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Réacteur nucléaire de Lucas Heights, Sydney


— Regarde ce qu’ils ont fait à Melbourne au nom d’Allah, Iqbal ! s’écria Hazim Gerges, le plus jeune et le plus fanatique des deux djihadistes. Qu’est-ce qu’on attend ?

— Il n’y a pas encore eu de post sur le site, répondit Iqbal Safar. Et on nous a dit d’attendre.

— On ne sait pas qui on attend, Iqbal. Il est sans doute mort maintenant. Regarde le carnage à Melbourne, Alhamdoulillah !

Il montrait la télévision. Depuis l’attentat, la couverture des événements était permanente.

— Nous avons les explosifs, les pinces coupantes et, grâce à notre contact à l’intérieur, nous savons où frapper. Il faut y aller, Iqbal ! Nous sommes des soldats d’Allah, non ? Nous sommes des moudjahidin ! Des guerriers !

— Oui, nous sommes des moudjahidin, acquiesça Safar. Nous irons ce soir.

*
*     *

Il observa les limitations de vitesse tandis qu’ils quittaient Liverpool vers le sud sur la Heathcote Road. À minuit passé, il n’y avait pratiquement pas de circulation. Au bout d’un long virage, Safar s’exclama :

— Voilà l’embranchement !

La New Illawara Road, qui menait à l’entrée de la centrale nucléaire, partait sur la gauche.

Il ralentit et éteignit les feux de la voiture en se garant sur la bande d’arrêt d’urgence. Ils avaient déjà repéré les lieux. Rapidement, ils récupérèrent dans le coffre leurs gros sacs à dos remplis d’explosifs, leurs deux AK-47 et des pinces coupantes. Puis, Safar en tête, ils s’engagèrent dans les fourrés en direction du réacteur.

Il vérifia sa boussole.

— Il reste encore un peu plus de 200 mètres jusqu’à la clôture, Hazim.

Ils ne tardèrent pas à l’atteindre, non loin d’Einstein Avenue. Safar se mit à sectionner le grillage.

Sur la route, une patrouille de police en voiture repéra celle des terroristes.

— Qu’est-ce que vous en pensez, sergent ? demanda l’agent Murphy en ralentissant.

— Arrête-toi, on va jeter un coup d’œil.

Les véhicules de police de la Nouvelle-Galles du Sud étaient équipés des meilleures caméras et des centaines de milliers de plaques d’immatriculation étaient injectées chaque jour dans les ordinateurs afin d’identifier les véhicules volés – et un nombre surprenant d’engins qui n’étaient enregistrés nulle part.

— Appartenant à un certain Iqbal Safar demeurant à Liverpool, constata l’agent Murphy. C’est quelqu’un du coin.

— Lance une recherche sur lui, je vais voir cette bagnole de plus près, dit le sergent Willis.

Il fit le tour de la voiture, l’éclairant avec sa lampe.

— Rien de spécial à l’intérieur, dit-il.

— Et pas de casier judiciaire, sergent, mais ce gars est surveillé par l’Asio… il a passé du temps en Syrie. Pour le moment, ils n’ont rien contre lui.

— En temps normal, j’aurais plutôt pensé à une panne, remarqua le sergent, mais il s’est garé de façon à être le plus possible planqué par ces arbres et ce putain de réacteur n’est qu’à quelques centaines de mètres. Appelle la sécurité de la centrale. Dis-leur qu’on ne veut pas les alarmer mais qu’ils vérifient, juste au cas où.

— Dépêche-toi, Iqbal, demanda un Gerges nerveux à son partenaire. Il y a des caméras partout.

 

Le téléphone sonna au central de sécurité.

— D’accord, dit Bill Sullivan, merci de nous prévenir.

Il contrôla tous ses écrans.

— Merde ! jura-t-il.

Son collègue leva les yeux de son journal.

— Quoi ?

— La clôture sud près d’Eisntein Avenue, dit Sullivan en montrant l’écran. Donne l’alerte et prends ton flingue.

— Ils nous ont repérés ! s’exclama Gerges au moment où la sirène retentissait.

Ils franchirent enfin le grillage pour courir vers le nouveau réacteur Opal à l’ouest du complexe.

La voiture de sécurité, gyrophare allumé, fonçait sur Rutherford Avenue puis le long de Fermi Street. Les terroristes apparurent dans le rayon des phares.

— Hé, vous là… stop ! s’écria Sullivan, sortant de la voiture avec son partenaire, armes au poing.

Safar avait passé de nombreux mois en Syrie où il avait subi un entraînement rigoureux. Il n’hésita pas. Calmement, il lâcha deux courtes rafales avec son AK-47, tuant les deux gardes sur le coup.

— On prend leur 4 × 4 ! s’exclama-t-il.

Il lança le Toyota à fond sur Mendeleef Avenue qui conduisait droit au réacteur. Il ne ralentit même pas devant l’escalier d’accès. Le véhicule bondit sur les marches et le pare-buffle défonça la porte d’entrée dans une explosion de verre, déclenchant de nouvelles sirènes stridentes.

Muni du plan des lieux, Safar défonça plusieurs autres portes, Gerges ne cessant de le presser. Ils atteignirent enfin la piscine du réacteur. Luisant d’un bleu étrange et bâtie en béton renforcé, c’était précisément cette conception qui allait jouer en leur faveur. La coque de protection allait concentrer la puissance de l’explosion vers le cœur du réacteur, l’exposant et provoquant la fuite du système de refroidissement hautement radioactif.

D’autres sirènes retentissaient au loin. Safar connecta rapidement les détonateurs aux bombes de 50 kg de nitrate d’ammonium que contenait chacun de leurs sacs à dos.

— Allahou Akbar ! Allahou Akbar ! hurlèrent en chœur les deux complices au moment où la voiture de patrouille du sergent Willis, aussitôt suivie par deux autres, s’immobilisait dans un hurlement de freins devant le bâtiment.

Les gardes se ruèrent à l’intérieur.

Pour le sergent Willis et son jeune adjoint, ce fut leur dernier jour de travail. L’explosion dévasta le cœur du réacteur. Son système de refroidissement hors d’usage, le réacteur se mit à chauffer, approchant dangereusement la température de fusion, tandis que des milliers de litres de liquide radioactif s’échappaient.