I

De même que la mécanique apprend à composer forces et vitesses, moments et aires – comme fait la géométrie des longueurs, – et à calculer avec des grandeurs composées comme on calcule avec des éléments simples, ainsi faudrait-il arriver à une combinatoire des actes, des états, des certitudes, des complexes psycho-physiologiques. Une attitude prise au hasard est un complexe, et ce complexe, nous le savons, est capable de rappel simplifié dans la mémoire, de représentation par un rien, de composition avec un fait nouveau, etc...

Certainement, dans l'idée que j'ai de ces attitudes et états du vivant, est inclus le symbole, le vecteur à trouver, qui permettrait de réfléchir plus longtemps et plus nettement sur ces sujets.

Ainsi, j'ai bien du sommeil et du rêve une sorte de schéma, et ce schéma encore grossier, peu utilisable, pas utilisable régulièrement, est comme à la frontière d'une sorte de mimique du dormeur et du rêveur, et d'une image.

Précisons un peu. Je prends l'attitude, je me place dans la figure d'un dormeur. Je fais coïncider mon corps avec cette figure et je réalise un système de contacts sensibles, – je m'assure par divers mouvements partiels que cette position réalise une condition. Par exemple : un certain minimum général de tension musculaire1. Mais je réalise ceci par des forces !... Cette fixation forme une distribution d'efforts isolés, une figure de points perçus, séparés par des étendues vagues ou nulles. Je tends alors à ne permettre à une pensée que les modifications qui n'altéreront pas ce système. Je distingue ainsi quelque chose des relations étonnantes qui existent entre cette mimique générale, et l'image plus ou moins intense et projetée.

II

Et cette image est comme mue, provoquée en sens contraire du sens normal. Au lieu d'être cause, elle complète, explique comme dans le rêve. Avec cette différence que dans le rêve, on prend le rêve, effet, pour cause, et que dans la musique on ne peut le faire ; sans quoi la musique nous gouvernerait entièrement... L'obstacle qui empêche la musique de nous donner un rêve complet est la veille même, – c'est-à-dire la conservation du présent bien différent et bien séparé, – la coexistence de mondes indépendants, d'un envers et d'un endroit, avec des points de soudure finis, connus.

La Musique fait voir clairement comme une action extérieure de nature simple suffit à produire une sorte de vie complexe dans le sujet. Et cette vie artificielle plus riche que la vie normalement causée, – comme le chimiste connaît plus de corps que la nature ne lui en a donnés2.

Donc il y a plus de possibilités dans notre être nerveux que les circonstances normales moyennes n'en tirent et n'en utilisent.

Nous ne sommes pas faits exactement3.

L'artificiel en tous genres est possible quand au lieu de procéder par objets, l'esprit procède par fonctions.

... C'est là peut-être la clef des similitudes et analogies. Si A ressemble à B, c'est être autre que soi de deux façons et passer de l'une à l'autre par : être soi. Être autre que moi (connaître, sentir), c'est aussi un fonctionnement de moi.

III  MUSIQUE

La Musique montre qu'en attaquant un sens, en produisant les sensations d'un seul genre, qui n'est pas nettement spatial, – en les produisant dans un certain ordre, on me fait produire des mouvements, on me fait développer l'espace à trois ou quatre dimensions, on me communique des impressions quasi abstraites d'équilibres, de déplacements d'équilibres ; on me donne l'intuition du continu, des extrêmes, des moyennes, des émotions, même de la matière, – du désordre interne, du hasard intime chimique.

On me fait danser, souffler ; on me fait pleurer, penser ; on me fait dormir ; on me fait foudroyant, foudroyé ; on me fait lumière, ténèbres ; diminuer jusqu'au fil et au silence.

On me fait quasi tout cela ; et je ne sais si je suis le sujet ou l'objet, si je danse ou si j'assiste à la danse, si je possède ou si je suis possédé. Je suis à la fois au plus haut de la vague et au pied d'elle qui la regarde haute.

C'est cette indétermination qui est la clef de ce prestige. Il y a donc une partie séparable dans mes actes et mes émois. La musique opère cette analyse. Il y a, par elle, quelqu'un en moi qui agit ou subit et quelqu'un qui n'agit pas. D'abord toutes les fonctions du temps.

Elle est le type de la commande par l'extérieur.

Court-circuit.

Elle joue avec ce qui, (pour une grande part), définit en moi ce qui ne peut être l'objet d'un jeu.

Et par elle, je vois que le plus profond – ce qui se prétend tel, le plus chatouillant, le plus terrible, – la chose même... est maniable. Entre la chose qui est ce qu'elle est, et la chose dont la fonction est d'être autre que ce qu'elle est, il y a un intermédiaire4.

C'est cet intermédiaire, le moyen de la musique.

IV

La musique est un massage.

Substitution d'un excitant à l'excitant normal. Comme on électrise tels muscles et telle combinaison de muscles dont la contraction simultanée ne correspond à aucune émotion connue. Physionomies inédites sur l'album de Duchenne de Boulogne.

*

L'oreille est le sens préféré de l'attention. Elle garde, en quelque sorte, la frontière, du côté où la vue ne voit pas.

*

Par la musique nous subissons, et agissons les effets, et nous sommes contraints à fournir les causes.

Or, il y a plusieurs causes, pour chaque effet – dans ce domaine vivant. D'où indétermination de la musique. En général, quand nous imaginons d'agir en nous-même, les effets de nos imaginations demeurent virtuels. Les images sont précises, les émotions moins nettes, les actes esquissés à peine. Si j'imagine danser, c'est un schéma de mouvements à peine ressentis à côté de mon idée visuelle très nette d'un personnage dansant. Si j'imagine frapper, à peine mon bras est-il éveillé ; le reste du corps ne participe pas.

Mais la musique, au contraire, dessine puissamment en moi l'action et la passion, – tandis qu'elle laisse vague l'image.

V

Illusion est excitation.

Ce que l'on pense réellement quand on dit que l'âme est immortelle, peut toujours être représenté par des propositions moins ambitieuses.

À ce sujet, on peut considérer toute la métaphysique de ce genre comme infidélité, impuissance de langage, tendance à augmenter gratuitement la pensée, et en somme à recevoir de l'expression que l'on a formée plus que l'on n'a donné et dépensé en la formant.

Ce qu'il y a d'excitant dans les idées n'est pas idées ; c'est ce qui n'est point pensé, ce qui est naissant et non né, qui excite. Il faut donc des mots avec lesquels on n'en puisse jamais finir – et qui ne soient jamais identiquement annulés par une représentation quelconque : des mots Musique...

*

La musique est devenue par Richard Wagner l'appareil de jouissance métaphysique, l'agitateur et l'illusionniste, le grand moyen de déchaîner des tempêtes nulles et d'ouvrir les abîmes vides. Le monde substitué, remplacé, multiplié, accéléré, creusé, illuminé – par un système de chatouilles sur un système nerveux – comme un courant électrique donne un goût à la bouche, une fausse chaleur, etc.

Mais la « réalité » est-elle autre chose ?

VI

Artifice, simulation, sont multiplicité.

L'artifice est naturel chez tous les hommes en qui la conscience est très développée.

S'ils écrivent, leur pensée éveille d'elle-même plusieurs types d'expression. La conscience agrandie n'est en somme que multiplicité offerte au lieu de simplicité.

L'artifice s'achève par la recherche paradoxale de l'expression la plus naturelle, la plus spontanée comme résultat du choix et de l'élaboration en quantité.

Ces conscients sont donc curieux des paroles d'enfants, etc...

Toutefois, (c'est un degré plus élevé encore), ils renoncent à ces recherches.

Quand la même impression éveille en nous un géomètre, un enfant, un poète, un peintre, un philologue – une douzaine de langages et de types d'accommodations, et de séries d'actes distincts – il est bien compréhensible que l'on soit embarrassé.

VII

La Honte est un grand sujet.

Le fait primitif a dû être le blâme général contre un personnage qui, peu impressionné au début, a fini par craindre ce blâme, l'élever en lui-même au rang de fonction ; croire physiquement, que l'ensemble des autres le voyait tel qu'il était ; – et puis que ce qu'il était, tel quel, sans voile, sans mystère, était par soi seul une chose mauvaise, à la fois une faiblesse et un crime5. Il est dangereux, a priori, de paraître ce que l'on est.

Le système nerveux est Autruche. Il rougit, il se cache sous le sang, qui le fait voir6. C'est une sorte de bêtise, de naïveté physiologique. À moins que cet effet ne soit sans finalité, mais un phénomène d'équilibre, de transport compensant un fait interne.

Ce doute sur toutes les apparences émotives est général.

On peut les interpréter comme ayant, (ou ayant eu), une valeur de réponse qualitative à une demande ; – ou bien comme n'ayant qu'une nature mécanique ; et, ultérieurement, une valeur de signe.

Au lieu de rougir, on pourrait pâlir, ou suer, ou avoir envie d'uriner... ou même... mourir, l'arrêt du cœur est une réponse comme les autres.

*

Si je rougis d'avoir peur, j'ai peur de rougir.

VIII  DIFFICULTÉ DE DÉFINIR LA SIMULATION

Ce qu'est la simulation ? Ce n'est pas de prendre une figure ou de faire un acte, qui n'est pas de notre nature – mais d'une autre nature.

Cela n'a point de sens. – Qu'est-ce que notre nature ? – et d'ailleurs comment s'en départir ? Si ma nature est de simuler ?

C'est l'idée de l'inachevé de cette nature seconde qui est l'idée essentielle de simulacre.

On ne peut pas achever de ressembler. A prend de lui-même ce qu'il peut prendre de la figure de B.

Il y a donc quelque part, ou en quelque moment, un désaccord, – une coupure dans celui qui imite.

Et nous apprendrons à distinguer la soif, – manque de liquide ; et la soif, manque d'une sensation de fraîcheur. (Ce qui apaise la première n'apaise pas nécessairement la seconde ; et réciproquement.)

On pourrait généraliser : définir deux mondes qui se compénètrent, se substituent imperceptiblement, – se commandent tour à tour.

On s'éveille, ou on est réveillé, d'une simulation, – comme d'un rêve.

La personnalité pèse peu devant ces propriétés7.

Le passé, l'avenir, formes de simulation. La simulation volontaire, intentionnelle, est peu de chose auprès de la simulation ou identification inconsciente.

Même notre personne, en tant que nous en tenons compte, est une simulation. – On finit par être plus soi qu'on ne l'a jamais été. On se voit d'un trait, dans un raccourci, et l'on prend pour soi-même l'effet des actions extérieures qui ont tiré de nous tous ces traits, qui nous font un portrait.

IX

La simulation tend à une limite qui est la contradiction.

Or toute pensée étant de la nature d'une simulation, il en résulte que toute pensée pressée et poussée à l'extrême, dans le sens de sa précision, tend à une contradiction.

*

La simulation résulte d'une propriété fondamentale à savoir que : une excitation quelconque sur un système partiel sensitif donné, provoque une réponse toujours identique, – la seule que puisse fournir un système partiel. Toute excitation de la rétine donne lumière et couleur. Qu'il s'agisse de radiations, de contact matériel, d'intoxication ou congestion locale, la rétine y répond par des phénomènes lumineux. Il s'ensuit que l'on peut arbitrairement faire correspondre à ces phénomènes l'une des causes énumérées. Pour lever cette indétermination, il faut qu'aux phénomènes lumineux se joignent d'autres données.

De même, si nous pouvons simuler la colère, la souffrance, l'indifférence, etc. – c'est que le mécanisme des actes et de la mimique qui signifient extérieurement colère, souffrance, etc., peut être mû identiquement par des excitations bien diverses, – motifs de colère, causes de souffrance, volonté de simulation, courant électrique, imitation inconsciente d'un autre sujet, etc8.

X

Mimétisme.

L'émotion communiquée par le geste et l'attitude, il est bien plus difficile d'y résister qu'à celle qui parle.

L'homme est le jouet absolu de tout homme qui se modifie devant lui. Il est esclave du sang et de la couleur du sang ; du gémissement et du trouble ; de la danse présente et du vomissement.

Plus lié peut-être par les sensations qui signifient, que par celles qui ne sont qu'elles-mêmes seules.

XI

Critique du don des larmes.

Pour me tirer des pleurs il faut que vous pleuriez.

C'est plus bête que faux.

Je ne vois pas l'intérêt qu'il y a à pleurer.

Sinon le plaisir même de pleurer.

Ce plaisir de faire fonctionner artificiellement telles glandes et amener tous les mouvements annexes et connexes qui les décrochent, qui justifient, achèvent le fonctionnement.

La vieille « beauté pure » tenait à honneur d'éviter les chemins des glandes. Elle laissait glander les porcs. Produire une espèce d'émotion qui ne trouve pas sa glande ni haute ni basse, une émotion sans jus, sèche, c'était son affaire.

Si elle tirait des pleurs, c'était par ses propres moyens ; par des moyens qui n'existent pas dans l'expérience forcée de la vie : et que la vie n'a pas prévus par des organes particuliers. Personne en général n'était forcé de pleurer. Là où tout le monde doit pleurer, elle s'abstenait. Elle n'accablait que quelques-uns. Et tous les autres devaient se demander, sans pouvoir comprendre, pourquoi ceux-là pleuraient. Idée pourtant de la Communion.

Avoir des machines pour la joie, pour la tristesse, des organes de l'impuissance à soutenir une pensée, que c'est étrange ! Appareils compensateurs, évacuateurs d'une énergie laquelle correspond elle-même à des images indigestes, – insoutenables, inachevables.

Et l'effet variant avec les hommes : il y en a de durs à la détente...

XII  SIMULATEUR

Celui-ci fait des grimaces derrière mon dos. Je le prends. Alors il recommence à froid sa grimace pour me faire croire que c'était un involontaire produit naturel de son système nerveux – un tic.

Il aime mieux de paraître un peu malade que de passer pour un vilain petit garçon sous les espèces d'un monsieur.

XIII  ACCIDENT

Une tache d'encre... De cet accident je fais une figure avec un dessin dans les environs. La tache prend un rôle et une fonction dans ce contexte. Et ceci est analogue à la pensée de Pascal : « J'avais une pensée. Je l'ai oubliée : j'écris, au lieu, que je l'ai oubliée. »

L'accident est rattrapé, rédimé.

C'est ainsi qu'un homme surpris dans une grimace nerveuse qu'il faisait derrière mon dos, la conserve et l'utilise par dissimulation, en faisant l'expression avouable d'une douleur.

Et c'est ainsi qu'un poète saisit une alliance de mots, y persévère, s'y obstine et lui donne quelque valeur.

Transformation du fortuit, de l'inavouable, du honteux. Toute apparition de l'être interne au jour est honteuse, c'est-à-dire devant être ravalée, cachée brusquement, caméléonisée. On ne peut plus voir les yeux de celui qui nous a vus ou entendus. Caïn se cache. De même, le coup qu'on vient de recevoir, on veut en différer la conscience et la douleur.

XIV

On pense naturellement à supprimer l'homme qui gêne comme on pense à écarter une mouche ; à se gratter immédiatement au point cuisant.

C'est un réflexe de l'imagination, laquelle est faite pour ces solutions.

L'imagination, c'est (pour la majeure partie) une pseudo-réalité réflexe, – une vue, un monde qui est une réponse, – comme un souvenir de ce qui devrait être, ou de ce qui ne devrait pas être9.

Quelle est la vue, le « monde », qui répondrait à une excitation donnée ? – Tel est le problème. – Il faut, pour le bien saisir, le faire précéder de la notion que le monde donné, présent ou déjà connu ne contient pas (en général) cette réponse exacte.

Les choses, en tant que mues, réorganisées, refondues, refaçonnées par les besoins, (besoins inconnus, mal connus, autres que ceux bien pourvus de signes spéciaux, de forces à eux). La combinaison des représentations en quoi consiste l'imagination n'est possible que par leur réductibilité, leur simplification, leur réduction à l'état signe, c'est-à-dire acte.

L'image immédiate, qui se présente comme solution, peut être comparée à un plus court chemin dans l'espace10 nerveux figuré, – dont la trame est formée par l'ensemble des correspondances entre besoins, actes et choses. Il me semble que les lois les plus simples et les plus importantes de « l'esprit » ont trait aux potentiels et aux géodésiques de cet espace.

XV

La conscience a horreur du vide.

XVI

Le Moi fuit toute chose créée.

Il recule de négation en négation. On pourrait nommer « Univers » tout ce en quoi le Moi refuse de se reconnaître.

XVII

Le son est une propriété de l'état exceptionnel de corde tendue.

Chaque sensation est une exception ou excursion, un écart de quelque zéro.

Supposé qu'il existe un zéro absolu de la sensation, on demande si un être qui atteindrait (par l'effet de quelque circonstance) ce point de sensation nulle, l'atteindrait vivant, c'est-à-dire s'il pourrait revenir à la vie ?

XVIII

Le vague, l'hiatus, le contradictoire, le cercle – véritables constituants de tout et de chacun, substance la plus fréquente de chaque esprit.

XIX

Mon objet principal a été de me figurer aussi simplement, aussi nettement que possible, mon propre fonctionnement d'ensemble : je suis monde, corps, pensées.

Ce n'est pas un but philosophique.

La philosophie, dont j'ignore ce qu'elle est, – parle de tout – par ouï-dire. Je n'y vois point de permanence de point de vue, ni de pureté de moyens.

Rien ne peut être plus faux que le mélange (par exemple) d'observations internes et de raisonnements, si ce mélange est fait sans précautions et sans qu'on puisse toujours distinguer le calculé de l'observé ; ce qui est perçu et ce qui est déduit, – ce qui est langage et ce qui fut immédiat.

XX

Mon goût du net, du pur, du complet, du suffisant, conduit à un système de substitutions – qui reprend comme en sous-œuvre, le langage, – le remplace par une sorte d'algèbre, – et aux images essaie de substituer des figures, – réduites à leurs propriétés utiles. – Par là se fait automatiquement une unification du monde physique et du psychique.

XXI  DES DÉFINITIONS

Le travail de définir commence à la naissance.

Si à l'âge de 40 ans je veux faire une définition – cette attention implique directement un travail qui s'étend à toute mon histoire antérieure.

*

Essayer de définir le nombre, c'est essayer de se mettre au point où l'on était avant de savoir ce qu'est un nombre, et en même temps ne pas perdre ma connaissance actuelle du nombre ; et enfin, passer de ce premier état d'ignorance à ce point actuel, sans refaire tous les détours, sans s'égarer dans sa vie, sans la revivre, mais en somme remplacer le tâtonnement et l'acquisition de l'idée, suivant une moyenne d'essais, de degrés disséminés, etc., par un procédé fini, par un système d'actes strictement suffisant. – C'est un raccourci11.

XXII

Toute véritable découverte est payée par son auteur d'une diminution de l'importance de son « Moi ».

Toute personne est moindre que ce qu'elle a fait de plus beau.

XXIII

La gloire doit s'obtenir comme sous-produit.

XXIV  RELATION DU DÉSORDRE ET DU POSSIBLE

L'esprit va, dans son travail, de son désordre à son ordre. Il importe qu'il se conserve jusqu'à la fin, des ressources de désordre, et que l'ordre qu'il a commencé de se donner ne le lie pas si complètement, ne lui soit pas un si rigide maître, qu'il ne puisse le changer et user de sa liberté initiale.

XXV

Qui est en train de faire une belle œuvre aperçoit entre ses propres interstices une très belle œuvre.

L'impression de Beauté, si follement cherchée, si vainement définie, est peut-être le sentiment d'une impossibilité de variation, de changement virtuel ; un état limite tel que toute variation le rende trop sensitif d'une part, trop intellectuel de l'autre12.

Et cette frontière commune est un point d'équilibre.

XXVI

La spéculation est usage du possible. Mais ce possible dont je suis doué, comme en prévision de variations du milieu pour les compenser et y résister, – pour les attendre – les devancer même, par là doit pouvoir entrer dans l'actuel : et c'est la pensée !

Il faut donc une partie de moi dont les modalités soient indépendantes, dans une certaine mesure, de mon reste. Il ne faut pas que je sois entièrement en équilibre avec le présent.

XXVII

Ni l'éloge ni le blâme ne valent rien. Vais-je dire : Ceci est bien – cela est mal ?

Ces propos n'importent à personne, et en premier, à moi.

Que me font mon indignation, mon enthousiasme ?

Tout au plus des éléments d'erreur...

*

L'intellect est une tentative de s'éduquer en vue d'empêcher les effets de déborder infiniment les causes.

Il est donc contre le système nerveux.

Il en méprise la propriété essentielle, qui est de donner de grands effets à de petites, très petites causes.

XXVIII

Tu n'es pas fait pour voir dans tel monde. Mais, si tu t'efforces, malgré l'inutilité de la peine, si tu te plais à ces peines plus qu'à ton facile succès, – on dira que c'est orgueil, ambition étrange, – quand ce n'est peut-être que le premier essai par toi de quelqu'un qui verra ce que tu vois et ce que tu ne vois pas13.

XXIX

Mon genre d'esprit n'est pas d'apprendre d'un bout à l'autre dans les livres, mais d'y trouver seulement des germes que je cultive en moi, en vase clos. Je ne fais quelque chose qu'avec peu, et ce peu produit en moi. Si je prenais de plus amples quantités, je ne produirais rien ; davantage, je ne comprends pas ce qui est déjà développé.

XXX

Nous ne comprenons rien qu'au moyen de l'infinité limitée de modèles d'actes que nous offre notre corps en tant que nous le percevons.

Comprendre, c'est substituer à une représentation un système de fonctions nôtres, toujours comparables à un « notre corps » avec ses libertés, ses liaisons.

XXXI

Les mathématiciens travaillent à mettre au jour les mécanismes qui sont en nous, et en somme, les gênes mutuelles qui se produisent entre les intuitions et qui font que le tout dépend des parties, – qu'un tout soit déterminé non par toutes les parties, mais par quelques-unes.

XXXII

Un homme est du type intellectuel le plus prononcé lorsqu'il ne peut être content de soi que moyennant un effort « intellectuel ». – Tout ce qu'il peut accomplir et qui ne requiert pas d'effort d'attention, ne lui donne pas la sensation de valoir. Les compliments qu'on lui en fait ne le touchent pas, et il se moque intérieurement de ceux qui les lui font. Ce qui ne lui a rien coûté ne compte pas14.

XXXIII

Ce qu'on appelle invention est de la nature d'une communication.

La fécondité inventive en tous genres croît comme la possession, la perfection des moyens de communication.

Une bonne notation entraîne des inventions.

Il faut être deux pour inventer. – L'un forme des combinaisons, l'autre choisit, reconnaît ce qu'il désire et ce qui lui importe dans l'ensemble des produits du premier.

Ce qu'on appelle « génie » est bien moins l'acte de celui-là, – l'acte qui combine, – que la promptitude du second à comprendre la valeur de ce qui vient de se produire et à saisir ce produit15.

XXXIV

Un homme sans bêtise, sans bêtises, manquerait de ce modèle perpétuel et portatif du fonctionnement propre et local du cerveau. Naïvetés, stupeurs élémentaires d'un groupe, résistances insuffisantes, courts-circuits, suspens de la lumière incréée, actes hâtifs... acharnements d'oiseau contre une vitre, rires d'enfant devant le danger, se croire enfermé par une porte sans verrou16...

XXXV

La sottise est de ne pas voir ce qu'un autre voit. La faiblesse, de ne pas pouvoir ce qu'un autre peut.

Mais où personne ne voit et où personne ne peut, il n'y a ni sottise ni faiblesses possibles.

XXXVI

Il y a dans l'algèbre quelque chose de la puissance de la « nature » et elle en retire un certain élément de prestige. Je pense à la complication et à la longueur des immenses calculs, aux développements infinis. On a l'impression du travail végétal, d'une répétition qui s'étale, d'une cellule qui se subdivise.

L'algèbre seule donne cette impression. Le langage ordinaire s'arrête aux premières démarches – est incapable de se conserver dans sa suite.

L'algèbre a pour elle la figure de ses formules. Son extension combinatoire. Etc... En quoi elle est inhumaine comme la vie aveugle et proliférante est inhumaine.

XXXVII

Le travail de l'esprit considéré comme le pénible succédané d'un sommeil (puisque la solution vient en dormant, d'après beaucoup d'auteurs).

– Dormez, et vous trouverez.

Chercher n'est que se mettre en état de trouver par quelque accident ou par quelque sommeil. C'est préparer le champ de l'heureuse étincelle.

XXXVIII

La connaissance fonctionnelle du système nerveux devra réagir sur l'idée qu'on se fait de la valeur de la connaissance en général, sur la notion de la certitude, d'univers, d'homme, etc.17.

XXXIX

L'« esprit » s'arrache aux choses qui touchent le corps et sont sous les yeux. Il y retourne. Il donne à ces choses des fonctions diverses. Ainsi le même arbre est un but de mouvement ; il est un signe de souvenirs ; il est un repère de pensées qui n'ont aucun lien avec lui, un fixateur ou un distracteur, un révélateur, un interrupteur ; un réflecteur18.

Voici un philosophe qui spécule sur le monde, sur la connaissance ; il dispose de l'espace et du temps ; pense dans la plus grande généralité ; se distingue de son mieux de l'instant... mais sa pensée est au milieu d'objets et de petits incidents – de bruits, et des brusques reflets d'une fenêtre crevant de soleil qu'on ouvre en face de la sienne. Il a un goût dans la bouche et une jambe nerveuse. Il se perd et se retrouve, et se retrouve un peu différent, tantôt ne se comprenant plus ; tantôt plus éveillé.

XL

La mort est l'union de l'âme et du corps dont la conscience, l'éveil et la souffrance sont désunion.

XLI

L'homme s'imagine « exister ». Il pense, donc il est, – et cette naïve idée de se prendre pour un monde séparé, étant par soi-même, n'est possible que par négligence.

Je néglige mes sommeils, mes absences, mes profondes, longues insensibles variations.

J'oublie que je possède, dans ma propre vie, mille modèles de mort, de néants quotidiens, une quantité étonnante de lacunes, de suspens, d'intervalles inconnaissants, inconnus.

Je ne puis me concevoir absent, supprimé, ne me réveillant plus un certain jour ; je ne sais comment m'interrompre, et je ne fais que m'interrompre !

Si tu penses devoir toujours te réveiller, pense aussi devoir toujours te rendormir.

Si tu seras immortel, tu seras donc mortel. Il faut commencer par là.

XLII

À l'homme monté, tendu, clair, en pleine vigueur, il semble impossible que le même puisse cesser d'être tel.

Il croit, – et voici la foi du type le plus simple, – il croit que pour pouvoir perdre connaissance, pour « mourir », il lui faudrait d'abord devenir un autre19.

Sa vitalité lui est si présente et si nette – qu'il ne peut pressentir d'autre variation réelle de son état que dans le même ton.

Faiblir, périr, lui semblent extérieurs, – comme théoriques.

XLIII

L'homme a tiré tout ce qui le fait homme, des défectuosités de son système.

L'insuffisance d'adaptation, les troubles de son accommodation, l'obligation de subir ce qu'il a appelé irrationnel.

Il les a sacrés, il y a vu la « mélancolie », l'indice d'un âge d'or disparu, ou le pressentiment de la divinité et la promesse.

Toute émotion, tout sentiment est une marque de défaut de construction ou d'adaptation. Choc non compensé. Manque de ressorts ou leur altération.

Ajouter à cela l'adaptation artificielle – développement de la conscience et de l'intelligence.

Quelle étrange conséquence. La recherche de l'émotion, la fabrication de l'émotion ; chercher à faire perdre la tête, à troubler, à renverser...

Et encore : pourquoi y a-t-il des émotions physiologiques (sans quoi la nature se perdrait) ? Nécessité de perdre l'esprit, ou de voir partialement ou de former un monde fantastique, – sans quoi le monde finirait ! – Amour.

Les fonctions finies conscientes contre la vie.

La non-adaptation finale...

XLIV

Spécialité du moi.

Ce que je me dis, – ce que je me crie, – je ne veux point qu'un autre me le dise. – Je souffre, je m'évanouis s'il me dit cette même pensée...

Pourquoi, comment cette asymétrie, et cette différence de traitement ? Pourquoi souffrir de moi ce qui passe mes forces s'il vient de tes lèvres ?

Et pourquoi je supporte le cri de la craie contre la vitre, si c'est moi qui la presse sur le verre, – (et même je ris de ta grimace), – et pourquoi le même grincement m'est odieux s'il vient de ton acte ?

Pourquoi l'on ne peut se chatouiller soi-même et se rendre fou de ses chatouilles ?

On pourrait donner à ceci une réponse facile en disant que l'effet est dans la surprise et que l'on ne peut se surprendre soi-même volontairement. Mieux vaut laisser la question sans réponse.

XLV

Un homme n'est qu'un poste d'observation perdu dans l'étrangeté.

Tout à coup, il s'avise d'être plongé dans le non-sens, dans l'incommensurable, dans l'irrationnel ; et toute chose lui apparaît infiniment étrangère, arbitraire, inassimilable. Sa main devant lui lui semble monstrueuse. – On devrait dire : l'Étrange, – comme on dit l'Espace, le Temps, etc.

C'est que je considère cet état proche de la stupeur comme un point singulier et initial de la connaissance. Il est le zéro absolu de la Reconnaissance.

La pathologie de l'esprit et celle du système nerveux sont pleines d'exemples des altérations de cette reconnaissance, que les diverses lésions savent parfois disséquer et dont elles isolent les éléments.

La philosophie et les arts, – disons même la pensée en général – vivent des mouvements qui s'effectuent entre connaissance et re-connaissance.

La mystique est... la Musique de ce domaine.

XLVI

L'homme dit au dieu : Il faut me détruire ou me satisfaire.

Cette pensée lui semble si juste qu'il la fait dire par le dieu sous cette forme : Il te faut me satisfaire ou être détruit... Plus que détruit !

XLVII

Un problème n'est réellement résolu que si la réponse qu'on a trouvée a d'autres propriétés encore que celle de servir de réponse : l'existence de Dieu serait très fortifiée si on pouvait donner à Dieu d'autres emplois, et lui trouver d'autres aspects que ceux attenant à la Création. Mais on ne sait pas ce qu'il fait en dehors de nous, et c'est ce en quoi il ne nous touche en rien, qui établirait son existence.

Mais que peut faire un dieu d'autre chose qu'un « monde » ?

XLVIII

Sans les religions, les sciences n'eussent pas existé, car la tête humaine n'aurait pas été habituée à s'écarter de l'apparence immédiate et constante qui lui définit la réalité.

XLIX

Que la « vie intérieure » n'est pas ce que l'on croit.

Ineffables.

Les mystiques, ces profonds égoïstes. Ils en perdent la parole – ineffabilité – il ne leur sort que les soupirs et les exclamations de leur jouissance. Les mots puérils d'amoureux.

Peut-être cette « vie intérieure » devrait-elle s'interpréter de plusieurs façons également légitimes et profondément différentes les unes des autres...

C'est en quoi elle serait véritablement digne d'intérêt, – profonde, – et un peu plus qu'intérieure – disons : supérieure20.

L

La théologie joue avec la « vérité » comme un chat avec une souris.

LI

Ce n'est pas réfuter loyalement un système que de ne pas réfuter en même temps tous les systèmes infiniment voisins.

*

S'il s'en faut d'infiniment peu qu'une doctrine soit solide, si une modification très petite suffisait à la rendre incontestable, la critique qu'on en ferait en exploitant cette petite imperfection, serait abusive, personnelle, mesquine ; mais le beau jeu serait d'attribuer à une pure inadvertance de l'auteur, ce rien qui peut servir à un petit esprit de prétexte pour abîmer son ouvrage.

LII  MON CORPS

Ce « mon corps » occupe un volume. Mais il semble qu'à l'intérieur de ce volume règne une connexion singulière.

Les distances intérieures ne sont pas de même espèce que les distances ordinaires.

Sensations, mouvements locaux ne semblent pas, quoique localisés, – être à des points différents par la distance.

La distance de deux points du corps pris au hasard n'a pas de sens.

La distance de deux points dont le contact naturel ne peut advenir, et qui n'ont pas de relations singulières, n'existe pas21.

Le loin et le près sont aussi très particuliers. Un membre éloigné semble obéir sans intermédiaire, et être par là, plus proche qu'un lieu non éloigné non docile ou non mobile.

LIII

Dans les distances corporelles intérieures on trouve que l'ordre d'éloignement des parties du corps se compose avec la mobilité de ces parties, – et avec les temps nécessaires pour les mettre en mouvement. Le plus mobile est l'œil.

On pourrait classer ainsi, (grossièrement), œil, doigts de main, langue et mâchoire inférieure, tête, doigts de pied, main, avant-bras, pieds, membres inférieurs, lombes, torse, épaules, ceci très grossier – et variable.

Mesure de la mobilité ?

Cette mobilité est très composée. Elle tient à l'innervation, à la musculature et à ses insertions – à la masse, au moment d'inertie de la partie, à la situation du corps, au degré d'éveil ; aussi à la phase, c'est-à-dire aux états antérieurs immédiats.

LIV

Le corps est une masse ou un espace, pénétré de sensibilité comme une pierre est veinée de fer, ou comme une éponge est pénétrée d'eau : pénétrée de volonté d'une façon moins subtile. Sensibilité et volonté laissant entre les réseaux où elles existent, des parties insensibles et inertes, de grandeur limitée par la subtilité de leurs divisions.

Il y a des régions où vouloir n'a pas d'existence, et qui sont purement locales. La grandeur de ces régions est remarquable par rapport à notre connaissance et possession de nous-mêmes22.

Analogie curieuse. La pensée aussi comprend des réserves qu'elle ne peut pénétrer. Il y a des distinctions qu'elle échoue à approfondir, des temps qu'elle ne divise pas. Elle pénètre quelque chose, mais jusqu'à un certain degré.

LV

La substance de notre corps n'est pas à notre échelle. Les phénomènes les plus importants pour nous, notre vie, notre sensibilité, notre pensée sont liés intimement à des événements plus petits que les plus petits phénomènes accessibles à nos sens, maniables par nos actes. Nous ne pouvons pas intervenir directement et en voyant ce que nous faisons. La médecine est intervention indirecte – et d'ailleurs les autres arts.

Dans cette petitesse, nos actes concevables n'ont plus de sens.

Le système nerveux, entre autres propriétés ou fonctions, a celle de lier des ordres de grandeur très différents. Par exemple : Il relie ce qui appartient au chimiste à ce qui appartient au mécanicien.

La physique considère aujourd'hui des masses d'une telle petitesse que la lumière même n'a rien à faire avec elles. Les images que nous nous en faisons n'ont et ne peuvent avoir aucun rapport avec ce qu'elles prétendent représenter. La notion de forme n'a aucun sens à leur égard, est entièrement étrangère à des objets si menus que l'on n'en peut même concevoir le grossissement, – lequel suppose l'existence de la similitude.

LVI  ESPACE BUCCAL

Comme la bouche est curieusement sensible, donne un mélange de fortes pressions, de tractions contrariées, d'obstacles et de corps durs interposés, de goûts et saveurs, de touchers humides et de glissements, de présences étranges, – de même la sensation d'ensemble de tout le corps et les mouvements de l'attention dans le corps, comme celui de la langue qui tâtonne et travaille dans son antre...

LVII

Deux hommes de vigueur musculaire très inégale ont cependant la même conception de l'espace. Et pour qu'il en soit ainsi, il faut donc que le système musculaire propre et le système qui le commande et sur lequel revient l'expérience, diffèrent nettement.

Je n'apprends autre chose, en déplaçant une masse, que n'en peut apprendre celui qui peut déplacer une masse trois fois plus grande.

LVIII  ORDRE, DÉSORDRE ET SOI

J'ai retrouvé ce cahier. Il n'était pas égaré. Bien au contraire ; mais si bien rangé que je ne me reconnaissais plus. Il était sorti de mes voies. J'avais perdu mon fil conducteur, mon « désordre ». Mais désordre propre, et personnel, et familier.

Pour ne pas les égarer, mets les choses toujours où tu les mettrais spontanément. On n'oublie pas ce qu'on ferait toujours.

Le désordre réel est le dérangement de cette espèce de règle, la dérogation à la fréquence. C'est mettre les choses à une place réfléchie laborieusement, – ou trouvée enfin après tâtonnements, combinaisons, déviations ou éloignements successifs de la tendance, comme une découverte, un nouveau Monde, une solution rare...

Alors, pour retrouver l'objet, je suis obligé de retrouver une certaine réflexion où rien ne me reconduit.

Mais s'il fut placé sans recherche, il me suffit de me retrouver moi-même, en bloc et en gros – c'est-à-dire il me suffit d'être.

Si ta règle est le désordre, tu paieras d'avoir mis de l'ordre.

Suis ta règle.

LIX

L'homme angoissé n'ose bouger – ni son corps ni sa pensée, comme l'homme dans un bain sentirait le froid s'il remuait dans l'eau. Celui-là sentirait sa peur.

Le mouvement rend la sensibilité plus vive. Après un choc, on n'ose bouger. C'est un nexus étrange où les idées, les mouvements, la variation de la sensibilité se brouillent curieusement.

LX  BRUSQUES CHANGEMENTS D'UNE MÊME CHOSE

Il y a parfois d'étranges, et brusques arrêts sur une idée, souvenir, coin de meuble. Tout à coup on croit voir pour la première fois, ce que l'on a vu mille fois ; ou l'on perçoit l'arrivée à maturité, – la puberté – d'une impression.

Une idée paraît dans sa force plus que réelle ; et cependant on y avait pensé bien des fois auparavant, et même de près, même avec ralentissement, même avec soin ; – mais cette fois, elle est comme tangible. Ce visage me regarde. De même, il arrive que l'on comprenne longtemps après coup, quelque chose : une intention, un texte, une personne, – soi-même. – On trouve la signification d'un regard qui nous fut adressé il y a vingt ans par un être qui a disparu : et les sens d'une phrase ; et la beauté d'un vers que nous savons par cœur depuis l'enfance.

Ainsi le grain de blé, retrouvé dans son hypogée, germe, dit-on, après trois mille ans d'un sec sommeil.

LXI  COLÈRE SURMONTÉE

Au milieu d'un monologue terrible, interne, toute la justice personnelle debout, l'œil fixe, la colère et le dépit de tout, la vue de la vengeance sur soi-même, (car c'est immoler le monde entier), – au milieu de ces réponses effrayantes, de ces ordres de tyran, de ces dégoûts et de ces mots de juge coupable, de ces images rebondissantes – un éveil survient, qui en surprend la niaise mécanique, qui écoute ces grosses bêtises horrifiques, ces clameurs et ces drames, et moque et siffle la fureur, – et la renvoie à... la nature, aux bêtes, aux tempêtes...

Il y a donc une sorte de mouvement, un mouvement soudain pour sortir de ce moi qui vient d'être, et pour former un moi capable du moi passionné antérieur, – qui voie ce qui voyait, et juge ce qui jugeait.

Ce mouvement créé dans l'être qui ne se possédait plus, par les heurts, les surprises, les flagrants délits de bêtise où l'on se prend, par l'écho de sa voix, – ce mouvement créateur d'une conscience et d'un degré de conscience plus élevé, il est toutefois lui-même un réflexe.

LXII

Le détail entre dans ma chair. Je sens chaque dent de la scie.

Ce que l'esprit a épuisé, parcouru d'un éclair, il faut que la lourde machine, la lente bête entière du monde en transformation le répète dans mes sens, – l'épèle – le réalise – avec toutes ses minutes, ses secondes et ses seizièmes de secondes psychologiques, avec sa marche de front et en profondeur, avec toute la minutieuse harmonie des moyennes ; – il faut que les tendances plus pressées s'arrêtent pour attendre les autres ; il faut que les éléments séparés et indépendants qui font ce tout, – respectant grossièrement la figure générale ; que les chocs, les mélanges s'arrangent... Et moi, sur mon fil spécial, dix fois allé au bout, dix fois revenu – je vibre entre ce lent réel et cet extrême, je vibre d'impatience, atome dans une flamme et j'émets cette radiation propre que j'écris ici.

LXIII

Cette barre de fenêtre, ce plan poli d'une vitre, où le front s'appuie, accessoires de l'être, décor, système entre lesquels les pensées et les impressions se meuvent.

LXIV

L'animal compliqué. Il met l'amour sur un piédestal. La mort sur un autre. Sur le plus haut, il met ce qu'il ne sait pas et ne peut savoir, et qui n'a même point de sens.

C'est ajouter un monde à l'autre. Nous sommes par nature condamnés à vivre dans l'imaginaire, et dans ce qui ne peut être complété.

Et c'est vivre.

LXV

Le rêve est le phénomène que nous n'observons que pendant son absence. Le verbe rêver n'a presque pas de « présent23 ».

LXVI

Le rêve montre que la conscience est compatible avec le désordre, que des éléments de conscience existent indépendamment de leur sens, que ce sens est une réponse qui peut consister en de nouveaux éléments formant avec les premiers une suite divergente, les premiers étant abolis et remplacés, ou bien étant composés avec les suivants sans restriction et sans limite24...

Quand mon doigt suit le bord de la table ronde, il doit finir par repasser au point de départ. Mais non dans un rêve.

Le réel peut sans doute être mis sous forme de postulats indépendants, more geometrico. Cela fait : abolir un, deux postulats – c'est le rêve.

Ce groupement de postulats contient essentiellement le temps, – je veux dire les substitutions successives. – Le réel ne peut se concevoir instantané, (d'ailleurs notre sentiment musculaire n'existe pas dans l'instant).

À la lueur d'un éclair, ce qu'on voit est rêve – ou réalité ? – Il y a indétermination. Il faut pour le réel un recoupement de la conscience. Dès que cette opération est oblitérée, je suis à la merci de mes productions25.

LXVII

Lorsque je dis : je vois telle chose, ce n'est pas une équation entre je et la chose, que je note ainsi ; c'est une égalité.

Mais dans le rêve il y a équation. Les choses que je vois me voient autant que je les vois. Ce que je vois alors m'explique en quelque manière, m'exprime – cela est organisé par moi, au lieu que je sois organisé par lui comme dans la veille26.

LXVIII  CAUCHEMAR

Le cauchemar, ce rêve impuissant à rompre l'enchantement, cette image enterrée vive, – s'élève jusqu'à la précision la plus affreuse, à la netteté du réel – Cette netteté marque l'effort désespéré.

Comme le désespéré de la veille cherche le sommeil absolu, celui du sommeil cherche l'éveil.

Comme l'homme englouti se débat désespérément contre l'eau pour venir à l'air, les mauvais rêves engendrent les actes désordonnés de la mémoire. L'eau qui étouffe, ce sont les actions cachées des gênes du fonctionnement organique. Le sol qui lui manque pour y appliquer ses forces, – à cause de quoi il les disperse et les consume en vain dans toutes les directions de l'espace, – c'est la localisation et la détermination de ces impressions qui le tourmentent au travers d'un voile.

Le rêveur, dont le rêve se prolongerait, se dépenserait, – déchargerait à la fin toute sa ressource mentale dans le vide ; rayonnerait toutes ses possibilités dans ce vide.

LXIX  ANALYSE INTERNE

Il y a des objections contre l'analyse interne.

Ces objections peuvent se résumer ainsi :

Les choses perçues « en moi » ne sont pas fonctions continues de mon attention. Il y a une discontinuité, peut-être alternante, et il s'introduit des figures nouvelles à chaque insistance du regard.

Plus je fixe, plus je déforme ; ou plutôt, plus je change d'objet.

Passant du vague au net, je ne me borne pas à changer d'approximation ; je change d'objet.

Préciser une pensée, c'est former une autre pensée qui peut différer de la première, d'une différence indéterminée.

De plus, ce passage n'est pas uniforme. Je ne suis pas certain que, précisant deux fois le même état initial, j'aboutisse à un même état Nme, ou du moins j'emprunte le même chemin passant par cet état Nme.

D'autre part, je ne puis même dire que ces choses soient fonction de mon attention, ou mon attention fonction d'elles. Je ne démêle pas nettement la part des choses de celle des forces et de la durée. Dans les phases de veille, la distinction semble nette, et cette distinction entre dans l'impression de réalité. Au contraire dans les phases de mélange (sommeil naissant, etc.), la réciprocité entre le regard et l'objet, leur équilibre réversible, semble bien s'installer.

LXX

À la place de chaque homme, avec les mêmes matériaux de chair et d'esprit, plusieurs « personnalités » sont possibles, parfois coexistent, plus ou moins égales. – Parfois périodiquement.

Les unes plus grossières que les autres – plus primitives – plus maladroites. Parfois une personne enfantine redevient dans la peau d'un quadragénaire. On se croit le même. Il n'y a pas de même.

Nous croyons que nous aurions pu, à partir de l'enfance, devenir un autre personnage, avoir eu une autre histoire. – On se voit bien différent. Mais cette possibilité de groupements de mêmes éléments de plusieurs manières persiste, – et c'est une critique-du-temps.

Il n'y a pas de temps perdu, réellement écoulé tant que ces autres personnes sont possibles.

Et d'ailleurs ma personnalité, – ma fréquence d'être un tel, avec toute sa variété, est comparable à un souvenir. Elle peut s'abîmer comme un souvenir, et telle autre revenir comme un souvenir.

C'est comme une mémoire de second ordre.

LXXI  ILLUSION DES SENS HALLUCINATION

Je demande si on a observé des contre-hallucinations... c'est-à-dire des non-perceptions de tel objet... c'est-à-dire la vision de ce qu'on verrait si tel objet n'était pas là ?

Et aussi : Y a-t-il des hallucinations dynamiques ? quelqu'un a-t-il frappé un coup de poing dans le vide et ressenti ce qu'il eût ressenti s'il eût heurté une table ?

LXXII

Le sot est un rudiment. Il montre des lois trop simples de combinaisons mentales.

L'homme de génie fait pressentir son édifice extrêmement composé. La simplicité dans les résultats, leur netteté, leur généralité, demandent elles-mêmes la collaboration de toute une profondeur vivante, et d'un nombre immense d'éléments indépendants.

Cette complexité agissante et non visible permet seule à la pensée de ne pas s'égarer à chaque tournant, de se prévoir et d'être tout autre qu'une réponse instantanée, transformée de la demande même, et non une réponse de l'objet de la demande.

LXXIII

Les contradictions peuvent passer inaperçues. L'homme peut sans même les soupçonner, les porter en soi, et en croire les termes compatibles ou indépendants. Mais elles sont, et l'on dirait qu'elles travaillent d'elles-mêmes.

LXXIV  ÂGE DE GLACE

L'âge froid vient, et est contraint de subir ce qui a été construit, pétri, arrêté, par l'âge de feu, et de se priver malgré soi de ce qui a été renoncé volontairement à l'âge de feu. L'homme mûr se loge dans la coque d'un homme jeune qui a disparu.

Entre les deux âges, une époque de lutte et de gêne. L'ambition est le sentiment de la prévoyance. Un peu plus d'argent, un peu plus de puissance, et les honneurs, pour compenser ce qui s'affaiblit, ce qui tombe, ce qui s'obscurcit, ce qui s'endort, ce qui se dessèche27...

LXXV

Le cerveau s'imagine soi-même comme un étrange repli dans l'étoffe des choses. Il lui faut être doué de propriétés contradictoires en apparence, comme d'appartenir à la suite et de n'y point appartenir entièrement. Les mots : « devancer, attendre, prévoir, se préparer à, différer », nous sont propres et sans emploi que pour nous.

LXXVI  NÉBULEUSE LAPLACIENNE

Mais quelle rotation a détaché la sensibilité de l'être ; et la conscience connaissante de la sensibilité ?

Si cette conscience est un édifice dans la sensibilité ?

Quand on s'éveille.

Quand on s'endort.

LXXVII

Pensée est la chose qui est en même temps autre chose que soi ; et qui l'est toujours.

Et quand elle se pense elle-même, elle ne se reconnaît pas ; et dit alors qu'elle se connaît.

Et en effet, si elle essaye de se saisir, elle trouve du nouveau, et elle appelle se connaître : percevoir de l'inconnu, du surprenant, du neuf, dans le connu même, par le connu même, en tant que connaissance.

Je me connais en tant que j'arrive à m'étonner moi-même, à me trouver inconnu, à me percevoir c'est-à-dire à me diviser de moi.

Je ne prends plus une image pour un objet, ni un pincement secret pour un avertissement mystérieux. Je sens que tout phénomène m'est extérieur ; et le plus profond – peut-être, – le plus extérieur.

Dans ce monde, la différence de phénomènes est un phénomène.

LXXVIII

Qu'est-ce qu'un moment – un éclair ? Sinon précisément ce qui accumulé ne saurait composer un temps : le contraire d'une durée, non son élément.

LXXIX  ATTENTE ET VALEUR DE L'INATTENDU

C'est l'imprévu, le discontinu, la forme de réel et d'être à laquelle on n'aurait jamais pensé, – qui font le charme et la force de l'observation et des expériences.

On croyait contempler ou pressentir les solutions possibles, et il y en a une autre...

LXXX

Discussion métaphysique. Si l'espace est fini, si les figures semblables sont possibles, si etc.

Ces disputes, de plus en plus serrées, ont le passionnant et les conséquences nulles d'une partie d'échecs.

À la fin, rien n'est plus – sinon que A est plus fort joueur que B.

*

Parfois il en ressort aussi qu'il ne faut pas jouer tel coup désormais. On se ferait battre.

Ou qu'il faut prendre telle précaution...

LXXXI  PROFONDEUR

Profondes, insignifiantes, et d'autant plus insignifiantes que plus profondes, ces recherches qui ne cherchent que leurs limites.

Il n'y a que les choses superficielles qui puissent ne pas être insignifiantes. Ce qui est profond n'a point de sens ni de conséquence.

La vie n'exige aucune profondeur. Au contraire !

*

Profond est (par définition) ce qui est éloigné de la connaissance.

Superficiel, ce qui est conforme à la connaissance aisée et rapide.

– L'obscurité est profonde, dit l'Œil.

– Profond est le silence, dit l'Oreille.

Ce qui n'est pas – est le profond de ce qui est...

Mais, (puisque nous jouons sur ce mot, divisons-le...) distinguons deux profondeurs.

L'une, pour y placer les objets que nous croyons que notre esprit saisirait par un simple accroissement de ses puissances connues, – durée d'attention, – persistance des impressions, – nombre des actes indépendants ou opérations, ou des données simultanées, etc.

L'autre, pour domaine et dimension des choses que nous croyons exister, mais ne pouvoir être perçues que par une connaissance douée de propriétés non semblables, non homogènes à celles de la nôtre. Cette profondeur est le lieu d'objets inconnus d'une connaissance inconnue...

LXXXII

Je ne déteste pas ces questions dont l'intérêt est aussi grand, l'importance aussi faible qu'on le voudra.

Il y a de ces jeux de l'esprit qui l'approfondissent, l'amenuisent, l'apprivoisent à la complication et aux prolongements des conceptions ; et qui s'emparent profondément de lui, le tourmentent, l'enchaînent ; mais n'ayant aucune conséquence extérieure, aucune importance directe, il s'y peut livrer librement et en développer les difficultés symétriquement, et par ordre28.

LXXXIII

La métaphysique consiste à faire semblant de penser A tandis que l'on pense B, et que l'on opère sur B.

Avec les philosophes il ne faut jamais craindre de ne pas comprendre. Il faut craindre énormément de comprendre.

Mais il faut chercher à les comprendre, eux.

Quand un philosophe pense à l'Être, il prend une certaine configuration à demi visible, à demi cachée. Cette configuration ne doit point paraître dans sa pensée.

*

Croire à X, c'est faire que X ne dépende que de moi.

Ne pas croire à X, c'est voir que X dépend de conditions non données ou non réalisées, et auxquelles je ne puis ou ne sais suppléer.

LXXXIV

Le réel ne peut s'exprimer que par l'absurde.

N'est-ce pas toute la mystique et la moitié de la métaphysique que je viens d'écrire ?

En vérité, qui veut concevoir le moindre phénomène chimique ou physique, s'il s'efforce de ne pas y introduire ces opérations finies, nettes, comme de séparer une masse, de discerner le volume, de la structure ; celle-ci, du poids, etc., de distinguer le temps, du changement ; la vitesse, de l'accélération ; le corps, de sa position ; les forces, de la nature et de la situation, etc. s'il peut encore concevoir quelque chose, – c'est un rêve qu'il aborde et explore.

Et pour une certaine division trop fine ou attention trop poussée, les choses perdent leur sens. On dépasse un certain « optimum » de la compréhension, ou de la relation possible entre l'homme et ses propriétés ; l'homme tel que nous nous sentons et nous connaissons l'être, ne pourrait plus exister, être conçu dans ce petit domaine étrange où pourtant sa vision pénètre. On voit, mais on a perdu ses notions à la porte. Ce qu'on voit est indubitable et inconcevable. La partie et le tout ne communiquent plus.

Ceci est général : en logique, au microscope, dans le rêve, dans la profonde méditation, dans les états horriblement détaillés de douleur, d'anxiété.

 

L'optimum ne comporte pas ces « agrandissements » des durées ni des angles de vue29.

LXXXV  RELATION

L'être mystique est transformable directement en être « immoral ».

L'être moral est défini par l'existence et la pression d'une règle (quelconque) d'origine étrangère à lui : – le « devoir » doit être une règle sans charmes, et qui n'est plus elle-même si on lui en trouve.

Il lui est essentiel qu'elle soit une gêne et excite la répugnance30.

L'être moral se meut comme le chien vient au fouet. S'il venait en gambadant, ce serait un autre être, et la moralité ne serait plus en lui. Le dressage ne doit donc pas réussir au point de renverser les valeurs ; car le comble de dressage ainsi atteint exclut le mérite. La mauvaise humeur est un ingrédient nécessaire du mérite.

Mais un mystique, un être capable d'aller en chantant aux supplices, est, par là même, tout aussi capable d'aller au péché le plus noir, le plus délicieux, – avec des larmes trop chaudes. Il est grave de classer toutes choses selon les sensations qu'elles donnent. L'un placera Dieu à l'infini, mais l'autre y mettra autre chose. Ce sera parfois le même, et le passage de lui à lui, l'affaire d'un instant.

LXXXVI  MONTRE EN MAIN

Il n'y aurait qu'à attendre pour voir le sceptique se changer en croyant ; le croyant en sceptique, le classique en fauve, et réciproquement. Affaire de patience.

LXXXVII  L'ÊTRE ET LE SAVOIR

« Savoir », ce n'est jamais qu'un degré. – Un degré pour être.

Il n'est de véritable savoir que celui qui peut se changer en être et en substance d'être, – c.à.d. en acte.

Les connaissances les plus vaines sont celles qui se réduisent en pures paroles et qui ne peuvent sortir de ce cycle verbal.

LXXXVIII

Quelle que soit la valeur, la puissance de pénétration d'une explication, c'est encore et encore la chose à expliquer qui est la plus réelle, – et parmi sa réalité, figure précisément ce mystère que l'on a voulu dissiper.

LXXXIX

Toute psychologie – en ce qui concerne les valeurs de l'intellect, – se réduit à ceci :

ce qui me vient à l'esprit ;

ce que je cherche à faire venir à mon esprit ;

ce que je rejette et raye de l'avenir de mon esprit.

XC

Nous n'en sommes pas encore au moment où la psychologie peut avoir à faire à la logique. Il s'en faut ! La logique ne peut jouer qu'à partir du moment où les définitions sont bien arrêtées, où elles sont exprimées définitivement en concepts. Le jeu ne peut commencer qu'après les conventions arrêtées.

XCI  OBJET DE LA PSYCHOLOGIE

L'objet de la psychologie est de nous donner une idée toute autre des choses que nous connaissons le mieux.

Arriver à s'étonner des habitudes ; à considérer la surprise comme probable

Se faire une image des relations d'images ; définir nos images par des relations...

Se faire du Moi un non-Moi ; et rapporter à un Moi tout le non-Moi –

Toutes les Danaïdes au travail !

XCII  MONDE PSYCHIQUE

Essaie de concevoir un monde étrange où l'approche, la prévision du phénomène, a tous les effets du phénomène : – où les hasards redeviennent comme mus désormais dans une loi : où l'improbable devient, par une conséquence de sa production une seule fois, le probable...

*

On ne peut se figurer assez nettement le système psychique, et sa singularité, que par une comparaison constante avec le monde de la physique. J'entends une comparaison fine – c'est-à-dire en essayant d'adapter par analogie les concepts de la physique, son langage, et ses analyses aux faits psychologiques.

Alors, des propositions physiques, les unes sont affirmées, les autres niées du monde psychique (mais sous réserve de la possibilité de comparaison, naturellement).

Surtout, ne pas vouloir que les résultats de ce rapprochement soient ceux que l'on désire.

 

Les réactions négatives sont encore plus remarquables que les positives31.

XCIII

Aujourd'hui, 17 mars 191., je fais profiter un petit travail poétique de l'excitation provoquée par un scandale public, par les cris des aboyeurs de journaux.

Ce virement de crédits nerveux est un fait général. Un problème de géométrie profite d'une colère. Un bonheur intellectuel fait que le mendiant soit bien reçu.

Le reflet énergétique d'une émotion va éclairer une idée très éloignée. C'est un échange perpétuel, essentiel.

Mais la dépression se transporte de la même manière.

Croire à une chose c'est pouvoir ou devoir ajouter à l'idée de cette chose une force, une capacité de résister et de faire agir, extérieure à cette chose même. Une énergie d'emprunt32.

XCIV  DURÉE

1. En songeant aux éléments de durée d'un ouvrage, je retrouve cette pensée : les impressions et leurs suites ont pour tendance générale de provoquer quelque acte qui les annule : j'ai faim, – je mange, je n'ai plus faim.

2. Mais pour certaines impressions, l'acte qu'elles provoquent et qui tend à les annuler, les renouvelle et les exaspère. Ainsi : je suis gratté, je me gratte, mais le passage du passif à l'actif n'est que de rien. Et je suis forcé de me substituer à la cause de mon prurit. C'est un cercle. Pour certaines autres impressions, il n'y a pas d'acte qui s'y oppose directement, je n'ai pas de main qui atteigne au fond de ma gorge, qui puisse décharger mon estomac, etc. Alors des efforts désordonnés, violents, surabondants, ou bien la distraction, la multiplicité d'autres impressions me soulagent quand il est possible.

3. Un ouvrage donne une impression. Si elle est définissable et classable, elle est finie. On s'en défera par un acte classificateur. Mais s'il faut pour sa durée, et pour atteindre une certaine intensité et un certain effet esthétique, qu'il hante la mémoire, qu'il ne soit pas résumable, ni facile à définir ; qu'il n'y ait pas d'acte qui le satisfasse, – trouver les conditions de cet ouvrage et les assembler dans le réel, c'est ce qu'on appelle la magie, la beauté, etc.33.

La musique ici est l'exemple typique : obsession34.

4. Il y a un type de durée qui est tel que la durée soit déterminée par le seul temps de l'acte-détente ; – un autre qui est de la nature d'un empêchement : un autre qui est diffusion, nombre d'événements en tous sens.

XCV

Ni sur la mémoire, ni sur la pesanteur, pas même d'hypothèses. J'entends : d'hypothèses utiles, c'est-à-dire qui suggèrent quelque mode d'agir sur ces liaisons.

XCVI

Les impressions ou sensations de l'homme prises telles quelles, n'ont rien d'humain.

Elles sont de l'ordre d'une surprise – d'une insuffisance de l'humain. Nous pouvons – mais non toujours – rechercher cette mise en défaut – rattraper ce qui vient d'être – à l'état informe.

Et ceci est la racine de la mémoire.

Le souvenir est (de ce point de vue primitif), un fait élémentaire qui tend à nous donner le temps d'organisation qui nous a manqué d'abord. Ce temps est celui que j'appelle de seconde espèce. La durée (perçue) est l'effort qu'il faudrait faire pour maintenir à l'état réversible, en état d'équilibre, le système formé de demandes extérieures et de réponses exactes.

Durée d'un phénomène – grandeur qui mesure intensivement et inutilement l'ensemble des modifications quelconques qui conservent un phénomène.

XCVII  PENSÉE ÉCHAPPÉE

Ce n'est pas la mémoire qu'il faut accuser.

C'est le chemin qu'on a perdu sans l'avoir pourtant quitté. Mais il a fait tant de tours et s'est recoupé tant de fois ! La pensée qu'on a égarée existe, – elle est LA. Mais ce monument qui est à cent pas de toi, est environné de rues où tu te perds.

XCVIII  MÉMOIRE

Un jour, je me suis défini la mémoire de la manière suivante : A est un souvenir si à partir de l'impulsion ou excitation E, A se produit au bout d'un temps T. Ce temps spécifique définit la mémoire. Définition arbitraire, difficile à justifier. – Mais si l'on accorde que tout souvenir a une cause – une excitation-cause, et que nulle excitation ne peut ni agir instantanément, ni se conserver indéfiniment, on voit que cette définition est digne de considération. Elle se réduit, au fond, à accentuer le caractère réflexe du souvenir. Il s'agirait d'avoir une autre condition pour recouper celle-ci, pour séparer le souvenir des autres réflexes. Ou bien établir que précisément le temps qu'exige un souvenir est caractéristique, (lui et ses multiples), de la mémoire, et la sépare nettement d'autres réactions. Mais ce serait un cercle, puisque cette démonstration impliquerait la définition cherchée.

Dire : toute réponse qui se dessine aux temps T, 2 T... après l'excitation, est un phénomène applicable au passé, semblable (géom.) à un phénomène passé, explicable par une opération impliquant autre chose que ce qui est et qui met en série ce qui est après ce qui fut35.

XCIX  DES SONS ET DES ODEURS

Les enchaînements. On ne peut, et donc on ne sait enchaîner les parfums. Si on le pouvait et savait, quelle musique !

Pour l'ouïe la variation est perçue – et il y a enchaînements, prolongement possible, musique.

Comment se peut-il ?

Une succession d'odeurs ne donne qu'une pure succession d'idées (au plus). Mais une succession de sons peut définir un être nouveau, parce qu'elle peut correspondre à un acte complexe.

Un son isolé est plus nul (en général), qu'une odeur isolée.

C

Les odeurs s'ignorent entre elles.

CI  FUTUR INTÉRIEUR

Dois-je attaquer ou attendre ? Fuir ou tenir ?

Dois-je rire ou me fâcher ?

La réponse est fournie par la structure de mon futur intérieur. Suivant que je pénètre et que je distingue plus ou moins loin en moi-même, je rirai ou me fâcherai.

CII

La moitié d'une pensée n'est pas une pensée, mais elle peut être perçue. Une pensée est un quantum indivisible. La fonction perçue est perçue, – précisément en tant que pensée, sans confusion avec l'objet de la pensée comme il arrive généralement des pensées entières36.

La pensée utile exige une confusion de son objet et de l'acte « cérébral » qu'elle est. Mais sa rupture par un incident rend cet acte plus sensible que son objet.

CIII

Prévoir, c'est voir des images que l'on affecte du signe Avenir. Il y a donc des signes (Passé, Avenir) pour affecter les images. Le signe « avenir » nie d'une image qu'elle reproduise le passé ; qu'elle soit conforme au présent et qu'elle soit sans rapport avec le réel. Alors, le seul rapport sera de pouvoir être37.

Le mot que je vais dire et que je prévois, grande probabilité. Il y a donc des aires de prévision38

CIV

Le langage sert aisément à mettre devant la pensée un verre très grossissant, qui la projette aux yeux étrangers comme monstrueuse et dilatée, quand elle-même n'était pour elle-même qu'un peu d'agitation locale. Mais celui qui n'a pas le don littéraire exprime par contre en très petit ses plus grandes émotions et ne peut émettre que des épithètes sans force. C'est le verre diminuant.

CV  DOUTE

Voici un bel intitulé de chapitre : du nombre des choses que nous n'avons pas encore songé à mettre en doute.

Mais à propos de doute, ce grave sujet d'anciens débats un peu évaporés, il n'est pas de philosophe récent qui ait songé à le transformer plus profondément que l'a fait Descartes, en le constituant sur l'idée et la présence de la diversité mentale. Le doute revient alors au sentiment des variations et en particulier à l'admissibilité de tels postulats.

Attacher à tout jugement sa vraie nature psychologique et donc le groupe entier des possibles...

CVI

Les choses les plus tragiques ne sont pas les choses les plus sérieuses. Même elles sont à l'antipode de celles-ci.

La mort enlève tout sérieux à la vie. – C'est pourquoi les religions ont cru devoir faire de la mort une espèce d'acte, quelque chose comme un mariage ou un examen ; et ont ajouté une vie fiduciaire subséquente à la vie, précisément pour faire à la mort un rôle positif dans les considérations de vie, et faire de la vie une fonction de variable complexe, – et donner enfin à la mort valeur actuelle, exactement comme une créance à valeur actuelle et négociable39.

CVII  GÉOMÈTRE

Tandis que tel insecte est merveilleusement outillé pour jouer de la tarière, pour filer ses filets de soie, ou pour maçonner de cire son espace polyédrique, – ce très gros insecte l'est pour la logique, et dévide sans jamais s'embrouiller ni rompre son fil une chaîne de conséquences infinies.

CVIII

Un espace n'est pas un ensemble de points. Cela est enfantin.

Il est une unité comme le point en est une.

C'est un point généralisé.

C'est la chose réciproque d'un point.

CIX

L'espace est un corps imaginaire comme le temps un mouvement fictif.

Dire : « dans l'espace », « l'espace est empli de », – c'est définir un corps.

CX

Il n'est pas de proposition, il n'est pas de description, pas de raisonnement dans lesquels les mots de temps et d'espace ne puissent être avantageusement remplacés par d'autres termes chaque fois plus particuliers40.

Temps, espace, infini sont mots incommodes.

Toute proposition qui se précise les abandonne.

CXI  ANTHROPOMORPHISME

Si un fil était parfaitement homogène, quelle que fût sa minceur, quelque poids que l'on y suspende, quelque secousse il vienne à subir, il ne saurait se rompre, – il ne saurait se rompre.

CXII

La liberté suppose que quelqu'un mis exactement à ma place ferait autre chose que moi. Mais qui définira cette place ?

CXIII

Le sentiment d'être libre peut faire partie d'un être nécessaire, et être un moment d'un fonctionnement régulier, comme le sentiment de voir, de marcher fait partie d'un état de sommeil (à titre de rêve).

C'est insérer plusieurs « mondes » à certains points d'un monde unique et monodrome.

CXIV

Ma liberté est de ne pas savoir d'où viennent mes idées, c'est-à-dire de n'avoir pas une idée qui commande et assigne toutes mes autres, leurs retours, leurs amours...

CXV  PROBLÈME INSOLUBLE

Si deux hommes aimaient précisément les mêmes choses (et rien qu'elles), auraient-ils nécessairement les mêmes répulsions ?

CXVI  IMAGE DE LA LIBERTÉ

Je ne sais plus où j'ai représenté le « problème de la liberté » par cette image : qu'on se figure deux mondes identiques. On remarque sur chacun d'eux un certain homme, le même agissant mêmement.

Tout à coup, l'un des deux agit autrement que l'autre.

Ils deviennent discernables.

Tel est le problème de la liberté.

J'ajoute aujourd'hui ceci : on peut représenter la nécessité par l'identité de deux systèmes.

Dire qu'une conséquence est nécessaire, c'est dire que deux systèmes identiques en A.B.C. seront identiques en D.

CXVII

Le crime comme soulagement et, en somme, – moralisation – exorcisation du criminel – (lequel était auparavant peut-être, bien plus criminel, lourd et horrible de la chose devant être faite...)

CXVIII

Une idée très compliquée est plus légitime qu'une simple, car les choses sont aussi compliquées qu'on le voudra, et si tu veux représenter du plus près les choses, tu seras d'autant plus compliqué.

Mais une idée très compliquée est très rare ; antipathique à l'esprit, et au langage. On peut la rejoindre, mais il sera impossible de la saisir entièrement, de la conserver et retrouver aisément, de s'en servir. Le sens de l'utile a donc fait la bonne réputation du simple.

CXIX

Les pensées que l'on garde pour soi, se perdent ; l'oubli fait voir que soi, que moi, ce n'est personne.

CXX

Pas de révolution plus profonde que celle qui remplacera l'ancien langage et les anciennes idées vagues par un langage et des idées nets.

Mais peut-être le vague est indestructible, son existence nécessaire au fonctionnement psychique41.

CXXI  OPINIONS PENSÉE PARTIELLE

La partie de nos pensées qui est provisoire, inétudiée, simpliste, résultant de la date, de la mode, de la classe de l'interlocuteur présent, du décor... de tout, excepté de la chose même qu'elle semble viser, c'est l'opinion.

Lorsque l'homme est suffisamment et solidement sot, lorsqu'il ne se doute même pas des différences de valeurs logiques, qu'il ne sent pas l'escamotage des objections, qu'il confond des impressions primitives, naïves, avec l'authenticité, etc. l'opinion en lui se baptise conviction.

Mais je veux dire encore un mot de l'opinion.

Pourquoi telle opinion, non telle autre ?

Ici, la coutume est d'invoquer le sentiment.

Sensibilités différentes, donc – etc. Voir Pascal.

Le pauvre raisonnement va se réduire à le céder au sentiment.

Voici un autre point de vue :

Il s'agissait d'abaisser le raisonnement. Et ce qui abaisse le raisonnement ce ne peut être que...? – On ne risque rien de l'appeler sentiment !

L'autre point de vue – dit :

Vous pensez de telle sorte, non de telle autre ; ce peut être par ce que la puissance de presser vos pensées, de les faire tendre à une figure précise, s'est arrêtée à tel point. Si vous ne savez les attaquer, les presser, les traduire, et les retraduire, – vous demeurez à tel état. – Ou si le temps, le goût vous a manqué, attendez encore un peu. Telle pensée qui a dormi vingt ans s'éveille, trouve en moi un nouveau maître qui la rudoie et la change...

Et l'opinion sur tel objet dépend donc aussi de cette puissance formelle, des adversaires intérieurs suscités, – du travail interne, – du sommeil et du réveil...

Et fort peu de l'objet même.

*

Si tout raisonnement se réduit à céder au sentiment42, c'est celui qui cède qu'il faut plaindre... Mais ce n'est pas le raisonnement qui cède. C'est moi. – Qui, Moi ? – Celui qui agit. Car l'autre est variation illimitée ; il reviendra sur son sentiment ; il se reprendra au raisonnement. Et ainsi de suite...


1 C'est construire une faiblesse par des forces. Je dis ce que je sens.

2 Par le détour des excitations musicales, je suis, en quelque manière, combiné à moi-même.

3 D'où l'on tirerait des problèmes sur cette moyenne des circonstances dans lesquelles la vie est possible, et le système nerveux.

4 Entre l'Être et le Connaître, travaille la puissante et vaine Musique.

5 Parfois la simple surprise fait rougir. Le premier mouvement est pour se voiler.

6 Le gribouille nerveux.

7 Cet inachevé joue entièrement le rôle de l'achevé pendant un temps bref.

8 La pluralité des causes possibles est cause de la possibilité des simulations. Les mêmes effets ne sont pas produits par les mêmes causes.

9 Noter ici qu'il n'y a pas de différence fonctionnelle entre imaginer et se souvenir.

La différence de ces deux modes se connaît après coup.

Elle résulte d'un jugement.

10 L'espace nerveux et ses postulats.

Je dis espace nerveux plutôt qu'espace mental.

11 La définition est considérée ici comme un retour sur soi.

12 Équilibre dans le beau.

13 Si chacun se considérait comme ébauche de quelque homme à venir... Fondement d'une étrange Morale.

14 Mépris du don gratuit et de ce qui n'a pas été élaboré.

15 Le génie considéré comme un jugement.

16 Il y a une bêtise à forme lente, une autre à forme rapide. Les uns se perdent dans leur cerveau. Les autres ne font que le traverser par le plus court.

17 Mais cette connaissance est dans les limbes.

18 Il est en somme, un objet privilégié.

19 Il lui est impossible d'être celui qui peut ne plus être.

20 La vie intérieure ne vaut que par l'inconstance, la multiformité, le degré de liberté et le nombre d'interprétations, le nombre d'aspects de chacun de ses états...

21 Le postulat fondamental de la distance extérieure ab + bc = ac n'a point de sens dans la perception de l'en-deçà.

22 C'est dire que ma présence est plus ou moins dense, selon la région de mon corps considérée.

23 Je rêve, tu rêves, – ce sont figures de rhétorique, car c'est un éveillé qui parle ou un candidat au réveil.

24 Sans exemples, sans reconnaissance.

25 Ce qui a lieu dans le plus petit temps de conscience n'est ni réel, ni non-réel.

26 C'est que le JE et ce qu'il voit sont de même espèce dans les rêves.

27 Comme se peut-il que l'homme vieillissant garde le désir dont il perd les ressources ? – Est-ce le même désir que le jeune désir ? – L'homme grandit, mûrit, vieillit discontinuement. Il ne grandit, ne mûrit, ne vieillit pas en chaque instant. Son âge réel est stationnaire sur chaque palier, et son fonctionnement est en régime permanent entre deux modifications.

28 Le réel n'a d'importance pour moi que dans la mesure où il supporte, alimente, préserve, excite, sécrète le sensible et l'intelligible, et donc – le non-réel.

29 L'optimum de la connaissance est sans relation simple avec le réel.

30 L'amertume essentielle au devoir. Pas de devoir suave Faire bien doit faire du mal.

31 La théorie physique utilisée comme réactif.

32 La croyance est un virement.

33 En somme, les dimensions d'un ouvrage doivent être déterminées par une analyse des conditions de prolongement, de renforcement et de répétition des impressions.

34 La Musique hante la mémoire, n'est pas résumable, et est indéfinissable.

35 En somme, mon intention était la suivante : arriver à établir les propositions ci-après :

a) au temps de réaction psychologique le plus bref correspond le fait de conscience le plus simple, qui est pure restitution ou répétition, – un souvenir.

b) ce temps est un quantum caractéristique.

36 Qui pense, confond nécessairement.

Qui ne confond pas, – perçoit la pensée du pensant.

37 L'avenir considéré comme notation.

38 Probabilité qui dépend elle-même de la durée probable de l'intervalle entre la prévision et l'événement.

39 Le suicide, suppression du possible, – du crédit de l'avenir. Or ce crédit, ce capital de possible, est l'unique fondement ou argument du sérieux de la vie.

40 Querelle de mots.

41 Car l'esprit se meut dans le vague, du vague au précis.

42 C'est là une idée de Pythie, l'idole de l'oracle. Le spontané, l'irréfléchi plus précieux, plus digne de foi que le réfléchi