En 1916, le poète Jean Cocteau présente Picasso à Serge de Diaghilev et au cercle des Ballets russes. Picasso rejoint ensuite la compagnie et en 1924, il avait déjà réalisé cinq décors de ballet, lui permettant ainsi d’élargir son public. Grâce à sa collaboration avec les Ballets russes, il rencontre la danseuse Olga Koklova qui deviendra sa femme en 1918. Cet événement coïncide avec son éloignement des avant-gardes radicales, pour revenir à une forme artistique d’inspiration plus classique, comme de nombreux artistes-clés du modernisme le firent à la suite de la Première Guerre mondiale. Cette tendance est définie par Jean Cocteau comme un « Rappel à l’ordre ». C’est donc dans ce contexte que Picasso réalise ce délicat portrait de sa femme.
Portrait d’Olga dans un fauteuil (détail), 1917. Huile sur toile, 130 x 88,8 cm. Musée Picasso Paris, Paris.
Picasso rencontre le poète Max Jacob pendant son premier voyage à Paris. Lors de sa seconde visite, ils partagent une chambre sur le boulevard Voltaire, commençant ainsi une amitié qui allait durer toute leur vie. Durant la période ou Picasso abandonne provisoirement ses recherches artistiques, ce portrait de Jacob montre que son immense talent pour le dessin est resté intact.
Femme en blanc, 1923. Huile et crayon sur toile, 99,1 x 80 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York
Picasso réalise ce tableau lors de son retour de voyage d’été au Cap d’Antibes avec Olga, durant lequel il a fait la connaissance du peintre Gerald Murphy et de Sara, sa femme. On ne sait pas exactement si la femme représentée est Sara Murphy ou sa propre femme Olga, néanmoins, Picasso accomplit ici un chef-d’œuvre qui semble à peine avoir été achevé. Sa monumentalité réside dans le fait qu’il a utilisé peu de moyens pour exprimer une réelle tendresse.
Arlequin avec un violon, 1918. Huile sur toile, 142,2 x 100,3 cm. The Cleveland Museum of Art, Cleveland
Les années 1915-1925 prouvent que la périodisation académique n’est pas toujours fortuite concernant la carrière de Picasso. Même si durant ces quelques années, il produit en effet des œuvres néoclassiques, il continue néanmoins à développer le cubisme synthétique. On peut le constater dans des œuvres telles que Arlequin avec un violon ou encore Trois Musiciens. Tout au long de cette période, Picasso fait de nombreuses références au personnage d’Arlequin qui est interprété comme l’un de ses alter-ego. La phrase « Si tu veux » inscrite sur la partition peut être une référence à la chanson populaire dont les paroles (« Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite, donne-moi ton cœur ») seraient un écho au mariage de Picasso avec Olga Koklova.
Les deux versions des Trois Musiciens de Picasso, réalisées au cours de l’année 1921, constituent un parfait résumé de son style cubiste tardif (pour l’autre version, voir vol. 1, p. 241). La composition fait écho à la technique du coupé-collé du cubisme synthétique des années 1910. Les personnages sont des figures typiques de la Commedia dell’arte pour laquelle Picasso affiche un intérêt nouveau (certainement en raison de sa nouvelle collaboration avec les Ballets russes de Daghilev) et ont été interprétés comme représentant Picasso et deux de ses amis proches, qu’il venait de perdre. Le personnage de Pierrot (au centre) serait donc Guillaume Apollinaire (mort en 1918) et le moine serait Max Jacob, entré en retraite à l’abbaye bénédictine de Saint-Benoît-sur-Loire la même année ; pour finir Picasso se présenterait sous les traits d’Arlequin comme il l’avait déjà fait et continuerait à le faire par la suite.
Trois Femmes au printemps, 1921. Huile sur toile, 203,9 x 174 cm. The Museum of Modern Art, New York
Les trois femmes représentées ici sont l’incarnation plastique du « Rappel à l’ordre » ; un retour aux formes et figures pures du classicisme. L’art de l’antiquité est, durant cette période, une source de contemplation paisible après les violentes avant-gardes qui avaient précédé la Première Guerre mondiale. Cette décennie voit de nombreux artistes modernes majeurs revenir à la figuration, certains sous une forme plus expressionniste, et d’autres, comme Picasso et Braque, embrassant une vision moderne du néoclassicisme.
Le Manager américain du ballet « parade » , 1917. Collection du Théâtre royal de la monnaie, Bruxelles
Parade est la première collaboration de Picasso avec les Ballets russes de Diaghilev. Le ballet fait l’objet d’un effort collectif entre Picasso, Jean Cocteau, le compositeur Erik Satie et le chorégraphe Léonide Massine. En bien des façons, Parade est révolutionnaire. Picasso conçoit certains costumes, comme celui du Manager américain, en carton, ce qui empêche les danseurs d’être libres de leurs mouvements (vol. 1, p. 223). Ces costumes cubistes contrastent avec le rideau de scène, lui-même aussi réalisé par Picasso, de style naturaliste (vol. 1, p. 230-231).
Paysans endormis, 1919. Gouache, aquarelle et crayon sur papier, 31,1 x 48,9 cm. The Museum of Modern Art, New York
Paysans endormis est un exemple explicite du classicisme de Picasso durant les années 1915-1925. Le thème fait hommage aux œuvres de Millet et de Van Gogh, même si le tableau de Picasso ne comporte aucune dramatisation. Au contraire, on retrouve une sorte de sérénité propre à l’art antique. La plénitude et la lumière vive entourant la scène, évoquent inévitablement le Sud de la France et la Méditerranée.
La Flûte de Pan est sûrement le chef-d’œuvre de la période néoclassique de Picasso. Cette peinture évoque de toutes les façons possibles le monde antique. Le thème nous renvoie au mythe d’Apollon et Marsyas. Les deux jeunes hommes robustes sont placés au cœur d’un paysage méditerranéen idyllique ; un arrière-plan neutre contre lequel se déroulent les plaisirs de la vie. La composition est sublime dans sa simplicité ; les deux bandes bleues pour le ciel et la mer contrastent avec l’architecture minimaliste et les corps athlétiques des deux jeunes hommes. Malgré la touche classique de la toile, une référence typiquement moderne s’y cache : la rondeur de la scène est sans aucun doute un signe de l’admiration de Picasso pour Cézanne.
Deux Femmes courant sur la plage (La Course), 1922. Gouache sur contreplaqué, 32,5 x 41,1 cm. Musée Picasso Paris, Paris
Au début des années 1920, Picasso connait un certain succès et une situation économique confortable. Il passe ses étés dans le Sud de la France, et c’est à cette période-là que l’artiste commence à peindre des scènes de la Méditerranée d’un caractère hédoniste. Deux Femmes courant sur la plage (La Course), constitue la première scène de plage peinte par l’artiste. On peut y voir deux femmes courant sur le sable, vêtues à l’antique, leurs cheveux dans le vent et se tenant la main. Cette peinture est l’une des meilleures élégies modernes des plaisirs associés à la Méditerranée.
Buste et palette, 1925. Huile sur toile, 54 x 65,5 cm. Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid
Comme d’autres œuvres étudiées ici, Buste et palette dérive directement du cubisme synthétique, mais il est intéressant de constater que cette toile s’oriente également vers d’autres directions. En effet, Picasso utilise la technique du papier collé, vue précédemment dans Trois Musiciens. Malgré ce procédé cubiste typiquement moderne, nous pouvons apprécier la touche classique de cette œuvre à travers la qualité sereine de la composition et le fait que Picasso ait choisi de représenter un buste gréco-romain.
Arlequin (Le Peintre Salvadó en Arlequin), 1923. Huile sur toile, 130 x 97 cm. Musée national d’Art moderne, Centre Georges-Pompidou, Paris
Cette œuvre est l’un des deux portraits réalisés par Picasso du peintre catalan Jacinto Salvadó sous les traits d’Arlequin. Comme nous l’avons vu dans d’autres œuvres de cette période (voir p. * et **), Arlequin est un thème incontournable tout au long de sa carrière. Représenté dans la veine néoclassique des années 1920, Salvadó semble complètement absorbé dans ses propres pensées. Ce qui retient fortement notre attention ici, est le fait que Picasso ait choisit de laisser cette toile partiellement inachevée.
Encore une fois, Picasso fait appel à l’iconographie classique de la mythologie grecque. La femme représente une source d’eau, dont l’allégorie renvoie aux muses et à l’inspiration poétique. Au XIXe siècle, ce thème avait offert à Ingres, artiste que Picasso admirait profondément, le sujet de l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre.