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La grande pyramide, Gizeh


— Je commence à comprendre pourquoi Crowley tient tant à mettre la main là-dessus, dit Aleta, de plus en plus excitée à mesure qu’elle examinait le papyrus. Il y a deux documents ici. Le premier est l’archive hiéroglyphique originale des calculs faits par les ingénieurs du pharaon Kheops lors de l’édification de la grande pyramide.

Elle montrait des signes en forme de plumes de canard et de scarabées ainsi que le titre de la première feuille de papyrus : Pyramides – Construction.

— Mais le second document est en grec, des mains mêmes d’Euclide, et je pense qu’il pourrait nous fournir l’explication de l’utilité réelle des pyramides de Gizeh…

— Donc, il s’agit bien du Papyrus Euclide ?

— Sans le moindre doute !

O’Connor l’écouta attentivement pendant qu’elle traduisait les notes d’Euclide sur les calculs des ingénieurs.

— Il va falloir vérifier tout ça, dit-il quand elle eut terminé, et la seule façon, c’est de pénétrer dans la grande pyramide.

— Dans des zones qui sont rigoureusement interdites au public, dit Aleta.

— Il va donc falloir s’assurer le concours de Badawi.

— De toute manière, nous avions décidé de tout lui dire, lui rappela-t-elle.

— Oui, à condition qu’il tienne son adjoint à l’écart.

— Je vais lui demander de nous recevoir seuls.

*
*     *

Le lendemain, le professeur Badawi les escorta à nouveau jusqu’à son bureau.

— Nous avons un aveu à vous faire, Hassan, et j’espère que vous ne nous en voudrez pas trop, commença Aleta dès que le thé fut servi.

— Comment pourrais-je vous en vouloir, ma chère ? dit le professeur, un doux sourire ridant son visage.

— Tout d’abord, je tiens à vous prévenir, intervint O’Connor. J’ai des raisons de penser que vous devriez vous méfier de votre adjoint.

— Comment cela ? s’étonna Badawi.

— Il est en contact avec un personnage à Venise que les autorités américaines surveillent étroitement. Je ne puis rien dire de plus, vous devrez me croire sur parole. En cas de problème, nous tenterons de nous en occuper discrètement, de façon à ce que cela n’affecte pas la réputation du musée. En attendant, nous vous serions reconnaissants de ne partager nos conversations avec personne.

Le professeur le fixa longuement.

— Le docteur Aboud a demandé à participer à cette rencontre… Il n’a pas été ravi de s’en voir exclu.

— Il est diplômé de l’Australian National University à Canberra, n’est-ce pas ?

— Une excellente université, répondit Badawi, dont la renommée n’est plus à faire. Le docteur Aboud a obtenu son doctorat du département d’archéologie et d’anthropologie. Il s’est spécialisé dans la période gréco-romaine de l’Égypte et c’est un expert des travaux d’Hérodote et de Diodore de Sicile. Le docteur Aboud est une des rares personnes au monde qui ait étudié les ouvrages complexes de Manéthon, un prêtre égyptien contemporain de Ptolémée Ier et Ptolémée II.

O’Connor tendit à Badawi une version expurgée du rapport de la NSA sur Aboud.

— En fait, il a acheté son doctorat sur Degrees and Diplomas Order Centre, un site Internet chinois opérant à partir de Shenzhen.

Incrédule, Badawi secoua la tête en lisant la promo affichée sur le site dans un anglais assez approximatif :

— Selon ce site, et il vous suffit d’aller y jeter un coup d’œil pour vous en assurer, l’Anu est une université de réputation mondiale qui – et je suis certain qu’elle sera ravie de l’apprendre – possède « plus de 200 livres dans sa bibliothèque ». Puisqu’elle dispose en réalité de cinq bibliothèques, ça fait donc quarante ouvrages dans chaque, fit O’Connor, ironique.

Badawi semblait hébété.

— Je suis choqué, dit-il enfin. Il est vrai que parfois certaines de ses remarques me paraissaient curieuses. Où avez-vous obtenu ces informations ?

— À mon tour de faire preuve de franchise, professeur. Disons que, moi non plus, je ne suis pas qu’un scientifique. Je suis bien titulaire d’un doctorat en biochimie et virus mortels – obtenu au prix de pas mal d’efforts au Trinity College de Dublin –, mais quand je ne crapahute pas dans la jungle ou dans le désert avec Aleta à la recherche de trésors archéologiques, je travaille pour le gouvernement des États-Unis. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus, mais sachez qu’Aboud pourrait causer un tort immense au musée. J’avais déjà des doutes lors de nos précédentes rencontres et c’est pour cela que nous ne nous sommes pas montrés tout à fait honnêtes avec vous. Maintenant que nous avons éclairci ce point, je vais laisser Aleta vous mettre au courant de nos dernières investigations.

— Je ne puis que vous présenter mes excuses, Hassan, mais nous sommes vraiment de votre côté.

Le vieux professeur dut faire un effort pour rendre son sourire à Aleta.

— Si c’était n’importe qui d’autre, Aleta, j’aurais bien du mal à le croire. Vous reprendrez du thé ?

Elle hocha la tête avant de se lancer :

— En premier lieu, les photos que nous vous avons montrées du papyrus avec les notations d’Euclide et la Fleur de vie n’ont pas été achetées à Lima. C’est un cliché d’un très ancien papyrus que nous avons déniché dans le souk el-Attarine.

Badawi ouvrit de grands yeux tandis qu’elle lui racontait sa découverte dans la cave d’une boutique d’Alexandrie et la plongée qu’ils avaient, grâce à elle, effectuée dans le port.

— Vous avez trouvé la bibliothèque d’Alexandrie ?!

— C’est tout à fait possible, mais vous comprenez sûrement pourquoi nous avons préféré ne rien révéler : les médias du monde entier auraient déferlé comme une des plaies d’Égypte sur vous et sur le département des antiquités. Mais quand le moment sera venu, nous aimerions que ce soit vous qui fassiez cette annonce.

— Quand le moment sera venu ?

— Nous avons aussi découvert un tunnel immergé dans le puits de Bir el-Samman.

Elle expliqua ce qu’ils avaient vu dans la caverne souterraine.

— La salle des archives ? ne put s’empêcher de l’interrompre Badawi au comble de l’excitation.

— Je le crois, et nous avons pu en rapporter deux urnes à l’insu d’Aboud et des anciens.

— Et de moi !

— Encore une fois, nous aimerions que ce soit vous qui révéliez cette découverte, Hassan, mais pas tout de suite. L’une des urnes contenait une copie originale des Éléments. Quant à l’autre… dit Aleta en ouvrant son attaché-case pour en retirer un dossier muni d’une couverture protectrice, c’est encore plus extraordinaire.

Elle étala avec délicatesse l’antique papyrus sur le bureau de Badawi.

Celui-ci s’empara aussitôt d’une loupe pour l’examiner.

— Je pense, déclara-t-il après ce qui parut une éternité, que vous avez trouvé le Papyrus Euclide. Quelle incroyable découverte ! ajouta-t-il avant de respirer un grand coup. Depuis mes débuts en égyptologie, je n’ai jamais rien vu de semblable. Cela va complètement remettre en question la théorie selon laquelle la grande pyramide est le tombeau de Kheops. Si ce papyrus dit vrai, les ingénieurs de l’époque étaient encore bien plus avancés que nous ne le pensions.

— Il ne fait aucun doute – et c’est déjà une réalisation prodigieuse – que les ingénieurs égyptiens sont parvenus à aligner les pyramides avec les points cardinaux de la Terre et la constellation du Cygne, dit Aleta. Et nous savons tous les deux que, même aujourd’hui, cet alignement n’a toujours pas pu être reproduit de façon aussi précise, surtout pour un édifice aussi vaste. Il va falloir trouver un moyen d’expliquer cela à un public profane. Non seulement les ingénieurs du pharaon ont mis en œuvre la série de Fibonacci, mais quand on prend le rapport de la hauteur de la grande pyramide sur sa base, c’est précisément celui d’un cercle avec sa circonférence. L’angle extrêmement concis de 51° 51’14.3’’ signifie que la valeur mathématique de Pi se retrouve dans la forme même de la pyramide.

— Oui, acquiesça Badawi. Vous ne le savez peut-être pas, docteur O’Connor, mais en 1859, un Anglais, John Taylor, a publié de stupéfiants travaux sur la grande pyramide. La découverte que Pi était inscrit dans sa construction l’a amené à conclure que non seulement il y a un rapport entre la hauteur de la pyramide et sa base, mais que ce rapport était aussi du même ordre que la distance entre le centre de la Terre et ses pôles. Il a découvert que le « pouce » utilisé par les ingénieurs de Kheops était à peine plus grand que le pouce moderne britannique. Et, surtout, que 25 pouces de l’époque formaient une coudée. Or, la base de la grande pyramide est de 365,24 coudées ; le fait que l’année calendaire soit constituée de 365,24 journées ne peut être une coïncidence. Le pouce de la pyramide fait un cinq cents millionième de l’axe de rotation de la Terre, donc il ne fait absolument aucun doute que les ingénieurs de Kheops connaissaient la géométrie de notre planète : leur système de mesures était basé sur elle.

— Oui, c’est extraordinaire, convint O’Connor, mais la question est : qu’est-ce que ces ingénieurs savaient des résonances de fréquence et de la possibilité qu’un tel édifice puisse être construit avec une fréquence de vibration naturelle ? Euclide semble ne pas en douter, mais s’il a raison, il devrait en exister des preuves dans la pyramide elle-même et, pour nous en assurer, Hassan, nous allons avoir besoin de votre aide. Ces zones sont interdites d’accès.

— Ce ne sera pas un problème, assura aussitôt Badawi. Je ne suis pas sans influence dans cette ville. Nous pouvons commencer dès demain matin, si vous le souhaitez, ou peut-être vaudrait-il mieux nous y rendre après les heures d’ouverture au public ?

Dans son bureau, Aboud enleva son casque pour l’enfermer dans un coffre où il récupéra le téléphone que lui avait fourni la Zone 15.

*
*     *

— Il est plutôt agile pour son âge, dit O’Connor à mi-voix tandis qu’Aleta et lui franchissaient, à la suite de Badawi, l’ancienne entrée de la grande pyramide.

Le « tunnel des voleurs » creusé par les ouvriers du calife Al-Ma’Mūm en 820 de notre ère avait depuis été utilisé par des millions de visiteurs, mais Badawi se dirigeait maintenant vers des zones inaccessibles au public.

À bonne distance, Aboud vit le trio disparaître à travers ses jumelles.

— Oui, il est agile, et il connaît le moindre recoin de cette pyramide comme sa poche.

— Je me demande, reprit O’Connor malicieusement, si on ne pourrait pas trouver un recoin, nous aussi… un endroit très tranquille.

— Oublie tout de suite. On va réserver ce genre d’activités à notre suite Montgomery, murmura-t-elle.

— Il me tarde d’y être.

— Tu veux bien rester concentré ?

Au bout d’un long passage aux murs nus, ils gravirent un étroit escalier qui contournait les blocs de granit – la herse – que les ingénieurs de l’Antiquité avaient disposés pour sceller l’accès aux chambres supérieures.

— Avez-vous déjà visité la pyramide, docteur O’Connor ? demanda Badawi tandis qu’ils escaladaient les marches abruptes en direction de la grande galerie.

— Une fois… il y a bien longtemps et au milieu de beaucoup trop d’autres touristes.

Leurs voix résonnaient au sein des deux millions de blocs de calcaire assemblés ici. Au début de la grande galerie, deux rampes la flanquaient de part et d’autre, mais Badawi choisit de continuer entre celles-ci, pour descendre dans un passage qui les amena à ce que l’on nommait la chambre de la reine. La plupart des égyptologues s’accordaient pour dire qu’il était très peu probable qu’une reine ait jamais été enterrée ici.

— C’est plus petit que je ne le pensais, dit O’Connor en découvrant la salle avec sa voûte à chevrons et ses murs entièrement nus.

— Oui… à peu près 6 m2 et environ 5 mètres de hauteur, dit Badawi.

— Et il y a des résidus sur les parois, remarqua O’Connor en éclairant les incrustations de sel avec sa puissante torche.

— Elles ont donné lieu à d’innombrables spéculations, dit Badawi. On en trouve aussi le long du couloir d’entrée. Certains, sans doute influencés par la Bible, ont attribué ces dépôts de sel au Déluge décrit dans la Genèse, mais nous pouvons, selon moi, écarter cette hypothèse, dans la mesure où il n’existe aucune trace d’inondation à l’extérieur de la pyramide, fit-il avec un sourire. Jusqu’à présent, personne n’a pu fournir d’explication plausible, mais cela va peut-être enfin changer.

L’excitation de ses deux partenaires gagnait O’Connor, dont les connaissances en chimie lui permettaient aussi de mieux appréhender certains aspects de leur récente découverte.

— Selon le Papyrus Euclide, la chambre de la reine servait à produire de l’hydrogène. La présence de sel pourrait le confirmer.

— Je ne te suis pas, dit Aleta.

— La façon la plus simple de produire de l’hydrogène, ou H2, est de l’obtenir à partir d’un acide. L’acide chlorhydrique et une solution de chlorure de zinc feraient un mélange quasi idéal.

Il sortit un carnet de notes de sa poche pour y inscrire la formule de la réaction à l’intention d’Aleta et de Badawi.

— On sait que les anciens Égyptiens avaient accès aussi bien au zinc qu’à l’acide chlorhydrique, continua-t-il.

— J’ignore si cela peut aider, intervint Badawi, mais j’ai vu une analyse du sel présent sur ces murs. Elle a été faite en 1978, quand le docteur Patrick Flanagan en a envoyé un échantillon au Bureau de géologie de l’Arizona. C’était un mélange de calcaire, de sel et de gypse.

— Autrement dit, en termes chimiques : du carbonate de calcium, du chlorure de sodium et du sulfate de calcium, dit O’Connor, ce qui correspond parfaitement. C’est précisément le genre de résidus qu’on devrait trouver si de l’hydrogène chauffé était entré en réaction avec le calcaire de ces blocs.

— Sympa d’avoir un chimiste dans l’équipe, dit Aleta.

O’Connor sourit.

— Et puis ça change, fit-il, de ne pas toujours être largué par vous deux.

Il examina les ouvertures des deux conduits qui partaient de chaque côté de la chambre. À l’exception d’une très petite fissure, tous deux étaient bouchés à la base.

— Ces conduits devaient servir à délivrer la solution de chlorure de zinc d’un côté et l’acide chlorhydrique dilué de l’autre, mais la chambre devait rester pleine en permanence pour que la pression des fluides provoque l’évacuation par ces fissures.

Soudain, le visage de Badawi s’illumina, comme si une très vieille énigme venait enfin de trouver sa solution.

— Nous avons toujours été intrigués par ce dispositif… Certains soutenaient qu’il s’agissait de conduits d’aération, mais ils s’arrêtent à 16 mètres de la paroi externe, pas très loin de la chambre du roi. Si vous avez raison, ils pourraient en réalité avoir servi à amener des liquides jusqu’ici pour créer une réaction.

— Et si l’hydrogène devait bien être refroidi, cela explique aussi la présence de cette niche dans ce mur, dit O’Connor en montrant la haute cavité qui évoquait une cheminée. Ils auraient pu installer leur système de refroidissement là-dedans.

— Oui… intervint Aleta avant de se tourner vers Badawi. Vous vous souvenez de la porte de Gantenbrink ?

— La porte de Gantenbrink ? répéta O’Connor.

— En 1992, expliqua Badawi, un ingénieur allemand, Rudolf Gantenbrink, a exploré un de ces petits conduits de la chambre de la reine à l’aide d’un robot… Celui-ci, dit-il en montrant le conduit qui partait de la paroi sud. À son extrémité, le robot s’est heurté à un bloc de calcaire dans lequel était fixé ce qui ressemblait à des électrodes en cuivre.

— Et, plus de cent ans auparavant, en 1872, ajouta Aleta, Charles Smyth et son équipe ont trouvé un crochet en bronze, un bout de cèdre qui aurait pu servir de manche et une petite boule de granit.

— Je me demande… fit O’Connor, pensif. Ce crochet ressemblait-il à cela ?

Il dessina rapidement ce qui ressemblait à deux crochets de cintre accolés.

Aleta acquiesça.

— Plus ou moins, oui.

— Alors, je veux bien commencer à croire Euclide. Si les crochets – il doit y avoir son jumeau dans l’autre conduit – possédaient des poignées en cèdre, ils devaient flotter à la surface des fluides pour venir au contact des électrodes. Tant que les conduits restaient pleins, le circuit électrique était connecté. Mais dès que le niveau baissait, le contact était rompu, ce qui fermait le circuit. Il fallait alors refaire le plein dans les conduits.

— À supposer que les ingénieurs égyptiens connaissaient les circuits électriques.

Le vieux professeur avait encore du mal à accepter une hypothèse qui, si elle était exacte, remettrait en cause tout ce que l’on croyait savoir à propos de la grande pyramide.

— Étant donné ce qui est écrit dans le Papyrus Euclide, je ne pense pas que nous ayons besoin de le supposer… ceci est la preuve qu’ils les connaissaient. Rappelez-vous la pile électrique de Bagdad, intervint Aleta.

— Oui, un dispositif tout à fait extraordinaire. La connaissez-vous, docteur O’Connor ?

— Pas en détail… seulement ce qu’on en montrait au Musée national de Bagdad. Quand nous avons envahi l’Irak, nous nous sommes donné beaucoup de mal pour protéger le ministère du Pétrole, mais nous n’avons rien fait pour cet autre musée qui se trouvait un peu plus bas dans la même rue et qui a été pillé.

Écœuré, O’Connor secoua la tête.

— Je suis bien d’accord, approuva Badawi. Cette poterie a été retrouvée en 1936 près de Bagdad ; elle date de la même période que la bibliothèque d’Alexandrie. Il s’agit en gros d’une petite jarre munie d’un bouchon de bitume. Celui-ci maintenait une tige de fer entourée par un cylindre de cuivre. Si la poterie était remplie de vinaigre, ou de tout autre liquide capable de transporter une charge électrique, elle produisait un courant d’un peu plus d’un volt.

— Et cette pile précède de plusieurs siècles la version moderne inventée par Volta en 1800, dit Aleta, il est donc envisageable que les ingénieurs de Kheops aient possédé leur propre version de la pile de Bagdad. C’est juste que nous ne l’avons pas encore trouvée.

— Mais même si nous acceptons que les ingénieurs produisaient de l’hydrogène dans cette chambre, nous restons encore très loin des notes d’Euclide quant au véritable dessein de la grande pyramide, dit Badawi. Venez, montons dans la chambre du roi par la grande galerie.

Ils le suivirent à nouveau, empruntant la passerelle de bois qui recouvrait le sol de la galerie.

— Voici l’antichambre, expliqua Badawi. Ces grosses rainures dans le calcaire servaient à faire descendre les énormes herses en granit qui scellaient la chambre principale, dit-il en pénétrant dans la chambre du roi elle-même. Les premiers à s’être introduits ici – par effraction – ont été les ouvriers du calife Al-Ma’Mūn en 820. Non seulement les murs étaient intacts mais, à la différence du tombeau de Toutankhamon et de ceux d’autres pharaons, la chambre était presque entièrement vide, en dehors de ceci.

Il montrait l’immense coffre sans rebord dont un des coins était endommagé. Les parois de la salle, construites avec de massifs blocs de granit, étaient totalement nues et dépourvues des inscriptions habituelles.

— Ce sarcophage n’a sans doute jamais contenu de momie et comme il est plus large que le couloir d’accès, il a dû être placé ici avant qu’on ait scellé le plafond de la chambre avec cinq rangées de poutres de granit. On les appelle des poutres de décharge, dit-il en les montrant au-dessus de leurs têtes. Selon la théorie traditionnelle, elles ont été placées ici pour soulager la pression exercée sur le toit plat de la chambre, mais à la lumière du Papyrus Euclide, je n’en suis plus aussi sûr. Ajoutons à cela que beaucoup, beaucoup de gens ont rapporté d’étranges effets énergétiques lors de leur visite dans cette salle.

— Je ne suis pas surpris, renchérit O’Connor, en examinant le plafond, imaginant la pression de l’ordre de plusieurs centaines de milliers de tonnes qui s’exerçait sur lui. Pourquoi les ingénieurs de Kheops se seraient-ils donné la peine d’extraire, de tailler et de transporter 3 000 tonnes de granit supplémentaires depuis Assouan, à 800 kilomètres en amont sur le Nil, sans parler de la difficulté de les positionner si haut dans la structure quand un simple V inversé aurait rempli la même fonction ? Cela n’a aucun sens. Et les deux conduits qui relient cette chambre à l’extérieur n’ont, c’est évident, rien à voir avec une éventuelle ventilation. On évite d’exposer une momie à l’air.

Il se tourna vers Aleta et Badawi. Leur expression lui confirma que l’égyptologie vivait un grand bouleversement.

— Je crois qu’Euclide avait raison… la grande pyramide n’est pas du tout ce que nous croyons.