Prologue

Galloway, Écosse, décembre 1367

Des ménestrels avaient joué de la musique dans la galerie du ménestrel alors que les premiers invités au souper du nouveau laird entraient dans la salle de réception du vieux château. Depuis, un jongleur avait jonglé, des danseurs avaient dansé et, à présent, un harpiste interprétait de joyeuses mélodies sur sa harpe miniature.

Tandis que le harpiste se produisait dans un espace dégagé sous l’estrade, des hommes installaient rapidement des tréteaux derrière lui et posaient des planches solides en travers, signe que le meilleur du spectacle arrivait bientôt.

Le harpiste fit une révérence alors qu’un homme et une femme s’avançaient au bord de l’ouverture. Quand il joua un air sur son luth, la femme commença à chanter :

De l’est est venu le fou,

Beau, en vérité, et fort comme une tempête,

Alors, bondissez sur la scène maintenant, messire le fou,

Et offrez-nous votre complainte !

Des bruits de tambourin s’élevant de la galerie du ménestrel ainsi que les applaudissements des invités accompagnèrent un fou longiligne au visage blanc, portant un chapeau orné de grandes oreilles et de grelots et une tenue colorée en damier, appelée habit d’arlequin, que tous les fous portaient, tandis qu’il sautait et culbutait pour se rendre sur la solide scène sur tréteaux. Il bondit follement sur les planches. Lorsque les rires éclatèrent, il regarda autour de lui avec confusion, puis se leva lentement sur les mains et se renversa sur ses pieds. Plissant les yeux, il reporta son regard sur la table en hauteur et commença à réciter d’une voix chantante :

Il était une fois un petit bouffon,

Habitant dans un très grand château…

Ce qui suivit fut d’abord intelligent, même humoristique. Pourtant, cela se transforma rapidement en une bizarre farce à propos d’un envahisseur impitoyable et son armée d’étrangers déterminés à assujettir un pays rebelle et son peuple amoureux de liberté. Alors que l’orateur arrivait à la fin de son récit, il fit un geste large pour englober le public sur l’estrade en déclamant :

Tel est ce petit bouffon,

Ce laird dans son très grand château.

Qui a déclaré la paix du roi au pays,

Une paix Terrible pour les uns et les autres !

La salle bondée demeura silencieuse à la fin de son récit ; on n’entendait plus que le son des clochettes tintinnabulantes du chapeau à grandes oreilles du fou tandis que celui-ci saluait son public.

Le tintement se poursuivit dans le mutisme alors qu’il se redressait. Il semblait perplexe, d’une manière ridicule en raison des traits exagérés sur le visage blanc comme la craie qu’il arborait, comme la plupart de ses semblables. Apparemment, il s’était attendu à des applaudissements à défaut de rires.

Au lieu de cela, les yeux de toute la salle quittèrent sa face blanche pour se fixer sur l’homme au visage et aux cheveux foncés sur la chaise centrale à la table d’honneur.

— Pardieu, gronda le seigneur. Ce que j’ai entendu est donc vrai. Bien que tu te vantes d’être un homme d’esprit et un poète, fou, tu n’as composé que des âneries, te moquant de mon personnage et de l’ordre royal de Sa Majesté mandant que j’impose la paix à Galloway. Ayant débité cette sottise pour le plaisir de mes ennemis, tu oses maintenant pérorer devant moi. Pire, tu le fais aujourd’hui pour me faire rire. Chassez-le, les garçons !

Trois hommes d’armes s’avancèrent pour exécuter l’ordre.

— Mon seigneur, pitié ! s’écria le fou. C’était pour bouffonner, et la tempête de neige souffle dehors. Morbleu, je vous demande l’hospitalité !

— Peuh ! c’est là un concept des Highlands qui n’a point de sens pour moi, grogna le seigneur. Avant de parler en mal des hommes avantagés des pouvoirs de l’emprisonnement et de la potence, tu devrais apprendre à enrober tes paroles à tout le moins d’une mince couche d’esprit. Je fais preuve de pitié envers toi. Nous verrons si Dieu pense que tu mérites plus de Sa part. Chassez-le de ma vue, les garçons !

Deux des trois hommes d’armes s’emparèrent du fou, le tenant chacun par un bras. Ils le poussèrent sur la longueur de la salle, puis en bas d’une marche et sur un palier de l’escalier en colimaçon ménagé dans l’épaisseur du mur. Tirant la grande porte ouverte, ils l’obligèrent à sortir dehors, où la neige dense qui tombait recouvrait à présent les marches extérieures et la cour.

Pendant qu’ils l’escortaient en traversant la cour en diagonale vers la porte principale, ses pieds firent crisser le gravier sous la couverture neigeuse.

Le troisième homme d’armes fit signe au garde d’entrée et la porte s’ouvrit lentement, traçant des sillons dans la neige sur son passage. L’escorte du fou le traîna à l’extérieur jusqu’à la passerelle en bois qui, selon son vague souvenir, menait au quai d’une rivière en avant et, à l’est, vers un village voisin. Juste devant la porte, ils lui donnèrent une poussée.

Il trébucha, glissa, puis s’écrasa sur le trottoir, où ils l’abandonnèrent.

Il entendit la porte se refermer, mais la neige tourbillonnait si fortement autour de lui qu’il ne pouvait pas voir le mur du château ou les bords de la passerelle.

Il ne pouvait rien voir, nulle part, sauf la neige tournoyant lourdement.

La peur s’installa alors lentement et le saisit à la gorge.