CHAPITRE 22

Neuvième jour.
Berlin-Est.

En allant chercher le journal, Gottfried avait remarqué la camionnette de livraison le long du trottoir d’en face. Il avait trouvé ça incongru. En outre, le nom de la boulangerie ne lui disait rien.

Déjà épuisé par les disputes constantes avec Karin, il avait l’impression que son univers se désintégrait. Il avait eu l’intention de se lever tôt, de lui dire au revoir et peut-être de recoller quelques morceaux. Résultat : il ne s’était pas réveillé quand elle était partie en mission secrète pour le week-end sans lui dire au revoir. La rancune allait couver dans l’esprit de Karin, juste au moment où il avait le plus besoin d’elle.

Dix minutes plus tard, alors qu’il s’installait pour corriger quelques devoirs tout en grignotant un petit pain tout frais, le ciel lui tomba sur la tête. Quelqu’un tambourina à la porte de l’appartement.

— Qui est là ? Que se passe-t-il ? cria-t-il, choqué, la bouche pleine.

Au fond de lui, il savait déjà. Son transfert à Rügen avait été un avertissement qu’il avait choisi d’ignorer.

En se levant pour aller ouvrir, il réalisa que c’était inutile. La porte vola en éclats, et une demi-douzaine d’individus en veste de cuir firent irruption chez lui, l’entourèrent, l’immobilisèrent, lui passèrent les menottes dans le dos. Ignorant ses questions et ses cris affolés, ils le traînèrent dans l’escalier.

— Qu’est-ce que vous faites ? hurla-t-il. Ma femme est officier de police. Elle dénoncera vos agissements auprès des autorités.

Dès que les mots eurent franchi ses lèvres, il se rendit compte de la vacuité de sa menace. Pour ce qu’il en savait, Karin était peut-être au courant de ce qui se passait. Elle avait peut-être même ordonné son arrestation. Il frémit rien que d’y penser.

D’un geste brusque, l’une des brutes fit remonter ses mains menottées vers ses omoplates. La douleur irradia dans sa tête.

— Silence, citoyen, siffla-t-il à l’oreille de Gottfried. Si vous savez ce qui est bon pour vous.

Malgré sa situation désespérée, Gottfried se surprit tout de même à vérifier qu’aucun voisin n’assistait à la scène, ne le voyait traverser la rue de force jusqu’à une camionnette Barkas – semblable à la camionnette de la boulangerie mais d’une couleur différente, à l’enseigne d’une entreprise différente. Personne ne devait être témoin de sa honte, de son humiliation.

L’arôme et le goût du pain frais du petit déjeuner qu’il sentait encore cédèrent la place à une odeur d’urine et d’excréments quand on le poussa sans ménagement dans l’une des minuscules cellules à l’arrière de la camionnette.

Quelques secondes après qu’on eut claqué la porte de la cage exiguë, le moteur démarra. On emmenait Gottfried sans qu’il sache où ni pourquoi.