devons tout mettre en œuvre pour vous réchauffer.

Il avait dit la vérité. Ses pieds la firent souffrir lorsqu’elle les remua et quand il lui ordonna de taper du pied au sol, elle répliqua d’un ton irrité :

— Je n’en suis point capable. Cela ne peut point être recommandé.

— Obéissez, lâcha-t-il sèchement en l’attrapant par les épaules et la secouant avant de recommencer à frotter ses mains.

Elle aurait aimé lui écraser les pieds, mais elle savait que cela ferait mal. De plus, elle vit que Lucas avait déjà monté la tente et jetait les paillasses à l’intérieur.

— Vous pouvez l’amener maintenant, m’sieur, annonça-t-il. Hé ! mais la jeune fille est affamée à en mourir ! Vous d’vriez vous mettre au clapier avec elle un moment. J’vais démarrer l’feu tout de suite.

— Je n’ai point faim pour l’instant, protesta Jenny.

— Il ne veut pas dire que vous avez faim, dit Hugh. Dans le Yorkshire, « affamer » signifie avoir extrêmement froid, et vous mettre au clapier est une façon pour moi de vous réchauffer jusqu’à ce qu’il allume le feu. Donc, remuez-vous.

Alors que Hugh gesticulait en direction de la tente, elle lui dit :

— Le bois ici ne sera-t-il pas complètement trempé ?

— Seulement à l’extérieur ; il est plus sec sous les arbres qu’à découvert, dit-il. C’est pourquoi nous nous sommes arrêtés à cet endroit. Maintenant, cessez de vous inquiéter et entrez dans cette tente.

Elle aurait aimé qu’il la porte. Il était fort et capable ; et la tente, même à cette courte distance, semblait trop loin pour ses pieds douloureux.

— Allez, aboya-t-il.

Elle partit. Chaque pas provoquait des fourmillements dans ses pieds, mais ses jambes n’étaient plus engourdies et reprendraient leur normalité bientôt, elle l’espérait.

Quand elle se baissa pour entrer dans la tente, Hugh la suivit en lui ordonnant de se coucher sur les paillasses empilées par Lucas.

— Je vais vous couvrir, dit-il. Vous serez réchauffée en un rien de temps.

— Je devrais ôter ma cape, dit-elle.

— Oui, donnez-la-moi. Je vais la secouer et l’étendre sur le dessus. Elle conserve la chaleur de votre corps et elle réchauffera les couvertures.

Elle s’allongea et le laissa lui retirer ses bottes et entasser les couvertures sur elle, mais elle frissonnait encore. Les couvertures lui semblaient froides, ses pieds étaient glacés et ses dents claquaient toujours.

— Malheur, jura-t-il en la dévisageant. Lucas avait raison.

Étalant sa cape par-dessus celle de Jenny et se déchaussant à son tour, il se glissa dans le lit à côté d’elle en l’attirant près de lui.

— C’est ce qu’il voulait dire quand il m’a conseillé de me mettre au clapier avec vous, bien qu’il ait voulu dire peau contre peau, comme des lapins. Essayez de vous détendre à présent, ajouta-t-il. Insérez vos pieds entre mes jambes et pressez-vous contre moi autant que vous le pouvez.

Elle s’était raidie lorsqu’il était entré dans le lit, mais la chaleur émanant de lui était irrésistible, et quand il glissa un bras autour d’elle, elle se blottit plus près. Les braies de Hugh lui semblaient humides à travers ses bas à elle, mais même ainsi, elle lui donnait l’impression d’être brûlantes.

Alors que sa chaleur la pénétrait, elle commença à se détendre enfin.

Puis, il changea de position et sa tête vint s’appuyer sur son épaule avec sa joue contre son torse dur.

Peu après, il dit à voix basse :

— Mieux ?

— Oui, murmura-t-elle. J’ai presque chaud maintenant. Ne devriez-vous point aider Lucas ?

— Je vais y aller bientôt. Il n’a point besoin de moi pour l’instant, mais je pense qu’il est possible que nous devions rester ici un temps. Il nous faudra peut-être bâtir un abri plus solide.

— Comment ?

— Nous en fabriquerons un avec des branches ; lorsque la neige sur la canopée commence à filtrer à travers ou à tomber en tas sur nous, comme cela se produira, elle ne démolira point la tente et ne fondera point au travers.

— Nous utilisons deux tentes alors ?

— Oui, Lucas possède bien la sienne, après tout. Vous et moi partagerons celle-ci.

— Ne finira-t-il point par avoir froid, tout seul ? demanda-t-elle en remarquant avec un sentiment de gratitude et d’autres émotions moins identifiables qu’il n’avait pas suggéré que lui et Lucas dorment ensemble et lui laissent une tente.

— Non, à moins que le temps devienne beaucoup plus froid qu’il ne l’a été. Si c’est le cas, il viendra ici avec nous. Ce sera serré, mais nous resterons au chaud. Je ne m’attends point à ce que cette tempête dure suffisamment longtemps ou devienne assez froide pour nécessiter cela, mais nous agirons comme il se doit.

— Êtes-vous toujours en colère contre moi ? demanda-t-elle brusquement.

— Nenni, jeune fille. Je n’étais point en colère avant.

— Vous paraissiez en colère.

— Il me semble que j’avais des raisons. Je m’inquiétais que vous vous soyez infligée une blessure en étant trop fière pour nous prier de nous arrêter pour vous laisser vous réchauffer.

Elle réfléchit à cela.

— Je suppose que j’ai craint en effet que vous me considériez comme casse-pied, admit-elle. J’ai aussi cru que vous et Lucas aviez aussi froid que moi.

— La prochaine fois, pensez aux besoins de personne, sauf les vôtres.

— Personne ne m’a jamais conseillé cela auparavant, dit-elle avec un petit rire. Depuis ma naissance, on me dit que je dois d’abord penser aux autres, particulièrement à notre peuple.

Elle ne pouvait pas voir son visage sans changer de position, mais elle perçut de l’amusement dans sa voix quand il lui dit :

— J’ai moi-même entendu ces paroles de nombreuses fois. Toutefois, mon conseil aujourd’hui en est un de survie, Jenny. Vous ne serez d’aucune utilité pour votre peuple si vous gelez à mort parce que vous vous êtes montrée trop fière pour demander de l’aide.

— Oui, dit-elle. Quoique j’ignore à quel point je leur serai utile à présent de toute façon. Votre frère prendra la relève.

Il garda le silence un moment avant de répondre :

— Reid aura besoin de votre guidance. Après tout, vous resterez Easdale d’Easdale.

— Certes, mais de nom uniquement. Phaeline et Sa Seigneurie ont dit qu’après notre mariage, je dois laisser la gestion à Reid. Il a répété la même chose. En fait, ajouta-t-elle, je doute qu’il me permette de le conseiller. Il a affirmé qu’il avait hâte de faire mon éducation.

Le bras de Hugh se resserra, l’attirant plus près de lui.

— Je pense qu’il a très hâte à cela, dit-elle. Étiez-vous impatient d’éduquer votre femme, monsieur, votre première épouse ?

Le bras de Hugh tressaillit encore une fois.

— Je préférerais ne point parler d’Ella, dit-il à voix basse.

— Je sais ce que vous voulez dire, dit-elle en hochant la tête. Je n’aime point discuter de mon père non plus, particulièrement avec des gens qui le connaissaient peu.

— Comme Phaeline et votre oncle ?

— Oui. Phaeline ne l’avait pas si tôt mentionné qu’elle déclarait qu’il était idiot parce qu’il ne s’était point remarié. Elle a dit que mon oncle s’était montré plus sage, car il avait fourni à Mairi une mère et à lui-même une femme qui allait lui donner un héritier mâle adéquat.

— Une chose que Phaeline n’a point encore réalisée, murmura-t-il.

— Certes, mais ils sont certains que celui-ci sera un garçon, dit Jenny en taisant ses doutes là-dessus. En vérité, pour le bien de Mairi, j’espère que c’en est un.

— Pour le bien de Mairi ? J’imaginerais qu’elle préférerait rester l’héritière de son père. Pourquoi pensez-vous que ce soit mieux pour elle si Phaeline porte un fils ?

— Parce que, en ce moment, Mairi n’a point de prétendant. Les jeunes hommes veulent savoir ce qu’ils obtiennent lorsqu’ils se marient. Si mon oncle devait la reconnaître en tant que son héritière, elle aurait des prétendants à la pelle. Toutefois, tant que Phaeline reste capable d’accoucher d’un fils, mon oncle ne reconnaît point Mairi ni ne lui fournit un douaire adéquat. Donc, aucun ne peut être certain qu’elle vaut la peine d’être épousée.

— Je vois, dit-il. Je dois admettre que connaître son propre droit de naissance rend claires les responsabilités d’une personne.

— Si vous aviez uniquement une fille, l’éduqueriez-vous ou continueriez-vous à espérer un fils ?

— J’ai bien eu une fille, dit-il. Maintenant, Reid est mon héritier et j’ai compris il y a peu de temps que je n’ai rien fait pour clarifier avec lui ses futures responsabilités.

— Cependant, vous pouvez encore vous marier convenablement et avoir d’autres enfants, monsieur. Vous pouvez facilement engendrer un meilleur héritier que Reid.

— Vous êtes très directe, madame. Ne vous vient-il point à l’esprit que vous en tirerez également avantage lorsque Reid héritera de mes domaines, comme il sera votre mari à ce moment-là ?

— Nenni, je n’ai point songé à cela ni ne m’y résoudrai. Cependant, je ne voulais point vous offenser, monsieur. Vous êtes peut-être responsable, d’une certaine manière, de la façon dont Reid a tourné, mais le changer serait aujourd’hui très difficile. Mon père, d’un autre côté, était un homme timide, point attiré par le remariage. Il était satisfait avec sa fille. Il m’a enseigné tout ce qu’il savait sur nos domaines et je sais qu’il comptait avoir son mot à dire dans mon mariage, mais j’aurais aimé qu’il me parle davantage de ce à quoi je devais m’attendre.

— Je pense que cela se serait passé comme il l’aurait ordonné, de son vivant, dit Hugh. Cela aurait certaine-ment été plus facile pour vous si cela avait été le cas. Il doit cruellement vous manquer.

— Aussi cruellement que votre femme et votre fille pour vous, dit-elle. Voyez-vous, je pouvais tout lui demander, et il répondait à mes questions. Toutefois, j’ignorais qu’il me faudrait des réponses à des questions qu’il ne m’est jamais venu à l’idée de poser.

— Vous pouvez me les poser, si vous souhaitez, dit-il.

— Que dirait, selon vous, votre frère si je devais lui confier que j’ai cherché conseil auprès de vous et que votre réponse différait de ce qu’il avait décidé ?

Quand il ne répondit pas, elle se tourna vers lui en se relevant sur un coude pour le regarder.

— Je n’ai point bien exprimé cela, mais vous devez savoir ce que j’ai voulu dire.

— Certes, dit-il. Et vous avez raison. Reid serait furieux.

Elle garda le silence alors qu’une question qu’elle brûlait d’envie de lui poser se répétait sans arrêt dans sa tête jusqu’à ce qu’elle lui dise :

— Les choses seront difficiles quand nous atteindrons Annan House, n’est-ce pas ?

— Oui, un peu, dit-il. Toutefois, je doute que Phaeline se déchaîne beaucoup sur vous pendant que je suis à proximité, si c’est ce qui vous inquiète.

— Et votre frère ?

Après un autre silence, il répondit :

— Je ne peux parler pour Reid.

— Peg a dit qu’il exigerait un examen, dit Jenny en lâchant le morceau avant de perdre son courage. Comprenez-vous ce que cela signifie ?

— Oui, dit-il d’une voix redevenue dure.

— Bien, cela serait très difficile.

— Il n’est point inhabituel pour un homme de réclamer un tel examen avant son mariage si sa fiancée n’a point été surveillée de près jusqu’à ce moment. Vous auriez dû songer à cela avant de vous enfuir.

— Comment pouvais-je réfléchir à quelque chose qui, je l’ignorais, pouvait se produire ? Mon père ne m’a jamais parlé de ces examens. Il a supposé que je resterais sous sa protection jusqu’à mon mariage, de sorte qu’il ne lui est jamais passé par l’esprit que je puisse avoir besoin d’une telle chose.

Lucas cria :

— Monsieur, le feu est allumé et j’ai coupé quelques longues branches, alors nous pouvons commencer nos abris, si vous voulez.

— Je dois y aller, mais vous aurez bientôt assez chaud, je pense, dit Hugh en se levant et en repoussant avec précaution les couvertures sur lui pour recouvrir Jenny.

— Oui, murmura-t-elle en le regardant tandis qu’il enfilait ses bottes et sortait à l’extérieur seulement vêtu d’une cotte en cuir et de ses braies en lui laissant son épaisse cape.

Il lui vint à l’esprit que, puisqu’ils allaient chercher à obtenir l’annulation, s’allonger avec lui était inconvenant en toute circonstance. Même alors, il lui avait semblé naturel de lui permettre de l’enlacer et cela avait été une bénédiction de partager sa chaleur.

En vérité, bien que Hugh l’ait souvent agacée et exaspérée, quelque chose au fond d’elle se réjouissait à la pensée de l’avoir brièvement comme mari. Elle le respectait et elle pouvait discuter avec lui. Il comprenait ce que c’était que diriger de grands domaines et assumer la responsabilité de la vie d’autrui. Il ne considérait pas ses domaines à lui ou les siens comme une simple source de revenus. Reid considérait ainsi Easdale, elle s’en doutait, et n’avait pas une seule pensée pour elle ou son peuple. Elle resta couchée dans le lit chaud quelques minutes de plus. Toutefois, à présent qu’elle était réchauffée, elle décida qu’elle devait se lever et s’activer, aider à alimenter le feu à tout le moins, pendant que les hommes s’occupaient de leurs abris.

Par conséquent, elle se leva, enfila ses bottes et lissa les couvertures sur la paillasse avec la cape de Hugh par-dessus. Se rassurant que l’intérieur de sa cape était sec, elle la passa, releva le capuchon et s’en alla dehors. Elle fut étonnée de voir que bien que les parcelles de neige fussent plus épaisses, une bonne partie du sol était encore dégagée.

Les hommes empilaient des branches à côté de la tente et elle aperçut un second tas près de la tente de Lucas. Lucas avait coupé du bois pour le feu, alors elle alla voir si le feu avait besoin d’être nourri.

Il brûlait joyeusement et Lucas avait attaché une broche, prête à être placée au-dessus du feu plus tard. Hugh lui jeta un coup d’œil, mais il ne dit rien parce qu’elle était sortie. Lucas et lui disposaient déjà les branches coupées autour et par-dessus la tente de Hugh. Cela ne sembla exiger que quelques minutes, et recommencer pour Lucas fut encore moins long.

Les deux hommes disparurent dans le boisé, revenant peu après avec un support plein de lapins. Ils les dépouillèrent et Lucas les fixa sur la broche. Ensuite, il releva la broche au-dessus du feu.

— Où avez-vous rangé la nourriture que nous avons apportée ? lui demanda Jenny, sachant que les femmes lui avaient donné un sac d’aliments avant leur départ.

— Y est dans l’panier d’chargement, milady, dit Lucas en le pointant. Z’avons pensé qu’on aimerait aussi avoir d’la nourriture chaude tout de suite.

— Ces lapins dégagent déjà une odeur délicieuse, dit-elle alors qu’elle se lançait à la recherche du sac.

Il contenait des petits pains croustillants et des pommes, ainsi que du bœuf froid tranché. Sachant que les hommes auraient faim et que la nourriture leur serait de peu d’utilité une fois qu’ils auraient rejoint Annan House, elle apporta le tout jusqu’à une pierre plate près du feu.

— Nous mangerons un festin à midi, dit-elle.

— Marchez d’abord un peu avec moi, jeune fille, dit Hugh. Je veux voir quelle quantité de neige tourbillonne au-delà de ce boisé et nous devrions arriver à sa sortie à une petite distance d’ici. Nous allons jeter un coup d’œil pendant que Lucas s’occupe des lapins.

Elle y alla volontiers. Se promener la garderait au chaud.

— Les ménestrels construiront-ils aussi des abris ? lui demanda-t-elle.

Il haussa les épaules.

— Il est plus probable que leur chef futé se soit organisé pour qu’ils puissent emménager dans l’hôtel de ville. J’espère, par contre, que cette tempête ne s’éternisera point, afin que nous n’ayons point à passer la nuit ici.

Elle éprouvait des sentiments partagés à ce propos, mais lorsqu’ils atteignirent l’orée du boisé, la neige paraissait tomber abondamment. Elle ne vit aucune trace de la route, sauf une portion qui semblait régulièrement plus plate que le paysage campagnard environnant.

— Est-ce sécuritaire de tenter de suivre un chemin que nous ne pouvons point distinguer ? lui demanda-t-elle.

— Nous attendrons jusqu’à ce que ce soit assez sûr. Je veux marcher encore un peu plus loin, par contre. Je ne vois point grand-chose à l’ouest et comme la tempête s’en va vers l’est…

— Je viens avec vous, dit-elle quand il s’arrêta.

— Certes, oui, acquiesça-t-il en lui offrant un bras.

L’agrippant, elle avança péniblement dans la neige avec lui, remarquant que celle-ci était légère comme une plume et plus sèche que la neige tombée plus tôt. Elle s’élevait déjà de quelques pouces.

Elle croisa les mains ensemble sur le bras de Hugh, pour tirer avantage de sa chaleur.

— Gelée encore ? demanda-t-il.

— Pas encore, dit-elle. Vous êtes suffisamment chaud pour deux.

Il rigola et elle sourit en entendant ce son. Elle aimait sa voix, mais elle prenait encore plus plaisir à son rire. Les mêmes choses les faisaient rire et elle se sentait plus à l’aise avec lui qu’elle avait cru pouvoir l’être avec qui que ce soit.

Ils marchèrent vers l’est pendant un temps avant qu’il tourne et scrute le ciel sombre et menaçant à l’ouest avec un regard sceptique.

— Cela va durer un moment, dit Jenny.

— Oui, quelques heures, dit-il. Nous aurons peut-être encore le temps d’atteindre Annan avant la tombée de la nuit, même dans ce cas. Toutefois, je pense que Lucas et moi devrions couper plus de bois pour nous chauffer.

Ils rentrèrent pour découvrir que les lapins étaient prêts à retirer de la broche et, lorsqu’ils eurent mangé, Hugh dit à Jenny de retourner dans la tente pendant qu’ils coupaient du bois.

Le feu n’était pas grand, mais ils avaient piqué leurs tentes et construit les abris en face, de sorte qu’elle pouvait laisser le rabat ouvert, se blottir sous les couvertures et continuer à regarder les hommes travailler. Hugh n’avait pas encore remis sa cape, mais quand elle revint à la tente, Lucas lui demanda de la lui passer afin qu’il puisse la faire sécher devant le feu.

Il avait inventé pour cela un support astucieux, et l’aire où il avait érigé le feu restait relativement sèche, la neige s’empilant en grande partie sur la cime des arbres. Elle se souvint que la raison pour laquelle les abris en bran-ches ressemblaient à une caverne était pour les protéger des lourds tas de neige qui pouvaient soudainement tomber entre les branches au-dessus.

Une heure s’écoula ; Hugh vint l’informer que même si la neige ne tombait plus autant, il neigeait encore, de sorte qu’il avait décidé de patienter au moins une heure de plus pour avoir la certitude que cela n’empirerait pas.

Une heure après cela, il dit que le ciel pourrait se dégager avant le crépuscule, mais pas suffisamment tôt pour qu’ils voyagent de manière sécuritaire. Jenny reçut la nouvelle calmement. Elle n’était pas pressée.

***

Hugh observa Jenny, sans besoin de lui demander à quoi elle pensait. Il savait qu’elle détestait l’idée de rentrer, mais il devait la ramener. Il avait donné sa parole.

Quand Lucas et lui eurent coupé suffisamment de bois, Hugh le laissa surveiller le feu et se baissa vivement pour entrer dans la tente voir comment elle s’en sortait.

Elle sourit quand il le lui demanda :

— C’est très confortable ici, maintenant, dit-elle.

— Oui, certes, je pense que la neige tombera plus doucement bientôt, dit-il.

La vérité était qu’il s’amusait. C’était toujours le cas lorsqu’il se mesurait à la nature ou tout autre ennemi. En fait, il avait éprouvé du plaisir à jouer les troubadours avec les ménestrels. Cependant, il n’avait pas hâte de la remettre à Dunwythie, encore moins à Reid.

Néanmoins, se rappela-t-il fermement à lui-même, il avait le devoir de respecter sa parole.

— Je me disais, commença-t-il alors que Jenny se poussait pour lui ménager une place sur la paillasse, quand nous arriverons à Annan House, ils auront beaucoup de choses à vous dire ; à nous deux, s’y on va par-là. Je ne doute aucunement qu’ils comptaient me voir mettre un jour ou deux tout au plus à vous ramener, certainement point dix jours.

— Certes, car ils s’attendaient à ce que vous agissiez sans tarder, acquiesça-t-elle. Vous avez la réputation d’accomplir les choses avec compétence, je le sais.

— Vous le savez ?

— Oui, bien sûr ; Phaeline me l’a dit.

Ses joues rougirent à cet instant, tandis qu’elle détournait le regard.

— Quoi d’autre Phaeline vous a-t-elle raconté à mon sujet ?

Jenny se mordilla la lèvre inférieure avant de sourire largement dans sa direction.

— Elle a dit que lorsque vous prenez une décision, vous n’en changez point. Vous croisez les bras et prétendez écouter, mais les arguments d’autrui n’ont point plus d’effet sur vous que des gouttes d’eau sur une pierre.

— Cela est une absurdité, comme j’espère ne point avoir à vous le dire.

— Morbleu, monsieur, je ne crois point que cela soit une absurdité. Vous avez décidé de venir me chercher et vous ne vous êtes point détourné de ce but. Phaeline a aussi dit, ajouta-t-elle rapidement, qu’on ne peut point vous pousser à faire quelque chose que vous ne souhaitez point ; même si on allumait un feu entre vos orteils, vous vous en tiendriez à votre objectif. Elle a aussi dit que vous accorderiez moins d’importance à votre douleur qu’à savoir si l’on avait allumé le feu correctement.

Ses lèvres tressaillirent, mais il dit :

— Je pense que vous ne croyez point tout ce que dit Phaeline.

— C’est vrai, monsieur. En réalité, je me suis demandé…

Elle hésita.

— Demandé quoi ?

— Ce n’est rien, et je ne devrais point en dire plus, car je suis certaine qu’il ne s’agit que de pensées remplies d’espoir. Je devrais être plus gentille, mais je souhaiterais que vous ne me rameniez point là-bas.

— Il le faut, dit-il doucement. Je l’ai promis à Dunwythie, tout comme vous avez promis d’épouser Reid. Nous devons tous les deux respecter nos promesses.

— Bien, j’aimerais ne point devoir épouser Reid, dit-elle intensément.

— Mais vous avez accepté de vous fiancer à lui et les fiançailles constituent davantage qu’une promesse, dit-il. C’est une entente légale complexe concernant des questions de terres et d’autres affaires qui exigent une longue négociation avant que les dispositions soient complétées.

— Bien, je ne l’aime point davantage comme fiancé qu’avant.

— Si vous le détestez à ce point-là, pourquoi avez-vous accepté de l’épouser ? demanda-t-il.

— Ils ne m’ont point laissé le choix !

— Ne soyez point stupide. Vous n’aviez qu’à refuser de signer les dispositions du mariage.

Avec un regard perplexe, elle lui dit :

— Mais je ne l’ai point fait. Je n’ai jamais signé un document qui concernait mon mariage avec Reid Douglas.

Hugh pressa les lèvres ensemble, stoppant les mots furieux qui menaçaient de sortir de sa bouche.

***

Quand Hugh parut furieux, mais ne dit rien, Jenny le dévisagea.

— Pourquoi ne dites-vous rien ? Imaginez-vous que je mens encore une fois ? Je vous jure que non.

Il secoua la tête. Ensuite, comme s’il pensait que secouer la tête ne suffisait pas, il marmonna :

— Je sais très bien que vous ne mentez point, jeune fille. Je dois réfléchir à cela. Si nous devons passer la nuit ici, il nous faut encore de la nourriture chaude.

Sur ce, il se leva et quitta la tente. Jenny le regarda partir, sa propre colère piquée au vif par un tel traitement. S’il n’était pas si imposant… Si Lucas n’était pas là, lui aussi…

Ensuite, malgré sa colère, elle sourit. La vision d’elle-même courant derrière Hugh, le secouant et l’obligeant à exprimer ses pensées pour elle était trop ridicule pour l’entretenir.

Tout de même, elle voulait savoir ce qu’elle avait dit pour qu’il soit si furieux, et la seule méthode qui lui venait à l’esprit pour y réussir était de le lui demander. Elle repoussa donc les couvertures, remit ses bottes et sa cape et partit à sa suite. Elle le découvrit en train d’épouiller des lapins avec Lucas.

— Mais vous les avez attrapés rapidement, ceux-là, dit-elle à Hugh.

Ses lèvres tressaillirent, mais il dit seulement :

— Lucas avait déjà posé les pièges et il venait tout juste de ramasser ces deux-là.

— Bon travail, Lucas, dit fermement Jenny. J’aimerais dire un mot à sir Hugh.

— Reste, Lucas, dit Hugh. Nous n’avons rien à discuter, jeune fille. Je vous ai dit de demeurer à l’intérieur où vous serez au chaud.

— Vraiment, monsieur ? Je n’ai rien entendu de tel. Je n’ai rien entendu et je n’ai vu que votre dos alors que vous partiez. Si vous voulez que Lucas écoute ce que je vais vous dire, il doit rester, évidemment. Cependant, je pensais…

— J’m’en vais, dit Lucas en se levant et en mettant de côté son lapin soigneusement dépouillé.

— Nenni, alors, tu ne partiras point, dit brusquement Hugh. Tu…

— Maître Hugh, j’suis resté avec vous pendant d’nombreux bons jours et d’nombreux mauvais jours, mais vous allez d’voir vous occuper seul de vos prop’ chagrins aujourd’hui. Je n’y suis pour rien là-dedans et y ont rien à voir avec moi. Criez quand c’est qu’vous voulez, maîtresse.

Sur ce, il partit à grandes enjambées dans la forêt.

Si Jenny était stupéfaite, Hugh l’était encore plus.

— Doux Jésus, s’exclama-t-il. Je vais avoir quelque chose à dire à ce…

— Vous avez déjà beaucoup de choses à dire que vous ne dites point, monsieur, dit vivement Jenny. Cependant, ce n’est point Lucas qui vous a mis dans une telle colère.

— Jenny, attendez un peu, jeune fille…

— Ce qui m’inquiète est ce que j’ai pu dire pour vous mettre dans un tel état de fureur. Je m’étais passé la remarque qu’il m’était très facile de discuter avec vous. Ensuite, avec une seule affirmation, vous m’avez décoché un air d’une rage que j’ai rarement vue chez un homme, avant que vous partiez sans explication. Cela n’ira point, monsieur. Vous ne toléreriez point cela de ma part et je ne tolérerai point un tel traitement de vous. Si j’ai dit quelque chose que j’aurais dû taire, je vous en prie…

— Morbleu, jeune fille, je ne suis point furieux contre vous !

— Alors qui vous a mis dans cet état ?

Il grimaça.

— Ce n’est point facile à expliquer, dit-il en déployant visiblement des efforts pour parler à voix basse.

Jetant un coup d’œil dans la direction où Lucas était parti, il soupira.

— Ce ne peut point être Lucas, dit-elle.

— Silence maintenant, dit-il. Je souhaiterais que vous retourniez dans cette tente.

— Je vous crois, mais à moins que vous ne vouliez me soulever et m’y transporter, votre vœu ne se réalisera point. Alors, parlez-moi, Hugo, ajouta-t-elle doucement. Expliquez.

C’était la première fois qu’elle l’appelait Hugo en privé, mais elle était très à l’aise de le faire et cela lui paraissait naturel.

— Je ne devrais point discuter de l’affaire avec vous, encore moins vous expliquer pourquoi je sens qu’il le faut. C’est mal de se mêler des affaires d’un autre homme.

Elle fronça les sourcils, repensant à ce qu’elle avait dit avant qu’il parte d’un pas raide.

— Il s’agit des dispositions du mariage, alors. Que je n’aie rien signé vous a mis en colère. De plus, vous veniez tout juste de dire que je n’aurais point dû les signer si je ne voulais point épouser Reid.

— Laissez tomber, jeune fille. Faites ce que je vous demande maintenant et retournez à l’intérieur.

— Nenni, alors, je ne le ferai point.

Quand il esquissa le geste de se lever, elle lui dit :

— Restez où vous êtes, monsieur. Vous ne pouvez point invoquer le mari que vous êtes pour moi uniquement pour m’obliger à l’obéissance. Vous dites que vous ne vous mêlerez point des affaires d’un autre homme. Mais c’est l’affaire de qui, sinon la mienne et celle de mon mari ?