Barcelone et Paris
1901-1906

Cette toile incarne le premier pas de Picasso vers la maturité artistique alors que ce dernier n’avait que vingt ans. En effet, L’Enfant à la colombe montre l’influence des grands maîtres du post-impressionnisme sur l’artiste, en particulier l’influence de Paul Gauguin avec le choix des aplats de couleurs pures et de la perspective écrasée. L’enfant est représenté de façon presque sentimentale, en opposition avec les œuvres plus tardives de Picasso représentant des personnages débordants d’énergie et presque violents. Même si Picasso allait utiliser la colombe comme symbole de la paix bien des décennies plus tard, la colombe, ici soignée par l’enfant, peut être interprétée comme une prémonition.

L’Enfant à la colombe, 1901. Huile sur toile, 73 x 54 cm. Collection privée

Yo, Picasso, 1901, Huile sur toile, 73,5 x 60,5 cm, Collection privée

On observe ici l’autoportrait d’un peintre conscient de son potentiel artistique. À cette période, Picasso se rend à Paris pour la seconde fois avec la promesse de pouvoir exposer ses toiles dans la galerie d’Ambroise Vollard, acteur incontournable de l’art moderne. Le tableau est donc montré lors de cette exposition. L’artiste se présente comme un membre de l’avant-garde bohême de la butte de Montmartre avec une facilité mise en avant par l’emploi de coups de pinceaux vigoureux. Ici, nous sommes les témoins de la haute opinion que Picasso avait de lui-même : dans le coin supérieur gauche, on peut lire Yo, Picasso (Moi, Picasso).

Autoportrait, 1901. Huile sur toile, 81 x 60 cm. Musée Picasso Paris, Paris

Cet autoportrait de l’artiste à l’âge de vingt ans est l’un des chefs-d’œuvre de la « période bleue » de Picasso. À cette époque (1901-1904), le bleu devient la couleur prédominante de la palette de l’artiste, une couleur associée à la mélancolie des thèmes qu’il peint durant ces quelques années. En comparaison avec Yo, Picasso, cette toile semble plus introspective et obsédante. Le plus remarquable dans ces deux toiles, réside dans le fait qu’elles ont été toutes deux réalisées la même année. Aussi, une évolution qui demande plusieurs années à certains artistes, n’a nécessité seulement que quelques mois, voire semaines, à Picasso. Ce chef-d’œuvre sera le premier d’une longue lignée.

L’Enterrement de Casagemas, 1901. Huile sur toile, 150 x 90,5 cm. Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris

Au mois de février 1901, l’artiste Carlos Casagemas se tue par balle alors qu’il est dans un café avec ses amis, après avoir été rejeté par une femme dont il était amoureux. L’artiste, âgé d’une vingtaine d’années, était un ami proche de Picasso avec qui il partageait un appartement. Profondément touché par le suicide de son ami, cet épisode marque la « période bleue » de Picasso. De tous les tableaux dans lesquels ce dernier fait référence à la mort de son ami et même s’il n’est pas allé aux funérailles de celui-ci, L’Enterrement de Casagemas est le plus complexe. D’un aspect purement pictural, la composition nous rappelle clairement des œuvres du Greco (pensez à L’Enterrement du comte d’Orgaz), une comparaison sans aucun doute recherchée par Picasso.

La partie inférieure du tableau dépeint Casagemas mort entouré de neuf pleureuses. Cette composition est répétée dans la partie supérieure du tableau avec neuf autres figures (certaines ressemblant à des prostituées) pleurant et regardant Casagemas montant au paradis sur un cheval blanc. Alors que ses bras sont arqués adoptant ainsi la position du crucifié, une femme nue l’embrasse. La symbolique de cette œuvre n’a jamais été clairement expliquée, mais il semble que Casagemas soit montré sous les traits d’un héros et constitue l’apothéose de la victime tragique.

La Vie, 1903. Huile sur toile, 196,5 x 129,2 cm. The Cleveland Museum of Art, Cleveland

Probablement le chef-d’œuvre de la « période bleue » de Picasso ; La Vie est une peinture énigmatique. Un jeune couple fait face à une vieille femme tenant un enfant dans ses bras. Derrière eux, deux peintures sont adossées contre un mur. Le jeune homme qui pointe la femme du doigt, était à l’origine destiné à un autoportrait, mais Picasso l’utilisa par la suite pour peindre Casagemas. L’explication de ce tableau demeure incertaine, et les interprétations divergent entre les thèmes de l’amour sacré et profane, du cycle de la vie et des conditions de vie difficiles d’un couple de classe moyenne.

Gertrude Stein, 1905-1906. Huile sur toile, 100 x 81,3 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York

Gertrude Stein est une auteure américaine qui migre en France en 1903. Elle et ses frères sont des collectionneurs passionnés d’art moderne, et leur foyer parisien situé au 27, rue de Fleurus devient un lieu de regroupement pour de nombreux artistes et écrivains, tels que Picasso, Matisse, F. Scott Fitzgerald et Ernest Hemingway. Ce dernier décrit les réunions du samedi soir chez les Stein comme des « fêtes mémorables ». Stein est une grande collectionneuse des œuvres de Picasso, et en 1905, l’artiste entreprend de réaliser son portrait. Ce tableau lui prit beaucoup de temps parce que le modèle se plaignait que la toile ne lui ressemblait pas. Picasso lui assura de façon prophétique qu’avec le temps, elle ressemblerait au tableau. Il avait raison car ce portrait est aujourd’hui le portrait le plus ressemblant de l’écrivaine.

Famille de saltimbanques, 1905. Huile sur toile, 212,8 x 229,6 cm. National Gallery of Art, Washington, D.C.

La Famille de Saltimbanques est l’une des toiles les plus significatives de la « période rose » de Picasso. Il a recourt ici à l’un des thèmes récurrents de cette période ; le monde du cirque. Plutôt que de dépeindre l’image festive des saltimbanques, Picasso les représente en privé, loin du regard du public. L’immobilité remplace le mouvement et la joie est remplacée par la mélancolie contemplative. Cette peinture représente une famille de saltimbanques et Picasso choisit de les montrer comme une classe sociale dénigrée. Des artistes auxquels le jeune peintre s’identifie, traversant lui-même une période difficile, en quête de reconnaissance durant ses premières années à Paris.

Autoportrait à la palette, 1906. Huile sur toile, 91,9 x 73,3 cm. Philadelphia Museum of Art, Philadelphie

En raison d’un violent typhon, Picasso dut quitter le village catalan de Gósol, où il passait les vacances d’été et retourna à Paris les cheveux rasés. Peut-être cet épisode est-il à l’origine de cet autoportrait sous les traits d’un jeune Adam. Il serait plus exact cependant, de considérer qu’il s’agit en fait de la façon dont l’artiste se voyait lui-même. Le regard de cet Adam, aux torses et bras musclés, ne se concentre pas sur l’extérieur, mais sur l’intérieur. Picasso ressemble ici à une photographie prise de lui lorsqu’il avait quinze ans, et cette projection de lui-même sous les traits d’un adolescent nous indique qu’il se considérait comme un novice, s’appliquant pour la première fois, à réaliser ce qui allait être l’objectif de sa vie.