Jessie avait l’impression d’être déchirée entre la frustration et l’épuisement. Elle ne s’était pas attendue à contempler l’aube assise à un bureau du Poste de Police Central de la Communauté mais c’était exactement où elle était quand le soleil commença à se lever sur Los Angeles. De plus, ils n’avaient toujours pas de pistes prometteuses.
Trembley parcourait la liste des personnes qui, selon Missinger, venaient régulièrement chez lui. Hernandez avait envoyé un message au docteur de Victoria Missinger et attendait qu’il le rappelle d’un instant à l’autre. Il avait reçu un mandat d’urgence pour accéder au téléphone de Victoria et il essayait maintenant de suivre ses déplacements de la veille. Quelques autres inspecteurs venaient d’arriver et ils l’aidaient à trouver des pistes.
Jessie leur laissa l’enquête traditionnelle et préféra examiner le calendrier en ligne que Hernandez avait téléchargé sur le téléphone de Victoria. Il y avait plusieurs événements pour les quelques derniers jours, dont une levée de fonds pour une organisation caritative de soutien des enfants nommée le Centre de Soutien des Enfants du Centre-Ville et un séminaire de réduction du vagabondage à Hancock Park.
Jessie remarqua que ces deux événements et plusieurs autres qui s’étaient déroulés pendant les quelques dernières semaines avaient eu lieu au même endroit : le Beverly Country Club. Elle se dit que le club pourrait un bon endroit où poursuivre l’enquête. Comme elle n’était pas vraiment policière, elle pourrait peut-être y aller, poser des questions et glaner des informations qu’une visite policière plus officielle ne permettrait pas d’obtenir.
Elle jeta un coup d’œil à la pendule. Il était 7 h 37 du matin. À cette heure-là, le club serait probablement ouvert pour les golfeurs du matin mais Jessie doutait que ces gens-là soient ceux auxquels il fallait qu’elle parle. Même le mercredi, les épouses riches étaient plus susceptibles de venir au club aux alentours de midi.
“Je rentre un peu chez moi”, annonça-t-elle à Hernandez et à Trembley. “Je compte faire une petite sieste et me doucher. Ensuite, je voudrais aller au country club de Victoria. J’espère que, si je reste discrète, j’entendrai les commérages des dames qui y mangeront. Je suis sûre que, à ce moment-là, elles seront toutes au courant de la mort de Victoria et qu’elles seront impatientes d’en parler.”
“Cela me semble être une excellente idée”, convint Hernandez. “D’après mon expérience, quand les policiers arrivent, les gens sont francs ou alors ne disent pas un mot. Comme tu es civile, cela te permettra peut-être d’obtenir des informations sans problème.”
“OK. Si j’apprends quelque chose d’utile, je vous le dirai. Entre temps, bonne enquête, messieurs.”
Elle quitta le bureau et se dirigea vers sa voiture, excitée à l’idée d’aller enquêter un peu toute seule mais encore plus intéressée par la sieste qu’elle allait faire.
*
Portant sa plus belle tenue décontractée, Jessie passa l’entrée principale du Beverly Country Club à dix heures du matin pile. Après avoir appelé, elle avait appris que le déjeuner commençait à dix heures trente mais elle voulait arriver en avance au cas où quelqu’un arriverait tôt pour échanger des rumeurs.
Elle avait tenu à passer devant la maison Missinger en allant au club. Il y avait encore une unique voiture de police devant et un cordon de police qui entourait toute la maison. Autrement, l’endroit était tranquille. Jessie avait poursuivi sa route et traversé le petit quartier que l’on appelait Larchmont Village.
Les maisons étaient un mélange éclectique de manoirs ostentatoires et de cottages plus modestes qui avaient été construits avant que le prix des propriétés du quartier n’augmente de façon dramatique. La zone commerciale de Larchmont Boulevard, juste à l’est du country club, se composait d’une quantité de fromageries artisanales, de cafés végétaliens, de marchés biologiques et de cafés de commerce équitable.
Jessie tourna à gauche dans Beverly puis à droite dans Rossmore, où le parking invités du club était situé. Une fois à l’intérieur, elle se rendit à la réception et dit qu’elle aimerait s’inscrire au club. Pourrait-on le lui faire visiter, demanda-t-elle, et pourrait-elle s’y promener pour découvrir l’ambiance qui y régnait ?
Une hôtesse fut heureuse de lui faire visiter l’endroit puis lui offrit un ticket pour un déjeuner gratuit qui, précisa-t-elle, commençait fort commodément dans quelques minutes. Elle dit à Jessie de se promener à sa convenance puis retourna aider à accueillir les dames qui commençaient juste à arriver.
Jessie s’assit dans la pièce principale, qui ressemblait à un salon. Elle choisit un fauteuil confortable près de la cheminée avec une vue sur la porte de devant. Elle prit un vieil exemplaire de Vanity Fair et fit semblant de le lire tout en levant les yeux de temps à autre pour regarder les personnes qui entraient par les portes.
Un serveur arriva et lui offrit un mimosa. Elle refusa mais demanda si elle pouvait avoir une eau de Seltz et du jus d’orange. Une boisson en main, elle pourrait se mêler à la foule sans attirer de soupçons. Quand la sienne arriva, elle se leva et approcha d’un groupe particulièrement bavard de trois femmes. Elle fit semblant de regarder de près une peinture qui était accrochée au mur d’à côté.
Au bout de quelques minutes de discussion sur la baisse de qualité des fruits de mer du club depuis les derniers mois, les femmes semblèrent considérer qu’elles avaient attendu assez longtemps et, comme Jessie s’y attendait, elles se mirent à parler de la mort de Victoria Missinger. Dans la cacophonie ambiante et la tête tournée de l’autre côté, Jessie avait du mal à distinguer les individus.
“J’ai entendu dire qu’ils ont traîné Michael au poste de police au milieu de la nuit.”
“Pauvre homme.”
“La camionnette du médecin légiste est restée là-bas toute la nuit. À mon avis, la scène de crime a dû être sanglante.”
“Je suppose qu’ils vont vérifier les vidéos des caméras de sécurité. Elles montreront forcément quelque chose.”
“Mais, Andi, tu as oublié ? Il y a eu cette coupure de courant hier. Je me demande si les caméras ont pu filmer quelque chose.”
“À mon avis, le garçon de piscine est venu s’amuser avec Victoria puis il est devenu violent quand elle a refusé.”
“Euh, Marlene, comment peux-tu être si sûre qu’elle aurait refusé ?”
“Tu sais comment sont ces gars-là. Un ‘non’ ne les découragerait pas.”
“Génial, Marlene. Tu as d’autres stéréotypes à nous soumettre avant qu’on mange ?”
“Bien sûr, Andi. Maintenant que tu en parles, la femme de ménage est peut-être devenue jalouse et a décidé d’assassiner la maîtresse de maison. Je sais que j’ai rêvé de pouvoir le faire rien que pour pouvoir prendre cet homme rien que pour moi.”
“Marlene, elle n’est même pas encore refroidie, voyons !”
“Oui, comment peux-tu être aussi cruelle ?”
“Oh, ne sois pas aussi prude, Cady. Vous savez toutes que vous coucheriez avec lui si vous le pouviez.”
“Et vous, qu’en pensez-vous ?”
La conversation s’arrêta et Jessie leva les yeux. Tout le monde la regardait et elle se rendit compte que c’était à elle qu’on avait posé la question.
“Est-ce à moi que vous parlez ?” demanda-t-elle innocemment.
“Oui”, dit la femme qui s’était insurgée contre le stéréotype de son amie, une blonde d’environ trente-cinq ans qui, apparemment, s’appelait Andi. “Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer que vous nous écoutiez et j’ai pensé que vous pourriez avoir votre opinion sur la question.”
“Étiez-vous en train de nous espionner ?” demanda une femme pâle aux cheveux noirs trop maquillée. À sa voix, Jessie reconnut que c’était Marlene, celle qui soupçonnait le garçon de piscine et qui voulait coucher avec Michael.
“Oui”, admit-elle, “mais peut-on me le reprocher ? Vous parlez de scènes de crime sanglantes et de garçons de piscine violents. C’est irrésistible, comme sujet.”
“Qui êtes-vous ?” demanda Marlene, dont le visage exprimait un mélange de soupçon et presque de dégoût.
“Je m’appelle Jessie”, répondit-elle.
Pour la première fois de la journée, peut-être de sa vie, Jessie fut heureuse d’avoir habité plusieurs mois à Westport Beach, l’enclave riche du Comté d’Orange. Pendant son séjour là-bas, elle avait été inscrite contre son gré à un club secret qui accueillait des femmes qui ressemblaient beaucoup à celles qu’elle voyait maintenant. À cette époque-là, elle avait été vulnérable et fragile. Maintenant, elle travaillait avec la Police de Los Angeles pour résoudre un cas d’homicide. Marlene ne l’intimidait pas.
“Non, je veux dire, qui êtes-vous vraiment ?” répéta Marlene. “Êtes-vous membre de ce club ou êtes-vous juste venue de la rue pour manger gratis ?”
“Marlene, t’es vraiment salope comme c’est pas possible”, dit Andi avant de se retourner vers Jessie. “Je suis vraiment désolée. Ignorez-la, je vous prie. C’est juste que vous sembliez intéressée par notre conversation, que nous ne vous avons pas reconnue et que… peu importe, ça ne me regarde pas.”
“Non, pas de problème”, dit Jessie. “Je ne veux pas donner de crise cardiaque à Marlene. Je veux bien répondre. Je travaille au Département de Police de Los Angeles et j’ai pensé que vous pourriez peut-être répondre à quelques questions pour moi.”
“Êtes-vous inspectrice ?” demanda celle qui avait parlé d’une scène de crime sanglante, pleine de fascination et d’inquiétude. Elle était petite, mesurait environ un mètre cinquante-sept, avait de longs cheveux marron et un corps délicat qui faisait penser Jessie à un bébé oiseau qui n’avait pas encore appris à voler.
“Non, je suis consultante. J’essaie juste de remplir quelques trous. Dans le calendrier de Victoria, j’ai vu qu’elle passait beaucoup de temps ici et j’espérais que ses amies pourraient m’aider.”
“Donc, vous êtes venue ici sous un faux prétexte ?” demanda Marlene, ne tempérant que légèrement son agressivité.
“Quel faux prétexte ?” demanda Jessie en affichant un sourire aimable. “Tout ce que j’ai fait ici, c’est regarder les peintures en attendant le bon moment pour vous interrompre. Pourquoi toute cette animosité, Marlene ?”
La femme ouvrit la bouche pour répondre mais Andi lui coupa la parole.
“Bien sûr, nous vous aiderons comme nous le pourrons”, dit-elle en tendant la main. “Je m’appelle Andrea Robinson mais tout le monde m’appelle Andi. Vous venez de rencontrer Marlene Port. Voici Cady Jessup. Qu’aimeriez-vous savoir ?”
“Vous étiez toutes amies de Victoria ?” demanda Jessie en serrant la main à Andi.
“Guère plus que des connaissances”, répondit Andi. “Je ne connaissais Victoria et Michael que de façon superficielle. Marlene et Cady étaient plus proches d’elle, n’est-ce pas, les filles ?”
Marlene resta impassible mais Cady répondit.
“Je dirais que nous avions de bonnes relations, pas que nous étions amies”, dit-elle. “Victoria n’était pas la personne la plus sociable du monde mais elle était gentille et elle s’impliquait sincèrement dans les causes que soutient le club. Cependant, nous n’allions pas au café ensemble, si c’est ce que vous voulez dire.”
“Dans ce cas”, insista Jessie, “qu’est-ce qui vous pousse à penser qu’elle sortait avec le garçon de piscine ?”
“Oh, ça, c’est n’importe quoi”, dit Cady avec dédain.
“Pas vraiment”, dit Marlene, décidant finalement de participer à la conversation. “Il existe vraiment un service de nettoyage de la piscine. Ils emploient des garçons qui proposent des services supplémentaires et je sais que les Missinger sont clients de cette entreprise. Je ne sais pas du tout si Victoria profitait de leurs services.”
“Et vous pensez que, même si Victoria n’était pas intéressée, le technicien aurait pu être agressif ?” demanda Jessie.
“Écoutez, la consultante pour la police”, dit Marlene d’un ton railleur en baissant la voix, “je sais que ce n’est pas correct de le dire mais la plupart des ‘techniciens’, comme vous les appelez, sont d’origine latino-américaine et nous savons tous que ces hommes-là peuvent être très insistants quand ils veulent quelque chose.”
“En sommes-nous sûres, Marlene ?” demanda Andi d’un ton dédaigneux. “Je trouve que tu donnes dans le cliché, là.”
“C’est reparti”, répondit Marlene en levant les yeux au ciel. “Elle soutient toujours les petits, celle-là. C’est notre moraliste locale. Parfois, je me demande si tu es Andi Robinson ou Andy Griffith.”
“Je ne pense pas que tous ceux qui ont la peau plus foncée que la nôtre sont plus tentés que nous par les activités criminelles”, répondit Andi à voix basse.
Jessie se dit que la plupart des habitants de la Terre avaient la peau plus sombre que Marlene, qui était pâle comme de l’ivoire.
“Écoute, la consultante de la police a demandé qu’on lui parle du garçon de piscine, donc, je lui en parle. Elle pourra faire ce qu’elle veut de ces informations. Pas vrai, Jessie ?”
“Bien sûr”, dit Jessie sans répondre à la provocation. “Mieux vaut avoir trop d’informations que pas assez. Y a-t-il d’autres prestataires de services officieux dans le coin ?”
“Vous voulez dire la liste des hommes que les femmes riches paient pour les satisfaire pendant que leur mari joue aux Maîtres de l’Univers ou au golf ?” cracha presque Marlene.
“C’est exactement ce que je veux dire.”
“Il y a un coach personnel qu’utilisent certaines filles”, proposa Cady. “Il s’appelle Dan Romano. Cela dit, je pense que Victoria n’a eu recours à ses services qu’une seule fois. Donc, elle n’a pas été intéressée ou elle n’a pas été satisfaite.”
“Je peux vous assurer que ça n’a pas été la seconde solution”, ajouta Marlene.
“Écoutez, Jessie”, dit calmement Andi, “je connaissais assez mal Victoria mais je n’ai jamais eu l’impression qu’elle était cette sorte de femme. Elle n’a jamais vraiment dit qu’elle s’intéressait à cette sorte de chose, pour autant que je me souvienne, du moins. Je ne l’ai jamais vue reluquer les mecs sexy. Je pense que ses passions étaient plus du type philanthropique. La seule fois où je l’ai vue vraiment … enthousiaste, c’est quand elle parlait d’aider les enfants malades ou sans abri.”
“Elle n’avait vraiment pas d’enfant ?” demanda Jessie alors qu’elle connaissait la réponse.
“Aussi stérile que le Sahara”, plaisanta Marlene.
“C’est pas vrai !” marmonna Cady.
“Quoi ?” répliqua Marlene. “Ça n’a rien d’un secret. Elle a dit que c’était lié à sa forme de diabète, que c’était trop risqué ou quelque chose comme ça.”
“Elle n’était pas intéressée par l’adoption ?” demanda Jessie en faisant semblant de ne pas remarquer qu’aucune des femmes ne semblait étonnée d’entendre dire que Victoria était diabétique. Apparemment, c’était connu de tout le monde, ce qui augmentait substantiellement le nombre de suspects potentiels.
“Je pense qu’elle l’était mais que Michael ne l’était pas”, dit Cady. “Donc, tant qu’elle ne l’avait pas convaincu de changer d’avis sur ce point, elle considérait que les enfants avec lesquels elle travaillait étaient ses enfants.”
“Foutue Mère Teresa”, marmonna Marlene à voix basse.
Andi jeta un coup d’œil à Jessie, visiblement consternée.
“Et ce que vous avez dit sur la femme de ménage, Marlene ?” demanda Jessie. “L’avez-vous dit sérieusement ?”
“Quoi ? Qu’elle aurait pu assassiner son patron pour s’accaparer Michael ? Je plaisantais, bien sûr, mais si je voyais cet homme tous les jours, l’idée me viendrait en tête. Il est appétissant.”
“Ne l’écoutez pas. Elle aime être vache, c’est tout”, dit Andi d’un air désolé.
“Dernière question”, dit Jessie en se demandant s’il n’y avait vraiment rien d’autre. “Il y aurait eu une coupure de courant hier ?”
“Oh oui”, dit Cady. “Un transformateur est tombé en panne vers le début de l’après-midi. Tout Larchmont Village a été touché. Ils n’ont fini de réparer qu’après seize heures.”
“Heureusement que ce n’était pas l’été”, dit Marlene, “ou on aurait toutes bouilli.”
“Et vous pensez que cela aurait pu affecter les caméras de sécurité ?” demanda Jessie en essayant de les empêcher de perdre le fil.
“Je sais que, quand je suis rentrée à la maison, la batterie de secours pour notre système bipait”, dit Cady. “Nous avons dû tout réinitialiser pour que ça fonctionne à nouveau. Je ne sais pas ce que ça fait aux vidéos et à tout ça.”
“Je ne serais pas étonnée si ça avait tout grillé”, dit Andi. “Un jour, c’est arrivé à mon ordinateur.”
“Écoutez”, dit Marlene, “j’aimerais vous aider un peu plus mais il faut que j’aille trouver un de ces ouvriers latinos travailleurs et respectueux des lois pour faire tailler mon mimosa. Ça ne vous gêne pas, j’espère ?”
“Pas du tout”, dit Jessie en reculant d’un pas. “Merci pour votre temps, Marlene, et n’oubliez pas d’aller récupérer votre robe blanche à capuche chez le teinturier.”
Marlene la regarda fixement pendant une seconde avant de se mettre à sourire.
“D’une façon ou d’une autre, vous me plaisez, madame la consultante de la police. Vous avez des tripes au ventre.”
Alors, elle se retourna et partit dans la direction de la cuisine.
“Contente de vous avoir rencontrée”, dit Cady avant de détaler dans la même direction.
Il ne restait plus qu’Andi.
“Je m’excuserais bien une fois de plus”, dit-elle en haussant les épaules, “mais j’ai l’impression que ça ne servirait pas à grand-chose.”
Jessie hocha la tête. Elle remarqua qu’Andi avait l’air déchirée, comme si elle voulait en dire plus mais n’était pas sûre de devoir le faire. Jessie décida de lui en donner l’opportunité.
“Il faut que je reparte au bureau, maintenant”, dit-elle. “Ça vous dirait de m’accompagner jusqu’à la porte ?”
“Bien sûr”, dit Andi, visiblement heureuse de ne pas avoir à révéler ce qu’elle voulait dire dans l’enceinte du club.
“Passez devant”, dit Jessie. “C’est vous qui êtes membre.”
Andi le fit et, pendant qu’elles se dirigeaient vers la porte de devant, Jessie l’examina de plus près.
Maintenant que son attention n’était plus divisée entre les trois femmes, elle put remarquer plus de détails et se rendit compte qu’Andi était plus jeune qu’elle l’avait cru au premier abord. Elle semblait plutôt avoir trente ans que trente-cinq. Ses cheveux blonds lui tombaient sur les épaules et sa coiffure était beaucoup moins tarabiscotée que celle de ses amies du club. Elle avait un attrait indéfinissable et elle essayait visiblement de garder la forme. À environ un mètre soixante-sept et cinquante-six kilos, elle était presque entièrement ordinaire. Seuls ses yeux pouvaient attirer l’attention.
Ils étaient d’un bleu profond et brillaient avec une vivacité joyeuse qui contrastait avec le reste de son attitude conventionnelle. Jessie avait clairement l’impression que cette femme était consternée par ses fréquentations, ou au moins indifférente. Elle ne pouvait s’empêcher de l’apprécier.
“Alors, qu’est-ce que vous n’avez pas pu me dire là-bas ?” demanda-t-elle quand elles se retrouvèrent à l’extérieur.
“Je voulais juste m’assurer que vous compreniez un peu le contexte du quartier avant de partir retrouver vos collègues et de commencer à suggérer des pistes de travail”, dit Andi.
“J’écoute.”
“D’accord”, dit Andi. “Eh bien, Marlene a donné l’impression que cette communauté débordait d’ouvriers qui n’attendaient que l’occasion idéale pour tuer les résidents mais ce n’est pas ce que me suggère mon expérience.”
“Attendez. Êtes-vous venue ici avec moi pour me dire que votre amie était un peu raciste ? Parce que, vous voyez, je l’avais deviné toute seule.”
“Non”, dit Andi. “Il n’est visiblement pas indispensable d’être consultante pour la police pour comprendre ça. Je voulais expliquer que, en plus de son racisme non dissimulé, Marlene est aussi dans l’erreur. Je n’ai pas de statistiques à vous fournir mais je ne me souviens pas qu’un résident de Hancock Park, surtout du quartier de Larchmont Village, ait déjà été assassiné par un ouvrier de quelque sorte que ce soit, et j’habite ici depuis toujours.”
“Donc, vous ne pensez pas que c’était un gigolo garçon de piscine qui s’est transformé en assassin ?”
“Je n’en ai aucune idée. Ce que je ne veux pas, c’est que l’on mette quelqu’un dans une case parce qu’il ressemble à un préjugé de ce à quoi devrait ressembler un criminel.”
“Eh bien, Mlle Robinson, je peux vous assurer que nous ne mettons personne dans des cases. Nous allons là où nous emmènent les preuves. Au fait, tant que nous en parlons, quel est le nombre exact de meurtres dont vous vous souvenez dans votre quartier ?”
“D’abord, appelez-moi Andi, s’il vous plaît, enfin, si vous le pouvez. Pour répondre à votre question, je ne sais pas. Au jugé, je dirais … moins de six et c’étaient presque toujours des crimes passionnels ou liés à la drogue, un époux jaloux ou un enfant du coin qui avait pris des substances.”
“Donc, vous pensez que Michael Missinger est un mari du type jaloux ?” demanda Jessie.
“Je ne sais pas”, dit Andi. “Je n’étais pas si proche que ça d’eux mais il me semblait être très satisfait de sa vie. Il ne me semblait pas être la sorte de gars qui pourrait s’énerver assez sur quoi que ce soit pour tuer quelqu’un et surtout pas Victoria, qui n’était du genre à énerver les gens. La chose la plus dure que je pourrais dire sur elle était qu’elle était vraiment passionnée par le soutien des enfants défavorisés. Est-ce que cette passion pourrait donner des envies de meurtre ? J’en doute fort.”
“C’est vrai”, dit Jessie sans arriver à rester complètement professionnelle. “L’enthousiasme pour la philanthropie n’est pas souvent un mobile pour le meurtre. Toutefois, nous ne pouvons rien exclure pour l’instant.”
“De toute façon, voici mon numéro de téléphone”, dit Andi en tendant une carte à Jessie. “N’hésitez pas à m’appeler si vous avez d’autres questions à poser. Même si je ne connais pas grand-chose à la vie des Missinger, je peux probablement vous donner une bonne impression générale du quartier si ça vous est utile.”
“Merci beaucoup”, dit Jessie en lui tendant sa carte à son tour. “En fait, j’accepterai probablement votre proposition.”
Andi sourit chaleureusement et retourna au club. Jessie la regarda partir avant d’entrer dans sa voiture. Elle se rendit compte qu’elle n’avait pas vraiment de bonnes amies. Il y avait Lacy mais elle la connaissait depuis l’université. La plupart de ses autres amies de ces jours-là avaient disparu quand Jessie et Kyle avaient entamé leur vie de couple.
Jessie était devenue l’amie d’une des femmes du Comté d’Orange, qui était mariée à un vieux copain de lycée de Kyle, Teddy. Malheureusement, sa relation avec Mel s’était brouillée quand Kyle avait essayé de les tuer tous les trois dans la même nuit.
Elle avait confié la vérité sur son père à Kat Gentry, la directrice de la sécurité à la DNR, où le tueur en série Bolton Crutchfield était détenu. Mis à part le Dr Lemmon et Crutchfield lui-même, Kat était la seule habitante de Los Angeles qui connaisse la vérité. Est-ce que ça faisait d’elles des amies ? Si oui, c’était l’amitié la plus bizarre qui soit.
Jessie se dit que, quand cette enquête sur les Missinger serait résolue, elle essaierait d’inviter Andi à aller boire un pot. Dans ses circonstances actuelles, elle avait du mal à trouver quelqu’un de fréquentable et, si cela signifiait qu’il fallait qu’elle trouve ses amies pendant qu’elle travaillait sur des enquêtes criminelles, alors, qu’il en soit ainsi.
J’ai une vie bizarre.