Vous m’avez non seulement demandé, madame, un conte de fées, vous avez même exigé qu’il fût fait avant mon retour à Paris ; vous m’avez de plus ordonné d’éviter toute ressemblance avec tous ceux qui paraissent depuis quelque temps. Croyez-vous, madame, qu’il soit aussi facile de vous donner un conte de fées d’un tour neuf et d’un style moins commun que celui qui semble affecté à ces sortes d’ouvrages, qu’il est aisé à Messieurs les auteurs des Étrennes de la Saint-Jean et des Oeufs de Pâques[1], d’ajouter chaque jour un nouveau chapitre à ces chefs-d’oeuvre d’esprit et de bon goût ? Quoi qu’il en soit, l’obéissance étant une vertu que votre sexe préfère peut-être à toutes les autres, je me suis mis à l’ouvrage, et je vous envoie tout ce que j’ai pu tirer de mon imagination. Vous vous apercevrez, par le ton différent qui règne dans le cours de ce petit ouvrage, que mon imagination a peu de suite et change souvent d’objet. Elle dépend si fort de ma santé et de la situation de mon esprit, que tantôt elle est triste, tantôt bizarre, quelquefois gaie, brillante ; mais, en général, toujours mal réglée, et ayant peu de suite. Par exemple, le commencement de ce conte est singulier, le récit du sultan est vif, naïvement conté, et, je crois, assez plaisant jusqu’au désenchantement de la princesse. Trop est trop. L’épisode du bonze Cérasin fournit encore un plus grand comique. Mais tout à coup arrive une description d’un temple et des différents cintres qui le composent ; cet endroit, auquel on ne s’attend pas, est, ce me semble, intéressant ; c’est, dommage qu’il ne m’ait pas été possible de faire dire tout cela à un autre qu’au sultan Misapouf, qui véritablement doit être étonné lui-même de tout ce qu’il débite de beau, et de la délicatesse des sentiments que je lui donne tout à coup. Les métamorphoses qui suivent la fin de l’enchantement de la princesse ne produisent rien de vif ni de bien piquant ; mais le sultan ayant annoncé au commencement de son histoire qu’il a été lièvre, lévrier et renard, il a bien fallu lui faire tenir sa parole. S’il ne lui est rien arrivé de plaisant sous les deux premières formes, c’est, en vérité, la faute de mon imagination. Et du peu de connaissance que j’ai de la façon de vivre et de penser de messieurs les lièvres : comme renard, il devait sans doute étaler toute la souplesse et la ruse qu’on attribue à cette espèce d’animal.
Au lieu de cela, je lui fais préférer une petite poule à une douzaine de gros dindons. Cette bévue, si peu digne d’un renard avisé, produit une catastrophe qui fait honneur à nos plus grands romans, et que le ton de ce conte ne promet sûrement pas. À l’égard de l’histoire de la sultane, je n’entreprendrai ni de la justifier ni d’en faire la critique. Elle est moins originale que celle de Misapouf ; et par là elle plaira moins à certaines gens, et sera plus du goût de beaucoup d’autres. Pour moi, je vous avouerai que j’en fais moins de cas que de celle du sultan, et que ce n’est pas ma faute si elle diffère de genre, de style, et de ton. Pourquoi est-elle venue la dernière ? Mon imagination s’est épuisée en faveur de Misapouf, et j’ai été obligé d’avoir recours à ma mémoire, pour me tirer de cette dernière histoire. Je souhaite que le tout ensemble puisse vous amuser un moment. Je serai suffisamment payé de ma peine et de mon travail. Vous trouverez sans doute que ce conte est un peu libre ; je le pense moi-même ; mais ce genre de conte étant aujourd’hui à la mode, je profite du moment, bien persuadé qu’on reviendra de ce mauvais goût, et qu’on préférera bientôt la vertu outrée de nos anciennes héroïnes de romans à la facilité de celles qu’on introduit dans nos romans modernes. Il en est de ces sortes d’ouvrages, comme des tragédies, qui ne sont pas faites pour être le tableau du siècle où l’on vit. Elles doivent peindre les hommes tels qu’ils doivent être, et non tels qu’ils sont. Ainsi ces contes peu modestes, où l’on ne se donne pas souvent la peine de mettre une gaze légère aux discours les plus libres, et où l’on voit à chaque page des jouissances finies et manquées, passeront, à coup sûr, de mode avant qu’il soit peu.
Vous serez étonnée qu’avec une pareille façon de penser je me sois livré si franchement au goût présent, et que j’aie même surpassé ceux qui m’ont précédé dans ce genre, que je désapprouve ; mais, je vous le répète, c’est moins pour me conformer à la mode que pour profiter du temps où elle est en règne, et ruiner, s’il est possible, ceux qui voudront écrire après moi sur un pareil ton. Le conte que je vous envoie est si libre et si plein de choses qui toutes ont rapport aux idées les moins honnêtes, que je crois qu’il sera difficile de rien dire de nouveau dans ce genre. Du moins je l’espère ; j’ai cependant évité tous les mots qui pourraient blesser les oreilles modestes ; tout est voilé mais la gaze est si légère que les plus faibles vues ne perdront rien du tableau.