10
Le grand sir Gavao er-Gargan se frayait un chemin entre les consommateurs. Il aperçut les Terriens et s’avança vers eux en criant :
— Ah, ah ! Oh, Nyamiens, comme récompense à la déférence que vous avez montrée à mon rang, je vous autorise à manger avec moi. (Il s’assit lourdement.) Serveur ! hurla-t-il. Une coupe de burhen, et en vitesse ! Où est notre compagnon de route, le porteur de paquets ?
— Nous ne l’avons pas vu, répondit Barnevelt. La même chose pour nous, dit-il au serveur.
— Bah, tant pis ! C’est une perte sans importance. Ce n’est qu’un pauvre ignorant qui croyait naïvement à la réalité des prétendus pouvoirs magiques de ces maudits Terriens. Moi, maintenant, je suis véritablement libéré de toutes ces âneries superstitieuses, parmi lesquelles j’inclus toutes ces balivernes sur les dieux, les fantômes, les sorciers et les prétendus thaumaturges. Tout l’univers et tous nos actes sont gouvernés par les lois rigides de la nature, même ces damnés Terriens !
Il trempa un doigt dans sa coupe, fit tomber une goutte sur le plancher, marmonna une très courte incantation et but.
— Faisons attention à ce type, murmura Barnevelt en anglais. Il ne me dit rien qui vaille.
— Que dites-vous ? demanda Gavao.
— Je prévenais mon ami Tagde dans notre langue natale contre son excessive indulgence qui nous a déjà coûté si cher à Hershid.
— C’est bien la première fois que j’entends parler d’un chasseur intrépide qui serait trop indulgent, mais enfin c’est votre affaire. Qu’est-ce que vous regardez aussi fixement, gros homme ?
Tangaloa se tourna vers lui et lui répondit dans un sourire.
— La petite danseuse, là-bas. Ou mes vieux yeux me trompent, ou elle me fait signe.
Barnevelt suivit la direction indiquée. La jeune Krishnienne était bien là, drapée dans ses longs voiles.
— Cela mérite un examen plus approfondi, dit Tangaloa en se levant. Vous commanderez un dessert pour moi, Di… Snyol.
— Hé !…, tenta faiblement Barnevelt.
Il n’appréciait pas que Tangaloa fasse ce genre d’escapade pendant leur mission, mais il savait d’un autre côté que George serait difficile à arrêter. C’est pourquoi il resta assis à contempler lugubrement le dos large de Tangaloa qui s’enfonçait dans la semi-obscurité de la salle enfumée à la recherche de la danseuse. Le xénologue était sur le sentier de la guerre, comme un jeune homme au printemps.
— Hao, voici la chanteuse ! dit Gavao, en désignant un coin de la taverne. C’est Pari bab-Horaj. Elle est très célèbre sur la côte Sabadao pour ses imitations. Cela me rappelle une fois où je me trouvais dans une auberge comme celle-ci à Hershid. Je devais choisir entre une chanteuse, une danseuse et une acrobate. Alors, tenez-vous bien, j’ai…
Il partit dans une autre de ses anecdotes amoureuses.
Une jeune Krishnienne à la chevelure bleutée particulière aux races occidentales de cette planète était entrée dans le cercle de lumière, portant tout un attirail qui se composait d’un tabouret délicatement travaillé, d’un instrument ressemblant à un xylophone pour enfant et d’un petit marteau qui devait servir à taper sur les touches. Sa robe consistait en un morceau d’étoffe légère de couleur mauve, d’à peu près un mètre carré, qui était drapé sous une aisselle et attaché sur l’épaule opposée par une broche ornée de pierres précieuses.
Elle s’assit sur le tabouret avec l’instrument sur ses genoux et lâcha deux ou trois blagues, en conséquence de quoi la plupart des spectateurs présents glougloutèrent, exprimant ainsi leur hilarité à la manière krishnienne. Tout cela, Barnevelt en était réduit à le supposer étant donné qu’entre le dialecte que la fille utilisait et sa diction trop rapide, il ne comprenait presque rien. Il vivait d’ailleurs dans l’angoisse de rencontrer un jour un vrai Nyamien qui insisterait pour parler avec lui dans le difficile langage de sa nationalité usurpée.
Du coin de l’œil, Dirk aperçut un mouvement insolite à ses côtés. Il se retourna vivement et vit le bras de son compagnon se remettre en place rapidement. Mais il aurait juré avoir vu en un éclair Gavao faire un geste extrêmement rapide au-dessus de sa propre coupe à lui, Barnevelt. Qu’est-ce que cela signifiait ? Était-ce une drogue pour l’assommer, ou le tuer ?
Il avait lui-même tout un assortiment de capsules et de pilules dissimulées dans une poche intérieure, mais il ne pouvait le sortir de sa tenue collante à la krishnienne sans se faire remarquer.
À présent, la fille s’était mise à taper sur son instrument qui émettait des sons clairs et vibrants rappelant le bruit des cloches, puis, de sa voix lourde de mélancolie et de nostalgie, elle entonna une chanson :
Les talda kventen bif orgat
Anevorb rottum aind…
Bien que l’air paraisse vaguement familier à Barnevelt, il était incapable de comprendre le sens des paroles. Kventen était l’infinitif présent de la forme passive de kventer, qui signifiait « boire », mais…
Puis tout à coup, il comprit. Nom de Zeus, jura-t-il intérieurement, il avait traversé onze années-lumière pour entendre une fille chanter Au bon vieux temps jadis, dans une gargote minable ! Y avait-il un seul endroit dans l’univers où il était possible de ne pas ressentir l’influence de la Terre ? La prochaine planète où j’irai, songea-t-il rageusement, aura des habitants munis de tentacules qui vivront dans une mer d’acide sulfurique.
Mais lui revint à la mémoire la vision fugitive du geste de Gavao. Sa coupe était-elle droguée ? S’il restait assis là sans boire, cela risquait d’attirer les soupçons…
Et après tout, pensa-t-il, si ce jeu était si drôle, pourquoi ne pas y jouer à deux ? Il empoigna le bras de Gavao et lui désigna un coin de la salle du doigt.
— Qui est ce type avec un masque ? Serait-ce le Justicier masqué ?
Gavao se retourna pour regarder et Barnevelt en profita pour intervertir les coupes.
— Ces deux personnes ? Je ne sais pas, dit Gavao. C’est une habitude de la noblesse locale de se masquer quand ils se trouvent avec le vulgaire. Alors donc, comme je vous le disais, quand nous nous sommes réveillés…
Barnevelt but une gorgée du liquide contenu dans le verre de Gavao. Cela avait un goût de whisky qui aurait été mélangé avec du jus de tomate. Gavao but aussi. La chanteuse reprit sa mélodie :
Inda blu rij maonten zovor jinva
Ondat relo va lounson pain…
Bien qu’il n’en comprenne pas le sens, Barnevelt pensa que l’adaptateur responsable des paroles krishniennes n’avait certainement pas dû faire preuve de plus d’originalité que le parolier terrien. La chanteuse continua à massacrer d’autres chansons de la Terre, parmi lesquelles Die Lorelei, La Cucaracha et One for my baby. Elle entamait maintenant un air de Noël qui semblait ici particulièrement déplacé :
Jingabelz, jingabelz, jingel ollave…
quand Gavao essuya sa bouche avec sa manche et bafouilla péniblement :
— Cette boisson a dû mettre mon second estomac à l’envers. Quand je me sentirai mieux, je chercherai le unha qui en est responsable et je l’embrocherai pour s’être montré si peu préoccupé de la santé d’un chevalier…
Et il laissa lourdement tomber sa tête sur la table, pour ne plus bouger. Ainsi, admira Barnevelt, l’effet était assez rapide.
Sur ces entrefaites apparut Tangaloa, avec sur le visage l’expression d’un chat carnivore qui vient de dévorer une souris. Il avisa le Krishnien affalé.
— Qu’est-il arrivé à notre jeune ami le poisson ? déjà ivre ? En tout cas, moi je crève de soif.
Barnevelt déplia rapidement son bras et posa sa main sur la coupe que Tangaloa s’apprêtait à saisir.
— Il ne vaut mieux pas, dit-il d’un ton calme et dégagé. Elle est droguée. J’ai eu la veine d’apercevoir le manège et j’ai inversé les verres, et voici le résultat. Allons-nous-en.
— Êtes-vous fou ? s’exclama Tangaloa. Nous nous trouvons dans un lieu fascinant pour qui s’intéresse aux cultures étrangères, et vous voudriez partir ? Tenez, voici l’orchestre qui revient. Voyons voir ce qu’ils vont nous jouer cette fois.
— Vous m’excuserez si j’ai des frissons, grogna Barnevelt.
— Vous ne dansez pas ? Ah ! si j’avais ma troisième femme ici avec moi, je vous montrerais…
Les quatre Krishniens avec leurs instruments se mirent en place et commencèrent à jouer une mélodie étrange et exotique. Quelques notes plus tard, Barnevelt reconnut une rengaine qui avait écumé la Terre à peu près trois ans avant son départ.
— Chaque fois que je commence à m’imaginer que je me trouve à l’auberge de la Sirène, du temps de Shakespeare, dit-il en grimaçant, ces salauds trouvent le moyen de m’infliger cette horrible musique qui n’a même pas le mérite d’être originale !
— C’est un point de vue désespérément réactionnaire, dit Tangaloa en souriant. Vous devriez prendre les choses comme elles viennent, comme moi.
— Pour ce qui est de les prendre, vous ne vous en privez pas ! fit-il remarquer aigrement.
Le couple masqué se leva et entreprit une danse krishnienne lente qui consistait essentiellement à s’incliner l’un devant l’autre à tour de rôle. Barnevelt put enfin les voir tout à son aise : l’homme était souple et athlétique malgré sa petite taille. Il était vêtu d’une tunique en voile rose pâle qui laissait une épaule dénudée, mais il n’avait pas l’air efféminé pour autant. Sa compagne portait une tenue identique, à ceci près qu’une large épée était pendue à sa ceinture.
— On ne peut pas dire qu’ici les femmes portent la culotte, releva Barnevelt, mais elles portent des épées. J’ai l’impression d’avoir déjà vu ce type. J’aimerais bien savoir qui c’est.
D’autres couples se levèrent pour aller danser. Puis l’Osirien se dressa sur ses pattes d’oiseau et vint vers la harpiste en se balançant.
— Venez, ordonna-t-il de sa voix si particulière. Puisque vous jouez une mélodie terrienne, je vais vous montrer une danse terrienne.
La malheureuse le suivit, chaque trait de son visage exprimant pleinement qu’elle acceptait l’invitation pour éviter de pires ennuis. L’Osirien se mit à tourner sur lui-même selon le pas en vogue sur Terre, le zhepak. Malheureusement, dans son tourbillon, sa queue vint frapper durement le postérieur de l’homme masqué alors que celui-ci était en train de s’incliner devant sa compagne.
— Hishkako baghan ! rugit l’homme masqué en recouvrant difficilement son équilibre.
— Je m’excuse…, commença l’Osirien, mais son interlocuteur se tourna rapidement vers sa compagne et tira l’épée du fourreau.
— Je me fiche de vos excuses ! Espèce de monstre horrible à écailles ! Je me réjouis de voir votre hideuse tête sauter de votre tronc abject et venir rouler comme un vulgaire ballon sur le plancher à mes pieds !
Il fit un pas en avant en faisant de larges et dangereux moulinets avec la lourde rapière.
Barnevelt prit en main le pot qui contenait encore un peu de liqueur. C’était une pièce solide en céramique, décorée sur les côtés de motifs représentant des hommes courant après des femmes… ou le contraire. Dirk prit son élan et lança son projectile improvisé.
Le vase vint s’écraser lourdement contre le dos de l’homme masqué, lui faisant perdre l’équilibre. Il tomba en avant à genoux. L’Osirien ne demanda pas son reste et s’enfuit par la porte.
Dans la salle, le vacarme était absolu. Angur s’était précipité pour relever l’homme à terre et essayait de le calmer. Pendant ce temps-là, Barnevelt s’était rassis et considérait la scène d’un œil innocent bien que sa main reste à proximité du manche de son épée. L’homme masqué regardait à tour de rôle les personnes présentes d’un air furieux.
— C’est un signe de grande bravoure que de lancer un projectile dans le dos de quelqu’un ! Je félicite le lâche qui a osé faire une chose pareille. Mais quand je tiendrai ce voyou, je le… Avez-vous vu le mécréant qui m’a fait cela, madame ? demanda-t-il à sa compagne.
— Non, car mes yeux étaient posés sur vous, mon seigneur.
Le regard derrière le masque se posa sur Barnevelt.
— Qu’est-ce…, s’étouffa-t-il, en cherchant autour de lui l’épée qu’il avait laissé tomber dans sa chute.
Angur et le serveur sortirent de courtes matraques de leurs poches et se postèrent de chaque côté de l’homme masqué.
— Mon seigneur, dit l’aubergiste d’un ton à la fois humble et menaçant, ne mettez pas la pagaille dans mon établissement, sinon je me trouverai dans l’obligation de faire appel à la garde, en dépit de votre rang. Soyez raisonnable, maintenant.
— Châ ! Allons nous amuser, madame, dans un lieu plus digne de notre condition. Après tout, je suis qui je suis !
— Ce type, c’était notre ami Vizqash bad-Murani ! s’écria Barnevelt. Vous vous souvenez de la dernière fois qu’il a utilisé cette expression ?
Finalement, Tangaloa accepta de partir. Ils payèrent et revinrent dans leur chambre, laissant Gavao endormi, la tête appuyée sur la table. Au moment où ils ouvrirent la porte de leur chambre, ils aperçurent Sishen, qui se penchait sur la cage du perroquet et retirait le drap qui la recouvrait. Philo ouvrit les yeux, battit des ailes et émit un cri à déchirer n’importe quel tympan :
— Yiiirrrk !
L’Osirien se rejeta vivement en arrière, tomba à genoux de frayeur et se précipita sur Tangaloa, qu’il enlaça violemment de ses bras couverts d’écailles. Sa gorge reptilienne sifflait atrocement.
— Sauvez-moi ! sauvez-moi !
— Lâchez-moi, nom d’un chien ! se débattit Tangaloa, luttant désespérément pour se débarrasser de l’étreinte de la créature terrifiée.
Sishen se laissa tomber à terre. Des larmes tout ce qu’il y a de plus osiriennes ravageaient son hideux visage.
— Je vous demande pardon, réussit-il à articuler, mais les événements de cette soirée : l’éclair de lumière, ma dispute avec le gentilhomme masqué et maintenant le cri horrible de cette bête monstrueuse… tout cela a soumis mes nerfs à trop rude épreuve. N’est-ce pas vous qui m’avez secouru quand ce monsieur a voulu me passer son épée en travers du corps ?
— Oui, c’est moi, répondit Barnevelt. Mais pourquoi ne l’avez-vous pas hypnotisé avec votre regard ?
Sishen s’étreignit douloureusement les serres qui lui servaient de mains.
— Il y a plusieurs raisons à cela : nous autres Sha’akhfi devons renoncer à nous servir de notre petit talent avant d’être autorisés à venir sur Terre ou utiliser les lignes interplanétaires terriennes. Comme notre propre ligne ne va pas plus loin qu’Epsilon Eridani, nous qui venons du système de Procyon sommes obligés de nous plier à ce serment pour pouvoir visiter les planètes du système cétien. De plus, je suis loin de posséder des facultés comme certains de mes congénères, quoique en prenant mon temps je sois capable de percer les barrières mentales aussi bien que d’autres. Il faut ajouter que les Krishniens sont moins sensibles à nos pouvoirs que les Terriens. C’est pourquoi je bénis votre intervention, car je n’avais pas le temps d’hypnotiser ce gentilhomme avant qu’il m’estourbisse. En témoignage de la reconnaissance de Sishen, je vous prie, cher seigneur, de bien vouloir me demander une faveur que je serai heureux, dans la possibilité de mes moyens, de vous accorder.
— Je vous remercie… je n’oublierai pas votre proposition. Mais dites-nous ce qui vous a amené à Jazmurian ? Ce n’est certainement pas une dame osirienne ?
— Moi ? Oh, non ! Je suis un simple touriste qui visite des endroits étranges et lointains pour la seule satisfaction d’acquérir de nouvelles expériences. Le malheur est que je suis bloqué ici parce qu’il y a trois jours de cela mon guide, pauvre garçon, a été repêché dans le port avec un poignard planté dans le dos. Depuis, l’agence essaie de m’en trouver un autre, car je n’ose pas voyager non accompagné, si pauvre est ma connaissance des langages locaux. Quand elle m’en aura fourni un autre, je compte me diriger sur Majbur, où, m’a-t-on dit, il y a un temple d’une grande beauté. (L’Osirien bâilla à s’en décrocher la mâchoire en poussant un long soupir bruyant.) Pardonnez-moi, messieurs, mais je suis épuisé. Il faut que je dorme.
Sishen déroula le tapis qui lui servait de lit et se coucha dessus comme un lézard étendu au soleil.
Le lendemain matin, Barnevelt dut réveiller Tangaloa. Mais il savait qu’il était inutile de secouer le plus grand dormeur de tout l’univers. Il se pencha tout près de son oreille et claironna :
— « Debout ! Le soleil a dispersé les étoiles
Et déchiré le voile de la nuit… »
Ils partirent, laissant Sishen occupé à retoucher les peintures qui recouvraient son corps, tâche qui semblait devoir lui prendre une grande partie de la matinée. En bas des escaliers, ils trouvèrent Angur en discussion animée avec trois jeunes gens à l’allure belliqueuse qui tenaient des bâtons à la main.
— Mes maîtres ! s’écria Angur quand il les vit. Expliquez à ces idiots que les images que m’a remises le vieux photographe ce matin sont à vous et non à moi, et qu’ils se débrouillent avec vous.
— Que se passe-t-il ? demanda Barnevelt.
— Sachez, hommes de Nyamadze, dit le plus grand du trio d’un ton suffisant, que nous sommes un comité de la Corporation des artistes. Nous avons décidé d’interdire cette diabolique nouvelle invention qui nous réduirait à la famine. Comment voulez-vous que nous puissions rivaliser avec quelqu’un qui, ne possédant ni adresse ni talent, est capable de faire une image en se contentant de diriger une boîte toute bête et d’appuyer dessus ! Non ! Jamais les dieux n’ont permis que les hommes reproduisent la réalité par des moyens mécaniques aussi vils !
Le Krishnien poursuivit :
— Tout se passera bien si vous acceptez de nous rendre les images qu’a faites ce vieux fou. Si vous désirez vos portraits, notre Corporation sera heureuse de les reproduire en dessins ou en peintures pour un prix très intéressant. Mais ces images fausses et trompeuses… Châ ! Alors ? Acceptez-vous de nous les donner comme des gens sensés ? ou devrons-nous user d’arguments plus persuasifs ?
Barnevelt et Tangaloa échangèrent un long regard.
— Quelle importance pour nous que nous ayons ces photos ou…, commença le xénologue.
— Oh, non ! le coupa Barnevelt. Nous ne pouvons tout de même pas les laisser croire qu’ils peuvent tout se permettre avec nous. Êtes-vous prêt, George ?
Tangaloa soupira.
— Vous avez encore mangé du lion ce matin. Vous qui étiez un garçon si calme et pacifique sur Terre. Enfin… Yaaah !
Barnevelt avait déjà la main sur la poignée de son épée. Il tira brusquement et le fil de fer lâcha, libérant l’épée de son fourreau. Avec le plat de la lame, il assena un grand coup sur la tête de l’orateur du groupe. Le Krishnien tourbillonna sur lui-même comme une toupie et laissa tomber son bâton. Pendant ce temps, Tangaloa avait sorti sa massue et avait chargé les deux autres membres de la Corporation des artistes, qui s’enfuirent comme des lapins. Celui qui était à terre se releva difficilement et détala à son tour. Les Terriens firent mine de les poursuivre, puis rentrèrent dans l’auberge.
— Une chose après l’autre, dit Barnevelt en regardant autour de lui pour vérifier si une policière n’avait pas été attirée par les bruits de la courte empoignade. Voyons voir ces photos… Oh, miséricorde ! Si j’avais su qu’elles étaient si mauvaises, je les aurais refilées avec plaisir à ces types. Je ressemble à une momie toute moisie !
— Et cette gargouille bouffie, est-ce vraiment moi ? demanda plaintivement Tangaloa.
Ils donnèrent à regret l’argent à l’aubergiste pour le photographe, refermèrent les scellés sur leurs armes, prirent leurs bagages, et traversèrent le boulevard principal de Jazmurian pour rejoindre la gare routière.