Il n’avait pas plu sur l’île depuis plusieurs mois, et les réserves d’eau étaient au plus bas. La saison sèche se prolongeant au-delà de toute raison, force fut d’en appeler aux ressources du Continent. Sorti, en y apportant un peu d’imagination, d’un roman de Conrad, un vieux rafiot en fin d’odyssée commença de faire la navette entre le port le plus proche et un ponton, ancré au large de la plage, auquel il venait s’amarrer et d’où partaient les tuyaux qui acheminaient l’eau vers une grande poche étendue à même le sol, sur une esplanade rapidement aménagée sur le rivage, dans l’intervalle entre la mer et les premiers rangs de palmiers, et dont les entours ressemblaient aux murailles d’un château de sable qu’une vague un peu forte eût suffi à araser. À mesure que le bateau se vidait de sa cargaison liquide, on voyait sa coque se soulever progressivement au-dessus des flots, jusqu’au moment où, ayant retrouvé une certaine allure, il repartait, allégé, pour un nouveau tour dans une ronde qui, aujourd’hui encore, pourrait sembler devoir être sans fin.
Une nuit où la mer sera étrangement calme, et la plage vidée de ses baigneurs, de ses danseurs et de ses musiciens, tu nageras jusqu’à un grand voilier battant pavillon néerlandais, ancré à bonne distance du rivage. L’eau étant plus que fraîche en dépit d’une chaleur accablante, tu agripperas une corde nouée au bastingage et te hisseras à son bord. C’est alors que surviendra la vague qui t’emportera, ainsi qu’elle le fit des deux jeunes Malais qui formaient tout l’équipage, et de la femme – une actrice qu’on disait être d’une extrême beauté, laquelle ne quittait pas ce navire, loué à grands frais pour les besoins de la production, et qui disparut corps et biens lors de la première des grandes tempêtes d’équinoxe.