« Lize, tu ne m’as jamais posé le moindre problème », avait un jour dit sa mère debout devant l’évier de la cuisine, d’un air absent et épuisé.
C’était l’année Gillian, celle où ses parents ne s’adressaient plus la parole.
« Qu’est-ce que ça veut dire ? » avait-elle demandé, parce que ça faisait du bien que quelqu’un s’inquiète pour vous de temps en temps.
Elle refusait que sa mère, en train de s’occuper des brocolis, la traite de troisième fille qu’on oublie. Mais, redevenue elle-même, sa mère s’était tournée vers elle avec un grand sourire.
« Que tu es quelqu’un de bien, mon cœur. Voilà ce que je voulais dire. »
Quelqu’un de bien. Liza, dix-neuf ans plus tard, enceinte de treize semaines, couchée sur le dos dans le lit de Marcus Spear, son collègue et supérieur, mais aussi, ironie du sort, professeur en psychologie industrielle et organisationnelle, ainsi que fan, d’après le point de vue qu’elle avait de son lit, de James Patterson. Liza avait été impressionnée par la confiance dans sa propre voix, un peu plus tôt dans la journée, quand elle avait proposé à Marcus, avec qui elle partageait parfois quelques plaisanteries légères, s’il n’avait pas envie d’aller faire un tour. Marcus Spear était un type calme et gentil, maître de lui-même, d’une maladresse charmante au lit, tellement inquiet de lui faire mal qu’il n’avait pas remarqué ses seins gonflés, ni les larmes qu’elle retenait. Il était pourtant attentif, exactement ce dont elle avait envie ; et elle en avait terriblement envie, ces derniers temps, pas uniquement avec Ryan. La veille, elle s’était masturbée dans les toilettes pour handicapés du cinquième étage. Arc-boutée contre le mur, à penser, sans comprendre pourquoi, à ce personnage de Twilight, le jeune vampire au volant de la Volvo.
Depuis le dîner avec ses parents, Ryan avait replongé, pas aussi bas qu’avant, certes, mais suffisamment pour que ça soit préoccupant. Il continuait sa nuit pendant qu’elle vomissait le matin. La semaine précédente, il avait raté le rendez-vous médical de la douzième semaine. Lorsque Liza évoquait l’avenir – le congé maternité, ce qu’il fallait acheter –, il paraissait totalement dépassé. Et à un niveau plus animal, il n’était pas là pour elle, physiquement parlant. Il ne lui caressait pas le dos le soir quand elle n’arrivait pas à dormir tant elle était inquiète. Il ne se préoccupait pas de son bien-être, alors que depuis sa titularisation, elle travaillait plus dur que jamais. Il ne la satisfaisait pas dans ses besoins les plus simples en apaisant ce désir sans doute dû aux hormones qui l’obligeait à se frotter à l’angle de la table de la cuisine pour ressentir quelque chose. Alors, elle se retrouvait au lit avec un homme qui aimait les thrillers.
Elle tenta d’imaginer de quoi elle avait l’air, mais ne put invoquer la moindre image, à part ses yeux écarquillés, ses cheveux ternes, sa minutie. Elle était tellement excitée, elle avait tellement envie de quelque chose de simple, juste parce que ça lui paraissait bon, et tant pis pour le reste. Ryan et elle n’avaient plus fait l’amour depuis cette funeste matinée trois mois plus tôt, ce matin si différent, qui avait débouché sur un tel pétrin. Il ne s’était ressaisi que de façon exceptionnelle, fallait-il croire. Elle trouvait injuste de subir ainsi toutes les conséquences, et de se retrouver dans le lit d’un autre, à ravaler sa nausée à cause d’un bébé qui avait peu de chance de pouvoir un jour compter sur son père.
« C’était très agréable », dit Marcus à côté d’elle en essayant de l’attirer à lui.
Elle songea, trop tard, qu’elle avait été idiote de faire des avances à un type de la fac qui serait ainsi capable de savoir ce qu’il y avait sous son chemisier lors de futures réunions. Mais c’était la fin de l’après-midi, le semestre de printemps était clos, et elle était dans le studio spacieux d’un homme qui avait plongé la tête entre ses cuisses et l’avait embrassée là jusqu’à ce qu’elle jouisse. Ça avait été très agréable, mis à part ce détail qu’il y avait un bébé dans son ventre – encore à l’état de fœtus, pouvait-elle argumenter, en tant que féministe, scientifique, mais aussi femme dans le déni – et que le père du bébé dans son ventre était à la maison, sans doute avachi devant Les Experts en uniforme de dépressif : pantalon de jogging et T-shirt à l’effigie d’une vieille conférence sur la cybersécurité.
Quelqu’un de bien. Liza avait l’impression que son comportement actuel ne lui vaudrait pas un tel titre.
« Oui, dit-elle vaguement en se collant à lui. Merci. »
D’après Internet, le bébé avait atteint la taille d’un citron de Meyer. Liza ne savait pas en quoi c’était différent d’un citron normal.
Marcus éclata de rire en répondant :
« Merci à toi ! »
Il l’avait complimentée sur ses chaussures lors de leur première rencontre, si bien qu’elle l’avait cru gay. Marcus, qui n’était pas marié et qui regardait ses étudiants d’un air grave derrière ses montures noires. Marcus, qui avait deux chats, Sally et Walter, Sally pour Sally Brown dans Peanuts et Walter pour le sénateur Walter Mondale. Marcus pour Marcus, point final.
Marcus, qui ne lui demandait rien, à part :
« Tu veux un verre de vin ? »
Ce à quoi elle répondit, sortant de sa torpeur :
« Bien sûr, pourquoi pas ? »
Sa mère déclarait ne pas avoir bu une goutte d’alcool pendant ses grossesses, en revanche, à la génération de ses grands-parents, les futures mères ne se privaient pas. Dans tout Chicago, les femmes enceintes descendaient des cocktails Manhattan en fumant des cigarettes. Ses parents pouvaient s’estimer heureux.
Rien qu’un verre. Sur le balcon de Marcus Spear, une fois rhabillés. Liza avait fait tourner le pied du verre entre ses doigts en regardant, sur le trottoir, un pitbull tenu par un hipster au bout d’une laisse rétractable. Ses parents ne pouvaient pas avoir été toujours heureux. Mais en aucun cas, jamais, au grand jamais, sa mère n’aurait trompé son mari, encore moins avec l’une de ses filles en gestation dans son ventre. Liza sentit une nouvelle nausée, sans savoir si c’était à cause de la grossesse ou du dégoût d’elle-même. Son téléphone lui signala qu’elle avait un message de Ryan. Je ne me sens pas capable d’aller chez tes parents ce soir. Elle déglutit, cette fois avec une boule douloureuse dans la gorge, tout à coup si lasse qu’elle pensa à la mort. Elle avait tellement envie qu’on prenne soin d’elle, pour une fois, qu’en sirotant son verre de vin, qui vint dissoudre agréablement la boule dans sa gorge, elle demanda à Marcus s’il voulait bien la déposer à Fair Oaks.
Ce à quoi Jonah ne parvenait pas à s’habituer, c’était cette manie familiale d’avoir des maisons immenses entourées de jardins assez grands pour contenir une dizaine de terrains de foot. Un seul étage du duplex de Wendy était plus vaste que la bicoque des Danforth. La demeure de David et Marilyn n’échappait pas à la règle, même si cette fois, on avait l’impression que des gens vivaient là, car il y avait des carillons, une jungle de plantes et des vélos devant le porche. Des vélos chers, des Cannondale, ainsi qu’un banc en bois avec des coussins fleuris face à une balancelle rouge. Cette maison était majestueuse, tout en brique avec des vitraux à forme géométrique et une rangée de buissons à fleurs rouges tout autour. Le porche avait des tomettes au sol, où crissèrent les baskets de Jonah. Il sentit le duvet se dresser sur sa nuque.
« Tu es prêt ? » lui demanda Wendy. Elle l’avait fait rire dans la voiture en lui dressant le portrait de chacune de ses sœurs. « Liza est jolie mais elle a des cheveux d’une couleur… qui n’est pas vraiment une couleur. Beige ? Couleur pansement, en fait. Tu ne verras pas Gracie, mais on dirait une poupée joufflue. » Puis elle lui déballa toute une liste de petits méfaits. « Si tu lui poses la question, elle ne le reconnaîtra jamais, mais Violet m’a volé le bracelet en macramé que mon petit ami m’avait fabriqué au lycée. » Une fois sous le porche, elle posa une main sur son épaule. « Tu n’as pas à être intimidé, je te le promets. Ils ont plus peur de toi que tu n’as peur d’eux.
– Ils ont peur de moi ?
– Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je me suis mal exprimée. »
Elle lui serra l’épaule à plusieurs reprises. Une Infiniti se gara dans l’allée, et Violet en descendit.
« Où sont les garçons ? lui lança Wendy.
– À la maison avec Matt, répondit Violet en rougissant. Je me suis dit que ce n’était pas une soirée pour eux.
– Tu crains les bagarres au couteau ? Un test de paternité ? »
Il vit Violet tourner au cramoisi avant de répondre :
« Wendy, pourrais-tu… S’il te plaît.
– Je trouve ça étrange que Matt ne t’ait pas accompagnée.
– On n’avait pas de baby-sitter, d’accord ? On peut entrer, tout simplement ? »
Violet était déjà en train de sonner, elle ne lui avait même pas dit bonjour, n’avait pas pris la peine de lui demander s’il se sentait bien dans cet endroit où elle l’avait quasiment abandonné. La porte s’ouvrit, et David et Marilyn apparurent, main dans la main comme les jumeaux de Shining, avec, entre eux, un chien noir aussi gros qu’un poney.
« Pourquoi sonnes-tu ? » demanda David en lâchant la main de Marilyn pour ouvrir la double porte.
Et sa femme de rattraper le chien par son collier.
« Je me suis juste dit… commença Violet. J’ai pensé que…
– Parce que c’est le grand soir, déclara Wendy. Premier épisode du reality show. »
Jonah aimait bien Wendy. Elle était riche et folle, mais elle le faisait rire, le laissait regarder The Daily Show, et elle avait de la repartie, même si elle s’en servait trop souvent pour mettre tout le monde mal à l’aise. Ses grands-parents se figèrent quelques secondes, le bras de David sur la porte, Marilyn derrière lui.
« Entrez, entrez, finit par dire Marilyn. Je vous en prie. Bonjour. Entrez. »
Wendy s’avança la première en lui faisant signe de la suivre. Ils s’arrêtèrent dans le hall, David et Marilyn face à eux, Wendy, Violet et lui près des grandes bibliothèques qui encadraient la porte du salon.
« Maman, papa », déclara Violet en faisant un pas vers lui. Sa main s’arrêta à quelques centimètres au-dessus de son épaule, comme s’il avait la gale. « Je vous présente Jonah. »
David tendit la main. Il était grand, sportif, avec des cheveux grisonnants et des doigts tachés de graisse.
« Je suis désolé, j’ai réparé le vélo de Marilyn cet après-midi. » Jonah prit cette main qu’on lui tendait. « David. C’est un vrai plaisir de faire ta connaissance, Jonah.
– Vous aussi, répondit-il. Moi aussi, je voulais dire.
– Et voici Loomis », déclara David en attrapant le chien par son collier.
Jonah se raidit et recula de quelques pas, heurtant Wendy.
« Oh, tu as peur de… C’est un géant, mais il est gentil. Ma chérie, on pourrait peut-être… »
Jonah était tout rouge. C’était tellement idiot d’avoir peur d’une créature à moitié chien, à moitié poney. Marilyn l’observait avec attention. Il se demanda s’il y avait des larmes dans ses yeux. Putain de merde. Des pleurs, des chiens mutants, des vieux qui se tenaient par la main.
« Ce n’est pas grave, dit David. Laisse-moi le conduire à sa chambre.
– Sa chambre ? répéta Wendy. Le chien a sa chambre, maintenant ?
– Et si tu venais la voir, Wendy ? » proposa David.
Jonah la regarda avec curiosité emboîter en silence le pas à son père, le laissant seul avec Violet et sa grand-mère.
« Maman, répéta Violet. Voici Jonah. Jonah, voici ma… mère. Marilyn.
– Bonjour, dit-il, et l’instant suivant, il était entre deux bras qui lui broyaient les omoplates.
– Nous sommes tellement heureux que tu sois là », lui dit Marilyn en le libérant enfin. Il vit qu’elle pleurait pour de bon. « Excuse-moi une seconde », dit-elle, et elle disparut dans l’escalier, le laissant seul avec Violet.
« Putain, souffla Violet, l’air énervé. Désolée. Mais ne t’inquiète pas, ce sont des larmes de joie. Ils sont tous les deux très heureux. Je t’assure. Viens à la cuisine. Tu as vraiment peur des chiens ? Je n’avais pas pensé à ça, mais tu sais, Loomis ne ferait pas de mal à une mouche. Il est totalement inoffensif. Tu veux de l’eau ? Ou bien… car mes parents sont contre les…
– J’ai acheté des sodas, déclara David en réapparaissant sans le chien.
– Tu as acheté des sodas ? s’exclama Violet. Mais tu n’as jamais acheté de soda de toute ma…
– C’est une occasion particulière, déclara David. Je me suis dit que Jonah pourrait aimer ça.
– Merci, monsieur », dit Jonah d’un ton bien trop solennel.
David lui fit un petit sourire intrigué. L’instant d’après, Marilyn était de retour et les enjoignait de se rendre à la salle à manger. Jonah entendit des bruits de casserole dans la cuisine alors qu’ils s’asseyaient. David alla voir si elle avait besoin d’aide. Wendy et Violet échangèrent des coups d’œil entendus par-dessus la table.
« Ne t’inquiète pas, lui dit Wendy. Elle est folle, mais pas dangereuse.
– Wendy, intervint Violet.
– Quoi, tu n’es pas d’accord ?
– Laisse tomber.
– C’est sans doute l’événement le plus intéressant de sa vie depuis la naissance de Grace. Notre mère est folle, mais avec les meilleures intentions du monde.
– C’est exactement ce que je voulais dire par Laisse tomber, insista Violet en se tournant vers lui pour expliquer : C’est difficile pour elle. Pas à cause de toi, mais de moi. Ne t’en fais pas. Tu peux leur demander tout ce que tu veux. Ils sont tellement heureux de faire ta connaissance.
– Mets-la en sourdine, dit Wendy. Ce n’est pas comme si…
– Le poulet est peut-être un peu trop cuit », déclara Marilyn en surgissant avec un plat.
Jonah ne parvenait presque pas à la suivre des yeux tant ses gestes étaient rapides. Elle posa le plat sur la table et s’affaira aussitôt avec l’une des grandes bougies bleues, s’interrompant un instant pour chasser une poussière invisible sur la chemise de David.
« Violet, ma chérie, ai-je raison de croire que Matt et les garçons ne viendront pas ?
– La baby-sitter a annulé au dernier moment », déclara Violet.
Wendy lâcha un petit ricanement, mais Marilyn s’empressait déjà de retirer trois couverts. Il y eut un silence, puis elle trouva autre chose à faire. Du coin de l’œil, Jonah vit Wendy lever les yeux au ciel.
« Au nom du père, commença Marilyn, du fils et du Saint-Esprit.
– Amen, conclut Violet, et il crut entendre un petit rire en provenance de Wendy.
– Liza a une réunion à la fac, déclara Marilyn. Elle nous rejoindra pour le dessert.
– Le dessert ? répéta Wendy d’un air étonné.
– Papa a fait une tarte, dit Marilyn, et cette fois, Wendy éclata vraiment de rire.
– Pommes et caramel au beurre salé, précisa-t-il.
– Excuse-moi, Gordon Ramsay, fit Wendy. Tu es sérieux ?
– Ton père est un excellent cuisinier. Il fallait juste qu’il arrête d’exercer la médecine pour s’en apercevoir. Violet, ma chérie, tu nous sers des choux de Bruxelles ?
– Qui est Gordon Ramsay ? demanda David, et avant de se rendre compte qu’il avait pris la parole, Jonah expliqua :
– Un chef qui présente une émission de cuisine à la télévision. Les candidats se font tous des coups bas, genre, ils essaient de saboter les plats de leurs adversaires pour gagner. »
À Lathrop House, il y avait le câble exprès pour qu’un gamin atteint du syndrome d’Asperger puisse regarder l’émission.
Tout le monde avait la tête tournée vers Jonah.
« Ah, fit David. On devrait peut-être regarder ça, alors. Qu’en dis-tu, ma chérie ? »
Jonah accepta une portion de choux de Bruxelles de la part de Marilyn.
« Tu t’intéresses à la cuisine, Jonah ?
– Non, répondit-il. Pas du tout.
– Jonah est céramiste, déclara Violet, reprenant ainsi les propos d’Hanna. N’est-ce pas, Jonah ?
– Euh, oui, plus ou moins. Je… peux aller aux toilettes, s’il vous plaît ? »
Il avait besoin d’une pause. D’une minute sans que mille personnes lui parlent en même temps. Les Sorenson produisaient un chaos très différent de ce à quoi il était habitué. C’était sans doute la conséquence de leur richesse, mais aussi de la tension entre les différentes personnes à table, avec ces grimaces qui signifiaient quelque chose pour l’un et rien pour les autres, des détails qui provoquaient des éclats de rire chez Wendy mais ne paraissaient pourtant pas drôles. Sans compter la façon dont David et Marilyn étaient toujours en contact, la main de Marilyn sur celle de David, ou le bras de David sur la chaise de sa femme. Jonah avait l’habitude d’être le plus calme à table – le personnel à Lathrop House parlait souvent de sa retenue – mais pas d’être dévisagé aussi. Cela dit, il était la raison de ce dîner. Il se demanda s’il avait déjà été la raison de quelque chose.
Dans l’entrée, il jeta un coup d’œil au soleil couchant d’une teinte orange radioactif. Il y avait un break Subaru vert garé devant la maison, vitres baissées, et un couple en train de s’embrasser à l’intérieur. Il les observa, intrigué. La femme portait une écharpe orange qui ressemblait presque à un drapeau. Des voisins un peu exhibitionnistes, en conclut-il. Il reprit sa route vers les toilettes.
À son retour, il eut à peine le temps de s’asseoir qu’une autre protagoniste surgit.
« Bonjour ? lança la personne. Bonjour, désolée, je… » La femme de la Subaru apparut dans l’embrasure en retirant son écharpe. Ça ne pouvait être que Liza. Elle était jolie, avec ses grands yeux verts et ses cheveux dorés attachés en queue-de-cheval. Jonah se dit que la comparaison avec le pansement de Wendy n’était guère flatteuse. « Bonjour tout le monde. Ma réunion s’est terminée plus tôt, alors je me suis dit que j’allais essayer d’arriver à temps pour le dîner. Ryan est… occupé ce soir.
– Jonah, je te présente ma sœur Liza », déclara Violet.
Il se leva d’un air gêné, puis se rendit compte que tout le monde restait assis, mais c’était trop tard.
« Enchantée de faire ta connaissance », lui dit Liza en s’approchant pour une accolade à la fois étrange et généreuse, sa manière à elle de le remercier de s’être mis debout. « Je suis désolée d’arriver comme ça sans prévenir.
– Ce n’est pas grave. »
Il se demanda pourquoi le type de la voiture – Ryan ? n’était pas avec elle.
« Tu veux boire quelque chose, ma petite chérie ? proposa Marilyn.
– De l’eau, ce serait formidable, répondit Liza.
– Liza est enceinte, expliqua Violet, comme s’il fallait une raison valable pour boire de l’eau.
– Violet, il n’est pas débile ! s’exclama Wendy.
– Wendy, cracha Violet.
– Ce n’est pas un secret, protesta Wendy.
– C’est justement ça qui est dérangeant », lâcha Violet.
Ils lui donnaient mal à la tête, tous. C’était comme si Jonah assistait à une partie acharnée de balle aux prisonniers.
« J’ai l’impression de tuer l’ambiance, déclara Liza en s’asseyant, tout à coup renfrognée. Je ne voulais pas vous déranger. J’espérais que vous ne serrez pas encore passés à table.
– Nous sommes sur un timing très serré, ce soir, déclara Wendy. Maman est en mode schizo.
– Wendy ! »
Cette fois, l’interpellation vint de son père.
« Désolée, désolée », fit Wendy en agitant une main.
Marilyn revint, et quand elle se rassit, Liza leva son verre d’eau.
« À Jonah. Bienvenue dans la famille. »
Liza avait l’air folle, elle aussi. Mais sympa. Quelqu’un était-il sain d’esprit chez les Sorenson ?
« Santé », lança David.
Jonah leva son verre de coca d’un geste incertain, et un chœur de tintement de verres suivit.
Le dîner ne fut qu’une succession de conversations à bâtons rompus. Ils lui posaient tous des questions, et il tenta de se montrer sous son meilleur jour. Wendy parla de ses cours de barre au sol et Liza de ses étudiants tandis que Marilyn remplissait les verres tout en empêchant la cire des bougies de couler sur la nappe. Puis David se leva pour débarrasser. Lorsque Jonah voulut l’aider, car Hanna insistait toujours là-dessus, Wendy le rattrapa.
« Non, c’est papa qui s’en charge. »
Il resta donc avec les femmes – Violet, Liza, Wendy et Marilyn –, qui toutes le regardaient comme des sorcières déguisées en institutrices prêtes à l’éviscérer.
« C’est drôle à dire, commença Marilyn, l’air presque rêveur, mais tu as le nez de mon père, Jonah. »
Il s’agita sur son siège.
« Et c’est une bonne ou une mauvaise chose ? »
Sur ce, il entendit sa grand-mère rire pour la première fois et décida, là, dans la salle à manger de leur étrange et grande maison, qu’il l’aimait bien.