Un détour en Arkansas
« Hillary Rodham sera ton Waterloo. »
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On tue la une : la brillante Hillary a échoué à l’examen d’admission au barreau du District de Columbia (Washington) !
Elle ne s’en est jamais vantée. Dans son autobiographie, elle expédie en une seule phrase ce rare échec dans son parcours sans faute. « Quand j’appris que j’étais admise dans l’Arkansas mais recalée à Washington, je me suis dit qu’il s’agissait sans doute d’un signe. » Un signe de quoi ? Un bref retour dans le temps s’impose.
Nous sommes en 1973. Fraîchement diplômée de la Faculté de droit de Yale, Hillary vit à Cambridge, dans le Massachusetts, où elle travaille avec Marian Edelman au Fonds pour la défense de l’enfance, créé depuis peu. Elle revient tout juste de son premier voyage en Europe avec Bill, qui a commencé de son côté à enseigner le droit à l’Université de l’Arkansas, à Fayetteville. Sur la rive du lac d’Ennerdale, en Angleterre, son amoureux lui a demandé de l’épouser. « Non, pas maintenant », lui a-t-elle répondu, se sentant un peu bousculée.
Hillary aurait pu reprendre l’examen du barreau de Washington, réputé pour sa difficulté. Elle ne l’a jamais fait. Aurait-elle fini par épouser et suivre Bill en Arkansas si elle avait été admise au premier essai ? Nombreux sont ceux qui se sont posé la question.
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Hillary n’a pas fait une bonne première impression auprès de sa future belle-mère.
Mariée trois fois, Virginia Cassidy Blythe Clinton Dwire Kelley accordait une grande importance à son apparence, même si son goût n’était pas toujours sûr. Elle était du genre à poser ses faux cils dès sa sortie du lit, à porter des vêtements aux couleurs criardes et à se maquiller lourdement pour aller parier sur les courses de chevaux à la piste de Hot Springs.
Imaginez sa déception, fin juin 1973, quand son fils Bill lui a présenté Hillary, vêtue d’un jeans fatigué et d’une chemise informe, le visage sans fard et les cheveux mal coupés. Déception qui s’est transformée en consternation lorsque la jeune femme au look hippie et aux lunettes épaisses s’est mise à débiter ses idées d’intellectuelle yankee.
Mais où était la jeune femme au look de Miss Arkansas dont elle rêvait pour son Bill adoré ?
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L’affaire du Watergate a permis à Hillary de mettre entre parenthèses la question lancinante de son avenir avec Bill Clinton en Arkansas.
En janvier 1974, Hillary reçoit une offre qui ne se refuse pas. À la recherche de jeunes juristes d’exception, John Doar, avocat à l’emploi de la Commission des affaires judiciaires de la Chambre des représentants, lui demande si elle aimerait faire partie de l’équipe chargée de préparer la procédure de destitution contre Richard Nixon. Tu parles !
Hillary répond oui sur-le-champ, même si le travail est mal rémunéré et astreignant. À 26 ans, elle est consciente d’avoir la chance de participer à un moment historique dans la vie politique de son pays. Réélu avec éclat en novembre 1972, Nixon est soupçonné de multiples méfaits, dont celui d’avoir camouflé le rôle de son administration dans le cambriolage du siège du Parti démocrate au Watergate, un immeuble de Washington, le 17 juin 1972.
Installée chez Sara Ehrman, une amie de Washington rencontrée au Texas, Hillary enchaînera au cours des semaines suivantes les journées de travail de 12 à 18 heures. Elle accomplira diverses tâches, dont l’écoute minutieuse des fameux enregistrements de la Maison-Blanche et l’inventaire des méfaits commis par les présidents depuis le début de la république américaine.
Pendant qu’Hillary s’échine ainsi, Bill lance sa première campagne électorale en Arkansas. Âgé de 27 ans, le jeune professeur de droit de l’Université de l’Arkansas tente de ravir à un républicain son siège à la Chambre des représentants des États-Unis. Avec l’impeachment (destitution) de Nixon à l’horizon, Bill croit en ses chances de victoire.
Et Hillary se met à rêver, à imaginer une vie commune avec Bill à Washington qui lui épargnerait un détour redouté par l’Arkansas. La procédure de destitution contre Nixon durera au moins une année, pense-t-elle en se faisant son cinéma. Entre-temps, Bill gagnera son élection et viendra la rejoindre dans la capitale nationale où la jeune avocate et le jeune représentant formeront un couple à surveiller.
En attendant, les collègues d’Hillary entendent beaucoup parler de ce fameux Bill. Et ils remarquent que l’humeur de la jeune femme change selon qu’elle a reçu ou non la veille un appel de son ami de cœur.
Autre fait singulier : Hillary n’admet pas que l’on puisse douter du brillant avenir qui attend son ami Bill. Son supérieur immédiat, Bernard Nussbaum, procureur fédéral adjoint de New York, s’en rend compte un jour en allant la reconduire à la maison après une autre longue journée de travail.
« Ça me semble farfelu », dit Nussbaum à Hillary en apprenant que Bill Clinton a décidé de briguer un siège à la Chambre. « Je pense qu’il devrait prendre un peu d’expérience avant. »
Mais Hillary n’en démord pas. Selon le dialogue recréé par Gail Sheehy, une de ses biographes, elle enchaîne : « Après la Chambre, il visera le poste de gouverneur. Et, Bernie, mon fiancé sera président des États-Unis. »
À la fois étonné et excédé par la naïveté de sa collègue, Nussbaum s’exclame : « Hillary, c’est la chose la plus ridicule que j’aie jamais entendue ! Comment peux-tu dire que ton ami de cœur sera président des États-Unis ? C’est dingue ! »
Et Hillary, jeune femme modèle, de descendre de la voiture et de s’écrier en claquant la porte : « Espèce de trouduc ! Bernie, tu es un imbécile ! Tu ne connais pas ce gars-là. Je le connais. Ne me fais donc pas la leçon. Il sera président des États-Unis ! »
Mais le rêve immédiat d’Hillary se heurte à la réalité. Plutôt que de faire face à une procédure de destitution, Richard Nixon choisit en août 1974 de devenir le premier président américain à démissionner, mettant fin à l’emploi d’Hillary à Washington. Et, trois mois plus tard, Bill Clinton subit sa première défaite électorale.
Il faudra que s’écoulent 18 ans avant qu’Hillary puisse réaliser son rêve de vivre à Washington avec Bill.
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En décidant de rejoindre et de marier Bill Clinton en Arkansas, Hillary a non seulement fermé les yeux sur la libido débridée de son homme, mais elle a également consterné ses amies féministes.
Betsey Wright et Sara Erhman ont connu Hillary au Texas quand elles travaillaient à ses côtés au sein de la campagne présidentielle de George McGovern, en 1972. Féministes de la première heure, elles ont perçu chez cette jeune femme intense, sérieuse et brillante des qualités exceptionnelles de leader. Wright a même conclu dès lors qu’Hillary pourrait devenir la première femme présidente des États-Unis.
L’organisatrice électorale a aussi vu de près la nature singulière de la relation qui unissait Bill et Hillary à l’époque. Bill était capable de provoquer chez Hillary des éclats de rire francs et gutturaux qui détonnaient avec sa réserve habituelle. De toute évidence, il y avait entre ces deux-là une complicité exceptionnelle où entraient leur désir commun de servir, leur passion pour la politique, leur curiosité intellectuelle.
Or, en prêtant main-forte à Bill lors de sa première campagne électorale en Arkansas, Betsey Wright a aussi compris que cet homme était incapable de contrôler ses pulsions sexuelles. « Partout des filles lui tombaient dans les bras comme s’il avait été une rock star », a confié Wright au journaliste et auteur Carl Bernstein. Selon elle, Bill avait toujours l’air de dire : « “Hillary compte énormément pour moi, c’est l’une des personnes les plus extraordinaires que je connaisse. Mais, dites-moi, vous ne la trouvez pas mignonne, cette petite qui me court après ?” Voilà comment ça se passait. »
Hillary se doutait de ce qui se passait autour de Bill pendant qu’elle aidait à préparer l’impeachment de Richard Nixon. Après la démission du président, elle a d’ailleurs pu confirmer toutes ses craintes lorsqu’elle est arrivée à Fayetteville, siège du quartier général de la campagne de Bill. Pragmatique, elle a aussitôt fait appel à l’un de ses frères pour éloigner de Bill une étudiante encore plus entreprenante et ambitieuse que les autres.
Or, malgré toutes les frasques de Bill, malgré toutes ses querelles avec lui – querelles qui se terminaient souvent par des mamours –, Hillary a fini par accepter la demande en mariage de son Viking de l’Arkansas, au grand dam de Betsey Wright et de Sara Ehrman, qui avait été codirectrice de la campagne présidentielle de McGovern. Cette dernière a tenté jusqu’au dernier moment de dissuader son amie d’aller se terrer dans un trou comme l’Arkansas. À son avis, la place d’une avocate prometteuse et talentueuse comme Hillary se trouvait à New York, à Washington ou à Chicago, pas à Lafayette !
Peine perdue : Bill et Hillary se sont mariés le 11 octobre 1975 lors d’une cérémonie célébrée dans le salon de la maison que le marié venait d’acheter à Fayetteville. La réception a eu lieu dans le jardin d’un couple de voisins. S’y trouvaient des étudiants de Bill, des membres du Parti démocrate local et des gens d’affaires, dont Don Tyson, propriétaire de Tyson Foods, le plus grand employeur de l’Arkansas, qui s’intéressait à l’avenir politique de celui qui songeait déjà à briguer le poste d’attorney general (ministre de la Justice) de l’État à l’occasion des élections de 1976.
Dans son compte rendu du mariage, l’Arkansas Democrat-Gazette a surtout insisté sur le fait que la mariée avait annoncé, lors de la réception, qu’elle garderait son nom de jeune fille, comme quoi elle n’avait pas complètement tourné le dos aux idéaux féministes. Or, après avoir lu l’article, un ami de Bill lui a dit : « Hillary Rodham sera ton Waterloo. »
Au nombre des personnes consternées par la décision d’Hillary (et par son refus de porter une vraie robe de mariée) : Virginia, la mère de Bill…
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En 1979, lors de la première année de Bill Clinton au poste de gouverneur de l’Arkansas, Hillary Rodham a décroché le gros lot en matière immobilière, professionnelle, financière et personnelle.
Portant désormais le titre de première dame de l’Arkansas, Hillary a d’abord emménagé au début de l’année dans la résidence officielle du gouverneur, dont le loyer, le personnel et les autres à-côtés étaient à la charge de l’État. Quelques mois plus tard, grâce à l’appui de Vince Foster et de Webster Hubbell, deux collègues et amis, elle est devenue la première avocate associée au sein du cabinet juridique Rose, le plus vénérable de Little Rock, capitale de l’État. Âgée de 32 ans, elle y était entrée seulement trois années plus tôt, peu après l’élection de son mari au poste d’attorney general de l’Arkansas. Parmi la liste de clients du cabinet Rose figuraient les trois plus gros employeurs de l’État : Stevens Inc., Tyson Foods et Wal-Mart. De toute évidence, la question des conflits d’intérêts n’a pas pesé lourd dans l’embauche et la promotion d’Hillary.
Désireuse d’assurer les arrières de sa famille, la première dame de l’Arkansas a également connu un franc succès sur le plan financier. Avant la fin de l’année 1979, elle a empoché un bénéfice « renversant » (son mot) de 10 000 % sur un placement initial de 1 000 $ effectué dix mois plus tôt dans le marché à terme des matières premières.
Ce profit de près de 100 000 $ suscitera la controverse après l’élection de Bill à la présidence. Hillary expliquera d’abord qu’elle s’était basée sur des informations glanées dans le Wall Street Journal pour la guider dans ses transactions au fil de 1979. Jim Blair, avocat principal du géant alimentaire de l’Arkansas Tyson Foods, offrira une version plus crédible. Rompu au marché à terme des matières premières, il avouera avoir aidé la première dame de l’État à faire fructifier sa mise initiale, ce qu’Hillary finira par admettre dans son autobiographie.
Mais revenons au bonheur d’Hillary en 1979. Un événement inattendu est venu illuminer sa vie personnelle au cours de l’année : après plusieurs essais infructueux, Hillary a fini par tomber enceinte lors de brèves vacances aux Bermudes, preuve additionnelle de « l’importance de décrocher à intervalles réguliers », notera-t-elle dans son autobiographie.
Un peu d’histoire
Hillary n’a pas toujours eu la main heureuse en affaires. En 1978, elle s’est associée avec Bill et deux de leurs amis, Jim et Susan McDougal, pour investir dans une société d’aménagement immobilier appelée Whitewater Development, qui allait plus tard leur causer de sérieux ennuis politiques.
En tant qu’avocate du cabinet Rose, Hillary a également fait des démarches en 1985 auprès d’une agence de l’État de l’Arkansas pour le compte de ce même Jim McDougal, qui tentait alors de sauver de la faillite un établissement bancaire dont il était l’actionnaire principal (Madison Guaranty Savings and Loan).
Ces deux affaires distinctes ont composé les éléments fondamentaux de l’affaire Whitewater, soulevant notamment la question de conflits d’intérêts. En 1994, elles allaient forcer Bill Clinton à nommer un procureur spécial. Cette désignation allait elle-même mener à l’enquête tous azimuts du procureur indépendant Kenneth Starr, qui devait s’intéresser au procès civil de Paula Jones, puis à une certaine Monica Lewinsky…
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Hillary a adopté le nom de son mari après sa défaite lors de l’élection de 1980 au poste de gouverneur de l’Arkansas.
Cette « affaire de nom », comme l’ont appelé les conseillers de Bill Clinton, a d’abord surgi lors de sa première campagne au poste de gouverneur de l’Arkansas, en 1978 (le mandat de gouverneur de cet État était alors de deux ans). Ses adversaires politiques ont non seulement déploré le fait que sa femme exerçait une profession, mais aussi qu’elle refusait de prendre son nom. « Votre femme ne vous aime-t-elle pas ? » a demandé une électrice au candidat dans une lettre.
Ce genre de question n’a pas empêché Bill Clinton de remporter le scrutin avec 63 % des voix et de devenir, à 32 ans, le plus jeune gouverneur des États-Unis. N’empêche, quelques mois plus tard, Hillary a dû défendre sa décision de ne pas utiliser le nom de son mari lors d’une entrevue télévisée, preuve que la question n’était pas réglée.
« Je ne voulais pas que quiconque puisse penser que je profite de sa position », a dit la première dame de l’Arkansas. « Je pensais qu’il était essentiel de faire la distinction entre ma carrière juridique et mes obligations en tant que femme de Bill. Ma décision de garder mon nom de fille tenait également à la réputation professionnelle que j’avais déjà établie. »
La défaite de Bill Clinton, lors de l’élection de 1980, ne s’explique pas seulement par cette « affaire de nom », loin de là. Mais son adversaire républicain l’a exploitée à fond tout au long de la campagne, s’assurant notamment de toujours présenter sa femme aux électeurs sous le nom de « Mme Frank White ».
Battu par 48 % des voix contre 52 %, Bill a été incapable de prononcer son discours de défaite tellement il était « anéanti », pour reprendre le mot d’Hillary. Mais celle-ci n’a pas tardé à tout mettre en œuvre pour préparer le retour politique de son mari. Elle s’est d’abord évertuée à lui remonter le moral, puis à mobiliser son amie Betsey Wright, organisatrice par excellence, et le sondeur Dick Morris. Ensemble, ils ont jeté les bases de la campagne électorale de 1982.
À la veille de cette course, Hillary a également offert à son mari un cadeau politique qu’il a d’abord refusé : elle était prête à prendre son nom. Bill s’est finalement laissé convaincre, comme il l’a raconté en 1994 lors d’une interview à l’hebdomadaire The New Yorker. « Elle se rendait compte que cet aspect de l’image que nous donnions aux électeurs les avait éloignés de nous. Alors elle m’a dit… je ne l’oublierai jamais… je l’ai tant respectée pour ça parce qu’elle est venue me voir et m’a dit : “Il faut qu’on parle de cette affaire de nom.” Elle a dit : “Je ne pourrais pas le supporter – si on décide d’y aller, tâchons de gagner. Je ne le supporterais pas si ça devait te faire perdre les élections. Dans le fond, ça n’a plus tellement d’importance pour moi.”»
Bill a déclaré son intention de briguer à nouveau le poste de gouverneur de l’Arkansas le 27 février 1982, jour du deuxième anniversaire de Chelsea. Après cette annonce, Hillary a tenté de régler une fois pour toutes cette « affaire de nom » devant les journalistes : « Je n’ai pas besoin de changer mon nom. Je suis Mme Bill Clinton. J’ai gardé mon nom Hillary Rodham dans ma vie professionnelle, mais je vais maintenant me mettre en congé de mon cabinet pour me consacrer à temps plein à la campagne de Bill, et je serai Mme Clinton. Je crains que les gens finissent par se fatiguer d’entendre parler de Mme Bill Clinton. »
En fait, Mme Bill Clinton a joué un rôle de premier plan dans la campagne de 1982, dont elle a été dans les faits le principal stratège politique. Bill avait sans doute le charisme et l’intelligence d’un grand politicien, mais il n’aurait probablement pas réussi son retour politique sans la discipline, la détermination et l’abnégation de sa femme.
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À partir de 1983, Hillary Clinton s’est vu confier par son mari ce qui allait devenir son œuvre emblématique en tant que gouverneur : la réforme du système d’enseignement de l’Arkansas.
« Remercions Dieu pour le Mississippi ! » Au tournant des années 1980, dans l’Arkansas, les adeptes de l’humour noir employaient souvent cette formule pour se consoler. Au moins, leur État ne se classait pas au dernier rang pour tous les indicateurs sociaux ! Or, pour ce qui concernait le taux de réussite scolaire, c’était bel et bien le cas. Moins de 10 % des résidents de l’Arkansas détenaient un diplôme universitaire. Et dans certains coins de l’État, les enseignants gagnaient moins de 10 000 $ par année, ce qui les rendait admissibles aux bons de nourriture offerts par le gouvernement fédéral aux indigents.
Pour sortir le système d’éducation de l’Arkansas du Moyen Âge, Bill Clinton a donc nommé sa femme à la tête d’une commission sur les normes de l’enseignement dans l’État. Prenant un nouveau congé de son cabinet juridique, Hillary s’est lancée corps et âme dans ce défi, organisant d’abord des audiences publiques dans toutes les circonscriptions de l’État et proposant ensuite un programme de réformes incluant l’école maternelle obligatoire, une limite de 20 élèves par classe et des tests d’aptitude pour les enseignants, dont certains savaient à peine lire et écrire.
Après avoir présenté ce programme lors d’un discours de 90 minutes devant les parlementaires de l’État, l’un d’eux, qui représentait une circonscription rurale, s’est écrié : « Ma foi, les gars, je me demande si on ne s’est pas trompé de Clinton aux élections ! »
Restait à convaincre la population de l’Arkansas d’accepter une hausse de la taxe de vente pour financer ces réformes, décrites par Bill Clinton comme étant essentielles à la compétitivité économique de l’État. Selon un sondage mené par Dick Morris, 50 % des électeurs étaient favorables à l’augmentation de cette taxe. Mais ce pourcentage passait à 85 % si les réformes incluaient des tests d’aptitude pour les enseignants, qui s’y opposaient farouchement. Des enseignants afro-américains ont notamment accusé les Clinton de racisme.
Or, comme l’avait prédit Dick Morris, plus les enseignants critiquaient les Clinton, plus leur popularité augmentait dans l’ensemble de la population. Et, malgré tous ses efforts, le syndicat des enseignants n’est parvenu ni à faire tomber Bill Clinton lors des élections suivantes ni à faire abroger les tests d’aptitude.
Et quels ont été les résultats des réformes pilotées par Hillary Clinton ? En quatre ans, le pourcentage des finissants du secondaire qui entreprenaient des études supérieures est passé de 38 % à 50 %. Des cours de langues étrangères, de mathématiques supérieures et de sciences ont été instaurés dans tous les établissements de l’État. La réforme a également atteint ses objectifs sur le plan du nombre d’élèves par classe et de l’uniformisation des programmes.
Cette réussite allait évidemment guider Bill Clinton dans son choix de confier à Hillary sa réforme du système de santé après son élection à la présidence, en 1992. Mais n’aurait-elle pas dû inciter le gouverneur à déclarer sa candidature à la Maison-Blanche dès 1988 ?
Pas si vite, cowboy !
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Comme tous les proches de Bill Clinton, Hillary a eu le souffle coupé en apprenant que son mari ne briguerait pas la présidence en 1988.
Le 15 juillet 1987 : deux heures avant l’annonce officielle de la candidature de Bill Clinton à la présidence, Hillary se retrouve dans la salle à manger de la résidence du gouverneur de l’Arkansas avec quelques proches collaborateurs de son mari et des journalistes sympathisants. Bill se fait attendre. Sur la galerie arrière de la résidence, il discute avec deux amis.
Au bout d’un long moment, il apparaît dans la salle à manger, le visage exsangue. « Je ne serai pas candidat », lâche-t-il devant son auditoire estomaqué.
Hillary, qui s’était mobilisée avec enthousiasme pour cette première campagne présidentielle, ne comprend pas plus que les autres ce qui se passe. Elle ne sait pas encore que, deux jours plus tôt, Bill a eu une confrontation traumatisante avec Betsey Wright, sa chef de cabinet et collaboratrice de longue date, et une autre personne qui n’a jamais été identifiée.
Bien au courant du libertinage du gouverneur, Wright a énuméré devant lui une longue liste de femmes, dont une certaine Gennifer Flowers, lui demandant s’il avait ou non couché avec elles, et si oui, à combien de reprises et quelles étaient les chances qu’elles se mettent à parler aux journalistes. Après avoir passé en revue la liste une deuxième fois, Wright a annoncé à Bill qu’il ne pouvait pas briguer la présidence. Surtout pas après l’émoi médiatique causé par la décision du sénateur démocrate du Colorado Gary Hart de se retirer de la course en raison des révélations sur sa liaison extraconjugale avec Donna Rice.
Constatant que Clinton n’avait pas bien compris son message, Wright a enfoncé le clou en lui disant que sa relation avec sa fille de sept ans ne serait jamais plus la même après les scandales qui ne manqueraient pas d’éclater pendant une campagne.
Ainsi, à midi, le 15 juillet 1987, Bill Clinton se rend à l’hôtel Excelsior de Little Rock pour annoncer sa décision inattendue à une foule de journalistes, partisans et amis venus des quatre coins des États-Unis. Plusieurs d’entre eux ne parviennent pas à retenir leurs larmes en écoutant les explications du gouverneur.
« L’une des raisons qui motive ma décision, et qui est la plus importante, c’est l’impact négatif que cette campagne ne manquerait pas d’avoir sur ma fille. Le seul moyen de remporter la victoire en rejoignant la course aussi tard aurait été de me lancer sur les routes à plein temps aujourd’hui même et jusqu’à la fin de la campagne, et de demander à Hillary de faire la même chose… J’ai vu beaucoup d’enfants grandir en ayant à subir ce genre de contraintes, et il y a bien longtemps je me suis promis que si jamais, un jour, j’avais la chance d’avoir un enfant, celui-ci n’aurait pas à grandir en se demandant qui est son père. »
Hillary est livide. Elle ne sait encore rien de l’intervention de Betsey Wright, mais elle se doute de la réalité qui se cache derrière les mots émouvants de son mari.
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Hillary a songé à briguer le poste de gouverneur de l’Arkansas en 1990.
Durant la pire période de sa vie de couple avec Bill Clinton, à la fin des années 1980, la première dame de l’Arkansas a demandé au sondeur Dick Morris de tâter le pouls de la population de l’État afin de jauger ses chances d’être élue en tant que candidate indépendante au poste de gouverneur (si Bill ne se présentait pas, bien entendu). À l’époque, son mari n’était pas certain de vouloir solliciter un sixième mandat ou même de vouloir continuer son mariage avec Hillary (il était tombé amoureux de Marilyn Jo Jenkins, une cadre de marketing dans la jeune quarantaine).
Les résultats du sondage ont ébranlé Hillary. Malgré son rôle dans la réforme du système d’enseignement de l’Arkansas, les électeurs de l’État la voyaient comme la femme du gouverneur, un point c’est tout.
Après avoir renoncé à l’idée de briguer les suffrages, Hillary s’est attelée à la tâche de sauver son mariage. De toute évidence, elle avait un seuil élevé de tolérance concernant les infidélités de son mari, qu’elle avait tendance à mettre sur le compte des carences affectives de sa jeunesse. Elle n’avait pas oublié non plus l’admonition de sa mère contre le divorce. Elle avait d’ailleurs refusé une demande de Bill à ce sujet. Mais il était indéniable que la boulimie sexuelle de ce dernier mettait en péril la carrière politique pour laquelle elle avait sacrifié une partie de ses aspirations personnelles.
À la veille de l’élection de 1990, Hillary a donc réclamé à Bill des aveux sur ses liaisons extraconjugales et la promesse qu’il tenterait d’y mettre fin. La rumeur veut même qu’elle ait obtenu que son mari consulte un spécialiste pour sa dépendance au sexe.
Chose certaine, le couple est resté ensemble et s’est mis à planifier une course à la Maison-Blanche quelques mois à peine après la réélection de Bill au poste de gouverneur de l’Arkansas.