L’hérésie des « féministes du genre » : genèse et enjeux
de l’antiféminisme « antigenre » du Vatican

Sara Garbagnoli

Sans le système de genre
il n’y a plus ni de haut ni de bas,
ni de soleil ni de lune, ni de jour ni de nuit,
ni d’oiseaux ni de fleurs (ni bien entendu d’amour),
l’humanité elle-même est en péril.

Christine Delphy, L’ennemi principal. Penser le genre (2001)

De l’utilité de la notion féministe d’antiféminisme pour étudier le discours du Vatican sur l’ordre sexuel

Le mot « antiféminisme » l’énonce clairement : cette notion permet de nommer et ainsi de rendre visible et analysable toute forme d’opposition au projet théorique et politique porté par les mouvements féministes. Notion employée d’abord et notamment par des féministes, l’antiféminisme est configuré comme une catégorie relationnelle : tout.e chercheur.se s’engageant dans l’étude de ses diverses déclinaisons contextuelles est amené à interroger les caractéristiques du champ des revendications et des analyses féministes par rapport auxquelles la réaction antiféministe s’est constituée. Si le féminisme, par sa nature de mouvement social et de champ de réflexion théorique, est diachroniquement et synchroniquement traversé et défini par différents courants divergeant sur les présupposés de l’analyse, les objectifs à poursuivre et les moyens pour les atteindre, on peut l’appréhender en s’appuyant sur ce que Nicole-Claude Mathieu a défini être son sens minimal1. À partir de leur expérience en tant que minorité, les femmes qui se disent féministes mettent au jour le système d’infériorisation matérielle et symbolique que les femmes subissent, montrent que ses déterminants sont sociaux, analysent son modus operandi dans les différents contextes et articulations qu’il entretient avec les autres formes de domination, et agissent collectivement en vue son abolition2. En dévoilant l’oppression des femmes et les formes sociales de son invisibilisation et de sa naturalisation, le féminisme rompt avec l’« incrédulité de béton » qui entoure l’origine sociale et hiérarchique des rapports entre les groupes de sexe3.

En raison de cette démarche théorique « para-doxale » (au sens étymologique du terme) et de sa consubstantielle visée politique révolutionnaire, le féminisme ne peut que déranger l’ordre établi (et ceux qui en tirent bénéfice) et générer, en réaction, des formes d’opposition qui le visent directement. D’où l’importance de la notion d’antiféminisme qui dit autre chose et plus que ce à quoi les termes « misogynie » et « sexisme » renvoient. D’un côté, l’antiféminisme nie (ou, ce qui revient au même, minimise, individualise, « pathologise », « ethnicise ») ce que les analyses féministes montrent et étudient : que les femmes sont opprimées et exploitées, que la minoration subie par les femmes fait système, que ce système n’est pas réductible à d’autres formes de domination, qu’il profite au groupe social des hommes et qu’au-delà des clivages sociaux qui traversent chaque groupe de sexe, il produit les femmes comme une communauté de sort. De l’autre, l’antiféminisme s’oppose farouchement à la légitimité des études et des recherches féministes en les taxant d’un ensemble hétéroclite de défauts qui en saperaient la validité. Non scientifiques (car militantes), communautaristes (car produites par des groupes minoritaires au nom de la minoration subie), inutiles (il n’y aurait pas, ou plus, d’oppression, ou il en existerait d’autres formes qui seraient prioritaires) ou exagérées (il n’y aurait pas tant d’oppression que ça), les analyses féministes seraient elles-mêmes productrices de formes de violences et de discrimination (envers les hommes, envers les enfants, envers les femmes elles-mêmes).

À partir de la fin des années 1990, la catégorie analytique d’antiféminisme a inspiré de façon explicite de nombreuses recherches ayant pour but d’étudier les permanences, les discontinuités et les homologies structurelles dans les rhétoriques mobilisées par les antiféministes, de cartographier l’espace des acteurs et d’analyser leurs stratégies de présentation de soi4. Ces travaux montrent que, en raison des conquêtes arrachées aux dominants grâce aux luttes engagées par les féministes, l’antiféminisme a dû « se faire plus subtil5 » et que le travail de délégitimation opère désormais davantage par le biais de détournement (souvent au nom d’un « féminisme authentique » que le « féminisme radical » aurait trahi) que par opposition frontale. D’où l’importance politique de continuer à faire l’histoire et l’analyse de l’antiféminisme comme une composante de l’oppression des femmes et de contribuer à nourrir un domaine d’investigation qui s’est constitué grâce à un travail mené collectivement par des chercheuses et des militantes féministes de différents pays dans un concert d’interdisciplinarité sinon d’une remise en cause du découpage disciplinaire lui-même auquel la circulation des « mythes hétérosexuels » comme étant les « valeurs sûres » fondant toute forme de savoir nous oblige6.

En s’inscrivant dans le sillage de ces études, cet article aspire à faire émerger des éléments analytiques pour saisir la logique, la structure et les enjeux de la bataille menée par le Vatican contre la dénaturalisation de l’ordre sexuel produite par les analyses et les luttes menées par les mouvements féministes et/ou LGBTQI. Depuis la moitié des années 1990, cette croisade a pris la forme d’un dispositif réactionnaire qui s’articule en deux parties. D’un côté, l’Église reformule son discours sur l’ordre sexuel en le recentrant sur la célébration de la « différence sexuelle » dont un « nouveau féminisme » doit se faire porteur7. De l’autre, le Vatican s’oppose à l’emploi de la notion de genre censée être la clé de voûte d’une « idéologie » qui, élaborée par « les féministes radicales », viserait à travers une « manipulation du langage » à la « colonisation de la nature humaine8 ». En raison de sa démarche et de sa visée politique – prise de parole d’hommes sur ce qui constituerait la « nature », la « vocation » et la « vraie émancipation » de « la femme » visant à renaturaliser l’ordre entre les groupes de sexe et à délégitimer toute analyse féministe non essentialiste –, cette lutte symbolique représente un cas emblématique du modus operandi d’un antiféminisme qui opère, à la fois, par opposition à l’emploi des concepts féministes et par leur torsion, leur retournement, leur détournement. Comme le rappelle Christine Bard dans son introduction à Un siècle d’antiféminisme, les recherches sur les antiféminismes convergent à montrer que « dans la (re)construction permanente du genre [comme structure sociale hiérarchique qui fabrique les hommes et les femmes comme étant des groupes naturels], l’antiféminisme joue un rôle qui est loin d’être négligeable9 ». Cela est d’autant plus vrai dans une conjoncture comme celle que l’on traverse et qui est caractérisée par l’hégémonie d’une doxa néolibérale niant la pertinence d’une analyse en termes de rapports sociaux qui se conjugue, en se renforçant mutuellement, avec une idéologie néoconservatrice visant à la re-essentialisation des groupes de sexe10.

Le Vatican et l’émancipation des femmes : de la soumission à l’égalité dans la différence

La position du Vatican vis-à-vis la nature et le statut des groupes de sexe n’a pas changé au fil des siècles. Pour l’Église catholique, l’ordre sexuel relève d’une dimension métahistorique : donc, les normes qui le définissent ne peuvent ni ne doivent être pensées comme historiques ou faire l’objet d’une lutte ou d’une négociation politique, au risque de « détruire la nature humaine ». Cependant, en réaction aux changements sociaux et juridiques engendrés par les luttes menées par les mouvements féministes et LGBTQI, l’arsenal discursif du Vatican s’est progressivement reconfiguré. L’enjeu était de taille : continuer de prôner la nature transcendante des normes sexuelles en mobilisant un discours qui soit recevable dans l’espace public, notamment dans les pays dits occidentaux, c’est-à-dire qui puisse éviter d’être taxé de sexisme, d’homophobie ou de transphobie. Pour ce faire, le Vatican a élaboré un dispositif discursif qui, tout en réaffirmant l’existence d’une nature propre à chaque groupe de sexe et la naturalité de l’hétérosexualité, mobilise d’autres notions que celles que l’Église a traditionnellement utilisées, en écartant notamment l’idée de soumission des femmes aux hommes.

Si dans la Rerum Novarum de Léon XIII (1891) il était encore question d’une famille pensée comme hiérarchique et comme domaine d’action propre aux femmes et dans le Casti Connubi de Pie XI (1930) l’« ordre de l’amour » exigeait « la soumission et l’obéissance de la femme », à partir du magistère de Pie XII (1939-1959), « le problème féminin » devient un « sujet d’importance capitale »11. En réponse aux revendications portées par la première vague des mouvements féministes (notamment le droit au suffrage féminin) et à l’institutionnalisation d’un associationnisme féminin de matrice catholique, les questions de « l’émancipation des femmes » et de « l’égalité des droits » entre les sexes commencent à être abordées par l’Église et la « question féminine » à être traitée dans des termes inédits. Sous le pontificat de Pie XII, l’Église encourage ainsi les femmes à « se réunir en tant que femmes » pour promouvoir le « véritable intérêt de [leur] sexe12 » et se prononce en faveur de l’élimination de « toute forme de discrimination en raison du sexe [...] comme étant contraire au dessein de Dieu13 ». À partir de ce moment, on voit progressivement émerger les éléments de l’argumentaire naturaliste de l’égalité dans la différence qui, repris tant par Jean XXIII que par Paul VI, sera enfin perfectionné sous le pontificat de Jean-Paul II et deviendra la nouvelle doxa du Vatican sur les rapports entre les sexes. D’un côté, Pie XII affirme l’idée que l’égalité des droits doit s’appliquer dans les choses qui sont propres à la personne et à la dignité humaine14. De l’autre, il propose une distinction et une mise en opposition entre une vraie et une fausse émancipation, cette dernière représentant la « sujétion comme quelque chose d’injuste » et allant « au détriment de la femme »15. Si la hiérarchie du Vatican commence progressivement à soutenir que les deux sexes sont « absolument égaux », une telle égalité se fonde sur la bicatégorisation sexuelle appréhendée comme la différence indépassable et le pilier de l’ordre social : « l’homme et la femme ne peuvent maintenir et perfectionner cette égale dignité qu’en respectant et en mettant en pratique les qualités particulières dont la nature a dotés l’un et l’autre ». Il s’agit de « qualités physiques et spirituelles indestructibles » qui s’articulent en une « mutuelle coordination »16. Quant aux femmes, leur destinée est inscrite dans leur anatomie : « toute femme est destinée à être mère ; mère au sens physique du mot, ou bien dans un sens plus spirituel et plus élevé, mais non moins réel. C’est pour cette fin que le Créateur a ordonné tout l’être propre de la femme : son organisme, mais davantage encore son esprit et, surtout, son exquise sensibilité17 ».

Dans la même veine, Jean XXIII affirme que la « parité des droits, proclamée à juste titre » doit s’appliquer à ce qui concerne « la personne et la dignité humaine », mais qu’elle n’implique aucunement la « parité des fonctions » : homme et femme sont différents et liés par une nécessaire complémentarité des dispositions et des missions18. Paul VI reprend le clivage qui séparerait et opposerait un « féminisme authentique », « moderne, sain et religieux »19 de « l’invasion d’une mentalité qui se plaît à être sans scrupule et subversive des mœurs féminines20 » et, pour expliquer que « la nature de la femme » est liée à « sa fonction de maternité », il s’appuie sur la notion de « déterminisme biologique de la loi naturelle », qui sera reprise par Jean-Paul II et placée au cœur de son enseignement sur la sexualité et le mariage21.

Jean-Paul II et les femmes : un « nouveau féminisme » pour la promotion du « génie de la femme »

Si Geneviève Médevielle, vice-recteur honoraire de l’Institut catholique de Paris, a pu affirmer en 2013 que Jean-Paul II a été le pape « qui aura accordé le plus d’importance à la promotion féminine et à la défense de la dignité de la femme22 », c’est parce que la question de ce qu’il a appelé la « spécificité féminine » a été au centre des préoccupations pastorales et doctrinales de ce pontife à partir du début des années 196023. La catéchèse sur l’amour humain, que Wojtyła a qualifiée de « réflexions sur la théologie du corps », a été l’enseignement « sinon le plus important du moins le plus personnel de son pontificat »24. Tout en s’inscrivant sans solution de continuité dans le sillage des enseignements des trois pontifes qui l’ont précédé et en s’appuyant notamment sur les enseignements contenus dans la Gaudium et Spes promulgués à l’issue du IIe Concile œcuménique du Vatican, Jean-Paul II élabore une morale sexuelle renouvelée. Pour ce faire, il élabore les éléments de sa pensée sur l’« ordre de l’amour » au prisme des analyses de la phénoménologue et théologienne allemande d’origine juive Edith Stein25. Au cours des années 1930, Stein, en combinant des éléments de la pensée d’Edmund Husserl (dont elle a été l’assistante) à la vision anthropologique de Thomas d’Aquin, a conçu une vision de la personne humaine, à l’origine une « théologie de la condition féminine ». Selon sa vision, la « nature humaine » se présente « sous forme binaire » et l’ordre social se fonde sur la la « séparation des sexes » , cette « différenciation irrévocable et incontournable de l’Espèce », « valeur éternelle » qui se manifeste non seulement dans l’anatomie des deux sexes, mais aussi dans leurs « propensions » différentes et complémentaires26. Ainsi, il n’y aurait donc pas qu’un corps sexué (masculin ou féminin), mais aussi « une âme » correspondante (masculine ou féminine)27. Quant aux femmes, « destinées à accueillir la vie », le mariage, la maternité (dont « l’amour serviteur »28 est l’essence) et l’éducation des enfants constitueraient leur « vocation » et « l’intuition, la faculté d’intropathie et d’adaptation »29 seraient leurs « valeurs spécifiques ». « Pur archétype de la nature féminine », la Vierge Marie est pour Stein le modèle que chaque femme est appelée à imiter30.

Jean-Paul II affirme lui aussi que tout corps humain est un corps déjà sexué et que ses caractères masculins ou féminins définissent un « langage de communion inscrit par le créateur dans la chair de ses créatures ». « L’homme » et « la femme », en tant que concrétions de l’imago dei, sont par nature égaux « en dignité » et en « humanité », et cette égalité se fonde sur leur irréductible « différence ontologique ». En raison de la « dimension relationnelle de la personne humaine » et de la « nature sponsale du corps humain », hommes et femmes sont appelés à une « communion mutuelle » d’où découle la nature du mariage, qui pour Jean-Paul II est le « sacrement primordial ».

Plusieurs sont les textes que Jean-Paul II consacre explicitement et intégralement à la « question féminine » et très nombreuses sont les interventions où il la présente et la glose31. Dans l’encyclique Redemptoris Mater, rédigée en 1987, la figure de Marie – vierge et mère – est célébrée comme étant le modèle paradigmatique de « l’être femme » et la maternité comme un « mystère relationnel ». C’est sur ces thèmes que sera centrée la lettre apostolique Mulieris Dignitatem, sur la dignité et la vocation de la femme, à l’occasion de l’année mariale dans laquelle « l’Église rend grâce pour toutes les manifestations du “génie” féminin apparues au cours de l’histoire » et la maternité est pensée comme l’actualisation de la « nature féminine » :

Les ressources personnelles de la féminité ne sont certes pas moindres que celles de la masculinité, mais elles sont seulement différentes. La femme, comme l’homme aussi, du reste, doit donc envisager son épanouissement personnel, sa dignité et sa vocation, en fonction de ces ressources, selon la richesse de la féminité qu’elle a reçue le jour de la création et dont elle hérite comme une expression de l’« image et ressemblance de Dieu » qui lui est particulière. [...] L’analyse scientifique confirme pleinement que la constitution physique même de la femme et son organisme comportent en eux la disposition naturelle à la maternité, à la conception, à la gestation et à l’accouchement de l’enfant, par suite de l’union nuptiale avec l’homme32.

Au moment de le présenter à la presse, Joseph Ratzinger aurait affirmé qu’avec ce texte le Vatican allait « lancer un féminisme catholique » : c’est l’embryon du « nouveau féminisme » dont le Vatican souhaite l’essor dès la moitié des années 199033. En 1995, quelques semaines avant la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes organisée par les Nations unies à Pékin, Jean-Paul II adresse une « Lettre aux femmes ». Le pape y invite à promouvoir le « génie anthropologique de la femme », ensemble d’attitudes et d’aptitudes qui par nature caractériserait les femmes, soit le soin et l’entretien des enfants et des plus faibles. Tout en constituant le fond de « la dignité de la femme », ces aptitudes sont dévalorisées et méprisées dans la société contemporaine. Jean-Paul II dénonce cette injustice et affirme que « précisément sur le thème de la libération de la femme par rapport à toute forme d’injustice et de domination », « l’inspiration évangélique [...] contient un message d’une permanente actualité ». Pour le Vatican, donc, la division sociosexuée du travail ne serait pas la conséquence d’un inégal accès aux ressources matérielles et symboliques de la part des membres des deux groupes de sexes, mais découlerait de leur constitution physique et de leurs différentes dispositions.

L’usage de la notion de complémentarité entre deux « natures sexuelles » permet de faire l’économie de la notion de « soumission » des femmes aux hommes telle que l’Église l’avait traditionnellement mobilisée en euphémisant la hiérarchie sur laquelle elle se fonde. Nihil novum sub sole donc, sinon pour le fait que la « théologie de la femme » produit un changement dans la rhétorique sur l’appréhension des femmes et de leur rôle dans la société. La diabolisation des femmes et de leurs corps qui caractérisait le discours des Pères de l’Église fait place à une célébration de la « différence » qui a tant ravi les féministes différentialistes, notamment en Italie34. « La femme » est à la fois « spécifique » et « spéciale » : « spécialiste de l’amour », elle est porteuse d’une « dignité extraordinaire ». Depuis le pontificat de Jean-Paul II, l’Église souhaite « remercier la femme pour le seul fait d’être femme » (Lettre aux femmes), célébrer son « mystère » (Redemptoris Mater) et sa « dignité extraordinaire » (Mulieris Dignitatem) et souhaiter la réalisation d’une « véritable promotion » de son « éminente dignité » (« L’éminente grandeur de la maternité »). En opérant comme un dispositif de surévaluation compensatrice, une telle doctrine renaturalise le groupe des femmes et, en invisibilisant l’oppression qu’elles subissent, produit une nouvelle version de sociodicée de l’ordre hiérarchique entre les sexes. Dans L’idéologie raciste, Colette Guillaumin montre que la mise en valeur spécifique d’un sujet minoritaire et sa valorisation symbolique différentielle sont une partie du dispositif de son infériorisation. Loin de se limiter à être agressif, le racisme fonctionne en produisant des formes de célébration spécifique qui fabriquent les opprimé.e.s comme étant « autres » et « différents ».

L’antiféminisme tacite que la « théologie de la femme » véhicule s’est accompagné dès 1995 d’une dimension explicite : dans leurs prises de position officielles sur l’ordre sexuel, les plus hautes hiérarchies ecclésiastiques ne cessent de se référer, en l’attaquant, au « mauvais féminisme » : un féminisme « erroné », « occidental », « radical », « lesbien », qui nie l’existence de deux « natures » sexuées et genrées. En puisant « ses racines dans le manque de véritable respect pour la femme35 », ce féminisme viserait à « la libérer de sa vocation ultime36 », à la « masculiniser37 ». C’est ainsi que, à partir de l’Evangelium Vitae, le Vatican souhaite explicitement l’essor d’un « “nouveau féminisme” qui, sans suivre les modèles masculins, sache reconnaître et exprimer le vrai génie féminin dans toutes les manifestations de la vie en société » et soit capable de mettre en valeur « l’irréductible différence entre l’homme et la femme, entre le masculin et le féminin38 ».

Une telle stratégie de réappropriation et de détournement du féminisme, de ses analyses théoriques et de sa visée politique de libération de l’oppression patriarcale est prolongée sous les deux pontificats qui ont suivi celui de Wojtyla. À l’occasion du colloque « Femme et homme, l’humanum dans son intégralité » organisé à Rome en 2008, vingt ans après la parution de la Mulieris Dignitatem, le cardinal Stanislaw Rylko, président du Conseil pontifical pour les laïcs, a ainsi centré son intervention sur la nécessité de mener « une grande bataille [...] autour de la figure de la femme, autour du concept même de féminité » et de promouvoir un « nouveau féminisme » qui « travaille pour le dépassement de toute forme de discrimination » et « reconnaisse le génie féminin ». Cinq ans plus tard, à l’occasion d’une conférence organisée à Rome, toujours par le Conseil pontifical pour les laïcs, plusieurs intervenants ont souligné l’importance de développer une « théologie de la femme » et de l’articuler avec une « théologie de l’homme ». Souhait que le pape François a depuis explicitement et à plusieurs reprises fait sien39. En novembre 2014, un colloque interreligieux portant sur « la complémentarité de l’homme et de la femme » a été organisé par la Congrégation pour la doctrine de la foi et les conseils pontificaux pour la Famille, pour le Dialogue interreligieux et pour la Promotion de l’unité des chrétiens dans le but de rappeler « la beauté de l’union naturelle entre l’homme et la femme dans le mariage ». Bergoglio y a prononcé le discours d’ouverture : en regrettant la « culture du provisoire », il a affirmé que c’est au sein de la famille que « la complémentarité homme-femme se réalise naturellement » et que « chaque homme et chaque femme apportent leur propre contribution personnelle au mariage et à l’éducation des enfants telle une harmonie dynamique au centre de toute la Création »40.

En 2007 est créée l’association Nouveau Féminisme Européen, présidée depuis par Élizabeth Montfort, juriste et femme politique française liée à la Communauté d’Emmanuel, proche de l’Opus Dei et auteure de plusieurs essais contre « la théorie du genre »41. Selon Montfort, « le nouveau féminisme intègre deux perspectives : une perspective de réconciliation de la femme avec elle-même, en tant que femme, épouse et mère et de la femme avec l’homme et une perspective de don et d’accueil du don, en particulier le don de la vie, parce que l’homme et la femme sont des êtres de relation42 ». La promotion de la « théologie de la femme » et du « nouveau féminisme » et la croisade contre la « théorie du genre » et les « féministes du gender » sont les deux volets complémentaires d’un même dispositif réactionnaire visant la renaturalisation des groupes de sexe43.

L’invention du syntagme « l’idéologie du genre » : de la labellisation à la mobilisation politique

L’élaboration et la promotion d’un « nouveau féminisme » se sont conjuguées avec la mise en place d’une croisade d’envergure transnationale qui, dès le début des années 2000, s’est notamment déployée à travers la fabrication d’un répertoire d’étiquettes – les plus connues étant « idéologie du genre » et « la théorie du genre » –, utilisées de manière interchangeable et censées identifier les adversaires. Cela a notamment pris la forme d’une farouche opposition à l’emploi du concept de genre au sein des instances juridiques et politiques ainsi qu’à son institutionnalisation dans le monde académique44. Pour l’Église catholique, une telle notion serait la clé de voûte d’une « idéologie » élaborée de « manière sournoise et codée » par des lobbies (féministes, militant.e.s LGBTQI, dirigeant.e.s d’instances politiques supranationales) et visant à détruire le « socle naturel » de l’ordre social : la famille conjugale hétérosexuelle. Ces formules incantatoires et le dispositif rhétorique à l’intérieur duquel elles fonctionnent ont d’abord été élaborés par le Vatican avec l’aide de nombreuses collaboratrices et de nombreux collaborateurs liés à ses instances de diffusion doctrinale (académies, conseils, universités et instituts pontificaux) pour délégitimer toute intervention juridique, intellectuelle ou politique visant à dénaturaliser l’ordre sexuel, puis relayés grâce à la collaboration des conférences nationales des évêques et avec l’appui de l’Opus Dei, ainsi que des associations catholiques familialistes et « pro-vie ». Le Lexique des termes ambigus et controversés sur la vie, la famille et les questions éthiques, qui constitue le berceau théorique de cette croisade, ne dresse qu’une cartographie bien partielle des ressources intellectuelles mobilisées avec sa liste de plus de soixante-dix auteur.e.s pour près de cent articles. Les œuvres de Dale O’Leary, proche de l’Opus Dei et représentante du Family Research Council et de la National Association for Research & Therapy of Homosexuality, constituent l’une des matrices de ce discours du Vatican. Dans ses textes, la militante catholique s’attaque aux « gender feminists » qui auraient élaboré « une idéologie » affirmant la nature construite et sociale des rôles sexuels et abolissant « la nature humaine ». O’Leary puise l’expression « féministes du gender » dans Who Stole Feminism ? How Women Have Betrayed Women de l’antiféministe Christina Hoff Sommers. Dans cet essai, publié en 1994 avec l’appui de think tanks de la droite conservatrice américaine, l’auteure oppose les « féministes de l’égalité », qui luttent pour l’égalité entre hommes et femmes sans remettre en question la bicatégorisation sexuelle, aux « féministes du genre », qui affirment la nature construite et hiérarchique des groupes de sexe. Pour celles et ceux qui emploient cette expression, les « féministes du genre » piétinent les spécificités du « génie féminin », sèment la « guerre des sexes » et parfois, pire encore, souhaitent « leur effacement et leur destruction ». Ce féminisme « brise l’harmonie entre homme et femme » et produit l’« autodestruction de l’homme »45. Depuis, l’expression « féministes du genre » a été reprise dans les textes des groupes se définissant « anti-gender » et s’est progressivement métamorphosée en « idéologie des féministes du genre » puis en « idéologie du genre ».

Après la publication du Lexique, on assiste à une prolifération d’ouvrages et de textes se proposant de retracer l’histoire de cette « idéologie » et d’en dévoiler le « vrai contenu » (Montfort, 2011 ; Anatrella, 2012 ; Peeters, 2013). Tout en s’adaptant aux contextes nationaux de leur réception46, la fonction principale de ces interventions réside dans un effet d’institution performative et de canonisation du syntagme. Par des techniques de déformation, de captation et de « retorsion » du « discours ennemi »47 qui ont pour fonction non de convaincre les adversaires, mais des tiers (législateurs, parlementaires, électeurs)48 et grâce à la force d’un discours fondé sur « l’évidence », l’« idéologie du genre » est désormais devenue un « mythe » (au sens de Barthes) qui circule dans l’espace médiatique et politique d’un nombre croissant de pays49.

Nombreuses sont les déformations que les inventeurs du label de « la théorie du genre » font subir aux études de genre. Afin de délégitimer les recherches produites au sein de ce champ d’études, le Vatican parle de « théorie » au singulier, en employant le mot comme un synonyme d’« idéologie » pour occulter l’histoire intellectuelle et sociale qui a produit l’autonomisation du champ et déformer la posture de structuralisme génétique des travaux qui y sont produits. Quant au concept de genre, il est « exotisé » (il viendrait d’ailleurs – d’où l’usage fréquent du mot en anglais) et « brouillé ». D’une part, on mélange les deux significations qui circulent dans le champ des études de genre50 et, de l’autre, on en propose une « nouvelle définition » qui serait « en accord avec l’anthropologie humaine »51. Ces torsions, ces caricatures et leurs succès médiatiques montrent que la notion de genre demeure l’enjeu d’une lutte symbolique menée par des acteurs (notamment les États et les Églises) intéressés à définir la nature et le statut des normes sexuelles au sein d’un espace politique donné52.

À partir de l’automne 2012, en concomitance avec le débat parlementaire autour de la loi ouvrant le mariage civil aux couples formés par deux personnes de même sexe, on a assisté en France à la multiplication des usages sociaux des syntagmes « idéologie du genre » et « théorie du genre ». Dès le début des mobilisations contre la loi, le front des opposants, dont le chef de file a été le collectif La Manif Pour Tous, fédérant une quarantaine d’associations proches de la Conférence des évêques de France, a construit la rhétorique de ses actions (notamment des manifestations de rue) sur l’équivalence « “mariage pour tous” = théorie du gender pour tous53 ». L’expression « théorie du genre » – et ses synonymes – a ainsi progressivement quitté l’espace confidentiel de la circulation des textes ecclésiastiques pour se diffuser de manière virale, multipliant sa visibilité de façon exponentielle. À travers des mises en scène et des « mises en action » de ces formules incantatoires dans l’espace public, ce label a commencé à fonctionner comme une devise de ralliement, capable de constituer un front de mobilisation en fabriquant un adversaire. Derrière ce drapeau, une coalition vaste et hétéroclite de conservateurs de l’ordre sexuel a ainsi pu se rassembler, débordant les composantes catholiques d’origine. Cette diffusion du syntagme s’est accompagnée d’un restyling des stratégies de présentation de soi des agents le mobilisant. On a ainsi assisté à la mise en place de diverses formes de captation graphique, musicale et gestuelle des groupes mobilisés, ainsi qu’à un détournement des modes de présentation et d’action de l’« adversaire ». Il suffit de penser aux Hommen, qui empruntent une partie importante de leur look (nudité, slogans écrits sur la poitrine) et de leur répertoire d’actions (actions-coups d’éclat) à des groupes radicaux, tel Act-Up, ou qui se revendiquent du féminisme, telles les Femen. Cette opération s’inscrit dans une stratégie de « déringardisation » formelle entamée en France par la « Génération Anti-PaCS » en 1999 et reprise à l’occasion des rassemblements familialistes dits « Family Day » qui ont eu lieu à Rome et à Madrid en 2007. Une telle reformulation de la rhétorique antiféministe et homophobe témoigne d’une volonté de lissage d’un discours d’infériorisation afin de le légitimer dans le champ politique54. Grâce à la force de l’institution qui les soutient, ces performances de la « théorie du genre » ont eu un véritable effet performatif. Le syntagme a commencé à fonctionner comme un rite d’institution faisant exister ce qu’il énonçait grâce aussi à l’inattention et à la complicité des médias qui l’ont relayé sans le questionner ni interroger sa genèse et sa fonction réactionnaires (par exemple, l’une des questions souvent posées lors des débats dans les médias était « Êtes-vous pour ou contre la théorie du genre ? »).

La croisade dite « anti-genre » comme réaction politique aux effets théoriques de la colère des opprimé.e.s

L’étude de cette croisade réactionnaire qui vise explicitement le concept de genre permet d’expliciter la radicalité potentielle de cette notion et de produire une cartographie de ses différentes définitions et usages sociaux. Plus de quarante ans après ses premiers usages féministes, le genre demeure un enjeu de lutte tant dans le champ intellectuel que dans le champ politique. Dans deux récentes interventions, Joan Scott, qui a fortement contribué à la diffusion de l’emploi du genre comme catégorie analytique55, est revenue sur la question de l’importance politique et théorique d’en étudier les usages et les mésusages. L’historienne américaine dénonce le fait que le genre perd son « versant critique » quand il est employé tel un synonyme de « femmes », entendues comme étant un groupe naturel, ou quand il est utilisé au sein d’un dispositif sexiste et raciste départageant entre insiders et outsiders ce qui est censé être le corps national (ou républicain)56. Depuis les années 1980, Nicole-Claude Mathieu a produit les éléments d’une cartographie visant à étudier les différents modes de conceptualisation du rapport entre sexe et genre. Ses travaux ont démontré que non seulement le concept de genre a diachroniquement eu une trajectoire sémantique, mais aussi que ses trois diverses significations – naturaliste (le sexe crée le genre), culturaliste (sexe et genre sont indépendants), antinaturaliste (le genre crée le sexe comme donnée cohérente et pertinente) – circulent synchroniquement de manière concurrentielle dans les différents champs et contextes57.

Quant à l’Église catholique, elle ne vise le genre que dans ses significations antinaturalistes (il suffit de penser que le Lexique propose une « nouvelle définition » de genre qui serait en accord avec l’« anthropologie humaine ») : d’un côté, le genre comme ensemble de rôles socialement construits et attribués aux hommes ou aux femmes et comme système de croyances dans leur naturalité ; de l’autre, le genre comme système de hiérarchisation qui produit et signifie la discontinuité et la hiérarchie entre les sexes58. Ce dernier sens – il s’agit de la théorisation la plus radicalement antinaturaliste et elle a été élaborée par Christine Delphy –, le genre (et la théorie qu’il contient et qu’il exprime), permet de penser la simultanéité de la constitution des groupes de sexe et de leur hiérarchisation et affirme la non-indépendance des groupes sociaux en présence. Hommes et femmes ne sont pas des groupes naturels mais des classes, c’est-à-dire des groupes sociaux antagonistes créés par un système d’oppression et ne lui préexistant pas. En s’opposant aux théories (antinaturalistes) du genre, l’Église catholique prouve qu’elle est bien consciente de la portée subversive du genre comme concept qui dénaturalise l’ordre sexuel en faisant voir que le genre comme structure sociale qui partage l’humanité en deux groupes hiérarchisés est sans cesse inculqué dans les automatismes du corps et du langage, dans les catégories mentales et institutionnelles et inscrit dans les divisions objectives du monde social. Employer le concept de genre permet ainsi d’étudier les arrangements sociaux qui, en inversant cause et effet, produisent « le sexe » comme étant l’origine des places différentes et hiérarchisées que les hommes et les femmes occupent au sein de la société.

Le concept de genre a été choisi par le front qui se définit « anti-gender » comme la cristallisation emblématique de toute forme d’intervention visant la dénaturalisation de l’ordre sexuel produite par les savoirs et/ou par les revendications des minorités sexuelles. Les uns comme les autres mènent une critique radicale dans l’interprétation de faits qui, considérés comme « naturels », sont socialement appréhendés comme inquestionnables, voire impensables : le statut de l’ordre sexuel, la nature des groupes de sexe, la division sociosexuée du travail, l’inégal accès des membres des deux sexes aux ressources matérielles et symboliques. En passant des sexes comme groupes naturels aux sexes comme classes produites pas des rapports sociaux, l’« entrée des minoritaires dans le domaine théorique » n’a pas généré un simple « affinement des connaissances », mais une véritable « révolution théorique »59. En ce sens, l’invention du syntagme « théorie du genre » de la part du Vatican peut être appréhendée comme une réaction politique à la prise de parole des minoritaires et, plus précisément, à la production de catégories théoriques (processus que Colette Guillaumin a appelé « les effets théoriques de la colère des opprimées60 »). Les expressions « théorie du genre » et « idéologie du genre » ainsi que le dispositif discursif à l’intérieur duquel elles fonctionnent sont des armes rhétoriques réactionnaires visant à renaturaliser l’ordre sexuel en délégitimant des théories et des luttes qui sont porteuses d’une révolution esthétique au sens fort du terme, car elle touche aux catégories de perception du monde social. Cette révolution n’aurait pas pu être imaginée ni réalisée sans un travail collectif d’élaboration théorique qui, parce qu’il produit « une formidable remise en question des “évidences”, cette forme sacrée de l’idéologie61 », ne cesse de susciter de vigoureuses résistances intellectuelles et politiques et ne demande qu’à être poursuivi avec la même radicalité.


1.Nicole-Claude Mathieu, « Quand céder n’est pas consentir : des déterminants matériels et psychiques de la conscience dominée des femmes et de quelques-unes de leurs interprétations en ethnologie » (1985), dans L’anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe, Paris, Éditions iXe, 2013, p. 121-207.

2.J’utilise la notion de « minorité » telle qu’elle a été employée par les féministes matérialistes et, notamment, par Colette Guillaumin, c’est-à-dire pour faire référence à un groupe social symboliquement et matériellement infériorisé et appréhendé comme étant un « groupe naturel », c’est-à-dire existant avant et indépendamment des rapports sociaux reliant les agents sociaux.

3.Colette Guillaumin, Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de nature, Paris, Côté-femmes, 1992.

4.En ce qui concerne le monde francophone, voir Christine Bard (dir.), Un siècle d’antiféminisme, Paris, Fayard, 1999 ; Josette Trat, Diane Lamoureux et Roland Pfefferkorn (dir.), L’autonomie des femmes en question. Antiféminismes et résistances en Amérique et en Europe, Paris, L’Harmattan, 2006 ; Anne-Marie Devreux et Diane Lamoureux (dir.), Les antiféminismes, numéro conjoint, Cahiers du genre / Recherches féministes, n° 52, 2012.

5.Michelle Perrot, dans Christine Bard (dir.), op. cit., p. 15.

6.Monique Wittig, La pensée straight, Paris, Amsterdam, 2013.

7.Voir les travaux de Denise Couture, qui depuis plus d’une décennie étudie le discours du Vatican sur l’ordre sexuel et notamment « La théologie de la femme de Jean-Paul II », dans Denise Couture (dir.), Les femmes et l’Église, Montréal, Fides, 1995, p. 63-82 et « L’antiféminisme du “nouveau féminisme” préconisé par le Saint-Siège », dans Anne-Marie Devreux et Diane Lamoureux, op. cit., p. 23-49.

8.Voir notamment Toni Anatrella, « La théorie du genre comme cheval de Troie », dans Gender : la controverse, Paris, Tequi, 2011 et Osservatorio Internazionale Cardinale Van Thuân, Quarto Rapporto sulla Dottrina sociale della Chiesa nel mondo. La colonizzazione della natura umana, Sienne, Cantagalli, 2012.

9.Christine Bard, op. cit., p. 27.

10.Voir les analyses proposées par Diane Lamoureux dans « Les nouveaux visages de l’antiféminisme en Amérique du Nord », dans Diane Lamoureux, Josette Trat, et Roland Pfefferkorn (dir.), op. cit., p. 31-50.

11.Les textes officiels du Vatican sont en ligne sur www.vatican.va.

12.Pie XII, « Discours aux dirigeantes féminines de l’Action catholique italienne » du 21 octobre 1945.

13.Gaudium et Spes sur l’Église dans le monde de ce temps, constitution pastorale issue du IIe Concile œcuménique du Vatican, 1965.

14.Voir notamment son « Allocution à l’Assemblée mondiale des organisations féminines catholique » du 29 septembre 1957.

15.Pie XII, « Discours aux époux » du 10 septembre 1941.

16.Pie XII, « Message aux femmes », 21 octobre 1945.

17.Ibid.

18.Jean XXIII, « Allocution au Congrès de la Fédération mondiale des jeunesses féminines catholiques », 23 avril 1960.

19.Paul VI, « Angelus », 30 janvier 1977.

20.Paul VI, discours du 30 mai 1965.

21.Paul VI, Octogesima Adveniens (1971). La « théologie du corps » se réfère à l’enseignement dispensé par Jean-Paul II lors de ses catéchèses du mercredi de septembre 1979 à novembre 1984 (voir La théologie du corps, l’amour humain dans le plan divin, Paris, Cerf, 2014).

22.Geneviève Médevielle, « La dignité de la femme selon l’enseignement de Jean-Paul II », intervention au colloque « Jean-Paul II : une pensée actuelle pour l’homme, l’éducation et la culture » organisé par la Fondation Jean-Paul II et la Mission d’observation du Saint-Siège auprès de l’Unesco en février 2013 [en ligne], http://www.laici.va/content/dam/laici/documenti/donna/filosofia/francois/Dignit%C3%A9%20de%20la%20femme%20selon%20JPII.pdf.

23.Voir Yves Semen, « Introduction », La théologie du corps, l’amour humain dans le plan divin, Paris, Cerf, 2014.

24.Marc Ouellet, préface à La théologie du corps, l’amour humain dans le plan divin.

25.Anna-Teresa Tymieniecka, « Karol Wojtyła, between Phenomenology and Scholasticism », dans Phenomenology World Wide : Foundations – Expanding Dynamics – Life, Kluwer Academic Publishers, 2002 ; Denise Couture, 2012, op. cit.

26.Edith Stein, La femme, Paris, Cerf/Carmel/Ad solem, 2008. Sur « l’âme de la femme », « le sens de l’être féminin » et sa « vocation », voir Sophie Binggeli, Le féminisme chez Edith Stein, Paris, Parole et silence, 2009, p. 266.

27.Ibid., p. 44. Dans une lettre du 8 août 1931, Stein affirme que « si l’âme est la forme du corps, la différence physique doit nécessairement être l’indice d’une différence psychique. La matière est là pour la forme et non l’inverse. Cela suggère même que la différence psychique est première ».

28.Ibid., p. 340.

29.Ibid., p. 162.

30.Ibid., p. 68. Sur « l’âme de la femme », « le sens de l’être féminin » et sa « vocation », voir Sophie Binggeli, op. cit.

31.De la Catéchèse sur l’amour humain à la Lettre apostolique aux femmes, en passant par la Redemptoris Mater, la Mulieris Dignitatem et l’Evangelium Vitae, la prise de parole de Jean-Paul II sur la question des femmes a scandé toute la durée de son long pontificat.Voir aussi les audiences générales de l’été 1994 : « Les femmes dans l’Évangile », « Les nombreuses possibilités d’action de la femme dans l’Église », « L’éminente grandeur de la maternité », « La maternité dans le cadre du sacerdoce universel de l’Église », « Audiences générales », dans Documentation catholique, n° 2100, 4-18 septembre 1994, p. 755-761.

32.Jean-Paul II, Mulieris Dignitatem.

33.Marie Hendrickx, « Le féminisme selon Jean-Paul II : “Aimée pour aimer à son tour” », dans Académie d’éducation et d’études sociales, Homme et femme Il les créa, Paris, François-Xavier de Guibert, 2008, p. 102.

34.Il suffit de voir l’accueil enthousiaste reçu par la « Lettre sur la collaboration entre l’homme et la femme » rédigée par Ratzinger en 2004, dont témoigne l’article de Luisa Muraro, « Se il cardinale Ratzinger fosse un mio studente », publié dans Il Manifesto du 7 août 2004.

35.Jean-Paul II, « Entrez dans l’espérance » (1994).

36.Audience « La dignité et les droits de la femme » (1980).

37.Mulieris Dignitatem ; « Le rôle de la femme à la lumière de Marie » (1995).

38.Jean-Paul II, Evangelium Vitae.

39.Giulia Galeotti et Lucetta Scaraffia, Papa Francesco e le donne, Roma, Il Sole 24 Ore e L’Osservatore Romano, 2014. Voir l’intervention de pape François du 11 avril 2014 concernant le droit des enfants à vivre dans une famille « avec un papa et une maman, capables de créer un environnement idoine à leur développement et à leur maturation affective. Grandir dans la relation avec ce qu’est la masculinité d’un père et la féminité d’une mère prépare sa maturation affective ».

40.Voir aussi l’audience du 15 avril 2015 : Bergoglio, en célébrant le « génie féminin », revient sur la question des rapports entre les sexes en expliquant que « La différence entre l’homme et la femme ne vise pas l’opposition, ou la subordination, mais la communion, l’engendrement, toujours à l’image et ressemblance de Dieu » [...] et il se demande si « ce que l’on appelle la théorie du gender n’est pas également l’expression d’une frustration et d’une résignation, qui vise à effacer la différence sexuelle parce qu’elle ne sait plus s’y confronter. Oui, nous risquons de faire un pas en arrière. L’annulation de la différence, en effet, est le problème, pas la solution » (https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/audiences/2015/documents/papa-francesco_20150415_udienza-generale.html).

41.Le genre démasqué (2011), Le genre en questions (2012), De la théorie du genre au mariage de même sexe... (2013), tous publiés par les éditions Peuple libre, maison d’édition de l’Emmanuel.

43.Les trois derniers rapports sur la doctrine sociale de l’Église ont été consacrés à la question du genre : en 2012 à l’« idéologie du gender » comme « colonisation de la nature humaine », en 2013 à « la crise juridique, autrement dit à la non justice légale » et en 2014 à « la femme dans la révolution. La révolution de la femme ». Voir Osservatorio Internazionale Cardinale Van Thuân, Rapporti sulla Dottrina sociale della Chiesa nel mondo, Sienne, Cantagalli.

44.Conseil pontifical pour la famille (2003). Voir aussi Conseil pontifical pour la famille, « Famille, mariage et “unions de fait” » (2000) ; Congrégation pour la doctrine de la foi, « Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique du couple homosexuel » (2003) ; « Lettres aux évêques sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Église et dans le monde » (2004) ; Benoît XVI, « Discours à l’occasion du “Congrès sur la femme au Vatican” » (2008) ; « Femme et homme, l’humain dans son intégralité » (2008) ; « Discours à l’occasion des vœux de Noël » (2009) ; « Rencontre avec les mouvements catholiques pour la promotion de la femme » (2009) ; « Discours à la curie romaine » (21 décembre 2012).

45.Voir Oscar Alzamora Revoredo, « “Genre” : dangers et portée de cette idéologie », dans Conseil pontifical pour la Famille, Lexique des termes ambigus et controversés, op. cit., p. 559-574 et Jutta Burgraff, « L’idéologie post-féministe du genre », dans Bulletin du Laurier, mai 2013 [en ligne], http://www.editions-lelaurier.com/newsletter/B112.pdf.

46.C’est ainsi que la notion d’homophobie joue de façon différentielle dans deux contextes juridiques, comme en France (dans les communiqués de presse de La Manif Pour Tous, on se dit non homophobe) et en Italie (on récuse violemment l’existence d’une telle catégorie). Dans le contexte italien, caractérisé par l’hégémonie du courant de la « pensée de la différence », le féminisme est présenté comme l’allié de l’Église catholique dans sa croisade contre le genre (voir Giulia Galeotti, Gender-Genere. Chi vuole negare la differenza maschio-femmina ? L’alleanza tra femminismo e Chiesa cattolica, Monopoli, VivereIn, 2010).

47.Gabriel Périès, « L’appropriation rhétorique de l’ennemi dans le discours militaire français pendant la guerre froide », Les Champs de Mars, n° 2, Paris, La Documentation française, printemps-été 1997, p. 123-138.

48.Dominique Maingueneau, Sémantique de la polémique, Lausanne, L’Âge d’homme, 1983.

49.Voir à ce propos les analyses de Roland Barthes dans « Le mythe, aujourd’hui », dans Mythologies, Paris, Seuil, 2014, p. 229 et p. 237 : « Le mythe ne cache rien et n’affiche rien : il déforme ; le mythe n’est ni un mensonge ni un aveu : c’est une inflexion. [...] Nous sommes ici au principe même du mythe : il transforme l’histoire en nature ».

50.D’un côté, les genres comme rôles (masculin ou féminin) qui seraient culturellement déterminés et attribués respectivement aux hommes et aux femmes. De l’autre, le genre comme structure sociale qui, en se plaçant au cœur d’une véritable cosmologie perceptive, partage l’humanité en deux parties asymétriques et crée le sexe comme donnée cohérente et socialement pertinente. Cette définition a été proposée dès 1989 par Christine Delphy dans son intervention au colloque « Recherches sur les femmes, recherches féministes », publiée dans Christine Delphy, L’ennemi principal (2). Penser le genre, Paris, Syllepse, 2001. Sur les différents modes de conceptualisation du rapport entre sexe et genre, voir Nicole-Claude Mathieu, op. cit.

51.Le genre serait la « dimension transcendante de la sexualité humaine [...] qui doit se conformer à l’ordre naturel déjà donné dans le corps ». CPF, 2003, p. 594.

52.Éric Fassin, « A Double-Edged Sword. Sexual Democracy, Gender Norms and Racialized Rhetoric », dans Judith Butler et Elizabeth Weed (dir.), The Question of Gender. Joan W. Scott’s Critical Feminism, Bloomington, Indiana University Press, 2011, p. 143-158.

53.Une banderole affichant ce slogan ouvrait l’un des premiers rassemblements convoqués par le collectif.

54.Sur les procédés de lissage, voir Claire Oger et Caroline Ollivier-Yaniv, « Conjurer le désordre discursif. Les procédés de “lissage” dans la fabrication du discours institutionnel », Mots, les langages du politique, n° 81, juillet 2006, p. 63-77.

55.Joan W. Scott, « Genre : Une catégorie utile d’analyse historique », dans Joan W. Scott, De l’utilité du genre, Paris, Fayard, 2012, p. 17-54.

56.Joan W. Scott, « Unanswered Questions », American Historical Review, vol. 113, no 5, 2008, p. 1422-1430 ; Joan W. Scott, « Gender : Uses and Abuses », trad. italienne dans J. W. Scott, Genere, politica, storia, Rome, Viella, p. 105-127. Sur les usages normatifs et conservateurs du genre, voir Éric Fassin, op. cit. ; Christine Delphy, « Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme », Nouvelles Questions féministes, vol. 25, no 1, 2006, p. 59-83.

57.Voir « Sexe et genre », dans Helena Hirata, Françoise Laborie, Hélène Le Doaré et Danièle Senotier (dir.), Dictionnaire critique du féminisme, Paris, PUF, 2000 et « Identité sexuelle/sexuée/de sexe ? Trois modes de conceptualisation du rapport entre sexe et genre », dans L’anatomie politique, p. 209-246.

58.Christine Delphy, op. cit., et notamment les articles « Critique de la raison naturelle » et « Penser le genre : problèmes et résistances ». Pour une étude de la théorie du genre proposée par Delphy, voir Stevi Jackson, Christine Delphy, Londres, Sage, 1996.

59.Colette Guillaumin, op. cit., p. 218.

60.Colette Guillaumin, « Femmes et théorie de la société : remarques sur les effets théoriques de la colère des opprimées » (1981), dans Colette Guillaumin, op. cit., p. 219-239.

61.Colette Guillaumin, op. cit., p. 11.