Hubert de Louvel souriait imperceptiblement.
Les treize jours du premier jeûne de Stanislas Jutras, suivis des treize jours de récupération, avaient creusé les joues du jeune homme. On commençait à percevoir qu’il prenait le même chemin que l’aristocrate. Stan se rasait la barbe, mais il laissait allonger sa chevelure. En terminant le repas du matin, partagé avec son maître, il exprima son impatience enthousiaste.
— Quand est-ce que je passe à la deuxième étape?
— Pouvez-vous résumer les trois?
— Pas du tout. Je ne savais même pas qu’il y en avait trois. C’est la logique qui me fait dire qu’après un, c’est deux.
Hubert de Louvel nageait dans son élément. Rien ne lui faisait davantage plaisir que de s’entretenir de ces choses. Il parlait de la recherche de Dieu, intarissable comme un amoureux s’extasiant sur les beautés de sa fiancée.
— Il faut tout d’abord bien comprendre que ce ne sont pas des étapes chronologiques. On ne passe pas à la seconde quand on a franchi la première. Elles constituent les composantes d’un même mouvement, même si chacune possède sa cadence propre. C’est comme la marée : chaque vague frappe la côte à son propre rythme… et pourtant, elle participe au flux, à la montée des eaux. Oui, la première phase est celle de la purification, à l’image du jeûne dont vous ressentez les effets bénéfiques. Vient ensuite ce que l’on appelle l’illumination et, pour cela, il faut d’abord l’étude.
— Ouais! On commence à être loin de l’orgue.
— Pensez-vous? La musique est une des langues préférées de Dieu, mon cher Stanislas. C’est une des premières façons de percevoir la présence intérieure; l’harmonie des sons crée en nous de la joie parce que nous y entendons résonner la beauté qui veut grandir. La musique, à elle seule, ne nous comble pas. Elle nous mène vers la voix intérieure. Savez-vous comment se nomme ce que je pourrais appeler «le germe de grandeur»?
Stan, comprenant qu’il ne s’agissait pas d’une question véritable, se taisait.
Hubert de Louvel dit une chose si banale que, pour une fois, il déçut son élève. Une déception si énorme qu’elle fit place à la révolte.
— Christ.
Sous la direction des Grands Transparents, les Géants Sulfureux se ruèrent et les Corps Liquides plongèrent.
Stan éclata d’un rire mauvais.
— Pas ça? Shit qu’elle est bonne! Pas tout ça pour en arriver là? Help!
Encore ce rire grinçant.
Il avait envie d’attraper la bouteille de Southern Comfort la plus proche pour se laver la cervelle de tout ce charabia. Sans regarder le Français, il hochait la tête de droite à gauche.
— No way! Désolé! Pas ça! Les psaumes, ça va ; c’est de la poésie. Dieu, c’est correct, on y met ce qu’on veut; c’est un concept, quoi! Mais là, on passe à autre chose : pas de Jésus, pas de religion.
Hubert de Louvel le scrutait.
— Vous ne savez rien, Stanislas.
— Ça, c’est vrai. J’ai pas de misère à le reconnaître. Mais la religion, je veux justement rien savoir. Tant qu’à y être, offrez-moi donc d’aller à la messe!
— J’y vais, vous savez.
Le vieux Stan se réveilla en sursaut.
— Shit de marde! Quand je pense que ça fait un an que je suis avec un Jesus freak, je m’arracherais la tête.
Hubert de Louvel se retira sur les hauteurs, tout comme les nuages conservaient une juste distance avec la Terre.
Il se leva et, en quittant Stan, il ajouta quelques mots.
— Christ, c’est vous, Stanislas.
— Ben Christ, y est en tabarnak!
Le soleil du matin frappait le front du disciple révolté. Il passa les mains sur son visage et pressa les orbites de ses yeux. Il se sentait désorienté, perdu, floué, cocu de l’âme.
Sa rage se battait avec sa peine.
Il avait cru monter haut avec Hubert de Louvel. Il se retrouvait victime d’une nouvelle drogue : l’alcool et la cocaïne remplacés par la religion.
Il quitta North Hatley sans même retourner à sa chambre.