Avocate, Violet avait appris que le meilleur moyen de combattre efficacement un scandale public, c’était de l’ignorer, ce qui permettait de garder la situation sous contrôle. Elle adopta la même technique concernant le dîner avec Jonah. Matt était très inquiet, il accompagnait ses allusions d’un air Es-tu bien sûre de ce que tu fais ? et de regards du genre Je ne t’en empêcherai pas parce que je veux que tu assumes tes responsabilités. Alors organiser ce dîner n’était pas sans procurer une certaine satisfaction à Violet, relevant de la logique perverse du va te faire foutre qui prévaut dans bien des mariages : l’envie de faire quelque chose uniquement parce que l’autre ne veut pas.
Il n’existait aucun mode d’emploi quant à la manière de présenter un enfant donné en adoption à son mari et aux enfants que vous aviez décidé d’avoir, ces bébés que vous n’aviez pas hésité un instant à garder. Violet commanda des pizzas. Tout le monde aimait ça, non ? Puis elle s’assura qu’il y avait assez de vin pour Matt et elle, et expliqua à Wyatt et Eli, du mieux qu’elle put, que les familles sont toutes différentes, que leur mère n’était pas la même quinze ans auparavant, qu’elle ignorait l’existence de leur papa à l’époque, si bien qu’ils avaient un demi-frère du nom de Jonah qui venait dîner. Les garçons accueillirent la nouvelle avec stoïcisme, mais elle se dit que ce calme était moins le signe d’une acceptation que celui d’une absence de compréhension. Peu satisfait, Matt s’accroupit face à eux pour dire :
« On garde ça entre nous pour l’instant, d’accord, les gars ?
– Matt », protesta-t-elle, étonnée, parce qu’ils apprenaient à leurs enfants à ne jamais mentir.
Il se releva et lui glissa :
« Tu as vraiment envie que ça se sache à l’école ? »
Elle céda en imaginant les mères de Shady Oaks rassemblées autour d’elle comme des vautours sur un cadavre.
« Mes petits chéris, pour l’instant, c’est un secret familial, d’accord ? Comme dans cette histoire idiote qu’on a entendue à la bibliothèque sur l’ours pour qui sa famille a organisé une fête en secret. » Elle fit un geste exagéré de fermeture à glissière devant sa bouche et Eli éclata de rire, mais Wyatt demeurait perplexe. « On veut juste éviter que Jonah se sente gêné, d’accord, mes amours ? Alors on garde ça pour nous. Il a déjà beaucoup de nouveautés dans sa vie en ce moment. »
Elle alla seule chercher Jonah chez Wendy, et en revenant à Evanston, lui montra quelques jalons de leur vie familiale. On a organisé une levée de fonds pour construire cette boîte à livres ; ça, c’est l’école des garçons. Ce fut en voyant son visage impassible qu’elle prit conscience de combien sa vie était dépourvue d’intérêt. Elle se demanda quel tour de sa propre vie il pourrait lui faire faire. Là, j’ai torturé des écureuils, peut-être, ou bien J’ai failli mettre le feu à cet endroit pour m’amuser. Ils terminèrent le trajet en silence.
Quand elle se gara dans l’allée, il lâcha un petit sifflement.
« Oh punaise. »
Elle se tourna vers lui, surprise.
Il eut un sourire narquois.
« Rien. Belle maison, c’est tout. »
Elle savait très bien que ce garçon qu’elle avait mis au monde avait vécu dans un orphelinat tandis qu’elle-même régnait sur une prétentieuse maison de style Tudor de plus de cinq cents mètres carrés en bordure du lac, mais ce n’était pas comme si elle avait voulu une telle différence.
« On l’a entièrement rénovée », dit-elle, presque en signe d’excuse.
Puis ce fut le moment des présentations maladroites.
« C’est mon, votre, euh… un… Jonah.
– Un Jonah ? » répéta Matt, qui pourtant n’avait guère le sens de l’humour, d’habitude.
Il lui tendit la main et elle se demanda ce que voyaient ses yeux, s’il la reconnaissait dans le visage de Jonah, s’il l’imaginait baiser avec un autre type, ou bien enceinte de quelqu’un d’autre avant de le connaître.
« Très heureux de te rencontrer », dit Matt, qui avait l’air sincère.
Elle lui fit une caresse reconnaissante dans le dos. Jonah était tourné vers les enfants. Il leur adressa un petit geste un peu maladroit. Eli se cachait derrière les jambes de sa mère pour jeter des coups d’œil à travers ses genoux.
« Ne t’inquiète pas, dit Wyatt d’un air complice. On le dira à personne, pour toi. »
Jonah regarda Violet, et elle vit, au-delà du sourire ironique sur son visage, que cette remarque lui faisait mal.
« Merci, mon pote », répondit-il à Wyatt.
Il savait s’y prendre avec les enfants. Il leur parlait comme s’ils avaient son âge, ce qui, elle le savait, plaisait beaucoup à ses garçons. Ils partirent lui montrer leur impressionnante collection de Lego, et Matt l’entraîna dans la cuisine.
« Tu sais, je ne voulais pas leur demander de mentir au sujet de Jonah. Mais c’est mieux s’ils n’en parlent pas à tout le monde alors que nous ne savons même pas… »
Elle lui tendit un verre de vin.
« Non, je comprends très bien. Tu as raison.
– Pourtant, tu as utilisé le mot frère, alors que nous n’avions pas discuté de…
– Mon Dieu, Matt, je ne suis pas en train de suivre un mode d’emploi ! Qu’est-ce que je devais dire ? Que papa et maman se sont fait un nouveau copain ?
– Je pense qu’il faut se montrer prudent. Tu sais combien ils sont impressionnables.
– Nos enfants ? Avec qui je passe chaque jour de ma vie ? Oui, je suis au courant.
– Ce n’est pas la peine de…
– La situation n’est pas assez stressante comme ça, tu veux rajouter une engueulade ?
– C’est toi qui…
– Maman ! »
Au son de la voix de Wyatt, Violet vira aussitôt en mode panique. Quelle serait la conséquence d’avoir ouvert sa porte à ce garçon ? Mettait-elle ses enfants en danger ? Elle poussa Matt, imaginant tout ce qui pouvait arriver dans la salle de jeux, espérant que sa force maternelle y mette fin, comme le geste désespéré qui permet d’éviter à son enfant de passer sous les roues d’une voiture.
Mais elle découvrit simplement Jonah faisant le poirier, les coudes un peu pliés, les jambes écartées, et Wyatt béat d’admiration.
« Maman ! Regarde ! »
Elle prit le temps de se calmer.
« Mon chéri, tu m’as fait peur, je croyais que… »
Elle se tut en voyant la tête de Jonah, à la fois embarrassé et meurtri.
Il se remit debout.
« Je ne savais pas ce qui… commença-t-elle. J’ai cru que l’un d’entre vous s’était blessé. »
J’ai cru que tu avais réussi à tuer l’un de mes enfants dans les deux minutes où je te laissais seul avec eux.
« Il fait ça sur une seule main, aussi », dit Wyatt, fasciné.
Jonah se tenait immobile près de la fenêtre et s’étirait le bras contre la poitrine.
« C’est un… âge où les accidents sont si vite arrivés. Ça me rend toujours nerveuse », dit-elle, comme pour s’excuser. Derrière elle, elle sentit le poids de l’assentiment silencieux de Matt. « Je ne savais pas que tu étais gymnaste. »
Jonah ricana.
« Je le suis pas.
– Tu t’es découvert ce talent par hasard ? » demanda-t-elle en prenant Eli dans ses bras, soulagée qu’il aille bien.
Ses enfants allaient bien. Tout allait bien.
« En fait, oui.
– Sans prendre de cours ? »
Elle se rendit compte de la stupidité de sa question, une question de privilégiée pour qui prendre des cours, que ce soit de gymnastique, d’alto, de tout ce dont on pouvait avoir envie, était une évidence.
« Je me suis rendu compte que je pouvais le faire, c’est tout, expliqua-t-il avec douceur.
– Eh bien, de toute évidence tu n’as pas hérité ton agilité de moi. »
Encore une remarque bizarre et choquante à entendre. Encore un faux pas. Jonah rougit.
« Tu peux m’apprendre ? » demanda Wyatt, et Jonah jeta un coup d’œil à Violet avant de répondre.
« Je crois pas, mon pote. C’est trop dangereux. »
La sonnette retentit. Matt alla ouvrir.
« Ce sont les pizzas, annonça Violet. J’espère que ça plaira à tout le monde. L’amour pour la pizza, c’est universel, non ? » Elle le vit ouvrir la bouche, puis la refermer. « Ne me dis pas que tu n’aimes pas la pizza, fit-elle.
– J’adore la pizza, annonça Wyatt d’un ton grave.
– Je suis intolérant au lactose, expliqua Jonah.
– Ah ! Et pourquoi on ne me l’a pas dit ? Wendy aurait pu… »
Mais ce n’était pas la faute de Wendy, bien sûr. Il y avait comme un halo entre eux qui pulsait et clignotait, pour signaler :
C’est juste un bout de la partie immergée de cet iceberg dont tu ignores tout.
« C’est pas grave, ajouta-t-il. J’ai pas très faim, de toute façon.
– Tu as quinze ans. Bien sûr que tu as faim. Le gluten, ça va ?
– Euh… oui, bien sûr, dit Jonah comme s’il retenait un sourire. Le gluten, pas de problème. »
Elle était tellement honteuse du sandwich au beurre de cacahuète et à la confiture qu’elle lui prépara qu’elle fit mine de ne pas remarquer, en rangeant la cuisine tandis que Matt raccompagnait Jonah chez Wendy, que trois bouteilles de vin avaient disparu sur le rack.
Le type roux commençait à piger comment fonctionnait son corps quand Wendy sentit une présence. Elle crut d’abord que son esprit embrumé par la Grey Goose lui jouait des tours, mais alors que la barbe du type effleurait son clitoris, elle aperçut une silhouette dans l’embrasure.
« Merde », fit-elle, et pendant une seconde, il y eut un remue-ménage comique de draps, la tête du type prise entre ses cuisses, elle qui se cognait douloureusement le coude contre la tête du lit.
« Mais qu’est-ce que tu fabriques ici ? »
Son dîner avec un ami de Miles était bien sûr un mensonge. Alors Wendy en avait profité pour aller faire un tour. Elle avait entendu Jonah rentrer après le dîner chez Violet, mais elle était déjà occupée avec le roux. Elle croyait que Jonah était parti se coucher.
« Qu’est-ce que… ? » s’exclama le roux. Il était déjà debout, les poings serrés, les épaules tendues. « C’est qui, putain ?
– T’inquiète pas », dit-elle en se levant, enroulée dans le drap. Elle l’attrapa par le bras avant qu’il puisse s’en prendre à Jonah. « Tout va bien. Il habite ici.
– Qu’est-ce que ça veut dire ? lança le type, dont le regard allait de Jonah à elle. C’est ton gosse ? »
Ça la blessa que ce soit sa première pensée. Elle avait prétendu avoir trente-deux ans.
« C’est Jonah, mon neveu. Jonah, je te présente… »
Il y eut un blanc. Souvent elle craignait que ce soit un Alzheimer précoce – ou bien l’alcool – qui lui provoque de tels trous de mémoire.
« Tu nous observais ? demanda le type, les muscles de chacun ses doigts en tension.
– Non… j’étais juste venu demander du Tylenol, désolé… J’avais juste besoin de…
– Pourquoi il te faut du Tylenol ? questionna-t-elle, parce que, étrangement, elle s’inquiéta d’abord pour lui.
– Je me suis froissé un muscle, je pense. À l’épaule. J’ai fait des acrobaties pour les enfants de Violet.
– L’ibuprofène, c’est mieux. Dans la salle de bains du bas. Troisième étagère sur la droite.
– Merci. Désolé.
– Prends-en deux, pas trois, ajouta-t-elle.
– D’accord. Désolé. Merci. »
Il décampa, et le rouquin se dégagea de son emprise.
« Putain, c’était trop bizarre, fit-il.
– Ouais, reconnut-elle en se laissant glisser au bord du lit.
– Il habite là. Putain, t’aurais dû me le dire.
– Pourquoi ? fit-elle, tout à coup sur la défensive. En quoi ça te concerne ?
– Parce que… on allait… Tu trouves pas que j’ai le droit de savoir qu’il y a un gosse chelou qui peut nous espionner depuis la porte ?
– Il ne nous espionnait pas », affirma-t-elle, même si elle s’inquiétait que la première réaction de Jonah, quand il les avait vus au lit, n’ait pas été de prendre ses jambes à son cou.
« Je suis vraiment… Merde. Je suis désolé, Wendy, mais je me sens trop mal.
– On peut fermer à clef », proposa-t-elle sans conviction.
La petite excitation que ce garçon avait provoquée en elle s’était déjà envolée. Il ne lui restait qu’un peu d’humidité entre les cuisses. Steve. Son prénom lui revint de façon providentielle.
« Je crois que je vais y aller, dit-il sans la regarder. Je t’appelle. »
Pour avoir souvent prononcé ces mots, elle savait que ce n’était pas vrai.
Assise sous le porche en compagnie de sa mère, Liza demanda :
« Maman… est-ce qu’il y a un moment dans ta vie où tu t’es dit que tu pourrais cesser de vivre avec papa ? »
Ce que Liza admirait dans la génération de ses parents, c’est qu’ils n’avaient pas l’air de se poser trop de questions. Ils faisaient les choses parce que c’était dans l’ordre des choses, ce qui suffisait à parcourir la moitié du chemin. Quand on atteignait le bon âge, on se trouvait un homme à peu près agréable, en bonne santé, et on traversait la vie avec lui, même s’il était casse-pieds, méchant, voire sociopathe. Ce n’était peut-être pas la vision la plus romantique qui soit, mais Liza aimait bien ce côté borné, cette simplicité, cette sécurité.
Pourtant ses parents n’étaient pas normaux, en ce qu’ils semblaient encore terriblement amoureux. Il y avait toujours eu entre eux une adoration réciproque. Les vieilles photos qui ornaient le bureau de son père, la fenêtre de la cuisine, les murs des toilettes en témoignaient. Marilyn, un vrai canon à vingt ans sur Foster Beach, David derrière elle, la serrant dans ses bras. David en plein milieu d’un champ de citrouilles, tenant par la taille une Marilyn au regard approbateur, alors enceinte de Wendy. Marilyn et David le jour de leur mariage, près de l’autel, juste après la cérémonie, en plein fou rire.
« Oh mon Dieu, non », répondit sa mère. Liza se sentit à la fois gonflée de joie et découragée, parce qu’elle aimait l’idée que des temps plus simples aient existé, mais qu’elle savait aussi très bien qu’ils étaient révolus. « Ce que je veux dire… », reprit Marilyn, qui avait bu deux verres de vin alors que Liza était sobre. La grossesse était la pire des vacheries, elle vous emplissait d’angoisses tout en vous interdisant d’avaler quoi que ce soit pour les calmer. « Est-ce que j’ai déjà eu envie de le rouer de coups ? Oui. Est-ce qu’il m’a déjà dit quelque chose qui me fasse questionner l’ordonnance même de l’univers ? » Le vin rendait sa mère poétique. « Bien sûr. Mais est-ce j’ai envisagé de ne plus l’avoir auprès de moi ? » Elle prit une nouvelle gorgée. « Non. Dans une autre pièce ? Mon Dieu, oui. Qu’il se taise, qu’il se tienne à distance de moi ? Absolument.
– Mais jamais rien de définitif », conclut Liza.
Elle avait rencontré Ryan à la fac. Sur le papier, c’était l’équation pour une union simple et durable : rencontrer l’âme sœur quand on est encore trop jeune pour se rendre compte à quel point c’est une décision stupide. Puis découvrir toutes les bizarreries et petits secrets de cet homme avant qu’il puisse en inventer d’autres, bien plus incontrôlables.
« Jamais de séparation, non », dit Marilyn.
Une lampe s’alluma dans la maison : David à son bureau. Elles se tournèrent toutes les deux, surprises que le sujet de leur conversation se trouve à quelques mètres à peine.
« Jamais rien de cet ordre.
– Et pourquoi pas ? » demanda Liza.
Sa mère prit une autre gorgée de vin et inclina la tête en direction de la lumière dans le bureau de son mari, apparemment pour réfléchir.
« Mais pourquoi ? Regarde-le. Quel homme meilleur que celui-là ? » Ni l’une ni l’autre n’avaient de réponse satisfaisante à cette interrogation. « Pourquoi cette question, ma chérie ? »
L’expression mélancolique de sa mère s’était mue en inquiétude. Liza agita la tête. Elle craignait de pleurer, tout à coup.
« Juste comme ça. »
Elle avait envie de demander à sa mère si la grossesse pouvait générer le désespoir sous-jacent qu’elle ressentait, mais que personne n’évoquait sur les forums.
« Comment ça va, avec Ryan ?
– Bien. Très bien.
– Ton incapacité à mentir est touchante, Liza-lee, dit sa mère en venant s’installer près d’elle sur le banc. Je n’aurais pas dû me montrer aussi désinvolte. On a tous des doutes. Mais je crois que la meilleure solution, c’est de chercher à les dépasser. Si tu y parviens, et que tu te sens bien, voilà le plus important.
– Tout accepter, en somme.
– Non ! protesta sa mère d’un ton emphatique. Pas tout accepter. Loin de là. Mais regarder avec droiture et franchise tout ce qui te fait douter, et voir si c’est ça qui compte vraiment.
– Mais comment le savoir ? Comment décider si oui ou non, c’est un motif de rupture de contrat ?
– Cela varie pour chaque couple, ma chérie. Il n’y a pas de recette miracle. » Sa mère posa une main sur sa cuisse. « Qu’est-ce qui se passe, Lize ? Dis-le-moi. »
Elle ouvrit la bouche, puis la referma. Que se passait-il ? L’exprimer de vive voix, c’était trop dur. C’était y accorder une permanence qu’elle ne désirait pas, car elle espérait encore que ce soit passager.
« Je me demandais juste si tu avais jamais eu des doutes au sujet de papa. »
Sa mère avait bien dû un jour ressentir cette terreur animale, cette répulsion en voyant son mari manger des asperges, redoutant le moment où il parlerait de l’odeur que ça donnait à son urine. Tout le monde avait ce genre de problème, même ses parents, mariés depuis un milliard d’années, pourtant, ils continuaient à se faire des clins d’œil par-dessus la table.
« Non, je ne crois pas. Mais Liza, ça ne signifie pas… On a le droit d’avoir des craintes, mon cœur. C’est tout à fait normal de douter de l’autre. Ce qui vous arrive avec Ryan, c’est immense, ma chérie. C’est naturel d’avoir peur. Mais ce serait mieux que vous trouviez un moyen d’avoir peur ensemble. »
L’idée de nous avoir transmis les gènes de papa ne t’a jamais empêchée de dormir ? Tu ne t’es jamais dit, ne serait-ce qu’une seconde, qu’il n’était pas à la hauteur ? Et que tout ça, c’était ta faute ? Liza avait passé quelques après-midi chez Marc au cours du mois dernier, des moments agréables entre ses draps écossais, à fuir Ryan, à fuir la réalité. Elle se tortilla pour chasser l’anxiété qui lui tordait la nuque.
« Ça peut paraître étrange, continua sa mère, mais je pense que le meilleur moyen de faire fonctionner un mariage, c’est de privilégier la bienveillance, même quand on n’en a pas envie. Cela paraît la chose la plus évidente au monde, malgré tout, c’est plus facile à dire qu’à faire, tu ne crois pas ? »
Si sa mère, son gourou de l’amour, au sixième sens affûté, ne semblait pas inquiète au sujet de Ryan, peut-être qu’il n’y avait aucune inquiétude à avoir. Ce qu’on apprenait en devenant adulte, ce qu’on nous cachait avant, c’était la quantité de décisions à prendre, le nombre de fois où on demandait à son instinct pourtant trompeur qu’il nous indique le bon chemin, et la fréquence à laquelle on regrettait nos huit ans, quand les parents volaient à notre secours.
Ce que Liza faisait avec Marcus était cruel. D’une cruauté basique. Elle le laissait la baiser, la faire rire, la déposer devant chez ses parents et l’embrasser dans sa voiture pendant que Ryan était à la maison avec Netflix, ses bretzels et son découragement. C’était cruel à la fois envers Marcus et envers Ryan. Quand sa mère rentra préparer du thé, elle sortit son téléphone et se mit à taper un long message Ça a été très agréable, mais je viens d’apprendre que je suis enceinte. Ne t’inquiète pas, ma grossesse date d’avant le début de notre relation. Je dois faire ce qu’il y a de mieux pour ma santé et mon couple. De toute façon, ma libido est en berne depuis quinze jours. Je te souhaite le meilleur. J’espère que l’opération pour la prothèse de hanche de Walter se passera bien et que…
« Ça va, dehors ? » demanda sa mère, et Liza effaça le sms avant de l’envoyer.
Elle releva la tête. Sa mère, toujours joyeuse et optimiste, était totalement ignorante du comportement monstrueux de sa fille. Elle résista à l’envie de demander à Marilyn si elle voulait bien rompre avec Marcus pour elle.
Elle envoya un court message. Je dois mettre un terme à notre histoire pour des raisons personnelles. Baisers. Et referma son téléphone avant de sourire à sa mère.