Chapitre 19

Les semaines avaient passé sans qu’aucune nouvelle du Vatican ne parvienne au palais de la Seigneurie. À l’avis de Philippe de Commynes, ce silence ne pouvait qu’être un bon présage ; malheureusement, il s’était trompé. Debout devant le dirigeant de la République florentine, le Français lisait à haute voix une lettre écrite de la main d’Antoine de Morlhon qui confirmait tout le contraire.

— « Le pape a accueilli la nouvelle de la libération de son neveu avec contentement. Il en a été de même pour les excuses officielles concernant la mort de Salviati et la promesse de la destruction de l’œuvre de Botticelli. Toutefois, si les négociations ont enfin commencé, Sixte fait tout son possible pour ralentir leur avancement. Visiblement, l’homme d’Église n’est pas réellement motivé à résoudre le problème qui oppose Rome et Florence. Depuis le début des négociations, Sixte ne cherche que des prétextes pour faire avorter les rencontres. Aucune solution au problème ne semble lui convenir. Pour être bref, le pape n’a pas l’intention de faire la moindre concession. Malgré tout, soyez assuré que nous faisons du mieux pour lui faire entendre raison. »

Feliciano, qui se tenait non loin des fenêtres du bureau, dévisageait tour à tour les occupants de la pièce avec appréhension.

— Sixte n’est qu’une sale vermine papale, cingla Ange, qui se trouvait aux côtés de Laurent.

— Ne soyons pas hâtifs à le juger, reprit Philippe. Peut-être a-t-il ses raisons d’agir de la sorte.

— Je crois que la première raison qui le pousse à se comporter comme il le fait est qu’il n’est qu’un sale vicieux corrompu !

— Calme-toi un peu, Ange, ce n’est pas comme ça qu’on réglera le problème, rétorqua Laurent, dont la patience dans cette affaire s’était en grande partie épuisée. Monsieur de Commynes, compte tenu du ton général de cette lettre, j’en conviens que les ambassadeurs ont frappé un mur. De toute évidence, ils abandonneront bientôt tout espoir de raisonner Sixte.

— N’en soyez pas si sûr, répondit Philippe, qui toutefois ne paraissait plus aussi convaincu de la réussite des envoyés du roi. Vous devez leur donner encore quelques semaines.

— Je leur ai donné déjà bien assez de temps, rétorqua le dirigeant froidement. Sixte n’est pas le genre d’homme à être convaincu avec les mots, alors je le persuaderai autrement !

— Je connais vos intentions, elles sont fort louables et toutes à votre honneur, commença Philippe d’une voix mal à l’aise. Toutefois, je vous le déconseille.

— Je pars pour Naples demain, affirma Laurent, qui avait pris sa décision. Je vais prendre le risque de quitter Florence pour rencontrer le roi Ferdinand. Je suis convaincu que je peux le rallier à ma cause. Si j’y parviens, j’arracherai le plus grand allié de Rome à Sixte IV. Il n’aura pas d’autre choix que de dégager ses troupes de la Toscane !

— Je ne peux pas vous promettre une protection sans faille à l’extérieur de la ville, déclara Feliciano en prenant la parole pour la première fois.

— Écoutez ce bon Montana, renchérit le Français en pointant un doigt dans la direction du chef des Aigles. Il connaît son affaire, c’est trop périlleux.

— Fontana, corrigea Laurent en tournant un œil sur Feliciano. C’est votre travail de vous charger de ma protection, quelle que soit la situation…

— Avec les menaces qui pèsent sur vous, surtout celle que représente Antonio Gondi, c’est une mauvaise idée de prendre autant de risques. Malgré toutes les précautions que vous pourriez multiplier contre lui, il apprendra votre intention de quitter la ville et en profitera pour tenter quelque chose.

— À vous entendre, il y a un traître parmi nous dans cette pièce ! s’écria impatiemment le politicien. Je ne crois pas qu’il s’agisse de ce cher Philippe ni d’Ange. Alors il ne reste que vous, monsieur Fontana. Dites-moi, rendez-vous des comptes à Antonio Gondi ?

— Si c’était le cas, si je ne vous étais pas fidèle, soyez assuré que vous seriez déjà mort.

— Cette discussion ne mène nulle part, grogna Politien.

— Nous partons demain, monsieur Fontana. Et pour votre sécurité, et surtout pour celle de votre famille, il serait préférable qu’il ne m’arrive rien lors de mon déplacement vers Naples. J’espère que vous m’avez bien compris.

Feliciano serra les poings. L’envie subite d’aider Antonio à tuer le dirigeant lui traversa l’esprit. Bien sûr, cela lui passa aussitôt. Après les ambassadeurs, c’était au tour de Feliciano de se heurter à un mur. S’il ne collaborait pas avec le chef des Gondi dans l’assassinat de Laurent, Antonio allait s’attaquer à sa famille. Toutefois, s’il arrivait quoi que ce soit à Laurent, c’étaient les Médicis qui allaient le lui faire payer. Dans chacun des scénarios, un sombre avenir l’attendait lui ainsi que sa famille.

Bien qu’il n’eût pas l’argent pour aller bien loin, l’idée de fuir vint encore le hanter. Malheureusement, c’était sans issue, Laurent ne lui permettrait pas de déserter aussi facilement.

— Je mettrai tout en œuvre pour que le voyage se déroule en toute sécurité, promit-il, l’esprit anxieux. Je vais d’ailleurs aller organiser les préparatifs.

Sur ces paroles, le chef des Aigles quitta le bureau. Une fois dans le corridor, il fit quelques pas avant de tourner sa haine contre l’une des œuvres accrochées au mur le plus proche. De sa main gantée, il frappa de toutes ses forces un splendide tableau sur bois de Laurent chevauchant une bête lors d’une partie de joute. L’œuvre qui lui avait été offerte lors de son vingt-deuxième anniversaire se brisa en deux avant de choir sur le sol.

Ce geste impulsif, certes pour le moins libérateur, allait lui coûter cher. Laurent ne le lui pardonnerait certainement pas facilement. Après avoir jeté un œil derrière lui, Feliciano constata que la scène n’avait pas passé inaperçue. Les deux Aigles mis en place devant le bureau avaient tout vu.

— Ramassez-moi tout ça et pas un mot à personne, sinon je vous fais fouetter ! s’exclama Feliciano avant de se remettre en route.

* * *

Il n’y avait pas que les Médicis qui ne parvenaient pas à mettre la main sur le chef des Gondi. C’était aussi le cas de Damiano Sforza ; l’assassin avait passé les dernières semaines à tenter de localiser l’homme qui l’avait trahi et, du même coup, lui avait fait perdre un membre. Effectivement, peu après son combat contre le tueur français, Damiano avait été victime d’une terrible infection au bras droit. Il n’avait eu alors d’autre choix que de le sectionner à quelques centimètres au-dessus du coude. Il avait dû ensuite cautériser la plaie en plongeant le moignon dans une flamme ardente. Les jours qui avaient suivi n’avaient été que pure souffrance et tout cela était la faute d’Antonio Gondi.

L’air éreinté, le visage maculé de terre, la courte chevelure ébouriffée, les vêtements souillés de boue, le psychopathe ressemblait à un mendiant. Assis le dos contre un grand mur de pierre, Damiano observa le palais de la Seigneurie qui se trouvait de l’autre côté de la grande place. Personne autour, pas même le propriétaire de l’édifice où il était adossé, n’osait lui ordonner de partir. À vrai dire, compte tenu de son état, la plupart des gens faisaient de grands détours pour l’éviter.

Il n’était plus que l’ombre de l’homme qu’il avait été jadis. Avec son visage enflé sillonné de profondes cicatrices, son oreille tranchée dont les vestiges étaient horriblement boursouflés, ses yeux injectés de sang, ses dents ravagées, Damiano était monstrueux. De plus, la maladie rongeait désormais son corps. Laquelle ? Damiano ne s’en préoccupait pas tellement. De toute évidence, la fin était proche et il ne comptait pas partir avant d’avoir mis la main sur Antonio. Toutefois, le temps lui manquait. Il n’arrivait plus à manger quoi que ce soit. Tout ce qu’il avalait, il ne tardait pas à le vomir. Damiano ne se faisait plus d’illusion ; dans quelques jours, il serait mort. « C’est dommage que tout se termine maintenant », pensa-t-il avec regret. La vie avait été un terrain de jeu particulièrement divertissant, c’était injuste que tout doive se conclure de façon aussi hâtive.

Damiano arrêta de se morfondre intérieurement en apercevant Feliciano sortir du palais. Depuis qu’il avait perdu la trace du chef des Gondi, le tueur avait concentré ses efforts à épier l’homme à la tête des Aigles. Bien avant son combat avec Léon, Sforza avait découvert que Feliciano œuvrait secrètement pour l’ennemi. La chose lui avait semblé pour le moins étrange, puisque le chef de la sécurité avait paru un homme intègre. Il en était rapidement venu à la conclusion qu’il était probablement contraint d’agir de la sorte. Tout cela ne l’intéressait pas tellement, mais une chose était sûre. Éventuellement, Feliciano entrerait en contact avec Antonio. Quand cela arriverait, Damiano comptait bien être dans les parages. Sa vengeance serait complète s’il réussissait à tuer les deux hommes.

À grand-peine, Damiano se leva et s’engagea d’une démarche boiteuse sur la place de la Seigneurie. Il avait de plus en plus de difficulté à se mouvoir, ses jambes étaient raides et douloureuses.

Si on venait à le reconnaître, ce qui était plus que probable, Damiano ne parviendrait certainement pas à fuir dans l’état où il se trouvait. Toutefois, il ne s’en souciait pas le moins du monde. Son esprit malade n’arrivait plus à penser clairement.

En se mordant les lèvres jusqu’au sang pour rendre la douleur tolérable, Damiano suivit Feliciano à bonne distance.

* * *

— J’espère que la journée a été bonne, déclara Dante en sortant de la résidence de Feliciano pour accueillir son supérieur qui arrivait d’une démarche fatiguée.

— Il y a eu pire, mais surtout mieux, répondit le chef des Aigles en s’approchant du colosse. Ici, rien à signaler ?

— Non. Oh, oui, vous avez reçu un paquet. Je l’ai déposé dans votre bureau.

— Parfait, merci. Est-ce que tu t’en allais ?

— Non, la relève ne sera là que dans une heure. Alors si vous voulez m’affecter à des tâches ménagères dégradantes, vous en avez encore la liberté.

— C’est plutôt tentant, mais je vais m’en abstenir, répondit Feliciano à la blague. Bon, je vais aller voir ce paquet.

Sur ces mots, il entra chez lui. Comme d’habitude, la température y était agréablement chaude. Lorsque Dante était sur place, le foyer ne manquait jamais de bois.

— Bonjour… tout va bien ? interrogea Fedora avec inquiétude en apercevant l’expression de son amoureux lorsqu’il apparut dans le cadre de la porte du salon. Tu me parais anxieux.

Feliciano l’avait à peine entendue. L’air absent, il observait sa partenaire qui tenait entre ses mains le jeune Vito. Ils étaient beaux, tous les deux, il espérait seulement qu’ils continueraient de l’être encore longtemps. Avec les menaces qui pesaient sur eux, rien n’était sûr.

— Ça va, répondit-il enfin. Je reviens.

Feliciano prit le chemin de son bureau. Même s’il faisait comme si de rien n’était, il appréhendait terriblement le contenu du paquet qui l’attendait. À son arrivée, le colis était posé sur une commode. Il s’agissait d’une petite boîte en bois à laquelle on avait soigneusement ficelé une enveloppe cachetée d’un saut de cire anonyme.

Après un long soupir, Feliciano s’en saisit et alla s’asseoir à son bureau. Il coupa les ficelles, ouvrit l’enveloppe et en lut le contenu sans tarder.

Mon cher Feliciano,

Demain, avant l’aube, un homme viendra vous remettre mes directives.

Probablement à votre grande déception, j’ai été informé du voyage que vous organisez vers Naples. Ne vous cassez pas la tête à essayer de découvrir d’où est venue la fuite, il s’agit d’un homme parmi l’équipe que vous avez montée pour superviser le périple. Un agréable hasard qui nous simplifiera tous la vie dans l’opération à venir. Si tout se déroule comme prévu, Laurent ne sera plus que de l’histoire ancienne demain. Accomplissez ce que je vous demande et vous serez un homme riche. Une place de choix vous attendra au sein des Gondi.

Maintenant, permettez-moi d’être bien clair avec vous. Vous avez tenté de me piéger déjà une fois et, croyez-moi, le fait que vous soyez encore en vie aujourd’hui constitue un véritable miracle. Alors profitez de votre chance pour ne pas répéter vos erreurs. À la moindre incartade de votre part, j’ordonnerai à mes hommes qu’ils vous fassent subir la mort la plus longue et la plus douloureuse qui soit. Ils vous crèveront les yeux à l’aide d’un tisonnier brûlant, paraît-il qu’il s’agit d’une de vos méthodes de prédilection. Ils feront de même avec votre petite famille, après s’être amusés un peu avec votre femme, bien sûr ! Une aussi belle rouquine, qui pourrait leur en vouloir ?

J’espère que vous m’avez bien compris, monsieur Fontana. Pour que vous n’oubliiez pas ce message, jetez un œil dans la boîte que je vous ai fait parvenir.

Votre ami,

Antonio Gondi

Feliciano déposa le papier qu’il tenait entre les mains sur son bureau et ouvrit la boîte avec appréhension. Il en sortit du bout des doigts le contenu. Il s’agissait d’une longue mèche de cheveux roux. Était-ce réellement les cheveux de Fedora ? Feliciano en doutait un peu. Toutefois, le message était parfaitement clair.

Avec une rage croissante, il remit la mèche à sa place. Il en avait plus qu’assez de cette situation, d’Antonio Gondi et de ses menaces. Mais par-dessus tout, il en avait plus qu’assez d’avoir peur. « Cet enfer a trop duré et tout doit se terminer aujourd’hui, quel qu’en soit le prix », pensa Feliciano avec exaspération. Il n’avait plus le choix, il devait passer à l’action contre Antonio Gondi et il devait s’y prendre seul. C’était sa seule chance de le surprendre. C’était très risqué, Feliciano le savait éperdument. Lorsqu’il se serait engagé dans cette voie, il n’aurait plus droit à l’erreur.

Après une longue et difficile réflexion, Feliciano se mit en branle. Il se rendit près de la commode où il rangeait toujours ses armes. Il dissimula sur lui trois poignards et attacha solidement à sa ceinture l’étui de son épée. Même si son armure des Aigles lui offrait une agréable protection, il n’était pas question de l’enfiler. Ce soir, il devait se montrer tout aussi discret que fatal.

Lorsqu’il traversa en sens inverse sa résidence, son cœur battait à tout rompre.

— Tu repars déjà ? interrogea Fedora, qui n’avait pas bougé du salon, avec une pointe de reproche dans la voix.

— Oui, j’ai oublié de dire quelque chose d’important à Niccolo, mentit-il en jetant un œil sur son amoureuse. Ça pourrait être long, ne m’attends pas pour aller te coucher.

— Ça fait longtemps que je ne t’attends plus, lança Fedora plutôt sèchement. Sinon je ne dormirais jamais.

Feliciano n’avait pas l’intention ni l’humeur de se quereller et conserva le silence. Compte tenu de la situation, c’était peut-être la dernière fois qu’il la voyait. À cette réflexion douloureuse, il eut une pensée pour le petit Vito.

— Je sais, finit-il par répondre en s’approchant d’elle.

Sans rien ajouter, Feliciano se pencha et caressa doucement la tête de son fils qui sommeillait. Le bébé avait déjà une généreuse toison rousse qui lui recouvrait le crâne.

— Je sais que tu ne retournes pas au palais de la Seigneurie, déclara Fedora d’une voix calme en levant les yeux sur son partenaire. J’ai l’œil assez aiguisé pour avoir remarqué les poignards que tu viens de dissimuler sur toi. Dis-moi la vérité pour changer... où te rends-tu armé de la sorte ?

L’air égaré, Feliciano ne trouvait pas les mots justes pour répondre. Il décida finalement de tout avouer.

— Je m’en vais tuer Antonio Gondi.

— Vous l’avez débusqué ? interrogea Fedora en se redressant légèrement sur son siège. Les Aigles vont passer à l’action ce soir ?

— Non, rien de cela, malheureusement. Je ne peux pas tellement t’expliquer, mais les Gondi me tiennent entre leurs griffes depuis plusieurs mois. Antonio me fait chanter, il peut me faire tomber quand bon lui semble, sans compter qu’il menace de s’en prendre à toi et au bébé. J’ai eu tort de te le cacher, j’aurais dû tout te raconter dès le début, mais j’ai préféré me taire.

En entendant cette révélation, Fedora se figea. L’air désarçonné, elle dévisagea son amoureux avec des yeux ronds.

— Maintenant, je suis entièrement à court d’options. Notre seul espoir, c’est que j’arrive à débusquer ce salopard et que je le fasse disparaître avant l’aube.

— C’est de la folie... Comment espères-tu t’y prendre ? Tu me l’as dit toi-même, ça fait des mois que vous tentez en vain de mettre la main dessus.

— En faisant ce que je sais faire de mieux, rétorqua Feliciano. Ça ne sera pas joli et je n’en ai pas tellement envie, mais Antonio ne me laisse pas le choix...

— Permets-moi de t’accompagner, proposa Fedora, qui connaissait déjà parfaitement la réponse de son compagnon.

— Non, je veux que tu prennes Vito et que tu t’enfermes dans notre chambre. Garde une arme à portée de la main et sois vigilante. Je vais demander à Dante de rester cette nuit, il veillera sur vous. Ne fais confiance à personne d’autre et n’essaie pas de fuir ou de me rejoindre, la maison est certainement surveillée. Est-ce que tu m’as bien compris ?

— Es-tu absolument sûr de ce que tu fais ? interrogea Fedora, qui ne parvenait pas à réprimer les frissons qui envahissaient désormais l’ensemble de son corps.

— Non, mais je compte faire de mon mieux, répliqua Feliciano en déposant un baiser sur la chevelure de feu de sa douce.

— J’en suis certaine, murmura Fedora en observant Feliciano qui s’éloignait déjà en lui tournant le dos.

Elle avait l’horrible pressentiment que c’était la dernière fois qu’ils se voyaient.

— J’espère que tu sais à quel point je t’aime, reprit-il en se retournant. Même si je ne suis pas très doué pour te le montrer depuis quelque temps...

— Je t’aime aussi, répondit Fedora d’une voix presque inaudible.

À ce moment précis, le secret de son aventure avec Sandro Botticelli lui parut terriblement lourd. Malgré tout, l’heure était mal choisie pour ce genre d’aveux.

— Bon, j’y vais, conclut Feliciano en quittant la pièce d’un pas décidé.

Le moment de vérité était arrivé. Le chef des Aigles partait à la chasse aux Gondi et il n’avait pas l’intention de démontrer la moindre pitié.

* * *

Constantino était endormi depuis plusieurs heures lorsqu’on frappa à la porte de sa résidence. Réveillé en sursaut, le garçon bondit littéralement hors de ses couvertures. Encore confus, il agrippa l’arbalète qu’il dissimulait sous son lit. Les lieux n’étaient éclairés que par les quelques chandelles qui ne s’étaient pas déjà éteintes.

Sorti de son lit et aux aguets, le jeune soldat tendit l’oreille. À l’entrée, on frappa de nouveau. Sans attendre, il quitta sa chambre sans faire de bruit et se dirigea vers le hall avec l’arme à la main.

Depuis qu’il avait découvert dans son salon un coffre de bois contenant la tête de Lavinia de Médicis, Constantino avait le sommeil pour le moins léger. Un rien le tirait du lit.

De plus, contrairement à Feliciano, il n’avait pas eu droit à une équipe chargée de veiller sur sa résidence nuit et jour. Visiblement, sa protection était bien le moindre des soucis de Laurent, même si on l’avait sauvagement agressé.

— Qui est là ? demanda l’Aigle en s’approchant d’une démarche voûtée jusqu’à l’entrée.

— C’est Niccolo ! s’exclama l’homme à l’extérieur.

En entendant la voix du secrétaire, Constantino se détendit un peu. Il abaissa son arme et ouvrit la porte.

— Oh... Alors, toujours un peu nerveux ? interrogea Niccolo en désignant l’arbalète. Vous vous inquiétez pour rien, si Antonio avait vraiment voulu vous tuer, cela serait certainement déjà fait.

— Ce n’est pas comme s’il n’avait pas essayé, rétorqua le fils de Virgile en laissant entrer son visiteur.

Après avoir jeté un œil vigilant dehors, il referma la porte et tourna son attention sur le nouveau venu. Niccolo se dirigeait vers le salon. Manifestement, il semblait faire comme chez lui.

— Hum... c’est presque charmant chez vous, déclara Niccolo avec un sourire pincé. C’est étonnamment bucolique, avec une ornementation pour le moins minimaliste. Ce n’est pas sans rappeler la cellule d’un frère franciscain !

— Nous n’avons jamais eu beaucoup de goût pour la décoration dans ma famille, rétorqua Constantino après un long bâillement. Est-ce que vous vous rendez compte que nous sommes au beau milieu de la nuit ?

— Bien entendu ! Habituellement, je dors profondément à cette heure... sauf si je me trouve en compagnie d’un athlétique et charmant jeune homme. Avec un teint légèrement basané et un torse développé, vous voyez le genre ?

— À vrai dire, je ne préfère pas. Qu’est-ce qui vous amène ?

— J’ai possiblement résolu le problème des dossiers manquants.

— Expliquez-vous...

— J’étais en train d’éplucher le journal de Virgile. Comme vous devez le savoir, il est important de prendre des notes. D’ailleurs, il y a quelques années, j’ai demandé à votre père d’inscrire chacune de ses actions. Bien sûr, je parle surtout de ses dépenses, comme les commandes de cuirasses, d’armes et de rations pour les hommes du palais.

Constantino acquiesça en silence.

— J’ai trouvé une mention intéressante dans l’un de ses journaux qui pourrait nous être bien utile.

Avant de continuer, la secrétaire fouilla dans la poche de son manteau et sortit un petit livret relié d’une couverture de cuir. Il l’ouvrit et fit lire son contenu à Constantino.

12 janvier 1471

Commande de douze nouvelles armures, trois cuirasses légères. La commande a été passée ce matin à l’atelier d’Andrea Verrocchio, au prix habituel.

Les dernières semaines ont été pour le moins meurtrières malheureusement du côté des effectifs. Nous avons perdu cinq hommes, et trois de nos taupes ne répondent plus, leur couverture a certainement été compromise. Je suis donc allé jeter un œil du côté des archives personnelles de Salvatore Vitelli. Avec la permission de Laurent, j’ai recruté sept militaires. Ils débuteront tous au salaire usuel et entreront en service le 14 janvier.

Virgile Darco

— Alors les Vitelli conservent de la documentation sur chacun de leurs hommes ?

— Effectivement, et si ces dossiers se trouvent en sûreté chez Salvatore, il est peu probable qu’ils aient disparu. Si nous pouvions accéder à ces informations, peut-être pourrions-nous enfin mettre la main sur les pommes pourries qui se dissimulent parmi nos troupes.

— Bien vu ! s’exclama Constantino en s’élançant aussitôt en direction de sa chambre pour aller prendre son manteau.

— Qu’avez-vous l’intention de faire ? demanda le secrétaire en fronçant les sourcils avec appréhension.

— Mon cher Niccolo, nous allons rendre une petite visite nocturne aux Vitelli !

* * *

Après avoir trouvé l’adresse qu’il cherchait dans les archives au palais de la Seigneurie, Feliciano avait sauté sur sa monture et quitté les lieux en direction du sud.

Dehors, c’était nuit noire. La lune était masquée derrière d’épais et sombres nuages. Cela n’aurait pas pu mieux tomber.

En arrivant à proximité de sa destination, Feliciano avait enfilé à son épaule une arbalète puis abandonné son cheval dans une zone boisée. Il avait ensuite rampé dans le sous-bois jusqu’à ce qu’il trouve le meilleur endroit pour observer la résidence de sa prochaine cible. Il s’agissait de Vittore Gondi, l’agriculteur ventru qui œuvrait pour le clan rival.

De toute évidence, l’homme craignait pour sa sécurité. Après une brève inspection, Feliciano était parvenu à repérer trois gardes armés autour de la demeure. « Il doit certainement y en avoir le même nombre à l’intérieur » , estima Feliciano.

Rien de tout cela n’allait l’arrêter. L’assassin avait vu pire, bien pire. Pour le compte des Médicis, il avait supprimé des hommes qui jouissaient d’une bien meilleure sécurité.

Sans perdre une seconde, Feliciano sortit de sa cachette et avança ventre contre terre en direction de la maison. Compte tenu de l’obscurité, il pouvait se permettre d’approcher sans crainte d’être aperçu. Lorsqu’il fut suffisamment près pour s’assurer de ne pas manquer sa cible, il braqua son arme et appuya sur la gâchette. Le vigile qui était positionné sur le toit fut atteint au torse. Il roula sur la toiture avant de faire une chute de deux étages et choir dans un épais bosquet d’arbustes qui longeait une partie de la résidence.

Feliciano tendit l’oreille puis jura entre ses lèvres. Il y avait de l’agitation autour, la chute de l’individu n’avait pas passé inaperçue. D’un seul bond, le chef des Aigles se mit debout en laissant son arbalète derrière lui. Puisque l’arme était trop longue à recharger, il préféra saisir l’un de ses couteaux avant de se plaquer contre le mur du bâtiment.

— Donato ? interrogea un homme en tournant un coin de la maison, les yeux braqués sur le toit.

Ce fut ses derniers mots. Après un bref geignement, il s’écroula sur le sol, un poignard enfoncé dans l’œil droit. Feliciano fonça alors à toute vitesse sur sa plus récente victime et s’empara de son arme toujours chargée. À peine quelques secondes plus tard, il abattait le troisième garde, posté à l’avant de la résidence.

Tout s’était déroulé presque parfaitement. À l’intérieur, personne ne semblait avoir été alarmé. Sans perdre une seconde, Feliciano grimpa les quelques marches menant à l’entrée et saisit le corps du garde. Il dissimula le cadavre, rechargea l’arbalète volée et revint vers la porte, qui n’était étonnamment pas verrouillée.

— Bonjour, il y a quelqu’un ? interrogea-t-il d’une voix faussement embarrassée en pénétrant dans la maison.

Des pas résonnèrent aussitôt et un autre homme fit son apparition en arborant un air plutôt perplexe. Avant même qu’il ne saisisse la situation, une flèche lui traversa la tête. Feliciano grimaça avec appréhension lorsque le soldat s’écroula en faisant un vacarme monstre. Heureusement, aucun bruit ne se fit entendre par la suite. La mort de l’homme avait passé entièrement inaperçue.

Dans les minutes qui suivirent, Feliciano inspecta chacune des pièces de la grande résidence. Sur son chemin, il abattit quatre personnes, un autre garde et trois domestiques. C’était malheureux, mais il n’avait pas l’intention de laisser le moindre témoin derrière lui.

Il arriva enfin sur le seuil de la chambre de Vittore Gondi. Entièrement nu, l’agriculteur dormait par-dessus ses couvertures d’un sommeil particulièrement profond. Il n’était pas étonnant que le vacarme plus tôt ne l’ait pas réveillé, ses ronflements produisaient une cacophonie inquiétante.

Le chef des Aigles s’approcha de Vittore assoupi et colla une lame contre sa gorge.

— Debout, si vous ne voulez pas que je vous égorge comme un porc…

* * *

— Vous ne passez pas, déclara avec autorité l’un des gardes chargés de la sécurité du camp de Leone Vitelli, situé au sud de Florence. Alors repartez sur vos montures. Sinon vous pourriez le regretter amèrement.

Les grandes torches qui éclairaient la base de fortune prodiguaient des airs plutôt hostiles à ceux qui bloquaient la route à Constantino et Niccolo.

— Nous venons voir Leone sur ordre de Laurent lui-même, mentit Constantino. C’est de la plus grande importance.

— Vous m’en direz tant…

Deux autres individus pour le moins costauds vinrent rejoindre le premier garde.

— Foutez le camp d’ici, grogna l’un d’eux, qui n’avait visiblement pas été sélectionné pour ses facultés intellectuelles.

— Écoutez-moi bien, bande d’illettrés sans cervelle, je suis le secrétaire de Laurent de Médicis, déclara brusquement Niccolo en écrasant son index contre la cuirasse d’un des hommes. Vous avez intérêt à nous conduire à Leone, sinon vous allez le regretter à un point que vos petits esprits étroits ne peuvent même pas imaginer !

— Si j’étais à ta place, je me calmerais, femmelette !

— Femmelette ? s’offusqua Niccolo en tournant un œil sur Constantino. Femmelette, vous avez dit !

— C’est exact, confirma le soldat avec un sourire particulièrement fier.

— Partons, nous n’arriverons pas à les raisonner, déclara Constantino en posant une main sur l’épaule du secrétaire.

— Attendez-vous à perdre votre poste ! s’écria Niccolo avec frustration. Mais, d’abord, préparez-vous à vous tordre en deux !

Inopinément, Niccolo administra un puissant coup de pied entre les jambes du soldat. Celui-ci se plia effectivement sur lui-même, frappé d’une douleur toute masculine. Dans les secondes qui suivirent, toutes les lames autour d’eux jaillirent de leur étui. Constantino en fit autant avant de se positionner devant le secrétaire, lui servant ainsi de bouclier.

— Quelqu’un d’autre désire avoir les bourses endolories ? interrogea Constantino avec un air de défi.

— Qu’est-ce qui se passe ici ? cria le responsable du camp en s’approchant.

— Ces deux vauriens nous causent des problèmes, répondit l’un des individus sans enlever son épée de sous la gorge de Constantino.

— Étant donné que l’un d’eux n’est nul autre que Niccolo Michelozzi, je crois qu’il est en droit de nous causer des ennuis, déclara Leone. Abaissez vos armes, bon sang !

Frustrés, les soldats obtempérèrent aux ordres du condottière. Après avoir observé l’homme que Niccolo avait mis hors d’état de nuire, le membre de la famille Vitelli prit la parole.

— Alors, que faites-vous ici à une heure pareille, monsieur le secrétaire ?

* * *

Après avoir tiré de force Vittore de son lit, Feliciano l’avait traîné jusque dans la cuisine avant de l’attacher fermement à une chaise près du grand comptoir. Dans les premières minutes de son interrogatoire musclé, le gros ventru n’avait rien voulu dire. Toutefois, après avoir eu le nez brisé puis avoir été menacé de se retrouver la tête plongée dans une marmite d’eau bouillante, Vittore avait enfin décidé de collaborer. En quelques mots, les menaces avaient rapidement cédé la place aux supplications.

Pour encourager sa victime à parler, Feliciano l’agrippa fermement par la gorge et serra.

— Je ne sais absolument rien, articula-t-il d’une voix étouffée. Si vous croyez qu’Antonio se confie à moi, c’est que vous n’avez encore rien compris ! Et même si je savais quelque chose, avez-vous conscience qu’il me tuera une fois qu’il apprendra que je l’ai trahi ?

— Ça, je m’en moque éperdument, rétorqua Feliciano en relâchant Vittore pour s’approcher de l’impressionnant four de la cuisine. D’ailleurs, vous devriez aussi vous en balancer. Pour l’instant, Antonio est réellement le dernier de vos soucis.

À l’aide d’une pince en fer forgé, Feliciano alla retirer un gros morceau de charbon ardent du gouffre flamboyant.

— Si vous ne me dites pas un moyen pour trouver Antonio, je vais vous forcer à avaler ça… Bien sûr, vous voudrez le recracher, mais il restera horriblement collé contre votre langue pendant qu’elle carbonisera.

— Mais…

Vittore n’eut pas l’occasion d’argumenter davantage, Feliciano appliqua le charbon brûlant contre son ventre nu. Après un hurlement qui se termina en pleurs, l’agriculteur retrouva son calme.

— Bien sincèrement, reprit tranquillement Feliciano, je vais vous abattre si la prochaine parole qui sort de votre bouche ne m’aide pas à mettre la main sur Antonio Gondi. Alors formulez vos propos avec beaucoup de sagesse.

Le regard démuni, Vittore observa longuement son bourreau. Il ne bluffait pas. Il n’aurait pas tué ses gardes et son personnel s’il n’était pas prêt à tout pour obtenir ce qu’il voulait.

— Depuis la mort de Kataya Tang, commença-t-il avec résignation, personne ne sait réellement où se trouve Antonio. L’Asiatique était le seul être en qui il avait parfaitement confiance.

— Cela ne m’aide en rien, prévint Feliciano.

— J’y arrive ! Depuis que Tang n’est plus aux commandes des affaires familiales, Antonio a mis un autre homme à sa place, Lufio Papini. Je ne sais vraiment pas de qui il s’agit, un petit contrebandier sans grande importance, à ce que j’ai cru comprendre. Alors si quelqu’un peut avoir une idée de l’endroit où il se terre, c’est lui.

— Je connais Papini. Il n’aurait jamais offert ses services à Antonio, il est beaucoup trop fier pour être sous les ordres de quelqu’un.

— Antonio contrôle désormais tous les trafics possibles à Florence, rétorqua Vittore d’une voix brisée. Comme nous tous, Lufio avait le choix de se soumettre ou de mourir.

— Parfait… où puis-je le trouver ? interrogea le chef des Aigles en braquant près du visage de l’agriculteur le charbon rougeoyant.

— À proximité du pont Vecchio, s’empressa de répondre Vittore, qui ne voulait plus subir la moindre torture. Face aux quais, il se cache dans l’un des bâtiments commerciaux en bordure du fleuve. Vous n’aurez pas de difficulté à le dénicher, l’endroit est bien gardé. D’ailleurs, vous ne ferez pas trois pas qu’ils vous auront abattu.

Satisfait, Feliciano jeta au loin la pince qu’il tenait entre les mains. Il fit ensuite quelques pas et ouvrit les portes d’un des garde-manger. Il trouva rapidement ce qu’il cherchait, une bouteille d’eau-de-vie.

— Merci d’avoir aussi bien collaboré, déclara Feliciano en revenant vers Vittore, avant d’abattre violemment la bouteille contre la tête de ce dernier.

Le ventru neutralisé, Feliciano n’avait plus de raison de demeurer là. Il ne lui restait plus qu’à mettre le feu à la résidence avant de partir. Lorsque cela sera fait, il prendra le chemin du pont Vecchio.

* * *

— Alors, comment puis-je vous être utile, monsieur le secrétaire ? interrogea Leone, qui avait invité les deux visiteurs impromptus à boire une coupe de vin dans ses quartiers.

Le petit bâtiment de pierre dans lequel ils venaient de pénétrer était à peine chauffé. Cependant, le condottière semblait parfaitement s’y plaire. Il retira son manteau qu’il jeta négligemment sur son lit. L’endroit n’avait rien de luxueux et manquait cruellement de décoration. Toutefois, cette fois-ci, Niccolo s’abstint bien de le faire remarquer.

— Nous voudrions consulter vos archives, plus précisément les documents des soldats que nous avons enrôlés ces dernières années.

— Virgile a déjà eu accès à chacun d’entre eux, répondit Leone en fronçant les sourcils. Je croyais qu’il montait un dossier complet pour chacun des hommes qu’il recrutait.

— C’est effectivement le cas, confirma Niccolo. Toutefois, certains de ces dossiers ont mystérieusement disparu. Nous savons qu’il y a des taupes parmi les occupants du palais de la Seigneurie et ces informations pourraient être cruciales pour les débusquer.…

— Des taupes, s’étonna le condottière en leur offrant une deuxième coupe de vin. Nous sommes pourtant très rigoureux concernant l’historique de nos soldats, surtout lorsqu’il s’agit d’éléments que nous vous confions.

— Vous présumez qu’aucun de vos hommes n’a œuvré pour le clan Gondi ? demanda Constantino.

— Le clan Gondi ? interrogea Leone avec perplexité. Depuis quand vous méfiez-vous des Gondi ?

— Vous devriez le savoir depuis longtemps, lança Niccolo avec exaspération. Il y a plusieurs mois, j’ai fait parvenir à votre père une lettre expliquant en détail la situation.

— Eh bien, j’ai une mauvaise nouvelle pour vous, vous devriez commencer par chercher vos traîtres parmi vos messagers parce que je n’ai jamais reçu aucune dépêche de votre part.

Une idée sembla traverser l’esprit de Constantino. Le jeune homme fouilla dans son manteau et, après un bref instant, sortit un bout de papier où figuraient quelques notes.

— De mémoire, pourriez-vous déjà nous dire si, parmi cette liste de noms, certains ont travaillé pour les Gondi ?

— Peut-être, répondit le condottière en s’emparant du papier.

Pendant que le soldat scrutait à la loupe les noms, Constantino et Niccolo se croisèrent les doigts. Peut-être auraient-ils enfin un peu de chance.

— J’ai bien un nom ici, il a œuvré pour les Gondi pendant longtemps. Pour tout dire, c’était Osualdo Gondi qui m’avait proposé sa candidature il y a plusieurs années, c’était l’un de ses meilleurs marins. Un homme à la stature impressionnante, une véritable montagne de muscles ! Voilà qui serait particulièrement regrettable, c’était un excellent élément.

— Qui ? dit Constantino d’une voix empressée.

— Dante… Dante Machiavel.

* * *

Osualdo fit irruption dans la cabine d’Antonio, qui était de retour à Florence pour une rencontre pressante avec Cristiano Gondi. Le dirigeant de la famille se trouvait justement en compagnie du banquier. Les deux hommes parlaient affaires en partageant une légère collation constituée de viande séchée, d’olives et d’une bouteille de bon vin. Le bateau qu’Antonio avait choisi pour son entretien était tout sauf luxueux. La cabine ne possédait aucune fenêtre et l’air y était humide. Toutefois, en utilisant un navire peu clinquant, il espérait attirer moins l’attention. Personne ne pourrait penser à le trouver ici, dans un vieux voilier de pêche qui serait incapable de prendre la mer.

— Qu’est-ce qu’il y a ? interrogea Antonio, surpris de voir l’ancien marin faire irruption sans frapper.

— La résidence de Vittore Gondi est la proie des flammes, tous les hommes sur place sont morts.

— Les Médicis ?

— Non, pas directement, du moins. Quand je suis arrivé sur les lieux, j’ai aperçu le responsable de ce massacre pendant qu’il fuyait. C’est Feliciano Fontana, et il était seul. Ce n’est certainement pas une opération ordonnée par Laurent.

Antonio se leva ; malgré son attitude calme, Osualdo le connaissait assez pour savoir qu’une rage subite bouillonnait à l’intérieur de lui.

— Cet idiot a fait l’erreur de sa vie cette fois. Dans quelle direction se rendait-il ?

— J’ai tenté de le suivre, mais je l’ai perdu, je crois qu’il m’a aperçu. À mon avis, il venait tout droit ici. Les hommes aux quais sont avertis, ils vont l’abattre bien avant qu’il ne mette le pied dans une embarcation. De toute façon, il ne peut pas connaître l’endroit où tu te trouves exactement, personne à la résidence de Vittore ne le savait.

— Ce gros lardon lui a quand même révélé l’emplacement de nos installations, Fontana finira bien par tout découvrir. Je veux qu’il soit tué, tu m’as compris ?

— Parfaitement, Lufio s’affaire déjà à tout organiser. Feliciano n’ira pas très loin.

— Très bien. Bon… ramène Cristiano chez lui. Après, fonce à la résidence de ce salopard et occupe-toi de sa femme et de son fils.

Antonio tourna un œil sévère sur le banquier avant de l’inviter à partir d’un signe de la main.

— Ne passez pas par les quais, débarquez de l’autre côté de la rive. Pas question que notre ami prenne le moindre risque.

— Comme tu voudras, répondit Osualdo en ouvrant la porte de la cabine pour laisser sortir Cristiano. Et toi, que comptes-tu faire ?

— Je vais l’attendre, déclara Antonio en décrochant du mur une grande arbalète de précision.