Soudain, tout fit sens.
Jessie repensa à leur conversation au Coffee Klatch, où elle avait mentionné sa violente allergie aux arachides. Il ne serait pas difficile de glisser de l’huile aux arachides dans une boisson alcoolisée sans que cela se remarque.
Andi avait dû se rendre compte qu’elle avait commis l’erreur de mentionner l’hôtel et supposer que j’allais le comprendre.
Et maintenant, alors qu’elle venait d’éliminer Victoria Missinger et Marisol Mendez en tant que menaces potentielles, elle repassait à l’action pour éliminer une personne qui risquait de contrecarrer ses plans.
Jessie se força à respirer par le nez, qui était encore dégagé. Ce faisant, elle sentit sa peau commencer à la gratter et sa poitrine brûler sous l’effort de faire rentrer de l’air.
Réfléchis, Jessie. Trouve un moyen de t’en sortir.
Elle sortit son téléphone pour appeler le 911 mais eut alors une meilleure idée. Quand ils répondraient, elle serait inconsciente. Elle se dit qu’elle devrait appeler Ryan mais se dit que, même s’il décrochait, elle ne serait peut-être pas capable de parler. Même lui expliquer la situation par SMS risquerait de prendre trop longtemps.
Alors, elle se souvint du code d’urgence à frappe rapide qu’il lui avait dit de lui envoyer par SMS si elle se retrouvait en danger imminent. Elle tapa rapidement “17” et le message “Le plus vite possible” fut expédié. Jessie espéra qu’il le recevrait et enverrait les secours. Il savait où elle allait ce soir. Il avait accès au GPS de son téléphone et l’avait même déjà utilisé pour aller la retrouver à l’hôpital après que son mari l’avait attaquée. Ça pouvait marcher.
Cela dit, elle ne pouvait pas quitter Andi, qui était quelque part de l’autre côté de cette porte et qui faisait déjà le nécessaire pour que Jessie ne puisse pas quitter la maison vivante. Il fallait qu’elle tente de sortir de là sans avoir l’air vulnérable.
Si elle pouvait faire croire à Andi que sa tentative d’empoisonnement n’avait pas marché, elle pourrait peut-être quitter cette maison sans confrontation. Elle allait devoir faire semblant d’aller bien au lieu d’être en pleine urgence médicale. Avec cet objectif en tête, elle inspira une fois de plus par le nez, ouvrit la porte et sortit.
Andi était encore dans le salon. Elle se préparait une boisson au bar d’un air décontracté des plus louches.
“Ça va ?” demanda-t-elle. “Je commençais à m’inquiéter un peu.”
Jessie hocha la tête et se dirigea vers le sofa où elle avait posé son sac à main. Elle sentit venir une quinte de toux et, quand elle la réprima, elle se réduisit à un grognement.
“Où est ta boisson ?” demanda Andi.
Jessie désigna les toilettes, faisant tout son possible pour ne pas regarder son hôte dans les yeux. Elle craignait que, si Andi voyait ses yeux qui coulaient ou ses joues rouges, elle comprendrait que ses efforts avaient fonctionné.
Elle atteignit son sac à main et ouvrit la fermeture Éclair de la petite poche latérale où elle conservait normalement l’inhalateur, mais il n’y était pas. Elle commença à fouiller le reste du sac, craignant qu’il n’y soit tombé et se soit mélangé à toutes ses autres affaires. Ce faisant, elle sentit sa gorge se refermer presque complètement et haleta involontairement.
“Tu es sûre que tu vas bien ?” demanda Andi en contournant précipitamment le bar d’un air préoccupé. “Tu as l’air mal en point.”
Jessie sentit sa vision s’estomper momentanément et tomba sur un genou. Elle haleta à nouveau et leva désespérément les yeux vers Andi, qui se tenait maintenant au-dessus d’elle.
“Comment puis-je t’aider ?” demanda-t-elle avec insistance en posant sa boisson sur la table. “Devrais-je appeler les urgences ?”
“Bouffée”, réussit à dire Jessie d’une voix rauque en espérant que, malgré tout, elle avait mal jugé Andi et que sa nouvelle amie allait venir à sa rescousse.
“Bouffée ?” répéta Andi d’un air confus. “Tu veux dire un inhalateur ?”
Jessie hocha vigoureusement la tête en désignant son sac.
“Tu veux dire comme celui que j’ai sorti de ton sac à main et posé sur le bar là-bas ?” demanda-t-elle lentement d’une voix devenue douceâtre tout en montrant l’inhalateur rouge qui était innocemment posé sur le bar en marbre à quatre mètres de là. Pour Jessie, il aurait tout aussi bien pu se trouver à un kilomètre. Andi retroussa légèrement les lèvres pour former un sourire froid et cruel.
Jessie eut une énorme quinte de toux qui la fit tomber sur ses deux genoux. Elle savait que sa gorge ne tarderait pas à se fermer entièrement et à lui faire perdre conscience. Quand elle s’effondra vers l’avant et que le haut de son corps tomba la face la première sur le coussin du sofa, elle essaya de former une pensée cohérente dans son cerveau qui s’obscurcissait rapidement.
Plan B.
Son plan B. Son inhalateur de secours. Il était à l’intérieur de sa poche de manteau, à moins de soixante centimètres d’elle, si elle arrivait à trouver la force de l’attraper.
Se relevant légèrement, Jessie bondit vers l’avant et réussit à saisir la manche de sa veste avant de retomber. Elle sentit son corps glisser du sofa sur la moquette et se raccrocha désespérément à la veste. Elle la sentit atterrir à côté d’elle quand elle tomba par terre et la serra fortement contre sa poitrine en se roulant en position fœtale, souffrant maintenant de douleurs abdominales plus que de quoi que ce soit d’autre.
“Tu ne me croiras peut-être pas”, dit Andi quelque part au-dessus d’elle, “mais ça m’attriste vraiment de devoir en arriver là. Je ne voulais pas que ça se passe comme ça. Je ressentais vraiment quelque chose pour toi, Jessie. J’avais pensé qu’on pourrait être copines.”
Jessie roula sur la poitrine, les genoux repliés sous le ventre et son manteau fermement serré sous son corps. Alors qu’elle se tordait de douleur par terre, incapable de distinguer sa douleur abdominale de la brûlure qui lui déchirait la poitrine, elle essaya de se concentrer suffisamment pour plonger la main dans la poche de la veste où se trouvait son inhalateur de secours. Elle entendit la voix d’Andi, qui venait maintenant de plus loin.
Cette salope est repartie au bar chercher sa boisson !
“Dès que tu as mentionné cette allergie aux arachides”, entendit-elle dire son hôtesse, “je me suis sentie obligée d’aller acheter de l’huile d’arachide, par pure précaution, bien sûr. Je croyais que je n’en aurais jamais besoin. Seulement, tu m’as poussée à l’erreur. Je me sentais tellement à l’aise que j’ai laissé échapper cette phrase sur l’hôtel. Dès que je l’ai prononcée, j’ai su que tu allais en tirer tes conclusions, peut-être pas maintenant mais un jour où l’autre. Or, comme c’était probablement mon unique opportunité de te neutraliser, il a fallu que je passe à l’action. Tu comprends, n’est-ce pas ?”
Jessie tortilla la main dans la poche intérieure et toucha un objet dur en plastique avec la jointure de ses doigts : l’inhalateur. Elle le saisit et le sortit rapidement en s’efforçant de le garder caché. Elle était accroupie, elle tournait le dos à Andi et cette dernière était de l’autre côté de la pièce. Jamais elle n’aurait une meilleure occasion de le faire.
Elle leva ses deux mains pour se couvrir le visage quand une quinte de toux tout aussi authentique que rauque lui échappa. Tout en tentant désespérément d’aspirer le plus d’air possible dans ses poumons, elle enfonça l’embout de l’inhalateur dans sa bouche et appuya sur le déclencheur.
“Combien de temps devrais-je attendre avant d’appeler les urgences ?” entendit-elle Andi demander d’un endroit plus proche qu’avant. “Je veux que ça ait l’air réel. Devrais-je attendre que tu deviennes bleue pour essayer le bouche à bouche ?”
Jessie sentit arriver une seconde quinte de toux et la laissa faire, toussant sans pouvoir se contrôler. Quand elle inspira en sifflant, elle appuya encore sur l’inhalateur, qu’elle gardait caché au creux de ses mains. Elle sentit un déblocage très léger de sa poitrine.
Craignant qu’Andi ne l’ait presque rejointe, elle se servit de l’inhalateur une dernière fois avant de se laisser tomber sur l’estomac, cachant l’inhalateur au-dessous d’elle. Elle avait encore la gorge rauque, mais elle sentait l’oxygène revenir dans son corps. Néanmoins, elle fit semblant d’avoir du mal à respirer, mima même des tressautements en espérant que cette tactique de gain de temps lui permettrait de trouver une autre idée. Tout en se contorsionnant, elle plongea l’inhalateur dans la poche de son pantalon, hors de vue.
Alors qu’elle était allongée là, elle repensa brièvement à Bolton Crutchfield. Il avait suggéré que le tueur était une tueuse. Il avait suggéré qu’elle était insatisfaite de sa vie. Rétrospectivement, tout ce qui avait semblé correspondre à Marisol Mendez allait tout aussi bien à Andi : elle n’avait pas réussi à rendre son père fier d’elle, elle avait interrompu ses études, elle vivait une vie qu’elle savait être vide de sens et tellement vide d’amour qu’elle était prête à tuer pour lui donner un peu d’éclat.
“Je vais appeler les urgences maintenant”, dit Andi d’un ton joyeux juste au-dessus d’elle. “Je ne veux pas attendre trop longtemps : ça pourrait avoir l’air louche. De toute façon, ils vont prendre une éternité pour répondre.”
À ce qui paraissait être le moment idéal, Jessie respira bruyamment une dernière fois et ne bougea plus. Elle laissa son corps se détendre alors que son cerveau travaillait à toute vitesse.
Tous les morceaux allaient ensemble, comme dans un de ces puzzles qui, selon Garland Moses, donnaient rarement le résultat escompté. Andi avait le mobile et les moyens. Grâce à ses connaissances en chimie, elle n’avait dû avoir aucune difficulté à doser une injection d’insuline. Pour quelqu’un de son intelligence, saboter le transformateur du quartier pour couper le courant et éteindre toutes les caméras de sécurité avait dû être une tâche très simple. Enfin, si elle en avait le temps et l’envie, faire accuser l’employée de l’homme à conquérir ne pouvait être que facile et, comme elle était sa rivale, probablement très satisfaisant.
“Bonjour”, entendit-elle la voix paniquée d’Andi crier depuis le sol à côté d’elle. Apparemment, contacter les urgences n’avait pas pris si longtemps après tout. “Oui, j’ai une urgence au 2140 South Muirfield Road. Mon amie a eu une sorte de réaction allergique. Elle a commencé à tousser et à respirer en sifflant. Maintenant, elle est évanouie. Envoyez vite une ambulance, je vous en supplie.”
Jessie entendit une voix à l’autre bout de la ligne mais ne comprit pas les mots. Un moment plus tard, Andi répondit. Son imitation d’une femme complètement au bord de la panique était admirable.
“Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour l’aider ? J’ai trouvé un inhalateur dans son sac à main. Devrais-je l’asperger dans sa bouche ? Devrais-je essayer de la ranimer ?”
À présent, Andi pleurait et ses larmes de crocodile étaient entièrement convaincantes. Jessie se demanda si elle allait vraiment faire semblant de la ranimer. Allait-elle souffler dans sa bouche ? Effectuer des compressions thoraciques ? Si elle le faisait, elle constaterait rapidement que sa victime était loin d’être inconsciente. À ce stade, il faudrait que Jessie soit prête à réagir.
Jessie utilisa le son des sanglots d’Andi pour cacher ses propres tentatives d’aspirer autant d’air que possible. Elle n’avait plus l’impression que sa poitrine allait exploser mais elle était quand même loin d’avoir retrouvé toutes ses forces. S’il y avait une confrontation physique, la taille considérablement supérieure de Jessie lui serait inutile.
“Je suis désolée, pouvez-vous répéter ?” dit Andi, perplexe.
L’opérateur dit une autre chose tout aussi inintelligible.
“Comment peuvent-ils être en train d’arriver maintenant ?” demanda Andi. “Je vous ai appelés il y a moins d’une minute.”
Alors, comme pour répondre à sa question, quelqu’un frappa fortement à la porte.