Les empires détruits, les trônes renversés, les champs couverts de morts, les peuples dispersés, et tous ces grands revers, que notre erreur commune croit nommer justement les jeux de la fortune, sont les jeux de celui, qui maître de nos coeurs, à ses desseins secrets fait servir nos fureurs, et de nos passions reglant la folle yvresse, de ses projets par elle accomplit la sagesse.
Les conquérans n'ont fait par leur ambition que hâter les progrès de la religion : nos haines, nos combats ont affermi sa gloire : c'est le prouver assez, que conter son histoire.
Je sais bien que féconde en agrémens divers la riche fiction est le charme des vers.
Nous vivons du mensonge, et le fruit de nos veilles n'est que l'art d'amuser par de fausses merveilles : mais à des faits divins mon écrit consacré, par ces vains ornemens seroit deshonoré.
Je laisse à Sannasar son audace profane : loin de moi ces attraits que mon sujet condamne : l'ame de mon récit est la simplicité.
Ici tout est merveille, et tout est vérité.
Le dieu qui dans ses mains tient la paix et la guerre, tranquille au haut des cieux change à son gré la terre.
Avant que le lien de la religion soit un lien commun de toute nation, il veut que l'univers ne soit qu'un seul empire.
A ce même dessein dès long-tems Rome aspire ; mais un état si vaste, en proie aux factions, est le regne du trouble, et des divisions.
Il veut que sur la terre aux mêmes loix soumise, un paisible commerce en tous lieux favorise de ses ordres nouveaux les ministres divins.
Ils pourront les porter par de libres chemins, si l'univers n'a plus pour maître qu'un seul homme.
Il l'a voulu ce dieu : la liberté de Rome ranimant ses soldats par César abbatus, du dernier coup frappée, expire avec Brutus.
Dans ses hardis vaisseaux une reine ose encore rassembler follement les peuples de l'aurore.
Elle fuit l'insensée : avec elle tout fuit, et son indigne amant honteusement la suit.
Jusqu'à Rome bien-tôt par Auguste traînées toutes les nations à son char enchaînées, l'arabe, le gelon, le brûlant afriquain, et l'habitant glacé du nord le plus lointain, vont orner du vainqueur la marche triomphante.
Le parthe s'en allarme, et d'une main tremblante rapporte les drapeaux à Crassus arrachés.
Dans leurs Alpes en vain les rhetes sont cachés : la foudre les atteint, tout subit l'esclavage.
L'Araxe mugissant sous un pont qui l'outrage, de son antique orgueil reçoit le châtiment, et l'Euphrate soumis coule plus mollement.
Paisible souverain des mers et de la terre, Auguste ferme enfin le temple de la guerre.
Il est fermé ce temple, où par cent noeuds d'airain la discorde attachée, et déplorant en vain tant de complots détruits, tant de fureurs trompées, frémit sur un amas de lances et d'épées.
Aux champs deshonorés par de si longs combats la main du laboureur rend leurs premiers appas.
Le marchand loin du port, autrefois son azile, fait voler ses vaisseaux sur une mer tranquile.
Les poëtes surpris d'un spectacle si beau sont saisis à l'instant d'un transport tout nouveau.
Ils annoncent que Rome après tant de miracles va voir le tems heureux prédit par ses oracles.
un siécle, disent-ils, recommence son cours, qui doit de l'âge d'or nous ramener les jours.
Déja descend du ciel une race nouvelle ; la terre va reprendre une face plus belle ; tout y deviendra pur, et ses premiers forfaits, s'il en reste, seront effacés pour jamais. tant de prédictions qui frappent les oreilles, font d'un grand changement espérer les merveilles.
Vers l'orient alors chacun tourne les yeux : c'est de-là qu'on attend ce roi victorieux, qui sortant des climats où le jour prend naissance, doit soumettre la terre à son obéïssance.
Jérusalem s'éveille à des bruits si flateurs : l'héritier de Jacob en cherche les auteurs.
Des prophètes sacrés parcourant les volumes, sans peine il reconnoît le siécle, dont leurs plumes ont décrit tant de fois les jours délicieux.
"Il est venu ce tems, l'espoir de nos ayeux, où le fer, dont la dent rend les guérets fertiles, sera forgé du fer des lances inutiles .
La justice et la paix s'embrassent devant nous.
Le glaive étincelant d'un royaume jaloux n'ose plus aujourd'hui s'irriter contre un autre : le bonheur des humains nous annonce le nôtre.
Sous un joug étranger nous avons succombé, et des mains de Juda notre sceptre est tombé .
Mais notre opprobre même assure notre gloire : des promesses du ciel rappellons la mémoire. " cependant il paroît à ce peuple étonné un homme (si ce nom lui peut être donné) qui sortant tout à coup d'une retraite obscure, en maître, et comme Dieu, commande à la nature.
A sa voix sont ouverts des yeux long-tems fermés, du soleil qui les frappe ébloüis et charmés.
D'un mot il fait tomber la barriere invincible, qui rendoit une oreille aux sons inaccessible ; et la langue qui sort de la captivité, par de rapides chants benit sa liberté.
Des malheureux traînoient leurs membres inutiles, qu'à son ordre à l'instant ils retrouvent dociles.
Le mourant étendu sur un lit de douleurs de ses fils désolés court essuyer les pleurs.
La mort même n'est plus certaine de sa proie.
Objet tout à la fois d'épouvante et de joie, celui que du tombeau rappelle un cri puissant, se releve, et sa soeur pâlit en l'embrassant.
Il ne repousse point les fleuves vers leur source : il ne dérange pas les astres dans leur course.
On lui demande en vain des signes dans les cieux.
Vient-il pour contenter les esprits curieux ?
Ce qu'il fait d'éclatant, c'est sur nous qu'il l'opere ; et pour nous sort de lui sa vertu salutaire.
Il guérit nos langueurs, il nous rappelle au jour : sa puissance toûjours annonce son amour.
Mais c'est peu d'enchanter les yeux par ces merveilles.
Il parle : ses discours ravissent les oreilles.
Par lui sont annoncés de terribles arrêts ; par lui sont révélés de sublimes secrets.
Lui seul n'est point ému des secrets qu'il révéle ; il parle froidement d'une gloire éternelle ; il étonne le monde, et n'est point étonné : dans cette même gloire il semble qu'il soit né : il paroît ici bas peu jaloux de la sienne.
Qu'empressé de l'entendre un peuple le prévienne, il n'adoucit jamais aux esprits révoltés ses dogmes rigoureux, ses dures vérités.
C'est en vain qu'on murmure, il faut croire, il l'ordonne.
D'un oeil indifférent il voit qu'on l'abandonne.
D'un tel législateur quel sera le destin ?
Jadis de la vertu Platon prévit la fin.
A souffrir, disoit-il, que son héros s'apprête : la rage des méchans doit fondre sur sa tête.
S'il se montre à la terre, à la terre arraché, proscrit, frappé, sanglant, à la croix attaché, paix secrete du coeur, gage de l'innocence, c'est toi seule à sa mort qui seras sa défense.
L'oracle est accompli. Le juste est immolé.
Tout s'émeut, et des bords du Jourdain désolé au Tibre en un moment le bruit s'en fait entendre.
D'intrépides humains courent pour le répandre : ils volent : l'univers est rempli de leur voix.
Repentez-vous, pleurez, et montez à sa croix, quel que soit le forfait, la victime l'expie.
Vous avez fait mourir le maître de la vie.
Celui que vos bourreaux traînoient en criminel, est l'image, l'éclat, le fils de l'éternel.
Ce dieu dont la parole enfanta la lumiere, couché dans un tombeau dormoit dans la poussiere ; mais la mort est vaincue, et l'enfer dépouillé.
La nature a frémi, son dieu s'est réveillé.
Il vit, nos yeux l'ont vû. Croyez. Parole étrange !
Ils commandent de croire : on les croit, et tout change.
Simples dans leurs discours, simples dans leurs écrits, les accusera-t'on d'éblouir nos esprits ?
Ils comptent leurs erreurs, leur honte, leur foiblesse.
Par eux, de leur naissance apprenant la bassesse, j'apprens aussi par eux leur infidélité, le trouble de leur maître, et sa timidité.
A l'aspect de la mort il s'attriste, il frissonne : languissant, prosterné, la force l'abandonne, et le calice amer qu'on lui doit présenter, loin de lui, s'il pouvoit, il voudroit l'écarter.
Est-il donc d'un héros d'écouter la nature ?
Socrate en étouffa jusqu'au moindre murmure.
L'imposture, féconde en discours séduisans, eût orné son récit de charmes plus puissans.
Leurs écrits, dites-vous, dépouillés d'artifice, ne font point dans leur coeur soupçonner de malice ; mais peut-être on les trompe, et séduits les premiers, ils ont crû follement des mensonges grossiers.
Si tous ces faits sont faux, ont-il pû les écrire parmi des ennemis prêts à les contredire ?
A peine aux yeux mortels leur maître est disparu : à toute heure, en tout lieu, tout un peuple l'a vû.
Qu'elle a d'autorité l'histoire, qu'en silence sont contraints d'écouter des témoins qu'elle offense !
Mais en quel triste état te découvrent mes yeux, ville jadis si belle, ô peuple ami des cieux !
Qu'as-tu fait à ton dieu ? Sa vengeance est certaine.
Comment à tant d'amour succede tant de haine ?
Son bras de jour en jour s'appesantit sur toi, et tu ne fus jamais plus zelé pour sa loi.
Combien d'avantcoureurs annoncent ta ruine !
Et la guerre étrangere, et la guerre intestine, et les embrasemens, et la peste, et la faim, que de maux rassemblés ! L'orage éclate enfin.
Le nuage est crevé, je vois partir la foudre.
Jérusalem n'est plus, et le temple est en poudre.
Ce n'est point à Titus que les lauriers sont dûs : " ce n'est point moi, dit-il, leur dieu les a perdus.
Oui sans doute le ciel les punit d'une offense : je n'ai fait que prêter mon bras à sa vengeance. " ils l'ont bien mérité ce châtiment affreux.
Le sang de leur victime est retombé sur eux.
Le pere a pour long-tems proscrit ses fils rebelles : le maître a retranché les branches infidelles.
Il n'a point toutefois arraché l'arbre ingrat ; mais un nouveau prodige en a changé l'éclat.
Sur cet arbre étonné que de branches nouvelles, sauvages autrefois, aujourd'hui naturelles !
Que vois-je ? L'étranger dépouille l'héritier, et le fils adopté succéde le premier.
De ces nouveaux enfans que la mere est féconde !
Ils ne font que de naître, et remplissent le monde.
Les maîtres des pays par le Nil arrosés, d'une antique sagesse enfin desabusés, ont déja de la croix embrassé la folie.
A l'aspect d'un bois vil le parthe s'humilie : et réunis entr'eux pour la premiere fois, les scythes vagabonds reconnoissent des loix.
A l'auteur du soleil le perse offre un hommage, que l'erreur si long-tems lui fit rendre à l'ouvrage.
Des déserts lybiens le farouche habitant, le sarmate indocile, et l'arabe inconstant, de ses sauvages moeurs adoucit la rudesse.
Corinthe se réveille, et sort de sa mollesse.
Athene ouvrant les yeux reconnoît le pouvoir du dieu qu'elle adora long-tems sans le savoir.
Mieux instruite aujourd'hui, cet autel qu'elle honore, n'est plus enfin l'autel d'un maître qu'elle ignore.
Il est trouvé ce dieu tant cherché par Platon : l'aréopage entier retentit de son nom.
Les gaulois détestant les honneurs homicides, qu'offre à leurs dieux cruels le fer de leurs druides, apprennent que pour nous le ciel moins rigoureux, ne demanda jamais le sang d'un malheureux, et qu'un coeur qu'a brisé le repentir du crime, est aux yeux d'un dieu saint la plus sainte victime.
Tes illustres martyrs sont tes premiers trésors, opulente cité, la gloire de ces bords, où la Saône enchantée à pas lents se promene, n'arrivant qu'à regret au Rhône qui l'entraine.
Toi que la Seine embrasse, et qui doit à ton tour l'enfermer dans le sein de ton vaste contour, ville heureuse, sur toi brille la foi naissante.
Qu'un jour tes sages rois la rendront florissante !
Sur vos têtes aussi luit cet astre divin, vous que baignent les flots du Danube et du Rhin ; vous qui buvez les eaux du Tage, et de l'Ibere ; vous que dans vos forêts le jour à peine éclaire.
Et vous que séparant du reste des humains, les mers avoient sauvé des fureurs des romains ; lieux où ne put voler leur aigle ambitieuse, je vois dans vos climats la foi victorieuse.
Au grand nom qui du monde a couru les deux bouts,
De l'Inde à la Tamise on fléchit les genoux.
La croix a tout conquis, et l'église s'écrie, comment à tant d'enfans ai-je donné la vie ! sur les rives du Tibre éclate sa splendeur : là de son regne saint s'éleve la grandeur, et dans Rome est fondé son trône inébranlable, à tout ambitieux trône peu désirable.
Sur ses dégrés sanglans je ne vois que des morts : c'étoit pour en tomber qu'on y montoit alors.
Dans ces tems où la foi conduisoit aux supplices, d'un troupeau condamné glorieuses prémices, les pasteurs ne briguoient qu'un supplice plus grand.
Tel fut chez les chrétiens l'honneur du premier rang.
Quel spectacle en effet à mes yeux se présente !
Quels tourmens inconnus, que la fureur invente !
De bitumes couverts, ils servent de flambeaux : déchirés lentement ils tombent en lambeaux : dans ces barbares jeux, théatre du carnage, des tigres, des lions on irrite la rage.
Que de feux ! Que de croix ! Que d'échaffauts dressés !
Combien de bourreaux las, de glaives émoussés !
Injuste contre eux seuls, le plus juste des princes, par ce sang odieux contente ses provinces.
Pour eux tout empereur, Trajan même est Neron.
Ils se nomment chrétiens, et leur crime est leur nom.
Ils demandent la mort, ils courent aux supplices : les plus longues douleurs prolongent leurs délices : les rigueurs des tyrans leur semblent d'heureux dons : ils benissent la main qui détruit leurs prisons.
Qui peut leur inspirer la haine de la vie ?
D'éterniser son nom la ridicule envie, quelquefois, je l'avoue, en étouffe l'amour.
Lorsque sur un bucher Peregrin las du jour, d'un trépas éclatant cherche la renommée, un cynique orgueilleux s'évapore en fumée.
Mais cet immense amas de femmes et d'enfans, qu'immolent les romains, qu'égorgent les persans, tant d'hommes dont les noms sont restés sans mémoire, couroient-ils à la mort pour vivre dans l'histoire ?
Plaignez, me dira-t'on, leur triste aveuglement, l'erreur a ses martyrs : le bonze follement ose offrir à son dieu, stérile sacrifice, un corps qu'a déchiré son bizarre caprice.
Victime d'un usage antique et rigoureux, la veuve, sans frémir, s'élance dans les feux, pour rejoindre un époux que souvent elle abhorre.
Chez un peuple insensé cette loi vit encore.
Egarement cruel ! Loi digne de nos pleurs !
Que la religion enfante de malheurs !
Respectons des mortels que Dieu même autorise.
Oui, de ses plus grands dons le ciel les favorise, et le ciel n'a jamais favorisé l'erreur.
Ils chassent cet esprit et de haine et d'horreur, cet infernal tyran, dont nos maux font la joie : à la voix des chrétiens abandonnant sa proie, des corps qu'il tourmentoit il s'enfuit consterné.
Le prince du mensonge est enfin détrôné.
Il usurpa l'empire, et sans peine et sans gloire, lorsque l'homme emporté par la fureur de croire, sans que l'art eût besoin d'éblouir sa raison, au plus vil imposteur se livroit sans soupçon.
Mais ces tems n'étoient plus : la Grece la premiere avoit du moins ouvert la route à la lumiére.
On la cherchoit, Platon par ses fameux écrits des honteuses erreurs inspiroit le mépris.
Pleines de ses leçons, des écoles célébres, de l'enfance du monde écartant les ténébres, le grave philosophe est par-tout révéré ; souvent même à la cour il se voit honoré.
Son crédit peut nous perdre, et sa haine y conspire.
Mais en vain cette haine arme Celse et Porphire.
Que peuvent contre nous leurs traits injurieux ?
Il falloit nous porter des coups plus sérieux, approfondir des faits récents à la mémoire, et sur ses fondemens renverser notre histoire.
Qui ne sait que railler, évite un vrai combat.
On traite les chrétiens d'ennemis de l'état.
On impute le crime à ceux dont la doctrine n'a pû que dans le ciel prendre son origine.
Ainsi que dans leurs moeurs, tout est pur dans leurs loix.
C'est par eux qu'on apprend à respecter les rois, et que même aux Nerons on doit l'obéissance.
de Dieu, nous disent-ils, descend toute puissance ; le prince son image, et maître des humains, tient du maître des cieux le glaive dans ses mains.
Sujets, obéissez ; le murmure est un crime.
En vain contre un pouvoir cruel, mais légitime, des peuples révoltés s'arment de toutes parts, les chrétiens sont toujours fidéles aux Césars.
Ont-ils donc par foiblesse une ame si soumise ?
Leur pouvoir éclatant redouble ma surprise.
La nature obéit, et tremble devant eux.
Quel spectacle étonnant de miracles nombreux ?
Que de tristes mourans, qui fermoient leur paupiere, sont tout à coup rendus à la douce lumiere !
Et du fond des tombeaux que de morts rappellés !
De deux camps ennemis par la soif désolés, quand d'un soleil brûlant la chaleur les embrase, l'un périt, le ciel tonne, et la foudre l'écrase ; et tandis que les feux écartent le germain, un torrent salutaire abbreuve le romain : le soldat demi-mort, dans une heureuse pluie trouve tout à la fois la victoire et la vie.
De ce bienfait, le prince admire les auteurs, et le peuple obstiné les appelle enchanteurs .
Enchantement divin qui commande au tonnerre !
Le charme vient du ciel, quand il change la terre.
Elle change : bien-tôt l'objet de ses horreurs, la croix, orne le front de ses fiers empereurs.
Constantin triomphant fait triompher la gloire du signe lumineux qui promit sa victoire.
Les temples sont déserts, et le prêtre interdit renversant l'encensoir de son dieu sans crédit, abandonne un autel toûjours vuide d'offrandes.
Delphe jadis si prompt à répondre aux demandes, d'un silence honteux subit les tristes loix.
Enfin, comme Apollon, tous les dieux sont sans voix.
Aux tombeaux des martyrs, fertiles en miracles, les peuples et les rois cherchent de vrais oracles.
On implore un mortel qu'on avoit massacré, et l'on brise le dieu qu'on avoit adoré.
A ce torrent vainqueur Rome long-tems s'oppose, et de son Jupiter veut défendre la cause.
Mais contre elle il est tems de venger les chrétiens.
Du sang de tes enfans, grand dieu, tu te souviens.
Tant de cris qu'éleva sa fureur idolatre, ont assez retenti dans son amphitéatre.
Tu vas lui demander compte de ses arrêts.
O Dieu des conquérans, tes vengeurs sont tous prêts,
Et Rome va tomber d'une chute éternelle, ainsi que Babilone et ta ville infidelle.
Oui, c'est ce même dieu qui sait à ses desseins ramener tous les pas des aveugles humains.
Sous d'orgueilleux vainqueurs quand les villes succombent, quand l'affreux contre-coup des empires qui tombent dans le monde ébranlé jette au loin la terreur ; que sont tous ces héros qu'admire notre erreur ?
Les ministres d'un dieu qui punit des coupables, instrumens de colere, et verges méprisables.
Que prétend Attila ? Que demande Alaric ?
Où s'emporte Odoacre ? Où vole Genseric ?
Ils sont, sans le savoir, armés pour la querelle d'un maître qui du nord tour à tour les appelle.
Devant leurs bataillons il fait marcher l'horreur : Rome antique est livrée au barbare en fureur : de sa cendre renaît une ville plus belle, et tout sera soumis à la Rome nouvelle.
Je la vois cette Rome, où d'augustes vieillards, héritiers d'un apôtre, et vainqueurs des Césars, souverains sans armée, et conquérans sans guerre, à leur triple couronne ont asservi la terre.
Le fer n'est pas l'appui de leurs vastes états ; leur trône n'est jamais entouré de soldats.
Terrible par ses clefs, et son glaive invisible, tranquillement assis dans un palais paisible, par l'anneau d'un pêcheur autorisant ses loix, au rang de ses enfans un prêtre met nos rois.
Ils en ont le respect, et l'humble caractere.
Qu'il ait toûjours pour eux des entrailles de pere !
D'une religion si prompte en ses progrès si j'osois jusqu'à nous compter tous les succès, peindre les souverains humiliant leur tête, et la suivre par-tout de conquête en conquête ; quel champ je m'ouvrirois ! Quel récit glorieux !
Mais que pourrois-je apprendre à quiconque a des yeux ?
L'arbre couvre la terre, et ses branches s'étendent par-tout où du soleil les rayons se répandent.
De l'aurore au couchant on adore aujourd'hui celui qui de sa croix attira tout à lui.
Dans le tems que ce dieu parmi nous daigna vivre,
L'aurois-je mieux connu, quand j'aurois pû le suivre des rives du Jourdain, au sommet du Thabor ?
Non, maintenant sa gloire éclate plus encor.
Je vois à ses côtés Moïse avec élie.
Tout prophète l'annonce, et la loi le publie.
Ses apôtres enfin sont sortis du sommeil.
Que de nouveaux témoins m'a produit leur réveil !
C'est en mourant pour lui, qu'ils lui rendent hommage : ils sont tous égorgés ; voilà leur témoignage.
Je le vois : c'est lui-même, et je n'en puis douter.
Mais c'est peu de le voir, il le faut écouter : la voix de tout ce sang que l'amour fit répandre, me répéte la voix que le ciel fit entendre, quand le thabor brilla de l'un de ses rayons, oui, c'est ce fils si cher : écoutons, et croyons.
«Le joug qu'il nous impose est, dit-on, trop pénible ; ses dogmes sont obscurs ; sa morale est terrible ; nos esprits et nos coeurs sont en captivité. » d'une nouvelle ardeur justement transporté, de ces plaintes je veux repousser l'injustice : il n'est pas tems encor que ma course finisse : poursuivons le déiste en ses détours divers.
Quel sujet fut plus grand, et plus digne des vers ?