Debout devant le verre blindé des fenêtres de son bureau et en proie à une puissante exaltation, Crowley contemplaient les humains qui fourmillaient dans les rues de Dallas. Tout était en train de se mettre en place. Il avait fallu plusieurs mois de préparatifs multiples et complexes, mais le cobalt 60 était enfin arrivé et les plans d’attaque sur les centrales nucléaires avaient bien avancé.
Les autorités dans le golfe avaient dragué de nouvelles voies de navigation autour des carcasses du Leila et de l’Atlantic Giant, leurs superstructures carbonisées émergeant des eaux tels des monuments grotesques. Il faudrait encore de nombreux mois avant de pouvoir les extraire de là. Les rives avaient subi une marée noire dévastatrice qui avait aussi ravagé la vie marine. Mais, parallèlement, les places financières s’étaient remises du choc : il était temps de frapper à nouveau. La lenteur de la réparation de l’Evran I l’avait irrité, mais dans moins de deux semaines, les missiles Taipan et Scorpion seraient chargés à Manaus à destination de Karachi, pour être une fois encore livrés dans l’Hindu Kush. Le plus savoureux demeurait qu’en dépit du scepticisme de Rachel, Carter Davis devançait désormais Hailey Campbell dans les sondages, même si ce n’était que de justesse. Le sort de l’élection se jouerait sans doute lors de leur ultime débat et là aussi les choses se présentaient plutôt bien : l’équipe de Campbell n’arrivait pas à accorder ses violons sur le réchauffement climatique et, avec l’aide d’Ahlstrom et de Louis Walden, Crowley était persuadé que très bientôt Pharos régnerait sur la Maison-Blanche. À partir de là, la voie vers le nouvel ordre mondial deviendrait une réalité.
Il appela Miranda.
— Envoyez-moi Reid.
Il appréciait aussi la perspective d’une nouvelle soirée avec la blonde et ses jambes interminables. Peut-être, se dit-il, le moment était-il venu de larguer Rachel… À cette idée, des signaux d’alerte se déclenchèrent dans son cerveau. Si elle ignorait tout des œuvres d’art volées qu’il conservait en Corse, elle en savait largement assez sur toutes ses autres affaires pour lui créer des problèmes. Et plus que ça, même.
Miranda lui adressa un sourire éblouissant avant de quitter la pièce. La blonde lui plaisait. Rachel appartenait au passé.
— Asseyez-vous, Reid, dit Crowley quand le chef de la Zone 15 entra. Où en sommes-nous avec O’Connor et Weizman ?
— Notre source, Aboud, nous a annoncé justement ce matin que Weizman venait de rentrer d’Abydos. Chose intéressante, O’Connor l’a rejointe. Ils se préparent à faire un peu de spéléologie sous-marine sous les pyramides.
— À la recherche du Papyrus Euclide ?
— Aboud en est persuadé.
— Tenez-moi informé et assurez-vous que Ruger soit prêt à partir dans la seconde.
Une fois seul, Crowley se leva pour retourner à la fenêtre. La voie vers le nouvel ordre mondial était peut-être ouverte, mais le Papyrus Euclide représentait une menace pour Pharos et pour Evran. Tout comme la découverte du pétrole au début du XXe siècle avait métamorphosé le secteur de l’énergie, rendant par exemple obsolètes les chaudières à charbon sur les navires et révolutionnant l’industrie automobile, toute nouvelle forme d’énergie était une épée de Damoclès suspendue au-dessus de Crowley et des autres membres du groupe Pharos dans leur quête du pouvoir ultime. Il revint à son bureau, plus décidé que jamais à faire en sorte que le Papyrus Euclide ne voie jamais le jour.
— M. Reid aimerait vous revoir, monsieur.
— Déjà ? Faites-le entrer.
— J’ai pensé que vous aimeriez voir le message que nous venons d’intercepter sur le portable d’Abigail Roxburgh, dit Reid. Il semble qu’elle envisage de dénoncer Davis. Il s’agit d’un texto qu’elle a envoyé à Susan Murkowski.
Crowley s’empara de la copie imprimée.
J’ai suivi votre couverture de la campagne présidentielle avec intérêt, mais il y a quelque chose que vous ignorez à propos de Carter Davis. Nous devrions nous rencontrer.
— Je m’en occupe, déclara Crowley avec colère.
Il attendit que Reid ait quitté la pièce pour appeler Miranda.
— Envoyez-moi Ruger… tout de suite, dit-il, oubliant toute prudence.