Edvard Munch,
Le Soir, rue Karl Johan, 1892.

Huile sur toile, 85,5 x 121 cm.

Bergen Kunstmuseum,

collection Rasmus Meyers, Bergen.

 

 

L’ère de l’expressionnisme allemand s’acheva finalement avec l’avènement de la dictature nazie en 1933. Mais sa phase la plus incandescente, entre 1910 et 1920, nous a légué un héritage dont les répercussions sont encore perceptibles. Ce fut une période d’aventure intellectuelle, d’idéalisme passionné, et de profonde aspiration à un renouveau spirituel. À un plus haut degré, certains artistes, entrevoyant le danger politique inhérent à cette intériorité caractéristique de l’expressionnisme, se mirent alors à explorer plus profondément sa capacité de défi politique et de réforme sociale. Mais les aspirations utopiques et les enjeux élevés qu’impliquait l’attribution à l’art d’une fonction rédemptrice, signifiaient que l’expressionnisme portait en lui un immense potentiel de désespoir, de désillusion et d’atrophie. Parallèlement à des créations d’une émotion poignante, ce mouvement favorisa aussi un flot de débordements « pseudo- exaltés » et un bon nombre d’œuvres nombrilistes et sentimentales. Cet ouvrage laissera de côté certains des sous-produits les plus obscurs d’un projet authentiquement radical.

Parmi les productions les plus stupéfiantes de l’expressionnisme allemand, certaines provenaient de collaborations officielles, d’autres d’amitiés/affinités professionnelles intimes. Des projets de ces deux natures alimentèrent les groupes les plus importants de l’expressionnisme d’avant-guerre, le Brücke (Pont) et le Blaue Reiter (Cavalier bleu). Des journaux comme Der Sturm (La Tempête) et Die Aktion (L’Action), ainsi que les nombreuses expositions de groupe, permirent à leurs protagonistes de confronter leurs visions et de planter leurs jalons idéologiques. D’autres étaient les fruits de l’imagination de misanthropes repliés sur eux-mêmes, œuvrant dans un isolement relatif. Il est important de rappeler que cette époque fut assombrie par une guerre technologique dévastatrice, dont les séquelles affaiblirent profondément l’Allemagne. De même, le conflit et le traumatisme infligés à cette période sont indissociables des formes que prit l’expressionnisme, et de ce qui le mena finalement à son extinction.