Chapitre 15

Un silence tendu engloutit la pièce au moment où Hugh prit les documents et commença leur lecture. Jenny remarqua que Reid plissait songeusement le front tandis qu’il regardait à nouveau Phaeline, mais l’expression de sa sœur était indéchiffrable. Dunwythie observait Hugh.

Il lut rapidement et Jenny ne pouvait se former aucune opinion d’après son air. Elle pensa bien, lorsqu’il écarta la première page, que ses mouvements manquaient de leur habituelle souplesse gracieuse.

Elle aurait aimé savoir ce qu’il lisait quand il lui jeta un bref coup d’œil et avança la main vers la feuille en vélin mise de côté.

Sans un commentaire, il la lui tendit et reprit sa lecture.

Voyant Phaeline presser les lèvres fermement ensemble, Jenny ne regarda pas Reid. Déterminée à dissimuler toutes ses réactions, elle commença à lire.

À la fin de la page, elle comprit pourquoi personne n’avait discuté des clauses avec elle. Sachant qu’elle ne pouvait se faire confiance de parler sans perdre la maîtrise d’elle-même, elle réprima sa colère, déposa la feuille et accepta la deuxième de Hugh.

Se rappelant son conseil de ne pas leur montrer qu’ils l’avaient déconcertée — sûrement qu’un tel conseil s’appliquait encore davantage à la fureur —, elle garda l’esprit centré sur les mots.

Il lui vint brusquement l’idée que, Hugh étant le frère de Reid et de Phaeline, le devoir familial pourrait l’inciter à approuver leur acquisition des domaines Easdale et du titre de baron. Après tout, il était le chef de famille.

Décidant qu’il était inutile pour elle d’en lire plus, elle l’observa.

Il lisait encore. Quand elle vit un muscle tressaillir sur sa mâchoire, elle inspira profondément et se détendit, ne s’étant pas rendu compte avant qu’elle avait retenu son souffle.

Il baissa les pages qu’il tenait et regarda Dunwythie.

— Je vais être assez poli pour accepter votre parole que vous pensiez agir dans l’intérêt de Sa Seigneurie, dit Hugh. Cependant, nous devons renégocier ces clauses et elle jouera son plein rôle dans cette discussion.

L’air perplexe, son oncle dit :

— Sûrement pas toute l’entente ! Quelle clause en particulier vous inquiète, sir Hugh ?

Impatiemment, Hugh lui dit :

— Tuteur ou non, Dunwythie, vous n’avez aucun droit de signer le transfert de ses domaines ; encore moins pour l’abandon de son titre hérité.

Jenny décela un accent dur dans son impatience. Regardant Phaeline et Reid, elle comprit qu’au moins Phaeline l’avait reconnu et savait Hugh en colère.

Il poursuivit :

— Imaginez, monsieur, si une personne bien intentionnée mais ignorante devait agir ainsi envers lady Mairi après votre mort. Voudriez-vous que cela se produise ?

— Morbleu, j’ose espérer que son tuteur choisirait son mari avec soin et qu’ensuite, il ferait exactement comme moi, dit Dunwythie. J’ai opté pour Reid parce que j’étais certain de pouvoir le guider et garder un œil sur tout. Mairi aura pareillement besoin de bons conseils. Elle ne possède absolument aucune connaissance sur la manière de gérer mes domaines !

— Alors, votre devoir consiste à le lui enseigner, dit Hugh.

— C’est tout à fait inutile, dit Phaeline d’un ton irrité. Le père de Janet ne s’est jamais remarié ni n’a eu de fils, mais le seigneur mon mari accueillera bientôt un héritier mâle convenable, si Dieu le veut. Vous discutez bien prématurément de former Mairi pour ce rôle, monsieur.

— Vraiment ? Mairi a dix-huit ans et n’a toujours point de frère. Elle mérite la même formation minutieuse que Jenny a reçue de son père, une formation que Jenny doit vous décrire à tous les deux. Je parierais aussi que feu lord Easdale en a parlé dans son testament. Il semble avoir pensé à presque tout ce qu’elle pourrait avoir besoin pour se protéger.

Pour la première fois, lord Dunwythie parut nerveux.

— Je le reconnais, je n’ai point lu le testament en entier. Après avoir vu que je devenais son tuteur…

Il écarta les mains.

— Vous avez supposé que vous preniez tout le pouvoir. Possédez-vous un exemplaire valide du testament ?

— Oui, évidemment, dit Dunwythie. J’imagine que vous voudrez le consulter également, maintenant.

Tandis que Hugh acquiesçait d’un signe de tête, Phaeline déclara d’un ton irrité :

— Cela aussi est inutile. Écoutez, Hugh. Vous vous donnez trop d’importance.

— Du calme, ma mie, dit gentiment Dunwythie. Vous vous énervez pour rien. Hugh a raison, au sujet du testament. Peut-être voit-il juste aussi pour la formation de Mairi. Après tout, cela ne peut point nuire et pourrait même l’aider à se trouver un mari.

— Cela ne peut qu’être profitable de l’éduquer, dit Hugh. Nous savons tous à quel point un décès inattendu peut brusquement changer la vie des gens qu’il touche. En effet, monsieur, vous devriez former vos deux filles. À cause des années de querelles et de combats, ici aux frontières, plusieurs de nos femmes ont hérité de titres par droit de naissance. Et, malgré la trêve actuelle, de telles querelles pourraient reprendre n’importe quand. Par conséquent…

— Je vois de quoi il s’agit, dit Reid. Vous craignez que je possède plus de terre que vous et une baronnie plus ancienne. Cela me donnerait préséance alors que vous avez toujours éprouvé de la rancœur envers moi ! Vous et notre père vouliez simplement vous débarrasser de moi. Seule Phaeline…

— Ça suffit, le coupa Hugh d’un ton qui ne tolérait pas la discussion.

— Mais aucune femme ne peut gérer des domaines aussi bien qu’un homme, intervint précipitamment Phaeline. Vous devez savoir cela, Hugh. En vérité, vous devriez soutenir la prétention de Reid.

— Vous m’ébahissez, Phaeline. Je me serais attendu à ce que vous, entre tous, acceptiez qu’une femme bien formée soit une bien meilleure gestionnaire qu’un homme sans formation. Quelqu’un a-t-il formé Reid ou est-ce que son seul sexe suffit à le recommander pour la tâche, selon vous ?

— Si quelqu’un devait le former, c’était vous ! dit Phaeline d’un ton acerbe.

— J’aurais dû, certes. Cependant, Thornhill ne se trouve point sur la lune et ayant accepté à votre insistance que vous saviez ce qu’il y avait de mieux pour lui, je vous l’ai laissé. De plus, d’après ce que je peux constater, il a montré peu d’intérêt pour apprendre quoi que ce soit.

Jenny, voyant Reid grimacer, se demanda s’il se défendrait ou si Phaeline prendrait encore son parti, mais les deux gardèrent le silence.

— Exactement, dit Hugh.

Soupesant les pages qu’il tenait, il ajouta :

— Si l’un de vous, ou les trois, pensait que vous pouviez simplement vous emparer de ces domaines, vous auriez vite appris votre erreur. Non seulement Jenny sait qu’un mari ne peut point lui prendre son titre contre son gré, mais la loi serait entièrement de son côté si elle devait contester ces clauses. Elles ne valent rien. Vous devez les déchirer et en négocier de nouvelles.

— Alors, nous le ferons, affirma Phaeline en hochant la tête d’une manière rassurante vers Reid.

— Non, nous ne le ferons point, dit Jenny en se levant. Je ne signerai rien de la sorte. Comme chacun de vous le sait depuis le début, je ne veux point épouser Reid Douglas.

— Nous verrons cela, déclara sèchement Reid. Vous êtes promise à moi aux yeux de Dieu et je vais vous obliger à respecter cette promesse.

Hugh dit doucement :

— Vous pourriez bien réussir, s’il n’existait aucun empêchement valable à une telle union. Cependant, autant vous détesterez l’entendre, je crains qu’il n’y en ait un.

— Sur quoi jacassez-vous encore ? demanda Reid.

— Bien, seulement que Jenny est déjà mariée, lui dit Hugh. Avec moi.

***

Dans le tollé qui suivit, la colère de Hugh — qui avait lutté pour se libérer depuis le moment où ils étaient entrés dans le boudoir — se calma rapidement. La vue de sa sœur, de Reid et de Dunwythie parlant brusquement en même temps était assez amusante pour apaiser sa fureur envers les trois, quoique pas suffisante pour l’oblitérer.

Il ne distingua que quelques phrases ici et là, mais Phaeline et Reid semblaient l’accuser de trahir la famille Douglas, et Dunwythie, de trahir la sienne.

Dunwythie, indifférent aux deux autres, continuait à répéter ses demandes d’explication.

Au milieu de tout cela, Jenny restait immobile, l’air calme et distante comme si elle était une dignitaire en visite et qu’un groupe d’enfants du coin s’était soudainement mis à se quereller. Cela n’avait, comme on aurait pu le dire, rien à voir avec elle.

Pour Hugh, elle ressemblait à une île de tranquillité au centre d’une tempête, quoiqu’il ne doutât pas que sous cette façade sereine, elle bouillonnait. Rien, dans les propos qu’elle lui avait tenus, ne suggérait qu’elle nourrissait de l’affection pour aucun des trois, mais elle devait particulièrement ressentir la trahison de Dunwythie. En tant que tuteur, et en tant que son oncle par alliance, il lui devait de faire honnêtement son devoir envers elle. Toutefois, que ce soit par inaptitude ou à cause de sa malheureuse habitude à s’incliner devant tous les caprices de sa femme dans un désir masculin naturel de conserver la paix, il avait gravement laissé tomber Jenny.

La voix de Reid s’éleva soudainement au-dessus de la mêlée tandis qu’il pivotait brusquement vers Hugh.

— Je savais que vous essayeriez de ruiner tous mes plans ! Soyez maudit, Hugh Douglas !

— Du calme, mon garçon, dit Hugh en s’armant d’un courage optimiste. Rien de cela n’est ma faute.

Il faillit ajouter que ce n’était pas non plus celle de Jenny, mais l’honnêteté l’en empêcha, car son départ précipité d’Annan House avait tout déclenché.

En tous les cas, Reid ne lui donna pas l’occasion de parler ; il cria :

— Pas votre faute ? Comment cela est-il possible si vous avez épousé la maudite femme ?

— Faites attention à ce que vous dites, car je ne veux plus entendre de propos de ce genre, dit brusquement Hugh. Le fait que je l’aie suivie jusqu’au campement des ménestrels a provoqué un malentendu. Me croyant son soupirant, et qu’elle m’aimait bien et avait besoin d’un protecteur, ils ont organisé une pièce de théâtre à propos d’un mariage dans lequel nous pensions jouer un rôle. Le prêtre, par contre, était véritable.

Reid postillonna :

— Mais… puis après ?

— Cela signifie que la cérémonie était tout aussi réelle et qu’un prêtre n’a point l’autorité de défaire un mariage. Néanmoins, vous n’essuierez aucune difficulté pour le faire annuler, mon seigneur, dit-il à Dunwythie. Leurs fiançailles antérieures faciliteront la suite. Le processus prendra du temps, évidemment, mais sans doute le consacrerez-vous à démêler la situation. En tous les cas, comme je l’ai dit, je dois me rendre à Threave. Il s’agit d’un voyage de deux jours à partir d’ici dans les meilleures conditions, et il y a urgence.

— S’il y a urgence, mon garçon, vous voudrez peut-être voyager plus vite, dit Dunwythie. Je peux m’arranger pour que vous embarquiez sur un bateau d’Annan à Kirkcudbright, si vous le souhaitez. De là, je crois, il ne reste que quelques miles tout au plus jusqu’à Threave.

— Si vous voulez maintenant discuter d’affaires d’homme, je doute que quiconque pense que cela concerne Janet, dit Phaeline. Et, comme vous demeurerez ici pendant que nous organisons l’annulation, Janet, vous pouvez à présent vous retirer dans votre chambre. Lorsque vous serez prête à présenter vos excuses pour votre comportement impulsif, vous le pourrez. Jusque-là…

— Non, dit Jenny catégoriquement.

— Non ? Par le ciel, pendant que vous êtes sous ce toit, vous obéirez…

— Non, Phaeline, je ne le ferai point. Je pars à Threave avec sir Hugh.

Hugh réfléchissait encore à la proposition de Dunwythie pour le bateau et avait prêté peu d’attention à l’échange, mais en entendant ces mots, il regarda Jenny.

— Bon, jeune fille, dit-il fermement, nous avons déjà décidé que vous resterez ici.

Nous n’avons rien conclu de tel, répliqua-t-elle. Vous avez déclaré que je le ferais, mais c’était avant de comprendre tout ce qui s’était passé ici. Vous êtes toujours mon mari, non ?

— Certes, légalement, je le suis, admit-il.

— Donc, jusqu’à ce que l’annulation soit prononcée, ma place est avec vous. Après tout, il est de votre devoir de me protéger, et ils ont prouvé au-delà de tout doute que je ne peux point leur faire confiance.

Tandis que Hugh tentait de trouver quelque chose de raisonnable pour réfuter sa logique, Reid dit :

— Ma foi, elle a probablement déjà couché avec lui !

— Nenni, mon garçon, ce n’est point…

— Certes, oui, déclara carrément Jenny. J’ai couché avec lui.

— Bon, écoutez maintenant, s’exclama Hugh. Elle ne sait point ce qu’elle…

— Je le savais ! s’exclama Reid. Par le ciel, vous désirez vraiment une raclée et je…

— Assez ! rugit Hugh, s’interposant entre eux tandis que l’idée de Reid touchant Jenny lui fit lâcher la prise précaire qu’il avait sur sa colère. Jenny a raison. Je suis son mari et en ce qui me concerne, la seule façon pour nous d’obtenir une annulation est que Jenny la veuille. Jusqu’à ce jour-là, elle est ma femme et le restera !

***

Jenny oscilla, prise de vertige. Un discours aussi impulsif était la dernière chose qu’elle avait cru entendre un jour de Hugh. Elle avait seulement espéré qu’il l’emmènerait à Threave, car elle voulait encore moins qu’avant demeurer à Annan House.

Phaeline et Reid se démèneraient tous les deux pour lui faire une vie infernale. Et même si Mairi et Fiona allaient agir avec gentillesse envers elle, cela ne suffirait pas.

Mais rester mariée à Hugh… Elle devait réfléchir à cela.

À présent, il l’observait attentivement, comme s’il jaugeait sa réaction. Elle allait se rappeler son bon conseil encore une fois et n’afficher ses sentiments pour personne.

Par conséquent, elle se tourna vers Dunwythie et demanda d’un ton détaché :

— Quand, au plus tôt, un bateau peut-il mettre les voiles d’Annan Harbor, mon seigneur ?

— Morbleu, jeune fille, nous devons discuter de cela, dit-il en jetant un coup d’œil aux autres.

— Quand, monsieur ? répéta Jenny.

Regardant Hugh et ne trouvant aucun soutien là, il lui dit :

— Il vaut mieux en ce moment que vous partiez avec la marée du matin. Voyez-vous, Kirkcudbright est située à environ cinquante miles d’ici. Toutefois, bien que cela signifie deux jours de voyage à cheval, ou plus longtemps si la neige tombe encore, il ne faut point plus qu’une demi-journée par galère si vous partez à marée basse.

— Alors, nous pouvons partir demain matin, monsieur, dit-elle à Hugh.

— Nous allons d’abord voir ce que Sa Seigneurie apprendra sur les bateaux dans le port, dit Hugh.

— Très bien, donc je vais aller m’occuper de mes bagages. Je n’ai point l’intention de rendre visite au seigneur de Galloway avec seulement une tunique, deux jupons, une paire de bottes et une cape.

Exécutant une petite révérence à l’intention de Dunwythie, elle ajouta :

— Je vous prie de m’accorder le droit de monter à ma chambre, mon seigneur.

— Oui, bien sûr, jeune fille. Toutefois, vous ne devriez point partir ainsi. C’est comme si vous vous enfuyiez encore une fois et je ne peux point croire que nous avons été à ce point méchants avec vous pour justifier cela.

— Je vais lui parler, mon seigneur, dit Hugh. Toutefois, vous devriez interroger votre conscience pour savoir s’il s’agissait de bonté de négocier ces clauses du mariage sans la consulter à leur sujet ou s’il aurait été préférable de vous référer au testament de feu lord Easdale pour ses instructions.

— Certes, mon garçon, j’aurais dû lire le testament. Et je vais vous l’accorder, la jeune fille a bien dit quelque chose sur la formation qu’il lui avait donnée. Cependant, elle n’est encore qu’une jeune fille, malgré tout cela. Néanmoins, vous aviez raison de dire que je devrais former quelque peu mes propres filles pour la gestion de mes domaines.

— Une excellente idée, dit Hugh en observant Jenny.

— Je vais vous laisser, à présent, dit-elle.

Avec une autre brève révérence, elle quitta la pièce et se hâta de monter à l’étage, espérant que Phaeline ne la suivrait pas. Atteignant sa chambre à coucher, elle trouva Mairi et Fiona l’attendant à l’intérieur.

— Nous savions qu’elle vous enverrait ici dès qu’ils auraient fini de vous réprimander, dit Fiona.

— Je pars avec sir Hugh, leur dit Jenny alors qu’elle fermait la porte. Je vous en prie, ne tentez point de m’en dissuader, ni l’une ni l’autre. Connaissez-vous quelque chose sur les clauses du mariage ?

Mairi et Fiona secouèrent toutes deux la tête.

— Apparemment, Phaeline et mon oncle ont arrangé les choses afin que Reid puisse prendre possession de mes domaines et de mon titre, mais sir Hugh a dit qu’ils avaient enfreint la loi. Comme lui et moi sommes mariés…

— Mariés ! s’exclamèrent-elles à l’unisson.

Jenny leur expliqua avant d’ajouter :

— Donc, je pars avec Hugh. Je crois que nous sommes réellement mariés à présent, car ils affirment tous qu’ils chercheront l’annulation. Toutefois, je ne peux point rester ici.

— Avez-vous réellement couché avec lui ? demanda Fiona. Comment était-ce ?

Jenny gloussa.

— J’ai en effet couché avec lui, mais point comme vous l’entendez ni comme Reid le pense, car Hugh ne souhaitait point rendre l’obtention d’une annulation plus difficile ni m’engrosser. Toutefois, après le mariage, les autres nous ont préparé une tente et je ne voulais point leur dire quelle entourloupette ils nous avaient faite. Je ne voulais point non plus que Hugh le leur dise, particulièrement parce que c’était mon propre mensonge qui avait tout déclenché.

— Hugh était-il furieux ? demanda Fiona. Ma mère a souvent parlé de son caractère terrifiant. Est-il terrifiant ?

— Je ne l’ai point constaté, même s’il a dit des choses que j’aurais préféré ne point entendre. Toutefois, je pouvais voir qu’il était en colère pendant qu’il lisait les clauses de mon mariage et il est devenu encore plus furieux quand Reid a dit que je devais être punie.

— Reid a en effet le droit d’éprouver de la colère contre vous, dit Mairi raisonnablement.

— Oui, possible, mais quand il a exigé une punition, Hugh a déclaré qu’en ce qui le concernait, nous étions mariés et le resterions à moins que je souhaite le contraire.

— Mais vous souhaitez bien qu’il en soit autrement, non ? dit Fiona. Vous ne pouvez point désirer sir Hugh comme époux. Tenez, vous l’avez dit vous-même, le soir de votre départ.

Jenny hésita.

— Je ne sais plus ce que je veux, dit-elle. Toutefois, je pars avec Hugh au matin. Donc, si vous comptez rester ici pour bavarder, vous devez m’aider à préparer mes paquets et me raconter tout ce qui s’est passé pendant mon absence. Ont-ils trouvé certains des bijoux disparus ?

— Comment savez-vous que des bijoux ont disparu ? demanda Fiona.

— Hugh me l’a dit, bien sûr, quand il m’a retrouvée. A-t-on volé beaucoup ?

— Oui, un bon nombre d’articles, dit Mairi. Toutefois, un voyageur les a presque tous récupérés pas très loin de notre portail, de sorte qu’il devait s’agir d’un tour joué par quelqu’un. Phaeline était furieuse parce qu’elle et père devaient rendre les bijoux disparus. Elle a dit que cela donnait l’impression que quelqu’un ici les avait pris, alors qu’elle est convaincue que c’étaient les ménestrels.

— Sauf qu’ils n’auraient pu tout prendre, dit Fiona. Rappelez-vous que les articles ont été dérobés après leur départ, y compris les perles de maman.

Jenny leur dit :

— Je ne pense point que les ménestrels voleraient dans les demeures où ils se produisent. Si les gens nourrissaient même seulement des soupçons à cet effet, ils ne les laisseraient point entrer dans les maisons ordinaires, encore moins dans des endroits comme Lochmaben et Threave.

— Lochmaben ! s’exclama Fiona. Morbleu, tout le monde là-bas est anglais !

— Certes, mais j’y ai chanté, dit Jenny. Quant à l’honnêteté des ménestrels, le shérif de Dumfries les a invités à présenter leur spectacle sur la place du marché.

Se rappelant que les hommes du shérif avaient fouillé leurs tentes dans le campement à Dumfries pour trouver des bijoux volés, elle tenta d’intégrer une simple farce à Annan House à ce fait. Ils n’avaient rien découvert, par contre. Elle devait continuer d’y réfléchir.

Cependant, Mairi et Fiona exigèrent à ce moment-là qu’elle leur raconte toute l’histoire de ses aventures, alors elle fit de son mieux pour les satisfaire. Toutefois, elle omit de mentionner ses soupçons concernant un complot qui se tramait, et d’autres choses plus intimes.

Le souper fut un repas tendu, rendu tolérable par la présence de Hugh et celle de Fiona et Mairi. Quand Jenny eut fini de manger, elle ne ressentit aucune envie de s’attarder à table ni de se joindre à Phaeline dans son boudoir avec les autres de sorte qu’elle s’excusa, disant qu’elle était fatiguée par ses voyages et qu’elle voulait dormir.

Personne ne tenta de la dissuader, mais seule dans sa chambre à coucher, elle se sentit inhabituellement solitaire et peu sûre d’elle-même.

Se rappelant que Peg avait soupçonné que Phaeline n’était point grosse, Jenny envoya une servante chercher Sadie, la femme de chambre de Phaeline.

Quand la fille vint la voir, Jenny lui dit :

— Je pars tôt demain matin pour Kirkcudbright, Sadie. Je t’en prie, aide-moi à plier ces robes dans le panier de chargement.

— Oh ! oui, j’ai ben entendu ça, maîtresse. On s’doutait point qu’vous épouseriez sir Hugh. C’tait une surprise rare qu’celle-là comme on pensait qu’vous alliez épouser son frère !

— Cela a été une surprise pour moi aussi, dit Jenny avec un sourire en regardant Sadie plier adroitement une de ses robes. Comme tu fais bien cela ! Je le jure, j’ai essayé trois fois de l’y faire entrer sans la froisser.

— Oui, ben, c’est bien moi qui doit m’occuper des effets d’Sa Seigneurie, non ? Et avec elle qu’est ben difficile, j’peux vous l’dire.

— Comment va-t-elle ? demanda Jenny. Peg a dit qu’elle craignait que quelque chose ait mal tourné.

Les yeux de Sadie s’arrondirent comme des soucoupes et elle la dévisagea comme si elle ne savait pas quoi dire.

— Qu’y a-t-il, Sadie ? N’aurais-je point dû m’informer à son sujet ?

— J’préférerais qu’vous me posiez point la question à moi, maîtresse. J’devrais rien dire.

— Je vois, dit Jenny. Peg avait raison, alors. A-t-elle trouvé ses perles manquantes ?

— Nenni, elle ne les a point retrouvées, même que lady Johnstone a, elle, trouvé son collier. Et les autres bijoux qui avaient disparu y ont tous réapparu aussi. J’pensais ben avoir découvert trois des perles de lady Phaeline, mais elle a dit que c’tait des vieilles perles de quelqu’un d’aut’ et qu’y lui manquait tout son rang. Ma foi, elle m’a giflée si fort que ça sonnait dans mes oreilles, par contre.

— Oh ! Sadie, non, dit Jenny avec compassion.

— Oui et elle pense que quelqu’un dans l’château les a prises. J’ai craint qu’elle veuille parler d’moi, mais j’prendrais jamais rien qui m’appartient point. Aucun d’nous le f’rait, lady Jenny… Morbleu — elle lança ses bras au ciel —, comment dois-je vous appeler, maintenant ? J’crois que j’devrais vous appeler lady Douglas, ou lady Thornhill, mais j’sais point lequel.

— Aucun des deux, dit Jenny avec un petit rire. Je suis encore lady Easdale, Sadie, mais cela ne me dérange point si tu continues à m’appeler maîtresse Jenny.

Elle se demanda ce que Hugh penserait de cela, mais comme il avait lui-même précisé ce fait, il comprendrait certainement qu’elle conserve son titre. Le simple fait de penser à lui l’amena à souhaiter pouvoir lui parler. Sans doute, une femme avait le droit de convoquer son mari chez elle. Elle se demanda si Hugh viendrait si elle osait.

***

Encore assis à la table d’honneur, Hugh mourait d’envie de retrouver son lit. Il n’avait pas particulièrement sommeil, mais il était las d’écouter Dunwythie.

Il avait depuis longtemps acquitté Sa Seigneurie d’intention maligne parce qu’il était évident qu’il était simplement un homme qui aimait mieux la paix au genre d’inconfort que Phaeline pouvait créer pour lui s’il la mécontentait. La femme n’avait qu’à gémir et poser une main sur son ventre pour que le pauvre homme au cœur de mère poule bondisse et obéisse à ses ordres.

Hugh pouvait comprendre l’envie de Dunwythie d’avoir un fils. La plupart des hommes voulaient des fils. Cependant, attendre quinze ans et ne pas agir entre-temps pour assurer le bien-être de ses domaines et de son peuple était dangereusement irresponsable. S’apercevant qu’il avait fait à peu près la même chose en n’insistant pas pour que Reid apprenne à diriger Thornhill, il ne pouvait plus rien dire à Dunwythie sur le sujet. L’homme enseignerait peut-être à ses filles ce qu’elles devaient savoir. Mairi, du moins, semblait capable et assimilerait sans doute rapidement. La malicieuse Fiona était une autre affaire, mais elle pourrait bien s’améliorer avec l’âge.

Dès qu’il put s’excuser décemment après le souper, il alla dans sa chambre à coucher. Là, il découvrit Lucas rangeant la pièce et triant ses vêtements. Une grande baignoire remplie d’eau fumante était posée à côté du petit foyer.

— Cette baignoire me semble invitante, dit Hugh en commençant à retirer son manteau.

— J’ai ben entendu qu’on allait à Kirkcudbright en galère, alors j’savais qu’vous seriez content d’prendre un bain. J’pense, par contre, qu’vous voudrez point emporter tout votre matériel.

— Tu avais raison pour le bain, mais tort à propos du matériel, dit Hugh tandis qu’il délaçait sa chemise. Nous emporterons tout. Je compte rentrer directement à Thornhill après Kirkcudbright. Je suis déjà parti de l’endroit depuis trop longtemps.

— Oui, m’sieur, et la lady ?

— Tu as donc aussi entendu parler de cela, n’est-ce pas ?

S’agenouillant pour tirer sur les bottes de Hugh, Lucas dit nonchalamment :

— Comme j’tais présent pour l’mariage, comme on pourrait dire…

— Ne joue point les idiots avec moi. Je sais que tu as appris qu’elle venait avec nous et aussi que j’ai déclaré qu’elle resterait ma femme à moins qu’elle ne veuille le contraire.

— Oui, bien sûr, et j’vous ai trouvé sage aussi, m’sieur, bien que j’sais très bien que vous aviez juré de plus vous marier, ajouta-t-il doucement.

— Trop tard pour penser à cela maintenant, dit Hugh. Vois seulement à ce que nos chevaux retournent en toute sécurité à Thornhill et que nos bagages se retrouvent à bord de la bonne galère. Oh ! et tu ferais mieux de voir si Sa Seigneurie a des ordres pour toi, elle aussi.

— Et qu’en est-il d’une servante pour Sa Seigneurie, m’sieur ? Elle en voudra une.

— Va lui poser la question dès que possible, puisque nous avons fini de me laver les cheveux, conseilla Hugh en se demandant ce que Jenny penserait du fait qu’il lui envoyait Lucas.

Quand l’homme fut parti, Hugh termina son bain et se sécha les cheveux près du feu. Quoiqu’il soit tôt pour se mettre au lit, il décida qu’il avait besoin d’une bonne nuit de sommeil.

Il s’était à peine installé quand un petit coup à la porte le dérangea.

Certain qu’il devait s’agir de Lucas revenant avec des hommes pour emporter la baignoire, il gronda :

— Entrez donc !

Toutefois, lorsque la porte s’ouvrit, Jenny se tenait sur le seuil avec une bougie à la main, ses cheveux dénoués pendant en douces vagues jusqu’à ses hanches.

— Oh ! dit-elle. Je ne pensais point… C’est-à-dire que je croyais que vous seriez encore debout. Je… je n’aurais point dû venir.

Hugh se redressa, se souvint de sa nudité et s’efforça de calmer sa voix quand il lui dit :

— Je peux remettre mes braies et me relever en un clin d’œil, jeune fille. Ne vous enfuyez point.

En vérité, une partie de lui était déjà levée. Elle s’était mise au garde-à-vous dès l’instant où il l’avait vue. Elle se retourna, lui faisant craindre son départ, alors il attrapa ses braies et les enfila brusquement, mettant en péril la partie la plus réveillée de lui tandis qu’il tirait violemment sur les lacets.

— Entrez, Jenny, dit-il tandis qu’il attachait les lacets. Qu’y a-t-il, jeune fille ? Je vous ai envoyé Lucas. Avez-vous oublié de lui dire quelque chose ?

— Nenni, il est allé chercher son souper. Toutefois, ma chambre est froide et on s’y sent seul, et je savais que vous deviez toujours être fâché contre moi, alors j’ai pensé… j’imagine que je voulais vous présenter mes excuses.

Comme elle se tenait encore sur le seuil, il alla vers elle et la poussa à l’intérieur d’une main sur son épaule, puis donna une petite poussée avec son pied pour refermer la porte derrière eux.

Elle ne portait qu’un peignoir lâche lavande et des pantoufles, et elle sentait les roses, le parfum préféré de Hugh. C’était la première fois qu’il voyait ses cheveux non tressés. Ils pendaient en longues vagues et là où sa main la touchait encore, ils étaient soyeux et un peu humides.

— Vous vous êtes lavé les cheveux, dit-il.

— Je me suis lavée partout, dit-elle.

Puis, remarquant la baignoire remplie d’eau, elle ajouta :

— Vous devez avoir fait de même. On sent le musc et le clou de girofle ici.

Anormalement conscient de sa main sur son épaule droite, il se servit lui-même un avertissement qu’il ne devrait pas la toucher du tout avant d’avoir découvert pourquoi elle était venue. Toutefois, quand elle se tourna vers lui et resta là, relevant des yeux confiants vers lui, il ne put résister à poser son autre main avec légèreté sur son épaule gauche.

Le peignoir lavande était doux et ses yeux, reflétant la lumière de sa bougie, semblaient plus dorés que jamais.

Il lui enleva sa bougie, la déposa sur un piédestal à proximité et remit sa main sur son épaule.

— Maintenant, dit-il, pourquoi êtes-vous venue me voir ?

— Je vous l’ai dit, je devrais m’excu…

— Jeune fille, quand je serai furieux, vous ne vous contenterez point de vous en douter. Vous le saurez.

— Mais vous l’étiez, insista-t-elle.

— Certes, mais point contre vous. J’aurais dû dire que lorsque vous me mettrez en colère, vous le saurez. Je ne suis point du genre à dissimuler ma véritable colère lorsque je la ressens.

— Vous la dissimuliez aujourd’hui. Je le voyais bien.

— Vraiment ? J’étais furieux qu’ils vous aient traitée si injustement. J’ai vu le testament de votre père et il exprime clairement ses volontés. Si Dunwythie a lu seulement assez loin pour apprendre qu’il avait été nommé votre tuteur, je soupçonne qu’il ne voulait point en savoir davantage, de peur que cela lui cause des difficultés. Cela équivaut à de la lâcheté et cela m’a effectivement mis en colère, mais je l’ai caché pour la même raison que je vous ai prévenue de ne point afficher vos émotions devant eux.

— Afin de ne point leur donner la satisfaction de s’apercevoir qu’ils nous avaient mis en colère.

— Oui, et vous avez réussi, jeune fille. Toutefois, je parlais de choses plus personnelles, il y a un instant. Vous n’avez point à dissimuler votre colère contre moi, si je devais un jour la susciter, ajouta-t-il avec un sourire taquin.

Ensuite, plus sérieusement, il lui dit :

— Vous devriez aussi savoir que je n’arriverai point toujours à contenir la mienne. Parfois, elle frappe avant.

— Phaeline a dit que vous aviez un caractère terrifiant.

— Oui, bien, elle devrait le savoir. Elle l’a provoqué plus d’une fois.

— Est-ce la raison pour laquelle vous m’avez dit de ne pas lancer d’objets ?

— Oui et vous devriez prendre cet avertissement au sérieux, dit-il. Cependant, à présent que nous avons établi que je ne suis point en colère contre vous, souhaitez-vous me dire autre chose ?

— Je crois que Lucas vous a informé que je n’ai point besoin d’une femme de chambre pour nous accompagner.

— Point encore. Je pensais que c’était lui qui revenait pour emporter la baignoire. Êtes-vous certaine de ne point vouloir quelqu’un ? Il est peu probable qu’il y ait d’autres femmes à bord du bateau.

— Je n’ai point mes propres serviteurs d’Easdale, ici, dit-elle. Et je ne veux personne d’Annan House.

— Alors, il n’est point nécessaire pour vous d’emmener une servante. Autre chose ?

Elle hésita, puis elle le regarda droit dans les yeux.

— Phaeline m’a dit que vous aviez juré de ne plus jamais vous marier et, aujourd’hui, vous avez déclaré que j’étais votre femme parce qu’ils vous ont mis en colère. Je… je souhaitais seulement vous parler… pour… Mais maintenant, je ne sais plus quoi dire. Enfin, j’ignore ce que vous attendez réellement de moi. Me le direz-vous ?

Ses doigts agrippèrent plus fermement ses épaules. Il n’en avait pas été sûr lui-même à ce moment-là. Toutefois, en regardant dans ses yeux dorés, la sentant trembler tandis qu’elle attendait qu’il parle, et sentant son pénis voter pour le salaud en lui, il sut exactement ce qu’il voulait.

— Je dis rarement ce que je ne pense point, Jenny, particulièrement lorsque je suis en colère. Je pensais ce que je leur ai dit. En ce qui me concerne, nous sommes mari et femme et le resterons à moins que vous ne décidiez le contraire. Deux fois vous avez demandé que j’agisse comme votre mari. Vous devriez peut-être réfléchir plus attentivement à cette prière.

— Et peut-être que la troisième fois confirmera le tout, dit-elle.

Puis, avec un sourire hésitant, elle ajouta :

— Puis-je dormir avec vous ici ce soir ?

— Je ne peux penser à rien que j’aimerais davantage, dit-il. Cependant, vous devriez savoir que si vous restez, je vais agir à partir de maintenant en mari de toutes les façons, jeune fille.

— Morbleu, je leur ai déjà dit que vous l’aviez fait, dit-elle. Dois-je me déshabiller ?

— Nenni, je veux vous dévêtir. Ensuite, si vous êtes très bonne, et très rapide, je vais vous permettre de me déshabiller.