18

Après avoir sauté de radeau en radeau, ils se trouvèrent dans un périmètre qui semblait être réservé aux bateaux-habitations.

— Ne devrions-nous pas faire basculer plus de passerelles derrière nous ? suggéra Zeï.

— Non, répondit Barnevelt. Cela ne les arrêterait pour ainsi dire pas, mais leur indiquerait le chemin que nous suivons.

— On dirait qu’il n’y a pas grand monde dehors ce soir.

— C’est l’heure du dîner.

Ils continuèrent ainsi, passant d’un bord à un autre. Un adolescent krishnien les frôla sans leur accorder le moindre regard, et pénétra dans une habitation d’où leur parvinrent des cris et des bruits de repas.

Cela devenait cauchemardesque. Ils sautaient, puis enjambaient un bastingage, traversaient des passerelles, grimpaient et redescendaient des échelles et ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils atteignent une carcasse de navire à haut bord sur laquelle il ne semblait y avoir aucun signe de vie. Le bâtiment avait dû être autrefois un navire de commerce de la mer Va’ando mais, aujourd’hui, il ressemblait aux représentations traditionnelles de l’Arche de Noé.

Ils firent le tour du pont sans découvrir de passage qui puisse les mener sur un autre bateau. En fait, ils se trouvaient à l’extrémité nord de la ville flottante. Plus loin, il n’y avait que des épaves dispersées qui n’étaient pas reliées à la « cité » elle-même. Barnevelt regarda vers le nord. Dans la semi-obscurité, il crut distinguer à l’horizon la voile déchirée de l’épave qui devait leur servir de lieu de rendez-vous. Dans la même direction, il vit l’étrave d’une importante épave dont la poupe s’enfonçait lentement dans la masse d’algues, formant une sombre pyramide se détachant sur le ciel gris sombre.

— Il semble que nous sommes au fond du sac, dit-il. À propos, qu’est-ce que c’est que ce bateau ?

L’immense superstructure construite sur le pont ne comportait aucune ouverture à l’exception de trois portes : une petite de chaque côté et une grande sur une façade. Toutes les trois étaient cadenassées.

Barnevelt entreprit d’ouvrir celle qui se trouvait côté nord-est, là où il ne pourrait être vu de la ville. Le cadenas était épais et résistant, et Dirk n’avait aucun instrument pour faire un tel travail. Les colliers de fer dans lesquels passait le cadenas étaient cloués sur la porte et le chambranle ; il lui était donc impossible de les dévisser avec la lame de son couteau. Avec un instrument solide, il aurait été capable de les faire sauter, mais toute tentative faite avec son couteau ou son épée ne servirait qu’à le priver d’une arme dont il aurait peut-être à se servir.

En passant l’index sur le bois, il remarqua qu’il était passablement pourri et qu’un jour large à peu près comme l’épaisseur d’un doigt apparaissait entre le chambranle et le montant de la porte.

Peut-être la solution la plus simple était-elle la plus pratique ? Il appuya son épaule contre la porte et poussa de manière à écarter le plus possible l’interstice dans lequel il glissa ses doigts. Puis, s’arc-boutant fermement, il coinça son pied contre la cloison et tira de toutes ses forces en utilisant sa jambe comme levier. Ses muscles se tendirent sous l’effort.

Les attaches résistèrent pendant un moment, puis lâchèrent d’un seul coup avec un bruit de craquement qui déchira le silence de la nuit. Barnevelt, emporté par son élan, partit en arrière comme une flèche. Il serait tombé par-dessus bord si Zeï ne l’avait pas retenu en poussant un faible cri.

Une seconde plus tard, ils étaient à l’intérieur. Le lugubre éclat des trois lunes qui passait par la porte ouverte éclairait à peine la pièce, de sorte qu’ils étaient incapables de se rendre compte où ils se trouvaient. Barnevelt cogna son pied contre quelque chose de solide et jura entre ses dents. Il aurait dû apporter une bougie, mais on ne pensait pas toujours à tout…

Cela lui donna une idée. Il tâtonna devant lui, découvrit une sorte d’étagère contre le mur. Il renversa plusieurs objets bizarres, pour découvrir enfin une lampe à huile. Après plusieurs essais, il réussit à allumer la lampe avec son briquet, puis se dépêcha d’aller fermer la porte pour que la lumière ne trahisse pas leur présence.

Cette carcasse devait certainement servir d’entrepôt pour des marchandises qui étaient rangées sur le pont. Il y avait là des barils de goudron, de clous et autres matériaux de marine ; du bois de charpente, toutes sortes de cordes de différentes épaisseurs roulées avec soin, des espars, des toiles pour confectionner des voiles et des rames de dimensions variées. Un panneau assez large était ouvert dans le plancher et donnait sur le pont inférieur. En se penchant, Barnevelt aperçut d’autres tonneaux, des tas de bois, des sacs de toutes dimensions. Tout cela était rangé avec le plus grand soin.

— Intéressant, fit-il remarquer. Mais je ne vois pas à quoi cela pourrait nous servir.

— Au moins, dit Zeï, ici nous sommes à l’abri.

— Je n’en suis pas aussi sûr que vous. Si Zakkomir arrive à leur échapper, ils vont fouiller partout. Et, s’ils l’attrapent, ils sauront qu’il y en a deux qui manquent. De plus, nous avons été vus en venant ici. J’aurais dû dire à Chask de…

— Qui est Chask ?

— Mon chef d’équipage. J’espère qu’il a réussi à sortir le Shambor avant qu’ils soient coincés. Mais, même s’il vient au rendez-vous demain, il ne pourra pas rester longtemps après le lever du soleil. Il serait trop visible.

— Vous ne savez même pas s’il a pu s’échapper ?

— Non. Ah, si seulement nous pouvions nous emparer d’une petite embarcation, il nous…

— Je n’en ai vu aucune dans les alentours, et il est connu qu’il est impossible à un petit bateau de se défaire de la masse d’algues qui…

— Vous seriez étonnée, grogna Barnevelt, d’apprendre de quoi sont capables les gens quand leur vie en dépend. Je vais jeter un coup d’œil.

Il se glissa dehors et inspecta de nouveau le pont, fouillant l’obscurité à la recherche d’un canot. C’était inutile, il n’y avait autour d’eux que des bateaux-habitations plus ou moins envahis par les algues grimpantes. Il se retourna et contempla la superstructure afin de vérifier si la lumière de la lampe à huile n’était pas visible de l’extérieur. Il frissonna lorsqu’il vit un mince rayon de lumière qui filtrait par un interstice dans la porte se trouvant du côté sud.

Il revint aussitôt et essaya de boucher le trou avec de la corde et du goudron.

— Pourquoi ne construiriez-vous pas un radeau avec tous ces bouts de bois ? lui demanda Zeï, après qu’il lui eut avoué qu’il n’avait vu aucun canot qu’ils puissent emprunter.

— Avec deux mois devant moi et tout l’outillage nécessaire, ce serait faisable, mais là… Dites, qu’est-ce que voulait dire le pirate, le petit qui parlait dans le dialecte de votre pays, quand il prétendait que vous étiez la clé de la puissance du Zogha ?

— Je ne sais pas. Je ne devais pas encore être entrée.

— C’est vrai. Ce type dont j’ai oublié le nom voulait discuter d’une proposition qu’il avait déjà faite, mais Sheafasè lui a cloué le bec. Je suppose qu’il ne voulait pas dévoiler ce plan devant nous.

— Ah ! je vois. Il devait s’agir du chef-pirate qiribumien. Il s’appelle, du moins il s’appelait, Urgan. Il n’y a pas si longtemps, il était encore un commerçant respectable de Ghulindé. Mais il en a eu assez de voir que sa femme dépensait tout son argent, comme elle en a d’ailleurs le droit selon nos statuts. Alors, il a fui dans le Sunqar. Je ne connais pas tous les détails de son plan. Ce que je sais, d’après les bribes de conversation que j’ai entendues, c’est qu’ils veulent que Sheafasè utilise ses maléfiques forces de persuasion sur moi. Après quoi, ils m’auraient déclarée reine de Qirib et se seraient emparés du royaume en se servant de moi comme d’une marionnette afin de dissimuler leurs agissements illégaux aux yeux de mon peuple. Si vous et Zakkomir n’étiez pas intervenus, ils auraient pu mettre leur plan à exécution, car beaucoup de Sunqarumas sont originaires de Qirib, ce qui donnait à leur opération un faux air de légalité. D’ailleurs, comment se fait-il que vous et Zakkomir soyez venus me délivrer ?

Barnevelt lui relata les événements qui avaient suivi sa disparition à Ghulindé. Ce faisant, il omit de mentionner les arguments que la vieille reine avait dû employer pour le persuader d’accepter la mission. Il se douta que ce détail risquerait de détruire quelque peu l’admiration romantique que la jeune fille était en droit de lui porter.

— … et c’est ainsi que nous sommes arrivés jusqu’à vous, conclut-il, déguisés en commissionnaires de la Mejrou Quarardena. Mon pseudonyme est Sny… Gozzan.

Diable ! Il finirait par s’y perdre entre toutes ses fausses identités.

— Et qui est le Terrien que vous vouliez sortir dans le coffre ? demanda-t-elle. Je le prenais pour un pirate banal ne méritant pas un tel traitement de votre part.

— C’est une longue histoire. Je vous la raconterai un jour, si nous vivons jusque-là.

— Que nous vivions ou que nous mourions, cela aura été un fantastique exploit, digne d’entrer dans la légende. Notre barde en fera un poème épique en heptamètres. Quel homme étrange vous êtes, seigneur Snyol ! Des montagnes du Nyamadze vous venez sur les mers, et des neiges polaires vous passez à cette région humide et tropicale ! Des squis, vous passez sur des navires…

— Halte là ! Vous venez de me donner une idée !

Barnevelt se leva avec raideur et alla examiner les piles de bois. Il fouilla et sortit plusieurs planches de différentes longueurs et épaisseurs.

— Elles doivent avoir à peu près deux mètres de long, calcula-t-il. Et il est important qu’elles soient efficaces au premier essai.

Il regarda autour de lui pour voir s’il ne trouverait pas un établi équipé avec des outils, mais il était évident que les travaux de menuiserie n’étaient pas effectués sur ce bâtiment. Faute de mieux, il commença à raboter les planches avec son couteau.

— Que faites-vous ? demanda Zeï. Essaieriez-vous par hasard de fabriquer des squis pour glisser sur le terpahla ? En vérité, je m’agenouille devant votre génie ! Ainsi, si nous ne tombons pas entre les mains des pirates, nous servirons de plat de résistance aux monstres marins !

— Cessez de gaspiller votre souffle à dire des âneries, répondit Barnevelt, imperturbable, et faites voir votre pied. Ah, vous portez encore vos satanées sandales ! Vous faites vraiment tout pour me compliquer la vie !

Il poursuivit son labeur pendant des heures. Puis il alla faire une autre tournée d’inspection du pont, attentif aux bruits et aux lueurs qui indiqueraient l’approche de leurs poursuivants. Tout était calme. Il regarda vers le nord, au-delà de l’étendue quasi solide. Se lancer ainsi dans cette immensité pleine de dangers, sans carte ni compas, équivalait presque à un suicide. Dans l’obscurité, il n’apercevait plus la tache pâle à l’horizon qu’il avait d’abord prise pour l’épave qui devait servir de repère pour le rendez-vous avec le Shambor. Quand ils seraient sur la surface de l’élément mi-liquide mi-végétal, ils auraient encore moins de chances de la retrouver. En revanche, il distingua l’étrave qui pointait encore devant eux.

Il alla tambouriner discrètement à la porte.

— Éteignez la lampe et venez, dit-il.

Zeï obéit. Ensemble, ils tirèrent les quatre squis dehors, les deux rames qu’il avait choisies comme balanciers et un rouleau de corde. Dirk attacha un bout de la corde à un taquet et la laissa pendre le long de la coque.

Puis il ôta sa cotte de mailles qui gênerait ses mouvements si par malheur il tombait à l’eau. Avec un bout de fil, il entreprit de fabriquer des fixations rudimentaires pour les squis, sur lesquels il avait taillé des encoches au préalable. En ce qui concernait les siens, ce fut relativement facile. Son expérience des sports maritimes l’avait depuis longtemps entraîné à la confection de nœuds de toutes sortes, et les bottes de la tenue réglementaire de commissionnaire assuraient à ses pieds une protection suffisante.

Pour Zeï, au contraire, ce fut autrement plus compliqué. Malgré les coussinets qu’il avait taillés dans de la toile à voiles pour ne pas blesser les pieds de la princesse avec la corde, il craignait que cette protection ne soit pas suffisante et que la jeune fille soit cruellement blessée. Malheureusement, c’était tout ce qu’il pouvait faire avec les moyens limités dont il disposait.

— Les pirates arrivent ! chuchota-t-elle tout à coup.

Il tendit l’oreille. Au sein de la rumeur sourde qui montait de la cité flottante lui parvenaient maintenant des bruits plus proches de gens en marche, des cliquetis métalliques, et un murmure de voix étouffées.

Il acheva précipitamment de placer les pieds de Zeï et il se hâta vers le bord du bâtiment, ses planches de bois claquant sur le pont.

— Je vais passer le premier, dit-il tout bas.

Se tenant à la corde, il descendit le long du flanc du bateau jusqu’à ce qu’il entende le clapotis de ses squis touchant la surface liquide. Instantanément, il sentit le froid de l’eau qui lui enserrait les chevilles. Pendant un instant, il craignit que la masse herbeuse ne supporte pas son poids. Il allait s’enfoncer jusqu’au cou dès qu’il lâcherait la corde…

Les bruits de leurs poursuivants se rapprochaient rapidement, à tel point qu’il pouvait distinguer certaines voix, sans toutefois comprendre les mots.

— Dépêchez-vous, lui lança d’en haut la voix de Zeï.

Il se retint de l’envoyer balader : pensait-elle qu’il était en train de s’amuser ? Il lâcha lentement la corde et il se retrouva debout sur la masse d’algues, l’eau lui arrivant à peu près à mi-jambe. Avec de multiples précautions, tenant toujours la corde mais sans s’y agripper, il tenta de faire un pas, puis un autre. Il découvrit que s’il s’écartait un peu du bord de la carcasse la masse végétale offrait un support nettement meilleur. Il lui apparut aussi qu’il s’enfonçait moins quand il était en mouvement. Cela s’expliquait assez bien : s’il restait immobile, le poids du corps appuyait verticalement sur la surface et le faisait s’enfoncer jusqu’aux genoux.

— Passez-moi une rame, demanda-t-il doucement.

Quand il l’eut en main, il l’essaya et découvrit que cela constituait un assez bon balancier. Au son, il estima que leurs poursuivants étaient à présent sur la passerelle menant sur l’autre bord de la carcasse où se trouvait encore Zeï… Cela leur laissait encore une seconde tout au plus.

— Très bien, murmura-t-il, passez-moi l’autre rame et le reste de ficelle… Maintenant, descendez !

— Mettez-vous en dessous pour m’attraper si je tombe.

— Je ne peux pas. Cela ferait un poids trop lourd sur la même surface. Nous coulerions directement.

Elle passa par-dessus bord, ses planches de bois raclant la coque. Sur l’autre bord, Barnevelt entendait maintenant distinctement des bruits de pas et des bribes de conversation :

— On a pourtant cherché partout…

— … S’ils ne sont pas ici, ils ont dû s’envoler…

— … Allez voir de l’autre côté du pont, peut-être qu’ils…

Zeï atteignit la surface de l’eau, fit un pas titubant et planta la pointe de l’un de ses squis dans le terpahla.

— Faites attention, bon dieu ! siffla Barnevelt en la voyant basculer dangereusement.

Elle arriva néanmoins à rétablir son équilibre et s’approcha de Dirk.

— Le terpahla est plus dense par ici, donc plus solide, lui expliqua-t-il. Tenez, voici votre balancier. Maintenant, dépêchons-nous !

Ils partirent en direction du nord, leurs squis glissant sur la surface herbeuse. Barnevelt se retourna pour jeter un coup d’œil vers la carcasse qu’ils venaient d’abandonner. Il aperçut distinctement des ombres qui se déplaçaient sur le pont et il entendit le bruit d’une porte qu’on ouvrait. Quelqu’un s’exclama :

— Ils sont entrés ici ! La lampe est encore chaude. Venez !

Peut-être, songea Barnevelt, seraient-ils trop occupés à fouiller la grande carcasse vide pour penser que leurs proies se trouvaient à quelques mètres d’eux. Personne ne pourrait imaginer qu’ils fuyaient en marchant sur l’eau.

Malheureusement, ses suppositions se révélèrent fausses. Une voix demanda :

— Qu’est-ce que fait cette corde ici ? Holà, les voici ! Venez voir !

— Où ?

— Là-bas, sur le terpahla !

— Mais c’est impossible !

— Les voilà !…

—  C’est de la sorcellerie !

— Des arcs ! des arcs ! Qui a un arc ? Approchez !

— Personne, monsieur. Vous nous aviez ordonné de…

— Je me fiche de ce que je vous ai dit, espèce d’idiot ! Courez en chercher !

— Continuez à avancer, dit Barnevelt à Zeï, allongeant le pas.

Derrière eux, le tumulte grandissait ; d’autres pirates avaient dû arriver à la rescousse.

— Attention à ce trou ! dit-il à Zeï.

La distance entre eux et la carcasse grandissait désespérément lentement. Ils perçurent l’écho des vibrations d’une corde tendue, suivi d’un sifflement aigu qui les frôla.

— Ils nous tirent dessus, dit Zeï, d’une voix mouillée de larmes.

— Ce n’est pas grave. Dans cette obscurité et à cette distance, ils ne peuvent pas nous atteindre.

Dirk, intérieurement, n’était pas aussi confiant qu’il voulait bien le paraître. Son assurance décrut encore quand un autre sifflement passa si près de lui qu’il eut l’impression de sentir le souffle d’air sur sa joue. Que pourraient-ils faire si l’un d’eux était blessé ?

Shhhuit ! Shhhuit ! Il regrettait amèrement d’avoir quitté sa cotte de mailles malgré le poids de cette dernière.

Enfin, peu à peu, ils s’éloignèrent et les flèches invisibles cessèrent de siffler à leurs oreilles.

— Maintenant, nous sommes hors de danger, souffla-t-il. Arrêtez-vous un instant et attrapez le bout de cette corde. Attachez-la autour de votre taille. Comme cela si l’un de nous tombe dans un trou, l’autre pourra le tirer. Remercions le puissant dieu Bakh que vous ne soyez pas une maigrichonne sans muscles. Bon, en route. N’oubliez pas de marcher sans vous arrêter.

Ils se dirigèrent vers l’étrave qui pointait de l’épave à demi coulée.

— Je ne me souviens pas d’avoir déjà vu une telle conjonction des trois lunes pleines simultanément, releva Zeï. Le vieux Qvansel prétend qu’une telle situation astrologique présage un grand bouleversement général. Ma mère ne veut pas le croire. Elle pense que Varzai gouverne tout et que les radotages du vieil homme ne sont que des superstitions impies.

— De la poésie pure, une sorte de romantisme attardé, prophétisant des événements sans rime ni raison… Oui, je sais. Mais, alors pourquoi garde-t-elle l’astrologue si elle ne croit pas à ses histoires ?

— Parce qu’il lui a été légué par ma grand-mère, et ma mère, aussi dure qu’elle puisse paraître à ceux qui ne la connaissent pas bien, est trop bonne pour renvoyer un vieux et loyal serviteur. De plus, que ses histoires sur les astres soient vraies ou non, c’est un homme très érudit… gulp !

La corde à laquelle s’était attaché Barnevelt se tendit brusquement. Zeï était tombée dans un trou d’eau. Il aperçut la tête de la jeune fille qui apparaissait à la surface. Un morceau d’algue était collé sur son visage et lui bouchait un œil.

— Tirez sur la corde, Zeï ! cria-t-il, se déplaçant sur ses squis pour que la corde reste tendue entre eux. Pointez vos squis vers le haut, puis basculez lentement en avant.

Elle semblait complètement empêtrée, mais finalement elle réussit à sortir le buste de l’eau.

— Maintenant, ramenez vos pieds sous vous, un à un, conseilla-t-il. C’est cela. Puis prenez votre rame et relevez-vous lentement… Très bien. Ouf ! La prochaine fois, regardez où vous mettez les pieds, au lieu de jacasser !

— Maître Snyol, lui répondit une voix offensée. Ce n’est pas parce que vous m’avez sauvée d’un terrible péril qu’il faut vous croire autorisé à me parler comme à une fille de cuisine !

— Je vous parlerai encore plus durement si vous n’obéissez pas à mes ordres ! Compris, jeune fille ? En route.

Elle obéit silencieusement. Barnevelt eut quelque remords de s’être montré aussi dur, mais pas au point de s’excuser. Après tout, se dit-il, ces femmes avaient été élevées selon de si mauvais principes qu’il valait mieux leur mener la vie dure dès le début, sinon elles vous piétinaient en un rien de temps.

Quant à Zeï, c’était certainement la première fois de sa vie qu’un homme se permettait de lui parler de façon aussi cavalière. En retenant un sourire de malice, il pensa qu’elle ne devait pas en revenir. Il se demanda pourquoi il se conduisait ainsi avec elle et pourquoi le fait de l’avoir rabrouée lui procurait une telle jubilation. Il prit soudain conscience qu’il n’avait encore jamais autant parlé à une femme de sa vie. Son plaisir devait être provoqué par une satisfaction inconsciente d’affirmer sa masculinité sur une personne du sexe opposé. Ce n’était pas pour cela que la pauvre Zeï devait subir les premiers assauts de son agressivité naissante. Après tout, elle n’était pas responsable de ses vieux complexes.

Il la regarda du coin de l’œil. Sa tunique diaphane mouillée lui collait à la peau, de sorte qu’elle semblait être nue sous l’éclat des trois lunes. Il oublia l’espace d’un instant leur situation pour le moins délicate alors que dans sa mémoire lui revenait l’image d’une déesse de la mythologie terrienne sortant de l’onde, nue et belle comme Zeï…

Vers l’est, à une centaine de mètres d’eux, la surface se troua brusquement. Quelque chose de sombre et de luisant apparut à l’air libre et replongea dans un éclaboussement bruyant. Était-ce une tête ou un aileron appartenant à quelque créature aquatique ?

— Je pense, dit-il, que nous avons intérêt à éviter de tomber dans un trou, comme cela vous est arrivé tout à l’heure… À propos, je me demande comment Zakkomir s’en est sorti. J’aime bien ce jeune homme et je ne comprends pas pourquoi il a tellement envie de se faire tuer.

— Vous êtes venu, vous aussi, non ?

— Oui, mais moi… (Barnevelt se tut pendant un instant.) Euh, y a-t-il des… sentiments entre lui et vous ?

Il se souvint avoir posé la même question à Zakkomir, mais deux confirmations valaient mieux qu’une.

— Non, pas du tout, répondit Zeï. Comme un loyal sujet et de plus familier du trône, il est naturellement heureux de risquer sa vie pour la couronne.

Barnevelt se dit que de tels sentiments devaient certainement exister chez des gens ayant été éduqués sous une monarchie, bien que lui, fils d’une planète où la république démocratique était devenue la forme de gouvernement universelle, trouve difficile d’imaginer une telle dévotion.

Ils poursuivirent leur difficile progression et parvinrent à l’épave à demi engloutie. Ils s’accrochèrent à la lisse, puis grimpèrent sur le pont incliné pour se reposer un moment.

Barnevelt regarda vers le nord, mais il n’était pas très sûr de toujours apercevoir la voile déchirée qui marquait le lieu du rendez-vous. Quoi qu’il en soit, il avait en tête une plutôt bonne idée de la direction et pensait pouvoir se repérer assez facilement en se retournant de temps à autre. La cité des pirates apparaissait maintenant comme un dessin irrégulier se détachant sur l’horizon au sud. Barnevelt reconnut facilement la grande carcasse sur laquelle il avait construit leurs squis. Elle pourrait lui servir facilement de point de repère.

— Comment vont vos pieds ? demanda-t-il.

— J’ai connu de meilleurs moments, mais ça va.

— Très bien, alors allons-y.

Ils repartirent. Les trois lunes étaient à présent plus basses dans le ciel. Dirk crut deviner une faible lueur à l’est qui semblait teinter l’horizon de rose. Quelques secondes plus tard, la faible lumière décrut : ce devait être ce que les poètes appelaient « les faux fantômes de l’aube ». Il continuait fréquemment à se repérer sur l’épave à demi coulée et la carcasse du bâtiment-entrepôt.

Les lunes baissèrent encore et la pâleur à l’orient semblait cette fois réelle. Puis apparurent les petites étoiles de constellations lointaines et soudain la voile de l’épave du rendez-vous éclata devant eux.

Ils ne s’étaient pas perdus !

Sentant qu’ils approchaient du but, Dirk allongea le pas dans sa hâte d’arriver. Il dépassa Zeï, qui, se sentant désemparée derrière lui, l’appela :

— Pas si vite, s’il vous plaît !

Barnevelt tourna la tête pour lui répondre. À cet instant, ses squis plongèrent sous lui. L’eau l’engloutit instantanément et il avala une gorgée de liquide qui l’asphyxia.

Avant qu’il ait eu le temps de revenir à la surface, quelque chose le frappa violemment dans le dos, et il sentit que des membres humains s’agrippaient à lui. Il comprit ce qui s’était passé : se trouvant derrière lui au lieu d’être à ses côtés, Zeï n’avait pu résister à la traction de la corde quand il était tombé dans le trou et avait été attirée vers le fond à sa suite.

Il réussit à émerger, se débarrassa d’une longue fibre de terpahla qui s’était enroulée autour de son cou, et entreprit de se remettre sur ses squis. Cette gymnastique était plus difficile qu’il l’aurait cru, car des algues entouraient ses planches de bois, les alourdissant et rendant extrêmement pénible le moindre mouvement. Il arriva enfin à placer ses squis dans la bonne position, reprit son balancier, se redressa et se déplaça vers un endroit plus solide pour aider Zeï à sortir du trou à son tour.

Après avoir craché la moitié de la mer Banjao et repris son souffle, la jeune fille demanda :

— J’espère, cher seigneur, que vous ne me trouverez pas trop impertinente si je vous prie de faire attention vous aussi où vous mettez les pieds.

Il lui sourit de bon cœur.

— Un partout, comme nous disons au Nyamadze. Bénis soient les dieux, nous y sommes presque.

Le jour s’était levé pour de bon. Dans la lumière, Barnevelt comprit pourquoi il était tombé : ils avaient presque atteint la limite de la partie solide du Sunqar ; par ici, les algues étaient nettement moins denses. De l’autre côté de l’épave, elles étaient agglutinées en paquets dispersés de couleur brune qui dérivaient lentement à la surface. Il leur aurait été impossible d’aller plus loin sur leurs squis.

Ils atteignirent finalement le radeau et se laissèrent tomber sur les planches pourries en poussant ensemble un long soupir d’épuisement. Après avoir dénoué les attaches de ses squis, Barnevelt s’occupa de celles de sa compagne. Elle grimaça de douleur quand il la toucha et, après qu’il eut ôté les liens et les coussinets de protection, il constata que la peau de ses pieds avait été littéralement arrachée en plusieurs endroits.

— Par Qondyor, s’écria-t-il. Vous avez dû souffrir le martyre. Pourquoi ne me l’avez-vous pas dit ?

— Pour quoi faire ? Vous n’auriez pas pu me porter jusqu’ici sur vos squis, et mes plaintes n’auraient servi qu’à vous distraire de votre objectif.

— Bravo ! Vous êtes courageuse, dit-il en enlevant ses bottes et ses chaussettes.

— Je vous remercie. (Puis elle se mit à rire.) Avez-vous vu vos jambes ?

Il constata que celles-ci étaient striées de bandes bleues là où l’uniforme de commissionnaire avait déteint.

Une brise froide du petit matin se leva et fit frissonner Barnevelt.

Zeï claqua des dents.

— Dire que je venais tout juste de me sécher de mon dernier bain ! Tenez, déshabillez-vous et, si vous me le permettez, je ferai de même. Sinon, avec cette humidité, nous ne sécherons jamais.

Joignant le geste à la parole, elle se dépouilla prestement de sa robe. Les vieux principes de Dirk, hérités de son éducation prude et campagnarde, remontèrent à la surface et son visage prit une teinte cramoisie parfaitement assortie à l’éclat du lever de soleil. Pendant ce temps, Zeï, aussi innocemment nue qu’un nourrisson, étendait sa tunique mouillée sur un hauban qui tenait encore le mât.

— Que vous arrive-t-il, seigneur ? Êtes-vous paralysé ? demanda-t-elle.

Dirk se débarrassa de sa veste. Ce faisant, la lettre de Sheafasè tomba. Il la ramassa et la jeta par-dessus bord. À présent, elle ne servirait plus à rien, sinon à conduire la reine Alvandi à se poser des questions dangereuses sur la raison pour laquelle les chefs sunqarumas tenaient tant à s’emparer de lui et de Tangaloa.

— Je crains que le soleil soit néfaste pour vos pieds blessés, dit-il en avalant péniblement sa salive. Cela pourrait même vous rendre infirme à vie. Peut-être devrais-je découper les restes de la voile pour vous couvrir avec ? Non, je ne peux pas. Il faut qu’elle reste là pour que Chask puisse nous retrouver.

— Et si votre bateau ne revenait pas ?

— Je me suis déjà posé la question. Peut-être pourrais-je revenir jusqu’à la cité pirate de nuit afin de voler un peu de nourriture et de l’outillage pour réparer cette épave ou pour construire un autre radeau. Enfin, nous verrons bien.

— Oh ! un héros aussi doué que vous saura surmonter tous les obstacles, j’en suis sûre. En attendant, quel est le menu ? Parce que j’ai une faim monstrueuse.

— Voudriez-vous me dire où je pourrais trouver de quoi manger par ici ?

— Je ne sais pas, mais je fais confiance à votre ingéniosité pour inventer un moyen quelconque de…

— Merci du compliment, jeune fille, mais certains miracles sont impossibles, même pour moi. Ne me regardez pas avec cet air affamé. Cela me rappelle les coutumes sanguinaires de votre pays.

— Ne me taquinez pas sur ce sujet. Cette coutume, je ne l’ai pas inventée. Et ne croyez surtout pas que vous pouvez exciter la convoitise d’une anthropophage comme moi, car vous ne devez avoir que la peau sur les os et être dur comme un chomal.

Il bâilla.

— Nous ferions mieux de dormir un peu en attendant. Je veillerai le premier.

— Mais n’est-ce pas à vous de vous reposer le premier ? Vous devez être beaucoup…

— Allez dormir ! rugit-il, se sentant très dominateur.

Il s’assit, le dos appuyé contre le mât, balayant l’horizon du regard. De temps en temps, il se pinçait ou se donnait des claques pour se tenir éveillé. Des souvenirs de films qu’il avait vus où des naufragés dérivaient interminablement sur des radeaux lui revenaient en mémoire. L’eau de mer en séchant laissait sur son corps des petites traînées de sel qui lui irritaient la peau. En se grattant le crâne, il remarqua que ses cheveux commençaient à repousser. Il faudrait qu’il trouve un moyen quelconque pour se raser, sinon ses origines extra-krishniennes éclateraient aux yeux de tous.

Zeï se retourna.

— Oh ! Snyol, dit-elle piteusement, j’ai tellement froid que je ne peux pas dormir.

— Venez près de moi que je vous réchauffe, dit-il.

Il regretta aussitôt ses paroles. En ondulant souplement, Zeï vint se glisser dans le creux de son bras droit. Elle frissonnait.

— C’est mieux ainsi, dit-elle en lui souriant.

Était-ce vraiment mieux ? se demandait Barnevelt, en qui deux natures se livraient un terrible combat. Le sang cognait contre ses tempes.

Finalement, ce fut l’homme prudent et réfléchi qui l’emporta sur l’animal jeune et plein de vie.

— Excusez-moi, murmura-t-il.

Il dégagea son bras et tourna sèchement le dos à Zeï pour ramasser ses vêtements. Naturellement, dans une atmosphère aussi humide, ils étaient encore mouillés, mais il se rhabilla tout de même.

— Ils ne sécheront jamais ainsi, dit-il en guise d’explication. Il faut que nous utilisions notre chaleur animale. Vous feriez mieux de remettre votre tunique vous aussi.

— Beurk, dit-elle en regardant sa robe d’un air dégoûté. Mais puisque vous le dites, seigneur. (Elle passa la robe légère par-dessus sa tête.) Maintenant, cher Snyol, voudriez-vous me réchauffer de nouveau, parce que mes dents claquent comme les castagnettes des danseurs de Balhib.

Ils se réinstallèrent au pied du mât. Les lunes commençaient à s’enfoncer sous l’horizon. Bientôt le soleil serait là, irradiant sa bienfaisante chaleur. Zeï ronronna comme un petit chat et leva la tête pour sourire à son compagnon. Avant que Dirk sache ce qu’il faisait, il se pencha et l’embrassa.

Elle ne le repoussa pas, mais ne répondit pas non plus à son baiser. Son visage avait pris une expression de surprise et de perplexité.

— D’après ce que j’ai entendu dire, est-ce cela, que les Terriens appellent un baiser ? demanda-t-elle calmement.

— Euh, oui. Ça ne se pratique pas encore à Qirib ?

— Si mais, d’après la rumeur, seulement par certaines personnes dissipées et rebelles aux traditions. En tout cas, je ne l’ai jamais vu faire à la cour. Est-ce vrai que pour les Terriens cela signifie que l’on porte amour et estime à celui que l’on embrasse ?

— Oui, c’est ce que l’on m’a dit.

— Parfait. Il est juste et correct en vérité que tous les loyaux sujets aiment et estiment les membres de la famille royale. Donc, cher Snyol, ayez la bonté de me prouver encore une fois votre loyauté au trône.

La pensée que le mot amour couvrait plusieurs sens à la fois traversa l’esprit de Barnevelt. Ce n’est pas cela qui l’empêcha de s’exécuter. À la seconde tentative, il trouva que Zeï était décidément une élève douée. Son cœur se remit à battre plus vite. Le Barnevelt bestial revint à la charge et attaqua le Barnevelt pondéré. Dirk ! implorait ce dernier. Au nom de tous les dieux, réfléchis ! Si tu continues ainsi et si elle ne résiste pas, du moins pas plus qu’elle l’a fait jusqu’à présent, cela peut te coûter ta tête. Attends d’avoir réglé toutes tes affaires, fais preuve de bon sens.

Mais le Barnevelt bestial n’écoutait pas ces beaux raisonnements. Il n’écoutait plus aucun raisonnement. Sa force ardente et brutale mit au tapis le Barnevelt pondéré. Dirk découvrit que la fine tunique censée cacher les appas de Zeï, loin de diminuer son désir, le stimulait plutôt…

Il changea de position pour désengourdir son bras droit qui s’ankylosait sous le poids du corps de la jeune fille.

Tout à coup, une tache blanche apparut au loin. Barnevelt se figea instantanément.

— Qu’y a-t-il, mon cher seigneur ?

Dirk se dégagea à regret et désigna le petit triangle blanc qui se détachait à l’ouest sur le ciel lumineux.

— Si je ne me trompe pas, dit-il, c’est la voile du Shambor.

Il regarda longuement la fille assise à côté de lui, mais ne la toucha pas. Le Barnevelt pondéré avait repris le dessus. Il se leva et entreprit avec un air sérieux quelques mouvements de gymnastique. Les planches pourries du radeau craquaient sinistrement sous ses pieds.

— Que faites-vous ? demanda Zeï. Est-ce une prière matinale en hommage aux sinistres dieux du lointain Nyamadze ?

— C’est presque ça. Il n’y a rien de tel qu’un peu d’exercice pour, euh… la circulation du sang. Vous feriez bien d’essayer. (Quand il fut bien essoufflé, il s’arrêta.) Il se pourrait que ce ne soit pas du tout notre bateau. C’est pourquoi je pense que nous ferions bien de nous allonger derrière le mât afin que nos silhouettes ne se détachent pas sur la ligne d’horizon. Au cas où…

— Oui. Que ferons-nous si ce sont nos ennemis ?

— Nous nous laisserons glisser dans l’eau et nous tenterons notre chance à la nage.

La voile grossit assez rapidement. Poussé par la brise matinale, le bateau approchait droit sur l’épave. Barnevelt put bientôt lire sur la proue le nom qu’il avait tant espéré voir : Shambor. Il attendit cependant de reconnaître Chask à la barre pour bondir sur ses pieds en poussant de grands cris.

Quelques minutes plus tard, l’étrave du petit bateau s’enfonça dans le paquet d’algues et vint cogner en douceur le radeau. Barnevelt aida Zeï à grimper sur le pont avant de la suivre.

Le Barnevelt pondéré se félicitait de la conclusion qu’avait connue le bref moment de folie qui avait failli l’entraîner à commettre un acte dont les suites auraient pu être désastreuses.

Mais le rêveur romantique qui couvait en Barnevelt murmurait : Ah ! mais tu sais très bien que tu l’aimes et que cela n’a rien à voir avec l’amour d’un sujet loyal pour un membre de la famille royale. Et, un jour peut-être, quelque part, elle et toi serez unis d’une façon ou d’une autre. Un jour peut-être, peut-être…