Le vent

Pendant près d’une semaine le vent avait été maître de l’île. Un vent dont la violence allait s’accroissant sans cesse, et dont la force était telle que l’horizon lui-même semblait plier sous lui et menacer de se rompre.

 

Maître de l’île, et maître de ses habitants, tout habitués qu’ils fussent aux grandes tempêtes d’équinoxe et aux rudes coups de boutoir atmosphériques qui sont de règle dans les parages, comme ils l’étaient aux orages de mer où les éclairs et le tonnerre se succèdent sur un rythme toujours plus rapide et dans toutes les directions au-dessus des flots sans s’accompagner nécessairement d’aucune pluie (laquelle ne commence le plus souvent de tomber à verse qu’une fois ces préliminaires achevés). Les gens de l’île avaient d’emblée reconnu l’étrangeté du phénomène, sans en jauger aussitôt l’ampleur. Le vent avait débuté soudainement dans la soirée, sans que rien l’eût annoncé ni laissé entrevoir : l’enquête menée quelques mois plus tard ne devait relever aucune anomalie ou erreur dans le fonctionnement de la météo marine, dont les derniers bulletins ne faisaient nulle allusion à une perturbation qui n’était apparemment pas de son ressort et échappait à ses mesures.

 

D’un pareil vent on n’aurait pu dire à proprement parler qu’il soufflait, avec les variations d’amplitude et d’intensité, les intermittences, les répits, les chutes de pression, et toutes les variétés de déplacements d’air dont s’accompagnent d’ordinaire les mouvements de l’atmosphère. Il y avait là comme une poussée massive et continue, s’exerçant d’un seul tenant plutôt que d’un seul jet, et qui semblait n’avoir rien de naturel. On eût dit que l’île était prise dans un étau, une coulée de béton dès l’abord figée : toute circulation, fût-elle pédestre, en était rendue impossible, et c’est à peine si une porte s’entrouvrait ici ou là, pour être aussitôt arrachée, tandis que le silence paradoxal qui s’était emparé de toute chose en dépit de la tempête n’était rompu que par le bris incessant des vitres, sans qu’il y fût besoin d’aucun courant d’air. Mais le pire était la sensation qu’en dépit de ce qui s’apparentait à une manière d’immobilité paradoxale, la tension ne faisait que croître et qu’on approchait irrémédiablement d’un point de rupture. Ce qui ne manqua pas de se produire : le vent cessa comme il avait commencé, tout d’un coup et dans un fracas assourdissant, suivi d’un bref instant de silence, tout aussi radical. Comme si quelque chose en lui s’était subitement détraqué, cassé, tandis que s’installaient des pluies diluviennes qui devaient durer plusieurs jours.