O’Connor gravissait la paroi de granit à la force des bras. Se hissant enfin sur la crête, il s’immobilisa, le souffle court. Il resta à couvert pour braquer ses jumelles sur le village de Laniyal en contrebas. Les cabanes en pierre étaient bâties sur une pente si abrupte que le toit des maisons en aval était à la même hauteur que la piste. O’Connor fit signe à Kennedy de le rejoindre et au reste de la patrouille de rester à plat ventre.
Kennedy arriva à ses côtés en rampant sur les mains et les genoux.
— Alors ?
— Rien repéré encore… mais ce petit salopard a dû les prévenir. Attends… regarde, là-bas, dans le verger, derrière les arbres.
— Je le vois… Un RPG… et là-bas, de l’autre côté de la piste… encore un.
O’Connor se tourna vers son second en souriant.
— Tu te souviens des Zoulous ?
— Bien vu. Les cornes du buffle.
Les Zoulous en Afrique du Sud avaient sans doute été les premiers à perfectionner ce type d’embuscades. Les « cornes » n’ouvraient pas le feu, laissant l’ennemi passer jusqu’à ce qu’il se retrouve face au « front » du buffle ; alors seulement, elles se refermaient derrière lui, l’encerclant de tous côtés.
— Nous aussi, on peut jouer au plus malin, dit O’Connor en faisant signe à l’équipe de coordination avec les forces aériennes de le rejoindre. Ça risque d’être assez chaud, conclut-il après avoir expliqué la situation à Ventura et Rayburn. Qu’est-ce qu’on a là-haut ?
— Un drone de Creech juste au-dessus de nous mais, si ce qu’on aperçoit, ce n’est que le comité d’accueil, ça ne suffira pas. Il nous faudrait du lourd, répondit Ventura en s’emparant déjà de sa radio.
Rayburn installa le trépied du laser Soflam derrière un cèdre rabougri, enleva la protection de la lentille et colla son œil au viseur. Il maintint le petit point rouge du laser d’abord sur le RPG dans le verger, puis sur l’équipe postée sous la piste.
À ses côtés, la radio répondit aux demandes d’assistance de Ventura.
— Ici Monte-en-l’Air Un Trois. Nous sommes en approche, annonça le copilote de l’immense C-130. Arrivée estimée dans dix minutes. À quoi devez-vous faire face ? À vous.
— Ici Échappement Deux Deux, répondit Ventura. Aucune certitude. Pour le moment, nous avons deux groupes équipés de RPG tout proches de Laniyal, grille 359753, mais le JSOC indiquait une force sans doute beaucoup plus importante. Notre position 300 mètres au nord-est sur le sommet de la crête… attendre permission avant d’ouvrir le feu, je répète, attendre permission avant d’ouvrir le feu.
— Monte-en-l’Air Un Trois, bien reçu… attendre permission avant d’ouvrir le feu.
O’Connor réfléchissait. Ils étaient attendus et il était clair qu’ils n’étaient pas les bienvenus. Par ailleurs, à en croire les renseignements, ils étaient en très large infériorité numérique ; mais, déjà, il entendait les quatre turbopropulseurs Rolls-Royce du C-130. Loin au-dessus d’eux, le Ghostrider commençait à décrire des cercles tandis que son équipage étudiait les images du village s’affichant sur les écrans. Sa décision prise, il se tourna vers Ventura.
— Éliminons les RPG et voyons comment ils réagissent.
— Bombes, missiles ou canons ?
O’Connor sourit d’un air sinistre, observant les équipes munies de lance-roquettes à travers ses jumelles.
— Les canons devraient suffire, dit-il. On enverra du gros un peu plus tard, si besoin est.
— Échappement Deux Deux, ici Monte-en-l’Air Un Trois, nous vous avons en visuel sur la crête.
La voix du contrôleur armement du gunship était forte et claire.
— Deux cibles verrouillées – 300 mètres à votre sud-est, terminé.
La chaleur corporelle des talibans suffisait à les faire apparaître sur les moniteurs et le pointage laser assurait que, quelle que soit l’arme utilisée, les cibles seraient engagées.
— Monte-en-l’Air Un Trois, à vous… permission d’ouvrir le feu. Demandons canons, terminé.
Rayburn continuait à viser l’équipe dans le verger avec son minuscule point rouge et soudain l’enfer s’y déchaîna : les énormes munitions de 30 millimètres taillaient en pièces arbres et humains. Quelques secondes plus tard, tirée à la cadence de 200 coups minute, une rafale venue de l’appareil volant le plus dangereux au monde élimina la deuxième équipe RPG.
— Mouvement, siffla Kennedy, indiquant des arbres un peu plus bas. Quinze, vingt… oh merde… c’est juste la première vague. Il y en a encore une bonne centaine d’autres derrière eux.
— Je les vois, dit O’Connor.
Malgré leur jeune âge, Jamal et Yousef étaient déjà des combattants aguerris et ils servaient leur cause avec passion. Jamal avait aussitôt compris que l’Infidèle ne s’était pas laissé abuser par son piège. En dehors d’une connaissance parfaite du terrain, leur seul autre avantage était leur énorme supériorité numérique : il était temps d’en profiter.
Il se tourna vers son compagnon.
— On part les attaquer de front… dès qu’ils seront occupés avec nous, tu les prendras par le flanc.
— L’Infidèle n’a aucune chance, ricana Yousef.
Pour sa part, O’Connor savait à quoi s’attendre. L’ennemi était aussi brave que n’importe quel autre sur n’importe quel champ de bataille, pas question de commettre l’erreur de le sous-estimer.
— Que les gars se déploient le long de la crête, mais on ne tire qu’à mon signal. Ventura et Rayburn, vous restez ici et vous vous planquez. La matinée va être chargée.
— Affirmatif, répondit Ventura. Monte-en-l’Air les a sur ses écrans. Il suggère des bombes avant qu’ils ne soient trop près.
— OK pour la frappe, mais danger proche, acquiesça O’Connor. Bombardement à venir, premier maître… passez le mot.
Les bombes guidées de 250 livres coûtaient 100 000 dollars chacune, mais leur prix ne l’intéressait nullement pour l’instant. Les ondes de choc et le bruit allaient être terribles, abominables même, et les Seals devaient s’y préparer.
Le pilote du C-130 plaça l’énorme appareil sur sa trajectoire d’approche pour permettre à son équipage d’apporter son soutien à l’équipe au sol. Chacun à bord connaissait son rôle à la perfection : contrôleur de tir, officier en charge de l’électronique, ingénieur de vol, chargé de munitions, opérateur d’écrans, opérateur des systèmes de détection infrarouges et les cinq artilleurs. Le responsable SDI gardait sa mire sur les silhouettes blanches évoluant plusieurs milliers de pieds plus bas. Le premier des cylindres fuselés quitta son logement.
La terre trembla, des échardes de métal chauffées à blanc jaillirent en hurlant, pulvérisant les feuillages des arbres et les corps des insurgés avec la même efficacité mortelle. Des éclats de shrapnels retombèrent dangereusement près d’O’Connor et de ses hommes, alors que les hurlements des blessés résonnaient déjà dans la vallée. O’Connor se baissa quand une rafale de mitrailleuse, aussitôt suivie d’une autre, déchiqueta le granit autour de leur position.
— Ça vient de l’autre rive ! cria Kennedy.
— Merde ! jura O’Connor, au moment où une balle lui éraflait le bras.
— Où sont-ils ? Je ne les vois pas ! hurla Ventura, cherchant frénétiquement derrière son arbre.
— Sur l’autre versant… la clairière… à mi-hauteur.
— Je les ai ! s’exclama O’Connor, repérant les éclairs jaillissant du canon de l’arme au moment où une deuxième bombe explosait, encore plus près de leur position.
Malgré cela, crevant la déflagration et les projections de matériaux incendiés, une nuée de balles volait vers eux tandis que les talibans positionnés en seconde vague lançaient à leur tour l’assaut.
— Ventura… tu les vois, de l’autre côté de la rivière ?
— Non…
Il cherchait désespérément la position ennemie.
— La clairière… des éclairs de détonation dans le verger 50 mètres plus bas que la première des maisons à gauche du village. Ces salopards ont mis des femmes et des enfants sur les toits.
— Ça y est, je les ai ! hurla Ventura tandis que des rafales soutenues lardaient la position des Seals.
— Qu’est-ce qu’on a d’autre en l’air ?
— Le drone… Bagram vient tout juste de dérouter deux Viper pour venir nous prêter assistance, mais ils n’ont que quarante minutes de carburant.
Viper était le surnom que donnaient les pilotes au F-16 Fighting Falcon, un des meilleurs avions de chasse au monde.
— Alors, utilisons d’abord les F-16, le drone peut rester là-haut toute la journée – et faut les prévenir à propos des gosses. Et que le C-130 continue à arroser ces salopards d’en bas, ils commencent à m’énerver, ceux-là ! s’écria O’Connor en abattant deux autres talibans qui couraient vers lui.
Les éclairs en provenance de l’appareil se multiplièrent tandis qu’il volait en cercle pour arroser la ligne de front des talibans avec ses canons 30 millimètres.
Ventura appuya sur le bouton de transmission de son casque.
— Bandit Un Neuf, ici Échappement Deux Deux… nous subissons le feu intense d’une mitrailleuse lourde sur le versant opposé de la vallée par rapport à notre position. Ennemi à grille 355752 sous les maisons… danger proche… femmes et enfants sur les toits, trafic en l’air : un AC-130, Monte-en-l’Air Un Trois à 8 000 pieds et un drone, Chasseur Nocturne Deux, niveau de vol deux quatre zéro, terminé.
— Ici Chasseur Nocturne Deux, intervint le capitaine Rogers, suis à présent à deux zéro, et stationnaire à 8 kilomètres au nord, prévint-il.
Là-bas, très loin dans le Nevada, Rogers regrettait encore une fois de ne pas se trouver aux commandes d’un F-16.
— Bandit Un Neuf, bien reçu, on attend.
Le major Michael Brickley en était à sa troisième campagne au Moyen-Orient. Pilote très expérimenté, il était conscient de la difficulté d’identifier des cibles au sol.
— Échappement, ici Bandit, je vous ai sur la crête à l’est de la rivière… la cible se trouve parmi les arbres près d’une clairière située sous le village à l’ouest de la rivière, c’est bien ça ?
— Affirmatif, Bandit, nous sommes sur la rive est.
— Ai-je l’autorisation ?
— Affirmatif, terminé.
— Bien reçu… j’engage.
— Bandit Deux Neuf, reçu, terminé.
L’ailier de Brickley se tenait en réserve à 8 kilomètres à l’est, attendant son tour au-dessus de la cible. Filant à une vitesse de 350 nœuds, Brickley passa à l’attaque et les capteurs de l’appareil se verrouillèrent sur les éclairs des canons non loin des toits où les femmes essayaient de protéger leurs enfants terrifiés par le vacarme assourdissant. À bord de l’avion, les ordinateurs prenaient en compte la vitesse de l’appareil, à présent autour de 600 pieds par seconde, celle du vent et son orientation, l’altitude et la hauteur au-dessus de la cible. La bombe quitta son logement tribord et fila en sifflant vers les combattants d’Al-Qaida ; le F-16 entama sa manœuvre de retrait.
— Bandit Un Neuf… Bandit Deux Neuf, missile derrière vous !
Ce furent les derniers mots qu’entendit le major Brickley. Son ailier avait bien repéré la traînée de fumée d’un Scorpion lancé depuis Laniyal, mais il n’y avait rien à faire face à ces engins dernière génération.
O’Connor vit la boule de feu exploser dans le ciel, les débris enflammés arroser la vallée. Derrière le tumulte de la déflagration, les tirs multiples et les rafales de canon, il crut entendre des acclamations en contrebas. Sur l’autre rive, la bombe avait trouvé sa cible, éclatant elle aussi dans un bruit infernal et éliminant tous les combattants d’Al-Qaida cachés là-bas. Un peu plus haut, les enfants hurlaient de terreur, deux d’entre eux gravement atteints par des shrapnels. L’enfer se déchaîna à nouveau près de la crête tandis qu’une nouvelle bombe de 250 livres trouvait sa cible. Plus formidable encore que l’explosion, le rugissement du second F-16 emplit la vallée alors que le pilote, en proie à un maelström de colère, de choc et de peur, remontait à toute allure. C’était le cauchemar de chaque ailier : voir son leader abattu. Mais il se força à se calmer : aux commandes d’un avion de chasse, il ne pouvait se permettre de laisser libre cours à ses émotions.
Une nouvelle mitrailleuse ouvrit le feu sous la position d’O’Connor.
— Celle-là est dans un bunker ! hurla Kennedy.
— Et il y a d’autres bunkers sur l’autre rive aussi ! cria Ventura pour dominer le vacarme alors qu’il repérait encore une autre source de feu ennemi.
O’Connor se jeta à terre tandis que l’arbre derrière lequel il s’abritait se faisait littéralement scier.
— Infirmier ! Rayburn est blessé ! hurla Ventura en le remplaçant au trépied du laser du Soflam.
— Enfoirés, marmonna O’Connor.
Pas étonnant que le feu soit encore aussi nourri ; il provenait de bunkers situés sur les deux rives. Il était temps d’utiliser les grands moyens.
— Faites monter la pression sur ces connards, Ventura ! ordonna-t-il en abattant deux autres talibans à moins de 100 mètres de lui.
— Monte-en-l’Air Un Trois, ici Échappement Deux Deux, requiers frappe missile sur notre versant, ennemi 100 mètres au sud, système de bunkers, danger proche, terminé.
— Monte-en-l’Air, comptez sur nous… on les voit.
— Chasseur Nocturne Deux, ici Échappement Deux, reprit Ventura avec détermination, faisant appel à tous les moyens disponibles. Nous sommes toujours soumis au feu depuis l’autre rive. Un système de bunkers en contrebas du village. Plus de femmes et enfants sur les toits. Demande frappes de bombe… avez-vous le trajet de vol de Monte-en-l’Air ?
L’espace aérien au-dessus du champ de bataille devenait aussi saturé que le ciel au-dessus d’un aéroport et Ventura devait à tout prix éviter une collision entre les divers objets volants : drone, Hercule, missile ou bombe.
— Ici Chasseur Nocturne. J’ai Monte-en-l’Air en visuel.
Rogers et Brady, son opératrice, suivaient depuis le début le combat sur leurs écrans et même s’ils ne disposaient pas d’un champ de vision aussi large qu’un pilote normal, les caméras et systèmes à infrarouge du drone leur offraient une vue détaillée du sol, même à 20 000 pieds d’altitude.
— Monte-en-l’Air Un Trois vire vers l’est, confirma Brady.
Parfaitement conscients que les talibans disposaient d’autres missiles, les pilotes de l’Hercule continuaient calmement à décrire des cercles tandis que les ordinateurs nourrissaient le feu sur les cibles désignées par laser. Derrière eux, dans la carlingue, les artilleurs transpiraient abondamment, chargeant et rechargeant les immenses canons.
À Creech, Brady maintenait les mires sur les quelques silhouettes qui bougeaient encore parmi les arbres sur le versant opposé à celui d’O’Connor.
— Cible verrouillée…
— Confirmez la configuration armement, demanda l’analyste derrière Rogers.
— Deux Paveway II.
Seuls les bunkers les plus renforcés pouvaient supporter l’attaque de ces bombes massives de 500 livres, munies de têtes chercheuses.
— Caméra sur cible.
Les écrans se pixélisèrent quand le premier projectile toucha sa cible à moins d’un mètre de sa visée initiale. La position d’Al-Qaida se tut.
O’Connor et ses hommes se remettaient à peine des ondes de choc de l’attaque du drone quand quatre missiles Hellfire frappèrent les talibans qui les assaillaient. O’Connor secoua la tête comme un boxeur qui refuse d’être groggy. Il avait l’impression qu’on lui avait crevé les tympans.
— Ils se retirent !
Kennedy tira une rafale de M14 en direction des hommes qui s’enfuyaient.
O’Connor le rejoignit.
— Comment va Rayburn ?
— Pas bien… l’infirmier est avec lui, derrière cet arbre.
— Ventura, ramenez un Black Hawk ici, et vite. Et dites à Chasseur de Nuit et Monte-en-l’Air que même si les talibans se sont retirés, je veux qu’ils restent dans les parages.
Moins de trente minutes plus tard, le gunship déversa une véritable pluie de feu avec ses canons 30 millimètres juste au cas où les talibans auraient l’idée d’abattre un nouvel avion, permettant ainsi au Black Hawk d’arriver vite et à très basse altitude. Selon la convention de Genève, les hélicoptères d’assistance médicale ne pouvaient être armés, du coup le personnel soignant embarqué avait appris à subir des vols très capricieux tandis que les pilotes tentaient des manœuvres audacieuses pour échapper à des attaques, pas toujours éventuelles, depuis le sol. La zone d’atterrissage était réduite, mais ces gars faisaient partie des meilleurs pilotes d’hélico au monde. Le capitaine Ella Nicholson posa le sien dans un nuage de poussière, les rotors frôlant le feuillage des arbres.
L’équipe de secours débarqua à toute allure avec un brancard et il ne lui fallut que quelques secondes pour embarquer Rayburn. Elle était encore en train de lui brancher une perfusion que l’engin redécollait déjà, pleins gaz.
— Il va falloir fouiller chacune de ces maisons et les villageois ne vont pas être ravis de nous voir, alors restez déployés et vigilants, dit O’Connor, prenant la tête de l’équipe.
Dès qu’ils arrivèrent à Laniyal, il établit le contact avec un des anciens du village. Malgré le combat démentiel qui venait de se dérouler à quelques mètres de sa maison, l’homme ne semblait ni ému ni effrayé.
— Kennedy, une sentinelle en position derrière ce gros rocher, ordonna O’Connor. Deux hommes par habitation pendant que les autres les couvrent… on y va, une maison à la fois.
— Compris. Ventura… derrière le rocher. Vous couvrez la crête qu’on vient de quitter et celle au sud.
Ils effectuèrent leur fouille, faisant de leur mieux pour ne pas être trop intrusifs. Les vieux les observaient avec rancœur, les femmes et les enfants avec peur. Au bout de deux heures, ils n’avaient rien trouvé.
— Que dalle, résuma Kennedy, hormis le fait qu’il n’y a pas un seul homme jeune ici.
Le soleil avait atteint son zénith et l’équipe, O’Connor le savait, était au bord de l’épuisement. La fatigue mentale provoquée par le combat rapproché était souvent sous-estimée, surtout par les politiciens de Washington. Il réfléchit. Si les talibans les attendaient dans le prochain village, une autre bataille comme celle qu’ils venaient de livrer risquait d’être celle de trop, même pour ces soldats endurcis. L’opérateur chargé du renseignement interrompit ses pensées.
— Ça vient d’arriver du JOSC, dit Chico. Ils ont analysé quelques photos satellites et ils ont repéré une zone où la terre a été fraîchement remuée, pas très loin de la position de Ventura.
O’Connor examina les clichés que Chico avait téléchargés. L’endroit était clairement visible. L’image thermique des caméras infrarouges à bord avait relevé les différentes signatures. Une terre qui vient d’être retournée n’irradie pas la chaleur de la même façon qu’un sol compact.
— Quelqu’un doit beaucoup tenir à cette opération, remarqua Kennedy. Ce n’est pas tous les jours qu’on nous fait la grâce de nous accorder un satellite, à nous autres, simples mortels.
O’Connor sourit. Obtenir le soutien du gunship Hercule C-130 et du drone qui tournaient toujours au-dessus d’eux avait déjà été assez difficile, mais avec la croissance exponentielle de points chauds à la surface du globe – Égypte, Libye, Tunisie, Israël, Syrie, Irak, Iran, Somalie ou Yémen –, bénéficier en outre d’un accès satellite était un sacré bonus. O’Connor savait qui avait donné cet ordre. Les immenses KeyHole, gros comme des bus scolaires, orbitaient à 36 000 kilomètres au-dessus de la Terre à la vitesse de 5 kilomètres par seconde. McNamara avait sûrement bataillé ferme mais, quand la sécurité de ses hommes était en jeu, le bonhomme n’acceptait aucun refus. O’Connor n’avait aucun mal à imaginer la conversation et, pour finir, le coup de téléphone à la Maison-Blanche qui avait dû emporter le morceau.
— Tout juste. Allons voir ce qu’ils cachent là-dedans.
Comme tous les autres membres de l’équipe, Chico était multitâche et aussi à l’aise avec une pelle qu’avec un ordinateur. En quelques minutes, O’Connor et lui touchèrent un objet dur enfoui sous terre.
Le conteneur en métal kaki, estampillé « réutilisable, ne pas détruire », faisait près de 2 mètres de long. Ils le sortirent de la fosse.
Kennedy laissa échapper un petit sifflement.
— Nom de Dieu… un Scorpion. Comment ces mecs qui portent un torchon sur la tête ont récupéré un truc pareil ?
— Celui-là et quelques autres, marmonna O’Connor. Je pense que c’est un Scorpion qui a eu le F-16 tout à l’heure.
Tout en parlant, il examinait l’intérieur de la caisse qui ne contenait rien de plus que les accessoires et le manuel d’instructions. Il allait refermer le couvercle quand il aperçut un bout de papier qui dépassait du rembourrage en mousse.
— Bon, dit-il, on a ce qu’on est venus chercher. Kennedy… interroge à nouveau les anciens, même si je doute qu’ils disent quoi que ce soit. Ventura… gardez le gunship et le drone à portée au cas où et appelez-nous un couple de Black Hawk. On se tire d’ici.
— Ce bout de papier que tu as trouvé… on peut savoir ? demanda Kennedy alors qu’ils retournaient vers le village.
— Pas pour le moment. Mais je ferai en sorte que l’équipe et toi soyez les premiers informés avant qu’on en cause à la télé.
Caché derrière des cèdres sur l’autre versant de la vallée, Jamal baissa ses jumelles.
— L’Infidèle a trouvé un des missiles, mais il nous reste les autres. Il paiera pour aujourd’hui, ajouta-t-il avec amertume.
— Inch’Allah, approuva Yousef. Je reviendrai à tes côtés, mon frère. Mais, pour le moment, j’ai une autre mission et si je réussis, ça rattrapera largement ce qui vient de se passer. On va frapper l’Infidèle là où ça lui fera le plus de mal.