Je suis derrière elle dans la file. Je suis pressé. J’ai une envie pressante de camembert.
Elle a d’abord dit à la jolie fromagère Justine : « Je ne sais pas ce que je veux. » Ça commence bien.
Après elle a demandé : « Il est bon votre reblochon ? »
J’ai eu envie de répondre : « Bien sûr que non, il est immangeable, ici tout est mauvais. »
Qu’elle parte vite, que je devienne le premier de la file.
Justine a dit : « Il est bien. »
« Alors, je vais en prendre. Mais je ne sais pas combien. Ça se conserve ? Samedi j’ai mes enfants. Il sera encore bon ?
– Oui, bien sûr. Je vous en mets combien ?
– Je ne sais pas, ça dépend du dessert. C’est eux qui l’apportent. Si c’est un gâteau à la crème chantilly, ça va pas faire trop le fromage ? Il est bien votre Pont-l’Évêque ? Mon fils aime bien. Il avait une maison avant à Pont-l’Évêque. C’est près de Deauville, c’est très joli comme endroit.
– Je vous en mets combien ?
– Ça dépend. Je ne sais pas encore s’il vient avec tous ses enfants. Attendez. Je vais l’appeler. On va lui demander. »
Ça a duré un bon moment. On ne peut pas résister aux irrésistibles « et avec ça ? » de la charmante fromagère. Ils trouvent toujours une réponse.
Après le Pont-l’Évêque, on a parcouru toute la France fromagère avec plusieurs arrêts. Et il y a même eu l’étranger : les fromages grecs, italiens…
Un nouvel « et avec ça ? » a eu raison de ma raison.
J’ai perdu la tête : je me suis mis à hurler, j’ai pris le couteau de la fromagère.
Je ne me souviens plus de rien.