Jessie serra le manche en bois de la ventouse et en frappa l’homme quand il fonça vers l’avant, se baissant pour viser sa taille. Elle sentit le bout entrer dans quelque chose de mou et sut qu’elle l’avait touché à l’estomac au moment même où la ventouse lui fut arrachée des mains.
Le grognement de douleur qu’elle entendit au-dessus d’elle confirma qu’elle avait bien visé puis son épaule droite entra en collision avec les jambes de l’homme, l’envoyant voler vers la baignoire, par-dessus elle. Quand elle roula au sol, elle entendit un bruit sourd et fort et, quand elle regarda vers lui, elle vit qu’il avait heurté le bord de la baignoire, presque exactement à l’endroit où elle avait été quelques secondes auparavant.
Il gémissait fortement. Sous le choc, il avait lâché le couteau qui était maintenant dans le coin de la baignoire. Jessie se releva alors que l’homme essayait d’en faire autant. Elle vit la ventouse qui se trouvait à ses pieds et la saisit à nouveau, par la poignée cette fois-ci. Quand l’homme tenta de se relever, elle le frappa violemment avec le bout en caoutchouc et l’envoya tomber en arrière dans la baignoire, sur le squelette.
Alors qu’il se débattait, Jessie saisit son téléphone par terre et quitta précipitamment la salle de bains, tenant encore la ventouse. Derrière elle, elle entendait l’homme se débattre et essayer de s’extraire de la baignoire. Elle sortit à toute vitesse de l’appartement et passa dans le vestibule, ne regardant derrière elle que quand elle eut atteint la porte de l’escalier. L’homme était là-bas, à l’autre bout du vestibule, et il sortait de l’appartement. Il la vit et commença à se rapprocher d’elle en courant et en boitant à moitié.
Jessie ouvrit brutalement la porte de l’escalier et descendit au pas de course. Elle ouvrit la porte d’en bas et l’entendit au même moment ouvrir celle qui se trouvait un étage au-dessus d’elle. Elle traversa le hall en courant, glissant presque sur le sol poussiéreux, puis passa le coin près des ascenseurs.
Quand elle traversa le vestibule, elle vit une mince tranche de lumière terne passer la porte de devant attachée par les chaînes. Elle rangea son téléphone dans sa poche, sachant qu’il faudrait qu’elle utilise ses deux mains pour sortir.
Quand elle y arriva, elle laissa tomber la ventouse et écarta les portes autant que la chaîne le permettait. Quand elle commença à s’introduire par l’interstice, elle entendit la respiration lourde et les pas encore plus lourds de l’homme qui se rapprochait.
Elle venait de sortir et était en train de glisser son bras gauche à l’extérieur quand elle sentit quelque chose lui saisir le poignet gauche. Alors qu’elle s’écartait, elle vit les doigts noirs de crasse de l’homme la serrer très fort. Il enfonça ses ongles dans sa peau puis la tira en arrière en lui claquant le corps contre la porte extérieure.
Une nouvelle vague d’adrénaline la traversa et elle essaya de se libérer mais en vain. Elle avait réussi à s’écarter un peu de la porte, mais il la tenait quand même. Elle regarda désespérément autour d’elle et aperçut soudain un morceau de vitre près de son pied droit.
Elle tendit la main vers le bas et le saisit avant que l’homme ne puisse tirer à nouveau sur elle. Alors, quand il la plaqua à nouveau contre la porte, elle se servit du morceau de verre et de la force de l’homme pour le frapper plus violemment. Elle se concentra sur l’arrière de la main qui serrait la sienne et enfonça violemment le verre dedans juste avant que son corps ne heurte la porte.
Elle entendit un cri aigu, son poignet fut soudain relâché et elle retomba sur les marches du perron de l’immeuble. Quand elle se releva, elle entendit l’homme hurler juste derrière la porte. Elle allait se saisir de son manteau, qui était encore à côté, sur le sol, quand elle vit l’homme commencer à passer de force par l’ouverture.
Abandonnant le manteau, elle se retourna et courut vers sa voiture, sortant sa télécommande et appuyant sue le bouton “déverrouiller” à plusieurs reprises. Elle ouvrit la porte, entra, la claqua et verrouilla les portes juste au moment où l’homme arrivait. Il se jeta sur la vitre comme s’il essayait de plaquer la voiture.
Le verre sembla onduler un peu mais tint bon. L’homme recula en trébuchant, étourdi par la collision. Jessie mit le contact. Le bruit réveilla l’homme qui, furieux, chargea la voiture une deuxième fois. Jessie passa la première, la seconde puis s’engagea dans la rue juste au moment où l’homme sautait sur son capot.
Elle n’avait avancé que de quelques mètres quand il commença à s’accrocher à ses essuie-glaces. Elle freina brusquement avant qu’il ait pu saisir quoi que ce soit et il s’envola vers l’avant, tombant du capot sur le goudron de la rue devant elle.
Jessie passa la marche arrière et recula dans la rue en faisant crisser ses pneus et en essayant d’éviter les voitures qui étaient garées des deux côtés. Quand elle atteignit l’intersection, elle freina brusquement et repassa la première puis la seconde.
Quand elle se retourna pour passer dans la nouvelle rue, elle vit que l’homme venait de se relever. Il se secoua comme un chien mouillé et recommença à la poursuivre. Quand elle le vit atteindre l’intersection dans son rétroviseur, elle avait plusieurs centaines de mètres d’avance et se sentit assez en sécurité pour respirer.
Ce ne fut qu’à ce moment qu’elle remarqua la douleur aiguë qui palpitait dans son épaule gauche.
*
Jessie avait seulement passé environ vingt minutes aux urgences de l’hôpital quand Ryan arriva.
Elle l’entendit demander à une infirmière où elle était et elle l’appela de derrière le rideau qui la séparait du patient qui se trouvait à un mètre cinquante d’elle.
“Par ici.”
Il passa la tête à l’intérieur et elle l’invita à entrer.
“Que se passe-t-il ?” demanda-t-il, ne sachant visiblement pas où commencer.
“C’est une longue histoire”, dit Jessie. “En bref, un SDF vraiment agressif m’a tailladé l’épaule avec un vieux couteau à viande pendant que j’explorais un vieil immeuble d’appartements abandonné et on m’a fait quatorze sutures.”
“J’ai tant de questions à poser rien que sur cette phrase que je ne sais même pas où commencer”, dit Ryan en secouant la tête, incrédule.
“Je te raconterai volontiers ça en détail mais, avant, pourrais-tu me tenir au courant de l’enquête Missinger ?”
“C’est ta priorité pour l’instant ?”
“C’est juste que la gentille infirmière m’a donné des antalgiques il y a quelques minutes et que je veux savoir où nous en sommes tant que j’ai encore les idées claires. Je préfère être dans les vapes quand je parle que quand j’écoute.”
Ryan sembla être sur le point de protester puis changea d’avis.
“Où est ton téléphone ?” demanda-t-il. “Il me le faut une seconde.”
Elle le déverrouilla et le lui tendit.
“J’ajoute une fonction d’appel rapide”, dit-il en tapant sur les touches. “Dorénavant, si tu te retrouves dans une situation d’urgence comme celle-là, compose 17 et appuie sur ‘envoi’. Ça enverra à mon téléphone un SMS qui dira “Viens vite” et je saurai que tu es en danger. C’est beaucoup plus rapide qu’appeler le 17, envoyer un SMS ou m’appeler. OK ?”
“OK, merci”, dit Jessie en essayant de reprendre son téléphone sans avoir l’air sur la défensive. “Maintenant, peux-tu me dire ce qu’il y a de neuf sur l’affaire avant que mon cerveau ne se transforme en bouillie ?”
“Nous n’avons toujours rien de solide”, admit-il, commençant ses explications sans dire un autre mot sur l’incident de l’appartement. “Comme tu le sais, l’interrogatoire de la femme de ménage a été repoussé à demain. Le capitaine Decker craignait qu’elle ait repoussé le rendez-vous pour pouvoir fuir la ville ou faire quelque chose de ce genre mais nous avons envoyé un agent de police chez elle pour vérifier si elle y était et elle n’ira nulle part. L’agent qui est allé chez elle l’a trouvée complètement inconsciente. Sa mère a dit qu’elle était tellement déprimée qu’elle lui avait donné une double dose de Valium.”
“Tu la crois ?”
“Je crois qu’elle a beaucoup de médicaments dans le sang pour l’instant”, expliqua-t-il. “Quant à la raison, je te la donnerai quand je lui aurai parlé. De plus, je suis content que cet interrogatoire ait été repoussé.”
“Pourquoi ?’ demanda Jessie.
“Tu te souviens du coach personnel de Victoria ? Celui qui était censé avoir déménagé en Floride ?”
“Je me souviens que tu en avais parlé.”
“Eh bien, il s’appelle Dan Romano et il s’avère qu’il n’a jamais vraiment quitté la ville. Il l’avait seulement dit à tout le monde parce qu’il avait couché avec une cliente et qu’il voulait que son mari le croie innocent.”
“Comment sais-tu ça ?” demanda Jessie.
“Je le sais parce que le mari a trouvé qu’il était encore ici et qu’il s’est lancé à sa poursuite. Romano veut la protection de la police.”
“Et tu as accordé ça à un suspect ?” demanda Jessie, étonnée.
“Il ne sait pas qu’il est suspect. Il ne sait même pas que nous enquêtons sur le meurtre de Victoria Missinger. Il pense que nous ne recherchons que lui. Quand son nom est apparu sur l’ordinateur, nous avons demandé à la division d’Olympic de nous le transférer. Ils lui ont dit qu’ils n’avaient nulle part où le loger et nous lui avons offert une cellule pour la nuit. Il nous a même remerciés. Un de nos informateurs secrets couche dans la même cellule que lui pour écouter ce qu’il aurait à dire. Nous espérons en apprendre plus dans la matinée.”
“Ça a l’air prometteur”, dit Jessie en remarquant que sa langue lui paraissait légèrement pesante. “Est-ce que le médecin légiste a des nouvelles ?”
“Rien d’officiel pour l’instant”, répondit Ryan, “mais elle a bien confirmé que les niveaux d’insuline présents dans le sang de Victoria Missinger correspondent à un empoisonnement. Les chances pour qu’elle se soit auto-administré une dose aussi élevée par inadvertance sont très faibles.”
“Mais qu’est-ce que ça nous apprend ?” demanda Jessie. “Rien de neuf, à mon avis.”
“Ça nous indique quelque chose d’étrange”, répliqua Ryan. “Cela suggère que celui qui a fait ça connaissait assez bien Victoria pour savoir qu’elle était diabétique et pour être tenté de nous faire croire qu’elle avait pris une overdose. Cependant, en même temps, le tueur n’en savait pas assez pour comprendre qu’une dose aussi élevée éveillerait nos soupçons. C’est un mélange bizarre d’intelligence et de bêtise qui me semble absurde.”
“Tu as raison”, convint Jessie. “Personne ne pourrait être à la fois aussi rusé et aussi bête. Quelque chose ne ta pas, euh… ne va pas.”
“Effectivement”, convint Ryan, qui leva légèrement un sourcil quand il remarqua qu’elle bafouillait mais ne dit rien. “Je pense que nous aurons plus de succès si nous procédons par mobile que par méthode.”
“Oui”, marmonna Jessie, “mais pourquoi a-t-il fait ça ? Peut-être était-il insatisfait de sa vie.”
“Quoi ?” demanda Ryan d’un air confus.
Jessie leva les yeux vers lui et eut du mal à se concentrer.
“C’est juste une chose que quelqu’un m’a dite aujourd’hui. Laisse tomber. Je pense que ces médicaments commencent à faire un peu effet.”
“Je pense que tu as raison”, dit Ryan en désignant la jambe de Jessie. “Tu sembles être en train de caresser ta propre cuisse.”
“Le tissu est vraiment doux”, dit Jessie en baissant les yeux vers son pantalon.
À ce moment-là, Lacy passa la tête par le rideau.
“On dirait que j’ai trouvé le bon endroit”, dit-elle.
“Mon taxi est arrivé !” dit Jessie plus fort que prévu.
Lacy jeta un coup d’œil à Ryan, qui sourit poliment.
“Lacy Cartwright”, annonça fortement Jessie, “je te présente l’agent Ryan Hernandez, super-détective. Ryan Hernandez, je te présente Lacy Cartwright, la future créatrice de mode la plus célèbre du pays.”
“Tu as pris de la drogue ?” demanda Lacy.
“C’est les médicaments”, dit l’infirmière qui avait suivi Lacy dans le box. “Maintenant que votre amie est ici, nous allons vous laisser partir, n’est-ce pas, Mlle Hunt ?”
“OK”, dit Jessie, essayant en vain de ne pas le dire comme si elle était folle.
“Nous vous avons inoculé un vaccin antitétanique”, poursuivit l’infirmière, “et, visiblement, les antalgiques ont commencé à faire effet. Dans environ une heure, vous serez soit complètement dans les vapes soit agréablement insensible. Cela devrait vous permettre de passer la nuit.”
“Je sais tout ça”, lui assura joyeusement Jessie. “En novembre, j’ai reçu un coup de tisonnier à l’estomac … administré par mon mari.”
“C’est bon à savoir”, répondit l’infirmière, impassible. “Vous aurez également mal demain. Suivez les instructions de dosage et cela devrait vous permettre de travailler normalement. Vous pourrez voir votre médecin traitant dans une semaine et il vérifiera les sutures. Avez-vous des questions ?”
“Oui, est-ce que ces vêtements stériles que vous portez vous grattent ? Quand je porte des vêtements stériles, ils me grattent et ils sont froids.”
“Tu sais”, dit Ryan en se rapprochant d’elle pour l’aider à se lever du lit, “il faudra que tu me redises comment tout cela t’est arrivé. Peut-être demain, quand tu seras en meilleure forme.”
“Bonne idée”, dit-elle, se levant en s’accrochant au bras de Ryan, “mais tu devrais peut-être parler à l’agent qui a pris ma déposition là-bas, dehors.”
“Je le ferai”, dit-il en confiant Jessie à Lacy.
“Oui”, dit Jessie, qui avait trop mal et trop sommeil pour lever entièrement la tête. “Il pourra te parler du squelette dans la baignoire.”