De tes loix dès l'enfance heureusement instruit, et par la foi, seigneur, à la raison conduit, permets que dans mes vers, sous une feinte image, j'ose pour un moment imiter le langage d'un mortel qui vers toi, de troubles agité, s'avance, et pas à pas cherche ta vérité.
Quand je reçus la vie au milieu des allarmes, et qu'aux cris maternels répondant par mes larmes j'entrai dans l'univers, escorté de douleurs, j'y vins pour y marcher de malheurs en malheurs.
Je dois mes premiers jours à la femme étrangere, qui me vendit son lait, et son coeur mercenaire.
Réchauffé dans son sein, dans ses bras caressé, et long-tems insensible à son zèle empressé, de mon retour enfin un souris fut le gage.
De ma foible raison je fis l'apprentissage.
Frappé du son des mots, attentif aux objets, je répetai les noms, je distinguai les traits.
Je connus, je nommai, je caressai mon pere : j'écoutai tristement les avis de ma mere.
Un châtiment soudain réveilla ma langueur.
Des maîtres ennuyeux je craignis la rigueur : des siécles reculés l'un me contoit l'histoire ; l'autre plus importun gravoit dans ma mémoire d'un langage nouveau tous les barbares noms.
Le tems forma mon goût : pour fruit de ces leçons d'Eschine j'admirai l'éloquente colere.
Je sentis la douceur des mensonges d'Homere : de la triste Didon partageant les malheurs, son bucher fut souvent arrosé de mes pleurs.
Je méprisai l'enfance et ses jeux insipides.
Mais ses amusemens étoient-ils plus solides ?
D'arides vérités quelquefois trop épris, j'esperois de Newthon pénétrer les écrits.
Tantôt je poursuivois un stérile problême.
De Descartes tantôt renversant le systême, d'autres mondes en l'air s'élevoient à mes frais : Armide étoit moins prompte à bâtir un palais ; et d'un souffle détruits, malgré leur renommée, tous les vieux tourbillons s'exhaloient en fumée.
Par mon anatomie un rayon divisé en sept rayons égaux étoit subtilisé, et j'osois, remontant à la couleur premiere, à mon hardi calcul soumettre la lumiere.
Dans ces rêves flatteurs que j'ai perdu de jours !
Cherchant à tout savoir, et m'ignorant toûjours, je n'avois point encor réfléchi sur moi-même.
Me reprochant enfin ma négligence extrême, je voulus me connoître : un espoir orgueilleux inspiroit à mon coeur ce projet périlleux.
Que de fois, ô fatale et triste connoissance, tu m'as fait regretter ma premiere ignorance !
Je me figure, hélas ! Le terrible reveil d'un homme qui sortant des bras d'un long sommeil, se trouve transporté dans une isle inconnuë, qui n'offre que déserts et rochers à sa vûë : tremblant il se souleve, et d'un oeil égaré parcourt tous les objets dont il est entouré.
Il retombe aussi-tôt : il se releve encore ; mais il n'ose avancer dans ces lieux qu'il ignore.
Telle fut ma terreur, si-tôt qu'ouvrant les yeux, et rompant un sommeil, peut-être officieux, je me regardai seul, sans appui sans défense, égaré dans un coin de cet espace immense ; ver impur de la terre, et roi de l'univers ; riche, et vuide de biens ; libre et chargé de fers.
Je ne suis que mensonge, erreur, incertitude, et de la vérité je fais ma seule étude.
Tantôt le monde entier m'annonce à haute voix le maître que je cherche ; et déja je le vois ; tantôt le monde entier dans un profond silence à mes regards errans n'est plus qu'un vuide immense.
O nature, pourquoi viens tu troubler ma paix ?
Ou parle clairement, ou ne parle jamais.
Cessons d'interroger qui ne veut point répondre.
Si notre ambition ne sert qu'à nous confondre, bornons-nous à la terre, elle est faite pour nous.
Mais non, tous ses plaisirs n'entraînent que dégoûts : aucun d'eux n'assouvit la soif qui me dévore : je desire, j'obtiens, et je desire encore.
Grand dieu, donne-moi donc des biens dignes de toi ; ou donne m'en du moins qui soient dignes de moi.
Que d'orgueil ! C'est ainsi qu'à moi-même contraire, monstre de vanité, prodige de misère, je ne suis à la fois que néant et grandeur.
Mécontent des objets que poursuit mon ardeur, je n'estime que moi : tout autre que moi-même, si je semble l'aimer, c'est pour moi que je l'aime.
Je me hais cependant, si-tôt que je me voi.
Je ne puis vivre seul : occupé loin de moi je n'aspire qu'à plaire à ceux que je méprise.
Sans doute qu'à ces mots, des bords de la Tamise quelque abstrait raisonneur, qui ne se plaint de rien, dans son flegme anglican répondra, tout est bien .
«Le grand ordonnateur dont le dessein si sage, de tant d'êtres divers ne forme qu'un ouvrage, nous place à notre rang pour orner son tableau. » eh ! Quel triste ornement d'un spectacle si beau !
Quoi ! Mes pleurs (n'est-ce pas un crime de le croire ? ) d'un maître bienfaisant releveroient la gloire !
Pour d'autres biens peut-être il nous a réservés, et tous ses grands desseins ne sont point achevés.
Oui, je l'ose esperer. Juste arbitre du monde, de la solide paix source pure et féconde, être par-tout présent, quoique toûjours caché, des maux de tes sujets quand seras-tu touché ?
Tendre pere, témoin de nos longues allarmes, pourras-tu voir toûjours tes enfans dans les larmes ?
Non, non. Voilà de toi ce que j'ose penser.
Ta bonté quelque jour saura mieux nous placer.
Mais comment retrouver la gloire qui m'est duë ?
Qui peut te rendre à moi, félicité perduë ?
Est-ce dans mes pareils que je dois te chercher ?
Ils m'échappent ; la mort me les vient arracher, et frappés avant moi, le tombeau les dévore : j'irai bien-tôt les joindre : où vont-ils ?
Je l'ignore.
Est-il vrai ? N'est-ce point une agréable erreur qui de la mort en moi vient adoucir l'horreur ?
O mort, est-il donc vrai que nos ames heureuses n'ont rien à redouter de tes fureurs affreuses ?
Et qu'au moment cruel qui nous ravit le jour, tes victimes ne font que changer de séjour ?
Quoi ! Même après l'instant où tes aîles funèbres m'auront enseveli dans tes noires ténèbres, je vivrois ! Doux espoir ! Que j'aime à m'y livrer !
De quelle ambition tu te vas enivrer, dit l'impie ? Est-ce à toi, vaine et foible étincelle ; vapeur vile, d'attendre une gloire immortelle ?
Le hasard nous forma ; le hasard nous détruit ; et nous disparoissons comme l'ombre qui fuit.
Malheureux, attendez la fin de vos souffrances : et vous, ambitieux, bornez vos espérances : la mort vient tout finir, et tout meurt avec nous.
Pourquoi, lâches humains, pourquoi la craignez-vous ?
Qu'est-ce donc qu'un cercueil offre de si terrible ?
Une froide poussiere, une cendre insensible.
Là nous ne trouvons plus ni plaisir ni douleur.
Un repos éternel est-il donc un malheur ?
Plongeons-nous sans effroi dans ce muet abîme, où la vertu périt aussi-bien que le crime : et suivant du plaisir l'aimable mouvement, laissons-nous au tombeau conduire mollement.
A ces mots insensés, le maître de Lucrece, usurpant le grand nom d'ami de la sagesse, joint la subtilité de ses faux argumens ; Lucrece de ses vers prête les ornemens.
De la noble harmonie indigne et triste usage !
Epicure avec lui m'adresse ce langage.
Cet esprit, ô mortels, qui vous rend si jaloux, n'est qu'un feu qui s'allume et s'éteint avec vous.
Quand par d'affreux sillons l'implacable vieillesse sur un front hideux imprimé la tristesse ; que dans un corps courbé sous un amas de jours, le sang comme à regret semble achever son cours : lorsqu'en des yeux couverts d'un lugubre nuage il n'entre des objets qu'une infidelle image : qu'en débris chaque jour le corps tombe et périt : en ruïnes aussi je vois tomber l'esprit.
L'ame mourante alors, flambeau sans nourriture, jette par intervalle une lueur obscure.
Triste destin de l'homme ! Il arrive au tombeau plus foible, plus enfant qu'il ne l'est au berceau.
La mort, du coup fatal sappe enfin l'édifice : dans un dernier soupir achevant son supplice, lorsque vuide de sang le coeur reste glacé, son ame s'évapore, et tout l'homme est passé.
Sur la foi de tes chants, ô dangereux poëte, d'un maître trop fameux trop fidéle interprête, de mon heureux espoir désormais détrompé, je dois donc, du plaisir à toute heure occupé, consacrer les momens de ma course rapide, à la divinité que tu choisis pour guide : et la mere des jeux, des ris et des amours, doit ainsi qu'à tes vers présider à mes jours.
Si l'homme cependant au bout de sa carriere, n'a plus que le néant pour attente derniere ; comment puis-je gouter ces plaisirs peu flateurs, du destin qui m'attend foibles consolateurs ?
Tu veux me rassûrer, et tu me désesperes.
Vivrai-je dans la joie, au milieu des miseres, quand même je n'ai pas où reposer un coeur, las de tout parcourir en cherchant son bonheur ?
Rois, sujets, tout se plaint, et nos fleurs les plus belles renferment dans leur sein des épines cruelles.
L'amertume secrette empoisonne toûjours l'onde qui nous paroît si claire dans son cours.
C'est le sincere aveu que nous fait épicure.
L'orateur du plaisir en apprend la nature.
Laissons-le discourir. ô raison, viens à moi : je veux seul méditer et m'instruire avec toi.
Je pense. La pensée, éclatante lumiere, ne peut sortir du sein de l'épaisse matiere.
J'entrevois ma grandeur. Ce corps lourd et grossier n'est donc pas tout mon bien, n'est pas moi tout entier.
Quand je pense, chargé de cet emploi sublime, plus noble que mon corps, un autre être m'anime.
Je trouve donc qu'en moi, par d'admirables noeuds deux êtres opposés sont réunis entr'eux : de la chair et du sang le corps vil assemblage ; l'ame, rayon de Dieu, son souffle, son image.
Ces deux êtres liés par des noeuds si secrets séparent rarement leurs plus chers intérêts : leurs plaisirs sont communs, aussi-bien que leurs peines.
L'ame guide du corps, doit en tenir les rênes ; mais par des maux cruels quand le corps est troublé, de l'ame quelquefois l'empire est ébranlé.
Dans un vaisseau brisé, sans voile, sans cordage, triste jouet des vents, victime de leur rage, le pilote effrayé, moins maître que les flots, veut faire entendre en vain sa voix aux matelots, et lui-même avec eux s'abandonne à l'orage.
Il périt ; mais le nôtre est exemt du naufrage.
Comment périroit-il ? Le coup fatal au corps divise ses liens, dérange ses ressorts : un être simple et pur n'a rien qui se divise, et sur l'ame la mort ne trouve point de prise.
Que dis-je ? Tous ces corps dans la terre engloutis, disparus à nos yeux, sont-ils anéantis ?
D'où nous vient du néant cette crainte bisarre ?
Tout en sort, rien n'y rentre : et la nature avare, dans tous ses changemens ne perd jamais son bien.
Ton art, ni tes fourneaux n'anéantiront rien, toi, qui riche en fumée, ô sublime alchimiste, dans ton laboratoire invoque trismégiste.
Tu peux filtrer, dissoudre, évaporer ce sel ; mais celui qui l'a fait, veut qu'il soit immortel.
Prétendras-tu toûjours à l'honneur de produire, quand même tu n'as pas le pouvoir de détruire ?
Si du sel, ou du sable un grain ne peut périr, l'être qui pense en moi, craindra-t'il de mourir !
Qu'est-ce donc que l'instant où l'on cesse de vivre ?
L'instant où de ses fers une ame se délivre.
Le corps né de la poudre, à la poudre est rendu.
L'esprit retourne au ciel, dont il est descendu.
Peut-on lui disputer sa naissance divine ?
N'est-ce pas cet esprit plein de son origine, qui, malgré son fardeau, s'éleve, prend l'essor, à son premier séjour quelquefois vole encor, et revient tout chargé de richesses immenses ?
Platon, combien de fois, jusqu'au ciel tu t'élances ?
Descartes, qui souvent m'y ravis avec toi ; Pascal, que sur la terre à peine j'apperçoi ; vous qui nous remplissez de vos douces manies, poëtes enchanteurs, admirables génies, Virgile, qui d'Homere appris à nous charmer, Boileau, Corneille, et toi que je n'ose nommer ; vos esprits n'étoient-ils qu'étincelles legeres, que rapides clartés, et vapeurs passageres ?
Que ne puis-je prétendre à votre illustre sort, ô vous, dont les grands noms sont exemts de la mort ?
Eh ! Pourquoi dévoré par cette folle envie, vais-je étendre mes voeux au-delà de ma vie ?
Par de brillans travaux je cherche à dissiper cette nuit dont le tems me doit envelopper.
Des siécles à venir je m'occupe sans cesse.
Ce qu'ils diront de moi m'agite et m'intéresse, je veux m'éterniser, et dans ma vanité j'apprens que je suis fait pour l'immortalité.
De tout bien qui périt mon ame est mécontente.
Grand Dieu, c'est donc à toi de remplir mon attente, si je dois me borner aux plaisirs d'un instant, falloit-il pour si peu m'appeller du néant ?
Et si j'attens en vain une gloire immortelle, falloit-il me donner un coeur qui n'aimât qu'elle ?
Quand sur la terre enfin je vois avec douleur gémir l'humble vertu qu'accable le malheur ; j'éleve mes regards vers un maître suprême, et je le reconnois dans ce désordre même.
S'il le permet, il doit le réparer un jour.
Il veut que l'homme espere un plus heureux séjour.
Oui, pour un autre tems, l'être juste et sévere, ainsi que sa bonté reserve sa colere.
Peres des fictions, les poëtes menteurs, de ces dogmes, dit-on, furent les inventeurs ; et sitôt que la Grece, ivre de son Homere, eût de l'empire sombre admiré la chimere, le peuple qu'effrayoient Tisiphone et ses soeurs, d'un charmant élisée espéra les douceurs.
Pluton fut leur ouvrage ; et leurs mains, je l'avoue, étendirent jadis Ixion sur sa roue.
L'onde affreuse du stix qui couloit sous leurs loix, ferma les noirs cachots qu'elle entoura neuf fois.
Ils livrerent Tantale à des ondes perfides, qui s'échappoient sans cesse à ses lévres arides.
Par l'urne de Minos, et ses arrêts cruels, ils jetterent l'effroi dans l'ame des mortels.
Ils leur firent entendre une ombre malheureuse, qui poussant vers le ciel une voix douloureuse, s'écrioit, par les maux que je souffre en ces lieux,
Apprenez, ô mortels, à respecter les dieux .
Hardis fabricateurs de mensonges utiles, eussent-ils pû trouver des auditeurs dociles, sans la secrette voix, plus forte que la leur, cette voix qui nous crie au fond de notre coeur ; qu'un juge nous attend, dont la main équitable tient de nos actions le compte redoutable ?
Il ne laissera point l'innocent en oubli : espérons, et souffrons ; tout sera rétabli.
L'attente d'un vengeur qui console Socrate, lui fait subir l'arrêt de sa patrie ingrate.
Proscrit par l'injustice, il expire content, et je l'admirerois jusqu'au dernier instant, s'il ne me nommoit pas, ô demande frivole, la victime qu'il veut que pour lui l'on immole.
Que notre esprit est foible et s'égare aisément !
Mais, que dis-je ? Le mien s'égare en ce moment.
De l'immortalité tes promesses pompeuses, à moi-même, ô raison, me deviennent douteuses.
Quoi ! Cette ame sujette à tant d'obscurité, peut-elle être un rayon de la divinité ?
Dieu brillant de lumiere, est-ce là ton image ?
O parfait ouvrier, l'homme est-il ton ouvrage ?
Dans un corps, il est vrai, je suis emprisonné : mais pour quel crime affreux y suis-je condamné ?
Cruellement puni sans me trouver coupable, et toûjours avec moi énigme inconcevable, qu'ai-je fait ? Par pitié, raison, sois mon soutien : réponds-moi. Mais hélas ! Tu ne me dis plus rien.
A mon secours enfin j'appelle tous les hommes.
Je demande où l'on va, d'où l'on vient, qui nous sommes, et je les vois courir peu touchés de mes maux, à des amusemens qu'ils nomment leurs travaux.
On détruit, on éleve, on s'intrigue, on projette : sans cesse l'on écrit, et sans cesse on répéte.
L'un jaloux de ses vers, vain fruit d'un doux repos, croit que Dieu ne l'a fait que pour ranger des mots.
L'autre assis pour entendre et juger nos querelles, dicte un amas d'arrêts, qui les rend éternelles.
Cent fois j'ai souhaité, j'en fais l'aveu honteux, pouvoir de mes malheurs me distraire comme eux ; et risquant sans remords mon ame infortunée, attendre du hasard ma triste destinée.
Quelques-uns, m'a-t'on dit, cherchant la vérité, dans un savant loisir ont long-tems médité : et leurs veilles ont fait la gloire de la Grece : dans l'école d'Athene habita la sagesse.
Puisse, pour m'exposer ce merveilleux tableau, Raphaël prendre encor son sublime pinceau !
Que de héros fameux ! Quels graves personnages !
Que vois-je ! La discorde au milieu de ces sages ; et de maîtres, entr'eux sans cesse divisés, naissent des sectateurs l'un à l'autre opposés.
Nos folles vanités font pleurer Heraclite ; ces mêmes vanités font rire Démocrite.
Quel remede à nos maux, que des ris ou des pleurs !
Qu'ils en cherchent la cause, et guérissent nos coeurs.
Habitant des tombeaux, que t'apprend leur silence ?
"Les atômes erroient dans un espace immense : déclinant de leur route ils se sont approchés : durs, inégaux, sans peine ils se sont accrochés.
Le hasard a rendu la nature parfaite : l'oeil au-dessous du front se creusa sa retraite : les bras au haut du corps se trouverent liés : la terre heureusement se durcit sous nos pieds.
L'univers fut le fruit de ce prompt assemblage : l'être libre et pensant en fut aussi l'ouvrage. " par honneur, Hippocrate, ou par pitié du moins, va guérir ce rêveur, si digne de tes soins.
C'est à l'eau dont tout sort que Thalès nous ramene ; l'air seul a tout produit, nous dit Anaximene.
Et l'éternel pleureur assûre que le feu de l'univers naissant mit les ressorts en jeu.
Pirrhon qui n'a trouvé rien de sûr que son doute, de peur de s'égarer ne prend aucune route.
Insensible à la vie, insensible à la mort, il ne sçait quand il veille, il ne sçait quand il dort, et de son indolence, au milieu d'un orage, un stupide animal est en effet l'image.
Orné de sa besace, et fier de son manteau, cet orgueilleux n'apprend qu'à rouler un tonneau.
Oui, sa lanterne en main Diogene m'irrite ; il cherche un homme, et lui n'est qu'un fou que j'évite.
C'est assez contempler ces astres si parfaits, Anaxagore : enfin dis-nous qui les a faits.
Mais quelle douce voix enchante mon oreille ?
Tandis qu'en ces jardins épicure sommeille, que de voluptueux répétent ses leçons, mollement étendus sur de tendres gazons !
Malheureux, jouissez promptement de la vie : hâtez-vous, le tems fuit, et la parque ennemie d'un coup de son ciseau va vous rendre au néant : par un plaisir encor volez-lui cet instant.
Votre austere rival, pâle mélancolique, fait de ses grands discours résonner le portique.
Je tremble en l'écoutant ; sa vertu me fait peur.
Je ne puis comme lui rire dans la douleur ; j'ose la croire un mal, et le crois sans attendre que la goute en fureur me contraigne à l'apprendre.
L'académie enfin par la voix de Platon, va dissiper en moi tout l'ennui de Zenon.
Mais de Platon lui-même, et qu'attendre et que croire, quand de ne rien savoir son maître fait sa gloire ?
Incertain comme lui, n'osant rien hasarder, il réfute, il propose, et laisse à décider.
Par quelques vérités à peine il me console : il s'arrête, il hésite, il doute et me désole.
Son disciple jaloux, prompt à l'abandonner, se retire au lycée, et m'y veut entraîner.
Mais à l'homme inquiet, le maître d'Alexandre du terrible avenir ne daigne rien apprendre.
Que me fait sa morale, et tout son vain savoir, s'il me laisse mourir sans un rayon d'espoir ?
Loin des longs raisonneurs que la Grece publie, le mystique vieillard m'appelle en Italie.
La mort, si je l'en crois, ne doit point m'affliger : on ne périt jamais, on ne fait que changer : et l'homme et l'animal par un accord étrange, de leurs ames entr'eux font un bisarre échange.
De prisons en prisons renfermés tour à tour, nous mourons seulement pour retourner au jour.
Triste immortalité ! Frivole récompense d'une abstinence austere, et de tant de silence !
Philosophes : que dis-je ? Antiques discoureurs ; c'est prêter trop long-tems l'oreille à vos erreurs.
Ainsi donc étourdi de pompeuses paroles, plus troublé que jamais je sors de vos écoles.
Vous promettez beaucoup : de vos grands noms frappé, j'attendois tout de vous, et vous m'avez trompé.
Du seul fils d'Ariston je n'ai point à me plaindre ; ennemi du mensonge, il m'apprend à le craindre : il tremble à chaque pas, et vers la vérité je sens qu'il me conduit par sa timidité.
D'un heureux avenir je lui dois l'espérance : d'un dieu qui me chérit j'entrevois la puissance.
Mais s'il m'aime ce dieu, dans un désordre affreux doit-il laisser languir un sujet malheureux ?
Pourquoi de tant d'honneur et de tant de misere réünit-il en moi l'assemblage adultére ?
Prodigue de ses biens, un pere plein d'amour s'empresse d'enrichir ceux qu'il a mis au jour.
L'être toûjours heureux, rend heureux ses ouvrages.
Il s'aime, son amour s'étend sur ses images.
Il nous punit : de quoi ? Nous l'a t'il révélé ?
La terre est un exil : pourquoi suis-je exilé ?
Qui suis-je ? Mais hélas ! Plus je veux me connaître, plus la peine et le trouble en moi semblent renaître.
Qui suis-je ? Qui pourra me le développer ?
Voilà, Platon, voilà le noeud qu'il faut couper.
Platon ne parle plus, où je l'entens lui-même avouer le besoin d'un oracle suprême.
Platon ne parle plus, quel sera mon secours ?
Il faut donc me résoudre à m'ignorer toûjours.
Dans ce nuage épais quel flambeau peut me luire ?
Dans ce dédale obscur quel fil peut me conduire ?
Qui me débrouillera ce cahos plein d'horreur !
Mon coeur désesperé se livre à sa fureur.
Vivre sans se connoître est un trop dur supplice : que, par pitié du moins, la mort m'anéantisse.
O ciel ! C'est ta rigueur que j'implore à genoux.
Daigne écraser enfin l'objet de ton couroux.
Montagnes, couvrez-moi : terre, ouvre tes abîmes : si je suis si coupable, englouti tous mes crimes ; et périsse à jamais le jour infortuné où l'on dit à mon pere, un enfant vous est né .
De mon état cruel quand je me désespere, et sens avec Platon qu'il faut qu'un dieu m'éclaire.
J'apprens qu'un peuple entier garde encor aujourd'hui un livre qu'autrefois le ciel dicta pour lui.
Ah ! S'il est vrai, j'y cours. Quelle route ai-je à suivre ?
Où faut-il s'adresser ? à quel peuple ? à quel livre ?
Si Dieu nous a parlé, qu'a-t'il dit ? Je le croi.
Pour chercher de ce dieu la véritable loi, parmi tant de mortels je trouve à peine un guide.
Ensevelis hélas ! Dans un repos stupide, ou plongés presque tous dans de frivoles soins, leur plus grand intérêt les occupe le moins.
Montagne m'entretient de sa douce indolence : sait-il de quel côté doit pencher la balance ?
Ce n'est pas vers le but que Bayle veut marcher, c'est l'obstacle qu'il aime, il ne veut que chercher.
Pour toi, coupable auteur d'un ténébreux systême, qui de tout réuni, formes l'être suprême, et qui m'éblouissant par tes pompeux discours, anéantis ce dieu dont tu parles toûjours ; caché dans ton nuage, impénétrable azile, à l'abri de mes coups, tu peux rester tranquile, qu'à sonder l'épaisseur de ton obscurité tes hardis sectateurs mettent leur vanité, et jaloux d'un honneur où je n'ose prétendre, se disputent entr'eux la gloire de t'entendre.
Le déïste du moins me parle sans détours : content de sa raison qu'il me vante toûjours, elle seule est son guide ; il marche à sa lumiere.
Ouvre les yeux, ingrat, connois-là toute entiere.
Cette même raison m'éclaire comme toi : tu la verras bien-tôt me conduire à la foi.
Au jour dont j'ai besoin elle-même m'appelle, et m'apprend à chercher un guide meilleur qu'elle.
D'une religion je lui dois le desir : c'est avec elle encor que je vais la choisir.