PERDRE PATIENCE

Tonton Maurice était triste. Il ne riait jamais. Il prenait son mal en patience.

Jusqu’au jour où il a perdu patience.

Un jour où j’étais en vacances chez lui à Raismes dans le Nord.

J’étais venu voir ma cousine Françoise que j’aimais bien. Je la trouvais charmante. Je me souviens avoir été la chercher à la gare. On revenait de la gare ensemble. Ils habitaient au bout d’une longue avenue droite, l’avenue Henri-Durre. Au loin, on a vu un attroupement devant leur maison.

Il y avait beaucoup de monde sur le trottoir. La porte d’entrée était ouverte. Des gens entraient et sortaient, l’air effrayé ou triste.

Quand nous sommes arrivés devant la maison, un groupe de femmes s’est précipité sur ma cousine. Elles l’ont embrassée plus longtemps que d’habitude. L’une l’a emmenée chez elle. Ma tante Gaby était en larmes. Quand elle m’a vu, elle m’a pris dans ses bras, m’a serré très fort en répétant : « Pourquoi il a fait ça ? »

Tonton Maurice s’était tiré une balle dans la tête : il avait 56 ans.

Je suis rentré le soir à Arras pour annoncer la nouvelle. À ma grand-mère que son fils s’était suicidé, à ma mère que son frère s’était suicidé.

J’avais 15 ans.

Cette nuit-là, j’ai mal dormi.

 

« Si le suicide n’était pas déjà une folie, ce serait du moins une grande impatience. » J.-J. de Lingrée (1814).