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Château Cornucopia, Sartène, Corse


Crowley pressa le bouton situé sous son bureau et l’immense écran de 80 pouces apparut silencieusement contre le mur de pierre. Il se brancha sur CNC pour avoir les dernières infos sur l’élection, mais dut d’abord subir les images de la panique qui continuait à régner dans les rues de Londres, Chicago, Sydney et Melbourne. Quand le présentateur en vint enfin à la situation intérieure américaine, il guetta toute allusion à ce qui s’était éventuellement passé à Dallas.

« Donc, pour résumer, Susan, conclut Cronkwell, quand les Américains iront voter mardi, il semble qu’une confortable majorité le fera en faveur de Carter Davis.

— C’est exact, Walter. Même dans des États traditionnellement démocrates comme l’Illinois ou le Delaware, les gens s’inquiètent pour leurs emplois. Campbell bénéficie toujours d’une cote de popularité étonnante, mais cela semble ne plus suffire. Écoutez ce que nous a dit une habitante du Delaware… »

Une femme approchant la soixantaine, filmée devant un magasin, apparut à l’écran.

« Ne vous méprenez pas, je respecte beaucoup Hailey… Et j’admire sa détermination à s’attaquer au réchauffement, mais je travaille pour une grosse compagnie pharmaceutique. Je n’ai toujours pas fini de rembourser mon crédit pour la maison et je m’inquiète pour mon travail, je vais donc devoir voter pour Carter Davis – pas tant parce que c’est un chrétien convaincu et un homme intègre, même si je pense que nous avons bien besoin de quelqu’un comme lui à la Maison-Blanche, mais parce que je crois qu’il fera du bien à notre économie.

— Si les sondages ne se trompent pas, Walter, bientôt ce ne sera plus gouverneur Davis mais président Davis. Ici, Susan Murkowski, en direct du Montana où le gouverneur s’est retiré pour passer les dernières heures avant le scrutin. »

Crowley éteignit la télévision. La journaliste n’avait même pas fait allusion à leur rencontre dans cette chambre d’hôtel à Dallas. Peut-être n’était-ce pas aussi grave que l’avait cru Bannister ? Ignorant encore la descente du FBI sur son quartier général et dans sa propriété, Crowley retrouva sa bonne humeur. Les choses avaient failli mal tourner, mais au bout du compte, tout s’arrangeait. Quant à Badawi et Weizman. même si les médias égyptiens s’étaient fortement émus de leur disparition, personne ne pouvait le relier à leur enlèvement. Dès qu’ils auraient déchiffré le Papyrus Euclide, Ruger les éliminerait, et Bannister avec eux, faisant ainsi d’une pierre trois coups.

*
*     *

— Il faut gagner du temps, Hassan, dit Aleta. Le plus possible.

Depuis leur arrivée en Corse, ils étaient enfermés dans une pièce située au deuxième étage de la villa.

— Tant qu’il n’a pas la traduction, Crowley a besoin de nous.

Le professeur Badawi acquiesça.

— Je le crois aussi. Et il est facile de comprendre pourquoi. Les interprétations qu’a faites Euclide des dessins des ingénieurs de Kheops semblent tout à fait exactes. Quand on y pense, la planète regorge de toutes sortes d’énergies… et je ne parle pas des carburants fossiles, mais de sources magnétiques, thermiques, électriques… tout un éventail que l’on devrait commencer à explorer, y compris ce que les savants de Kheops ont découvert sur les vibrations et les fréquences de résonance. On entend un moteur qui tourne, mais si on ralentit ses révolutions au rythme de la Terre, c’est-à-dire à une toutes les vingt-quatre heures, cela devient impossible.

Contemplant leurs notes sur le papyrus, Aleta hocha la tête.

— Exactement. Le pouls de la Terre est formidable, mais inaudible. D’après ce que je lis ici, les ingénieurs égyptiens sont parvenus à se servir des vibrations de la planète comme d’une source d’énergie illimitée.

— Jusqu’à présent, nous acceptions la théorie des pyramides tombeaux, dit Badawi, mais le Papyrus Euclide la réduit à néant.

— Oui, tout est ici, dit Aleta en montrant les hiéroglyphes. Les Égyptiens ont conçu cette immense pyramide selon des calculs mathématiques d’une extrême précision qui la mette en corrélation avec les dimensions de la planète… Cela, nous le savions depuis un certain temps. Mais nous avons maintenant la preuve qu’ils étaient parvenus à trouver un moyen de convertir les vibrations de la Terre en ce que nous appelons désormais une énergie micro-ondes – les dimensions gigantesques de la pyramide lui permettant de vibrer en harmonie avec la planète. Cette énergie était ensuite canalisée à travers une série de résonateurs dans la grande galerie et convertie en son qui passait dans un filtre acoustique dans l’antichambre jusqu’à la chambre du roi.

— Et cela explique pourquoi cette salle est dépourvue des hiéroglyphes habituels et pourquoi ses parois ont été construites avec du granit extrait spécialement dans ce but et non avec les blocs de calcaire présents partout ailleurs, dit Badawi.

En dépit de leur situation précaire, le vieux professeur était en proie à une formidable exaltation. Ce mystère le tenait en haleine depuis des décennies.

— Et si on regarde ici, enchaîna Aleta en montrant une autre feuille de papyrus, les dimensions mêmes de la chambre du roi permettaient de créer une résonance en harmonie avec le son entrant. Ce granit très particulier vibrait à son tour, excitant le quartz qu’il contenait, ce qui libérait un flux d’électrons.

— Ce qu’aujourd’hui nous appellerions un effet piézo-électrique, renchérit Badawi. C’est tout à fait extraordinaire – si complexe et en même temps si simple.

— Curtis serait fier de moi, fit Aleta avec un sourire, même si je ne fais que relire les notes d’Euclide. Parvenus à ce stade, les Égyptiens généraient d’énormes quantités d’énergies acoustiques, électrique et électro-magnétique. L’hydrogène qui était produit dans la chambre de la reine, résonant à la même fréquence, absorbait l’énergie de la chambre du roi et l’électron unique de l’atome d’hydrogène se trouvait élevé à un état énergétique supérieur.

— En d’autres termes, ils disposaient alors d’une réserve de trillions et de trillions d’atomes d’hydrogène. Nous savons que le conduit nord menant aux chambres royales était, à l’origine, plaqué de métal. Les ingénieurs de Kheops devaient s’en servir pour concentrer un rayon de basse énergie… le même rayonnement cosmique de fond qui bombarde la Terre en permanence. Cela provoquait une réaction avec les atomes excités, forçant les électrons à reprendre leur état originel et délivrant du même coup l’énergie stockée pour générer un rayon incroyablement puissant qui pouvait ensuite être canalisé à travers le conduit sud également revêtu de métal. Les Égyptiens devaient être parvenus à maîtriser cette puissance, ce qui explique pourquoi beaucoup de leurs constructions ont été réalisées avec une telle précision… de l’ordre du millionième de pouce.

Badawi poussa un long soupir admiratif avant de reprendre :

— Cela faisait des décennies que courait la rumeur de l’existence de ce papyrus quelque part dans le souk et Crowley devait en avoir entendu parler. Il a forcément compris le potentiel de cette technologie… qui aurait définitivement renvoyé son industrie à base de carburants fossiles au passé.

Aleta n’était pas moins exaltée.

— Nous avons peut-être trouvé le moyen de nous débarrasser du pétrole !

Sa joie ne dura pas. La porte s’ouvrit. Crowley entra dans la pièce.