LETTRE À SÖMMERRING (1795)1

 

À Samuel Thomas Soemmerring

17 septembre 1795

 

[AK XII, 41] Comme Monsieur Nicolovius2 me demande si j’ai quelque chose à ajouter à la lettre qu’il vous envoie, voici, très cher ami, ce qui me vient à l’esprit.

Concernant l’instrument commun des sens, le principal problème consiste à mettre de l’unité dans l’agrégat infiniment divers de toutes les représentations sensibles du mental, ou, plus exactement, à rendre compte de cette unité par la structure du cerveau, ce qui suppose absolument l’existence d’un moyen permettant d’associer des impressions elles-mêmes hétérogènes mais coordonnées selon le temps, par exemple la représentation visuelle d’un jardin avec la représentation auditive d’une musique dans ce même jardin et celle d’un repas qu’on y a savouré, etc. – autant de représentations qui s’embrouilleraient si les faisceaux nerveux s’affectaient les uns les autres à leur contact mutuel. En revanche l’eau des cavités cérébrales peut permettre qu’un nerf exerce une influence sur un autre, et que, ce dernier réagissant, la représentation correspondante se lie en une conscience, sans pour autant que ces impressions ne se confondent, pas plus que [AK XII, 42] les sons ne se confondent en se propageant dans l’air lors d’un concert à plusieurs voix.

Mais cette idée vous aura sans doute déjà effleuré. Aussi n’ai-je rien de plus à ajouter, si ce n’est que j’ai eu le grand plaisir de lire dans votre agréable écrit le témoignage de votre amitié ainsi que l’harmonie de nos deux façons de penser.

 

Le 17 sept. 1795.

I. Kant


1 Lettre 679, AK XII, 41. Sömmerring la publie en note dans son traité (op. cit, p. 45-46).

2 Friedrich Nicolovius (1768-1836), l’éditeur de Kant, avait déjà servi d’intermédiaire entre le philosophe et Georg Forster après leur polémique sur l’unité du genre humain. Dans une lettre de cette période Kant louait déjà à l’éditeur « l’esprit d’observation philosophique » de Sömmerring, AK XI, 235.