Prenez conscience de votre pouce droit. Votre index. Votre majeur. Votre annulaire, toujours à droite. Votre petit doigt. Paume de la main droite. Dessus de la main. Poignet. Avant-bras. Coude. Bras. Epaule. Aisselle. Hanche droite. Cuisse. Genou. Mollet. Cheville. Dessus du pied. Plante du pied. Gros orteil. Deuxième orteil. Troisième orteil. Quatrième orteil. Cinquième orteil. Tous les orteils du pied droit.
Lâchez prise.
Visualisez votre corps sur le sol. Regardez-le. Ne bougez pas. Votre corps est immobile. Totalement immobile. Essayez de rester immobile.
Retrouvez vos sensations.
Et respirez.
Respirez.
La neige. Elle faisait semblant d’être morte. Elle ne respirait plus. Elle retenait sa respiration comme
lorsqu’elle était petite et qu’elle cherchait à rester le plus longtemps sous l’eau. Elle faisait la morte sous la neige boueuse.
Inspirez, expirez.
Elle n’arrivait pas à inspirer naturellement. L’air se précipitait au-dedans d’elle. Elle avait l’impression de respirer trop fort.
Prenez conscience de votre souffle.
Elle en avait plus que conscience. Elle avait l’impression qu’on n’entendait que ça. Qu’elle dérangeait les autres. Elle a entendu un homme ronfler. Elle a essayé d’avoir une respiration détendue, pas celle de quelqu’un qui a des problèmes psychologiques. Elle étouffait. Est-ce que Marine arrivait à le faire ? Elle a ouvert un œil : elle respirait calmement, en rythme. Elle a fermé les yeux. Il fallait qu’elle se fixe sur une image neutre. Mais rien n’était neutre. Tout, subitement, lui rappelait l’Afghanistan, ou Marine, ou les deux.
A présent, prenez conscience de votre côté gauche, à commencer par votre pouce. Votre index. Votre majeur, à gauche. Votre annulaire. Votre petit doigt. Paume de la main. Dessus de la main. Poignet. Avant-bras. Coude. Bras. Epaule gauche. Aisselle. Hanche gauche. Cuisse. Genou. Mollet. Cheville. Dessus du
pied gauche. Plante du pied. Gros orteil. Deuxième orteil. Troisième orteil. Quatrième orteil. Cinquième orteil. Tous les orteils du pied gauche.
Lâchez prise.
Ils étaient tous allongés côte à côte dans une pièce baignée de lumière violette. Une femme en legging court et tee-shirt informe passait avec une démarche souple entre leurs corps étalés par terre. Parfois une latte craquait sous l’un de ses pieds et les corps tressaillaient. Certains n’arrivaient pas à rester immobiles et bougeaient. D’autres pouffaient de rire, nerveusement. Elle avait envie de les imiter. Mais elle s’est efforcée de se calmer. Elle s’est étendue sur le dos, les bras légèrement écartés, paumes face au ciel.
Cela faisait au moins six mois qu’elle ne s’était pas allongée ainsi. Son corps était dur, musclé. Sa peau est tendue autour des os, des muscles, des veines. Elle a replié les genoux, posé ses pieds à plat. Ses lombaires ont touché le tapis de gym.
Elle sentait tout son corps sur le sol. Elle le regardait d’en haut.
Elle regardait les autres corps. Des survivants.