Le fil d’Ariane

Question : à quels indices ou à quels signes, à quels traits une île se laisse-t-elle reconnaître et identifier comme telle, dans sa différence d’avec un continent, quand on l’approche par mer ? À cela qu’elle en appelle, pour peu qu’elle n’occupe pas tout l’horizon, à une vue de survol. C’est du moins là ce que suggérait un genre d’ouvrages très populaires au XVe et au XVIe siècle : en un temps où la cartographie en était encore à ses débuts, les Isolari, dont le plus célèbre est celui de Benedetto Bordone (1re édition, Venise, 1528), ont dû partie de leur succès au fait que les îles se présentaient, dans le tracé rigoureusement clos de leur contour ou de leur « trait de côte », comme autant de modèles réduits sur lesquels pouvait se faire jour et s’exercer l’exigence d’une précision cartographique dont la tradition légendaire n’avait cure. En attendant, dissémination oblige, que Cook renoue avec cette ancienne tradition en inventoriant les îles les plus reculées de l’océan Pacifique, et jusqu’à Hawaii où il trouva la mort au cours d’une rixe avec les indigènes ; et que vienne le temps des capsules, spatiales ou autres, dont il n’est pas sûr qu’il y ait beaucoup à espérer sur la question de la pluralité des mondes.

 

En fait de « boule », ce que connaissaient du monde les contemporains de Colomb se réduisait à un fragment de coquille hémisphérique décoré à l’extérieur de l’image de plus d’étendues liquides que terrestres. La figure qu’ils avaient éventuellement en tête n’en correspondait pas moins à un « tout », au sens classique du terme, et comme tel limité, mais de surcroît tout de surface et pour une bonne part virtuel. En contrepartie ou compensation de quoi, histoire – c’est bien le mot – de lester quelque peu une image qui semblait ne pas faire le poids, les premiers planisphères décrivaient l’hémisphère Sud comme occupé presque tout entier par un immense continent qualifié de Terra Australis incognita, voire, le ton se faisant plus pressant, de Terra Australia nondum cognita – « Terre Australe encore inconnue ». C’est dire que la surprise – la déception ? – fut grande de découvrir que, contrairement à toute attente, passé l’Australie et la Nouvelle-Zélande, la dissémination était de règle et que ce qui restait à découvrir du Globe se réduisait, en fait de terre pouvant être tenue pour ferme, à une poussière d’îles immédiatement identifiables comme telles, et qui n’étaient l’annonce d’aucun autre continent.