Dypaloh. Dans un pays très ancien, que l’on disait éternel, il y avait une maison faite d’aube, de pollen et de pluie. La plaine resplendissait des reflets miroitants des argiles et des sables, et les collines alentour étaient multicolores. Des chevaux à la robe rousse, bleutée ou pommelée paissaient au pied de la sombre immensité sauvage des montagnes. C’était un pays fort et tranquille. Tout y était beau.
Abel courait. Il était seul et il courait. Après un départ pénible, il s’était mis à courir avec aisance. La route dessinait une courbe devant lui et s’élevait dans le lointain. Il n’apercevait pas le village. La vallée était grise de pluie et les dunes encore couvertes de neige. L’aube se levait. La première lueur, à peine perceptible, était apparue dans la brume, puis le soleil avait surgi dans un grand éclat de lumière qui avait transpercé les nuages. La route longeait des buissons de genièvre et de mesquite et, sous la fine croûte blanche, il pouvait entrevoir les angles et les courbes des troncs sombres ; la glace luisait, scintillait. Il courait, courait. Il voyait les chevaux dans les champs et, en contrebas, les méandres de la rivière.
Pendant un instant le soleil fut entièrement caché par les nuages, puis une éclipse se forma et une ombre dense obscurcit la terre. Abel courait. Il était nu jusqu’à la taille et ses bras et ses épaules portaient des signes tracés au charbon de bois et à la cendre. La pluie, oblique et froide, faisait des traînées et des marbrures sur sa peau. La route tournait au loin en direction du banc de pluie et Abel courait. Sous le soleil hivernal de l’aube, dans le paysage clair de cette longue vallée, il semblait presque immobile, tout petit et très seul.