M1. page 135 – Dans bon nombre de maladies mentales, il arrive que l’imagination égarée fasse retentir dans la tête des sons étranges et assourdissants, [AK XV, 943] ou bien que, sous l’effet du malaise qui l’oppresse, l’imagination succombe misérablement à des terreurs sans objets. En ce cas, c’est que l’esprit a été détrôné, et mieux vaudra pour le soigner une saignée que des arguments. Et, avec les fanatiques, il vaudra mieux miser sur de l’hellébore1 à fortes doses plutôt que sur les vertus médicatrices de la saine raison2.
Pour nous appliquer à notre but, je pense qu’il faut tout particulièrement veiller à ce que les médecins ou les philosophes ne s’égarent pas dans une voie contraire à la nature et qu’ils ne sortent pas des limites de leur métier : s’ils succombaient à la tentation du touche-à-tout, le philosophe donnerait l’impression de vouloir jouer au médecin, et le médecin au philosophe. Il n’y a aucun doute sur ce qui constitue leurs limites respectives : le médecin a compétence pour traiter le mental malade par des moyens appliqués au corps ; le philosophe en revanche traite le corps par l’influence de l’esprit.
M2. page 137 – Peut-être le sommeil ne vient-il pas de la fatigue du corps, mais que c’est plutôt la fatigue qui naît de l’absence de mouvements vitaux (dans l’organe sensitif) lorsqu’on commence à somnoler. On plonge facilement dans le sommeil dès que l’on chasse de son esprit toute conscience de soi.
Les jeux, et en particulier ceux qui sont motivés par le gain, agitent l’esprit de façon très diverse.
Les exercices corporels que prescrit un médecin non philosophe affaiblissent en général le corps du malade, sauf s’ils s’agrémentent d’un plaisir social et qu’ils affectent favorablement l’esprit.
On connaît l’histoire de ce dialecticien qu’un sophisme avait tellement taraudé, et qui avait en quelque sorte tellement couvé son problème qu’il avait fini par en maigrir au point de devoir mettre des chaussures à semelle de plomb3.
Lors des repas, il vaut mieux pour le corps non seulement que l’esprit soit dégagé de tout souci, mais encore qu’il soit disposé à la bonne humeur, et qu’il se détache de toute pensée fixe ou figée. [AK XV, 946] Pour cela, les meilleurs moyens sont la conversation, la discussion entre amis, et surtout le rire, et même le rire à gorge déployée. L’esprit exerce alors sa force en agitant le corps d’un mouvement intérieur4.
(Lettre de Hutten à Érasme)5.
M3. page 138 – Tout d’abord, l’esprit, libre de tout souci, n’est pas obligé pour se nourrir d’être rivé au sol comme ces bêtes qui doivent courber l’échine pour obéir à leur estomac6 ; il lui faut un fourrage approprié, à savoir de la diversité et de la variété dans ses pensées, faute de quoi le cœur se ronge et consume les forces vitales du corps lui-même. Ensuite, dans le cas où il souffre déjà d’un tel vice – ce à quoi la nature bienfaisante aurait pu remédier (facilement) d’elle-même si on n’en avait pas troublé le cours, l’esprit se met à peser de tout son poids sur la maladie, aggravant ainsi le mal. Il est alors nécessaire d’égayer l’esprit en lui présentant des choses amusantes, ou de le tenir à distance en lui donnant du travail.
Pour ce qui est du sommeil, je n’en sais pas plus à ce sujet que le dernier des ignorants ; et si quelqu’un pense avoir percé les mystères de cette prouesse la nature pour restaurer les forces vitales, je lui chante hardiment avec le poète : voilà quelqu’un qui veut faire semblant d’être le seul à comprendre ce qu’il n’entend pas plus que moi7.
Lorsque nous chassons toute pensée de notre esprit, le sommeil ne tarde pas à nous envahir, et les rêves prennent la relève de la veille. La tâche du médecin concerne immédiatement le corps et jamais l’âme, si ce n’est de façon indirecte, par l’intermédiaire du corps et du soin lui-même. Si le médecin cherche à assister le corps par la force de l’âme, il agit en philosophe. En revanche, le secours que le corps reçoit de l’âme [la phrase s’interrompt].
M4. page 140 – Chaque chose entraîne à son tour d’autres choses, par lesquelles elle se trouve encore entraînée en retour. La seule chose qui demeure et qui se conserve entre toutes, c’est l’auteur du système, et non une partie8.
[AK XV, 952]
Les mouvements imprimés au corps par l’âme affectent profondément son principe vital, pour le meilleur ou pour le pire. Les solitaires ne profitent pas de cette marge de manœuvre.
Mépriser les attraits de la vie est un bon moyen pour la conserver. Il n’est pas question ici de l’apathie d’indifférence, mais de l’apathie d’impassibilité9 qui allie le plus grand sérieux dans les devoirs au sang-froid dans la jouissance.
La question est de savoir si les rêves pénibles et inquiétants ne sont pas de quelque utilité après un trop-plein de sommeil.
Première question : l’influence de l’esprit est-elle également requise pour les mouvements vitaux ?
L’âme influence-t-elle seulement le corps en tant qu’âme sensitive, ou bien également en tant qu’âme rationnelle, par l’arbitre ?
L’attention que l’on se porte à soi-même, et surtout à son corps, s’avère plutôt néfaste pour le corps. Cela entretient les maladies, à commencer par les crampes. Diriger son attention sur le mental affaiblit le corps. Un journal d’observation de soi-même10. D’où la nécessité de la dissipation11, et finalement du sommeil, qui est une dissipation par les rêves et qui est donc un mouvement dans lequel la conscience de soi n’est pas figée. La conversation est un mouvement intérieur qui s’accompagne d’une distraction continuelle. Les reproches intérieurs sont très néfastes pour le corps. Les affects qui ne contiennent pas de sensation rémanente sont profitables, la nostalgie est nocive.
[AK XV, 953]
L’état des sciences et des arts en Égypte, en Perse et en Inde ne présente aucun intérêt pour nous. Nous tenons les nôtres des Grecs. Chez eux, il y avait de la religion sans théologiens, de la législation sans juristes et des médecins sans médecine ; tout était usage, tout venait de la tradition et avait été perfectionné par l’expérience. La philosophie et les mathématiques étaient les seules sciences connues, et elles n’étaient pas encore rattachées l’une à l’autre. On les considérait comme de simples exercices mentaux et elles n’avaient aucune influence sur les institutions civiles. La religion chrétienne a le mérite d’avoir pu s’unir à la philosophie et à toute la sagesse des Anciens. Il y a donc eu la théologie, et avec elle la philosophie, appliquée au droit et à la médecine. Elles devinrent les trois principales sciences parce qu’elles étaient indispensables à la prospérité de l’État.
Les sciences dépendent comme les hommes d’une détermination préalable, qui fait qu’après s’être établies longtemps à l’écart les unes des autres comme des sauvages, elles entrent ensuite en société, d’abord en petit, puis en grand, et finissent par former un système dans lequel chaque partie sert l’autre sans cependant se confondre avec elle, chacune prenant au contraire bien soin de démarquer ses frontières de celles des autres, à l’image d’États qui ne fusionnent pas les uns avec les autres dans une monarchie universelle mais qui s’allient entre eux dans une grande fédération des peuples, dans laquelle chacun se charge de sa prospérité et son ordre intérieurs, mais où chacun est un centre à la conservation duquel les autres ont partie liée, de sorte qu’aucun État ne peut croître par la démolition des autres. Très vite, ce fut tantôt la dialectique, tantôt la théologie, tantôt la morale, tantôt la législation qui engloba tout le reste.
M5. page 168 – Si on a joui jusqu’ici d’une santé constante en suivant un régime unique, est-ce l’assurance d’une longue vie ?
Le fil est-il compté pour chacun ? Le fait d’étudier vivifie-t-il le corps en raison d’un travail créatif particulier ?
Qui est en bonne santé ? Celui qui ne sent que ses forces [Ba, 41] et pas ses affections (qui sont des entraves pour ses forces) ? Celui qui peut dire à la fin de la journée « j’ai vécu » (vixi) mais qui ne peut cependant pas dire avec certitude « je vivrai encore le jour suivant et les jours d’après ». L’attention involontairement portée à ses sentiments est déjà un état maladif qui trouble les fonctions vitales naturelles et qui engendre des appréhensions imaginaires (l’hypocondrie).
M6. page 170 – Il n’y a rien de plus simple, de plus spontané pour chaque homme et de plus facile à concevoir pour la raison pratique que le concept de la religion en général, dont on peut considérer la tendance comme étant innée chez tous les hommes. Il n’y a pas de phénomène plus ancien dans l’histoire du genre humain que la religion, et nous n’avons en effet pas trace d’une histoire qui relate un état du genre humain antérieur au développement de la raison jusqu’à ce concept. Toute histoire commence avec celle des dieux et de leur culte. [Ba, 45] Cela s’explique du fait que les êtres raisonnables n’ont pas eux-mêmes en leur pouvoir le but final qui constitue le mobile suprême de leurs actes et qui n’est autre que le bonheur, et qu’ils se le sont par conséquent créé en se représentant des êtres supérieurs à l’homme et pourtant semblables à lui. Ce fut d’abord la crainte qui fit les Dieux12.
M713. page 170 – L’unité synthétique de l’aperception dans la catégorie de la grandeur (catégorie qui relève de la mathématique et non de la dynamique) présente ce concept comme la représentation du multiple de même espèce, qui est contenu dans l’intuition dans la mesure où, rassemblé, il forme une unité. Mais la grandeur d’un objet de l’intuition est de deux sortes : il s’agit soit de la grandeur de l’intuition dans laquelle du multiple en vient à former une unité par la mise en rapport des termes les uns avec les autres, soit de la grandeur de l’aperception qui se présente dans la liaison du multiple en une unité. La première est la grandeur extensive (où, du multiple étant donné, l’unité se constitue par la mise en rapport des termes les uns avec les autres) ; la seconde est la grandeur intensive (selon laquelle, une unité étant donnée dans l’intuition, elle est pensée dans la conscience comme contenant du multiple), [Ba, 46] correspondant au degré de perception (animadversio).
La catégorie de grandeur se rapporte soit à un objet de l’intuition, soit seulement à l’intuition pure (espace et temps), ou bien encore à l’intuition empirique et matérielle d’un objet de la sensation ; la conscience de la sensation d’un objet s’appelle la perception. Quant à la sensation elle-même dans cette perception, ce qu’il y a en elle de proprement empirique a aussi une grandeur, que l’on nomme sensation intensive ou bien degré de la sensation, et que l’on trouve dans toute intuition empirique de grandeurs dans laquelle le quantum ne croît qu’à partir de 0, et ne diminue qu’en tendant vers rien = 0, comme par exemple dans le cas de l’attention que l’on porte à une représentation : n’importe quel objet de la sensation, par exemple la lumière ou la chaleur, a un degré. On ne peut cependant pas dire que tous les phénomènes sont des grandeurs continues, car par exemple entre deux mouvements d’un pendule, il y a un temps de repos. [Ba, 47]
M8. page 170 – Le contraire du fait de poser quelque chose n’est pas : ≠ 0 ou ne pas poser, mais : = – A, c’est-à-dire le dépassement de quelque chose de réel en tant que matière de l’intuition (car l’espace et le temps n’en fournissent que la forme). La force de l’imagination détermine les objets qui correspondent à cette forme, c’est-à-dire qu’elle fait à la fois la mise en scène et le jeu.
La grandeur extensive est le divers posé en tant que divers dans le multiple ; la grandeur intensive est le divers posé en tant que multiple dans l’un.
Tout ce qui est empirique a un degré de perception en soi. L’existence de quelque chose dans la mesure où le composé est considéré comme une multiplicité qui résulte de la dissolution de l’unité14.
M9. page 170 – En 1770, lorsque je pris la chaire de professeur de logique et de métaphysique, mon cours commençait à sept heures du matin et j’ai engagé un domestique chargé de me réveiller.
Le lit est un nid de maladies.
Évacuation artificielle stimulée par le tabac, sans plaisir. Bétel, arec. En Orient, l’opium est un médicament. Tous deux engendrent une accoutumance.
Mouvement vermiculaire des intestins. Dormir et veiller. État spastique. Influence du mental et des pensées sur ce mouvement en ces deux états. Comment chez un savant la pensée entretient l’agitation de la force vitale sans engourdir le corps par l’emploi de stimulants artificiels du plaisir ou de stimulants naturels, et sans détériorer la force vitale.
M10. page 181 – La doctrine du bonheur15 est le principe de la gymnastique (négativement, sustine et abstine16) et le bien-être (salus), mens sana in corpore sano, présuppose la morale.
M11. page 181 – Fiat exper. in corpore vili17, et par vilia on entend tout sujet qui n’est pas en même temps législateur (pas républicainement)18. L’inoculation de la petite vérole relève donc du titre des heroica.
M12. page 181 – Si le péril de la petite vérole est l’un des plus préoccupants, c’est parce que le moyen employé contre elle semble en même temps opposé à la moralité.
M13. page 183 – Parmi tous les périls, il y a le danger de tomber dans une ornière, de renier les principes moraux : ce péril peut toutefois toujours être surmonté parce que l’homme peut toujours faire ce qu’il doit, lorsqu’on lui met sous les yeux le devoir incontournable. Le seul fait de devoir avouer que l’on se sent en danger de ne pas pouvoir défendre son devoir dans certaines tentatives, mais de pouvoir l’enfreindre sciemment, est déjà une corruption du cœur, dont l’homme devrait avoir honte.
1 La racine de l’hellébore blanc ou varaire (veratrum album) est utilisée depuis l’Antiquité dans la cure de la folie. C’est un purgatif et émétique violent qui provoque une diarrhée abondante, le refroidissement du corps, un état de prostration et des crises de délire.
2 Même idée chez Gaubius (1747) : « il y a des troubles mentaux dont la cure, sauf à être entreprise à grands renforts d’hellébore, sera vainement tentée à l’aide de l’appareil de logique le plus sophistiqué », p. 96. Bon nombre de maladies mentales trouvent leur source dans un trouble corporel, et leur traitement est du ressort du médecin : manie, mélancolie, frénésie, délire, nymphomanie, rage, catalepsie, etc. Selon Michel Foucault : « il a toujours existé, au cours de l’âge classique, une juxtaposition de deux univers techniques dans les thérapeutiques de la folie. L’un, qui repose sur une mécanique implicite des qualités, et qui s’adresse à la folie en tant qu’elle est un certain mixte (mouvement-qualité) appartenant au corps et à l’âme à la fois ; l’autre qui repose sur un mouvement discursif de la raison raisonnant avec elle-même, et qui s’adresse à la folie en tant qu’elle est erreur […], en tant qu’elle est délire. Le cycle structural de la passion et du délire qui constitue l’expérience classique de la folie réapparaît ici, dans le monde des techniques », Histoire de la folie p. 348. Sur les limites des thérapies « logocentrées » de la folie cf. aussi l’Essai sur les maladies de la tête.
3 Philétas de Cos, né en 320 avant J.-C., poète et érudit alexandrin, mort d’épuisement en cherchant à résoudre les paradoxes du stoïcien Chrysippe, l’élève de Zénon. « Philétas de Cos était, à ce que l’on raconte, très mince. Comme il se faisait renverser facilement à tout bout de champ, il portait, dit-on, des chaussures avec des semelles de plomb, afin de ne pas être emporté par le vent, lorsqu’il soufflait très fort », Élien, Histoire variée, 9, 14, Les Belles Lettres, trad. Lukinovich-Morand, p. 95.
4 Le rire est l’une des « émotions par lesquelles la nature favorise mécaniquement la santé » : « L’expulsion saccadée (comme convulsive) de l’air […] renforce le sentiment de l’énergie vitale par un mouvement salutaire du diaphragme. […] Le rire est alors toujours l’oscillation des muscles de la digestion ; et il la favorise bien mieux que ne le ferait la sagesse du médecin », AP, § 79, AK VII, 261– Vrin, trad. Foucault, p. 116-117. Même remarque au § 88 : « si c’est par un rire franc et de bonne humeur, la nature a voulu que par les mouvements du diaphragme et des viscères, il favorise singulièrement la digestion, et le bien-être physique qui l’accompagne », AK VII, 280-Vrin, p. 130. Il y a une théorie kantienne du rire comme action réciproque du corps et du mental : « Le rire est un affect procédant de la manière dont la tension d’une attente se trouve soudain réduite à néant. […] si l’on admet qu’à toutes nos pensées est associé en même temps, harmonieusement, un quelconque mouvement dans les organes du corps, on comprendra suffisamment comment, à ce soudain déplacement de l’esprit se plaçant, pour considérer son objet, tantôt d’un point de vue, tantôt de l’autre, peut correspondre une alternance de tension et de relâchement des parties élastiques de nos viscères qui se communique au diaphragme (de manière comparable à ce que ressentent les gens chatouilleux) : à la faveur de cette alternance, les poumons rejettent l’air en une succession rapide d’expirations, en produisant ainsi un mouvement qui favorise la santé » CJ, § 54, AK V, 332 sq. – GF-Flammarion, trad. Renaut, p. 320 sq.
5 Lettre d’Ulrichs von Hutten à Érasme de Rotterdam : « Ulrichi ab Hutten cum Erasmo Roterdamo expostulatio » (1523), in Huttens Schriften, Hrsg. Böcking, II, 180-248. Selon Adickes, cette lettre n’a aucun rapport avec le propos de Kant.
6 Salluste, Catilina I, 1 : « Tout homme qui travaille à être supérieur aux autres êtres animés doit faire un suprême effort afin de ne point passer sa vie sans faire parler de lui, comme il arrive aux bêtes, façonnées par la nature à regarder la terre et à s’asservir à leur ventre. Au contraire, chez nous autres hommes, la puissance d’action réside à la fois dans l’âme et dans le corps : à l’âme nous réservons de préférence l’autorité, au corps l’obéissance ; l’une nous est commune avec les dieux, l’autre avec les bêtes », trad. Richard, Garnier.
7 Horace, Épîtres II, 1, 87 : « Tel loue les chants saliens de Numa et veut paraître comprendre seul ce qu’il n’entend pas plus que moi. » Également cité dans la préface à la deuxième édition de la CRP, AK III, 20 – GF-Flammarion, p. 86.
8 R. Brandt voit dans cette remarque une façon pour Kant de se démarquer publiquement du panthéisme : Dieu n’est pas identique à la création. Cf. Kant-Studien, 90, 1999, p. 358.
9 « Le mot d’apathie est pris en mauvaise part comme s’il signifiait l’insensibilité et par conséquent l’indifférence subjective par rapport aux objets du libre arbitre. On peut prévenir ce malentendu en nommant apathie morale l’absence d’affection, qu’il convient de distinguer de l’indifférence », DV, AK VI, 408 – Vrin, trad. Philonenko, p. 81.
10 Allusion probable, selon Adickes, au journal de Lavater (Geheimes Tagebuch. Von einem Beobachter seiner selbst (1771)), ou de Haller (Tagebuch seiner Beobachtungen über Schriftsteller und über sich selbst, (1787)). L’observation de soi-même « fournit à celui qui s’observe la matière d’un journal intime et conduit facilement à l’exaltation et au délire », AP, § 4, AK VII, 133 – Vrin, p. 22.
11 Attention et dissipation sont deux procédés de la « psychotechnique » kantienne, le premier consistant à se concentrer sur une sensation ou une idée pour en maîtriser les effets, la seconde à dissiper l’attention pour échapper à une idée fixe. « La distraction, c’est l’état de l’attention quand elle se détourne de certaines représentations dominantes, et qu’elle se disperse vers d’autres représentations de nature différente. Si elle est intentionnelle, elle s’appelle dissipation ; quand celle-ci est involontaire, c’est l’absence (absentia) à soi-même. […] se distraire, c’est-à-dire créer une diversion pour l’imagination involontairement reproductrice (le prêtre par exemple, après avoir prononcé son sermon appris par cœur, veut empêcher qu’il lui revienne sans cesse en tête) est une conduite indispensable, bien que partiellement artificiel, pour le souci de la santé mentale. […] Se recueillir (collectio animi) pour se préparer à une nouvelle activité restaure l’équilibre des forces de l’âme, et favorise la santé mentale. […] – On voit qu’il y a pour les gens occupés un art (peu commun) qui relève de la diététique du mental, un art de se distraire pour rassembler ses forces », AP, § 47, AK VII, 207 – Vrin, trad. modifiée, p. 75-76.
12 Stace, La Thébaïde, III, 661 : « primus in orbe deos fecit timor ».
13 Ce passage est le brouillon d’une lettre à Tieftrunk au sujet de la Standpunktslehre de Jakob Sigismund Beck (1761-1840) (cf. Bayerer, 104) : « Toutes les catégories portent sur quelque chose de composé a priori et contiennent, quand ce dernier est homogène, des fonctions mathématiques, et, s’il est hétérogène, des fonctions dynamiques, par exemple en ce qui concerne les premières : la catégorie de grandeur extensive a trait à l’un dans le multiple ; en ce qui concerne la qualité, ou grandeur intensive, c’est le multiple dans l’un. Dans le premier cas, l’ensemble de l’homogène (par exemple celui des pouces carrés dans une surface), dans le second le degré (par exemple celui de l’éclairement d’une chambre) », À Tieftrunk, 11 décembre 1797, AK XII, 222 sq. – Corr., p. 685 sq. Pour tout ce passage, cf. CRP, AK III, 149-159 – GF-Flammarion, p. 239-250.
14 Phrase inachevée.
15 Glückseligkeitslehre : doctrine du bonheur, eudémonisme, que Kant distingue nettement de la doctrine morale. Cf. CRPr, AK V, 130 – GF-Flammarion, p. 256 ; DD, AK VI, 215 – Vrin, p. 89.
16 Cf. note 21, p. 281.
17 Fiat experimentum in corpore vili : faire l’expérience sur un corps de peu de prix. Vilis s’applique au sens propre à une marchandise bon marché, à bas prix, puis par extension, au sens figuré, à toute chose de peu de valeur. En contexte médical, l’expression s’emploie, par opposition à « in corpore nobili », pour désigner des expérimentations menées sur des êtres de moindre importance : certaines catégories d’humains considérés comme de moindre valeur, dispensables. Furetière écrit par exemple dans son article « Expérimenter » : « Essayer, éprouver quelque chose, faire plusieurs remarques et observations des divers effets de la nature. Exemple : On expérimente les remèdes sur des personnes de peu d’importance. » L’expression, popularisée par le Recueil de bons mots de Ménage, renvoie à un épisode de la vie de l’humaniste Marc-Antoine Muret (1526-1585). Déguisé en mendiant pour échapper à ses poursuivants, malade, il tombe entre les mains de médecins peu scrupuleux : « parce que Muret était fort mal vêtu, s’étant alors déguisé, et que son visage grossier et couperosé presque partout n’eût jamais fait soupçonner que sous ce corps couvert de haillons fût contenu un si bel esprit, un d’eux proposant un remède hasardeux et extraordinaire, ils ne se génèrent pas pour conclure tout haut dans une langue qu’ils croyaient inconnue de leur malade : Faciamus experimentum in corpore vili ! Muret, guéri par la peur, s’échappa de leurs mains. […] D’après d’autres narrateurs de cet épisode, un des deux médecins avait dit : Faciamus experimentum in anima vili, et Muret lui avait répliqué par cette éloquente apostrophe : Vilem animam appellas pro qua Christus non dedignatus est mori », Charles Dejob, Marc-Antoine Muret, 1881, p. 59. L’épilogue est conforme à la doctrine de l’humanisme chrétien : l’universalité de l’âme confère une égale valeur, une égale dignité à tous les hommes. Lorsque Kant utilise ici cette expression, c’est avec ce récit à l’arrière-plan. Dans Le Conflit des facultés, il se sert de cette même expression pour se prononcer pour le contrôle de la pratique de la médecine par les autorités sanitaires compétentes : en vertu du souci de sécurité publique, pour la santé du peuple, il ne doit pas y avoir de charlatan, c’est-à-dire « pas de jus impune occidendi suivant le principe : fiat experimentum in corpore vili », CF, AK VII, 26 – Vrin, p. 25.
18 Gouverner républicainement, c’est pour Kant gouverner le peuple selon des principes conformes à l’esprit des lois de la liberté. Cf. CF, AK VII, 91 – Vrin, p. 109. Canguilhem fait un commentaire erroné de ce passage, en disant que Kant « tente une définition du corpus vile sur lequel l’expérimentation serait légitime et, corrélativement une définition des essais sur l’homme de nouvelles thérapeutiques » (ibid., p. 388). Loin de chercher ici une définition du corps vil qui légitimerait l’expérimentation, Kant poursuit sa critique de l’inoculation : le fait qu’un gouvernement autorise les médecins à la pratiquer équivaudrait à généraliser l’experimentum in corpore vili à tout un peuple, que l’on gouvernerait alors en contradiction avec l’esprit des lois de la liberté.