Guerre et prières

« Pourquoi le Sénat, pourquoi New York, et pourquoi moi ? Tout ce que je peux vous dire est que les questions qui sont importantes pour cet État m’intéressent profondément. »

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Quand Hillary s’est lancée en politique active pour la première fois, elle estimait être « la candidate du désespoir ».

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Hillary est en quelque sorte l’incarnation de ce dicton. Après avoir été éclaboussée durant de nombreuses années par des rumeurs et des scandales d’adultère et après avoir connu un passage parfois tumultueux à la Maison-Blanche, elle a décidé de se lancer elle-même en politique active. Pour la première fois de sa carrière.

Elle a choisi de briguer un siège au Sénat américain, admettant publiquement son intérêt pour la chose en février 1999, alors qu’elle était encore première dame du pays. Le siège en question était celui du démocrate Daniel Patrick Moynihan, qui avait annoncé sa retraite après 24 ans comme sénateur de l’État de New York.

Hillary et Bill avaient déjà décidé qu’ils ne retourneraient pas en Arkansas après leur séjour à la Maison-Blanche. Ils souhaitaient habiter à New York. Qui plus est, l’establishment du Parti démocrate était à la recherche d’une grosse pointure pour se lancer dans la course à la succession de Daniel Patrick Moynihan. Car, du côté républicain, le populaire maire de New York, Rudy Giuliani (dont le mandat se terminait en 2001), allait tenter sa chance.

D’où le fait qu’Hillary, rétrospectivement, a décrit sa candidature comme le choix d’un parti au pied du mur. « Les dirigeants démocrates, redoutant de perdre un siège qui leur était acquis depuis longtemps, cherchaient un candidat connu, qui pourrait attirer les sommes folles nécessaires à ce genre de campagne, a-t-elle écrit. En un sens, j’étais la candidate du désespoir. Quelqu’un dont la notoriété pourrait contrebalancer celle de Giuliani et les formidables ressources financières de son parti. »

La décision, a dit Hillary, a été l’une des deux les plus difficiles de sa vie. L’autre étant celle de ne pas rompre son mariage après l’affaire Lewinsky.

Elle seule pourrait dire aujourd’hui si elle juge que la décision de demeurer auprès de Bill Clinton a été la bonne. Mais, chose certaine, celle de se lancer dans la course a donné un véritable élan à sa carrière de politicienne.

Le moment choisi a été d’autant plus judicieux qu’elle allait, au final, affronter un candidat poids plume : Rick Lazio. Ce parlementaire de Long Island était loin de jouir de la renommée de Rudy Giuliani, qui avait – coup de théâtre – jeté l’éponge en mai 2000. Parce qu’on lui avait diagnostiqué un cancer, mais aussi parce que des photos de lui en compagnie d’une autre femme que son épouse avaient commencé à circuler dans les médias. Il avait ainsi dû rencontrer la presse pour annoncer qu’il mettait fin à son mariage. Sa vie privée se révélait trop mouvementée pour une campagne si serrée.

Le 7 novembre 2000, Hillary était élue avec 55 % des voix, Rick Lazio en récoltant 43 %. Elle avait non seulement remporté cette joute électorale, mais, plus important encore, elle avait prouvé qu’elle était en mesure de faire campagne avec succès. Ce qui n’était pas acquis, à l’époque. Certains de ses proches avaient tenté de la décourager avant même qu’elle présente sa candidature, craignant un fiasco. Or, si elle n’était pas aussi douée que son mari, elle a su convaincre les électeurs qu’elle était en mesure d’être à la hauteur. Et, à 53 ans, elle aurait enfin la chance de se forger sa propre identité politique.

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Après avoir habité huit ans à Washington, Hillary est devenue citoyenne de Chappaqua.

Une fois son intérêt pour le poste de sénatrice de l’État de New York officiellement évoqué, la question n’était pas de savoir si, mais plutôt quand Hillary allait y emménager. Parachutée dans l’État de New York à des fins politiques, elle a atterri à… Chappaqua, une localité de quelque 10 000 habitants dont le nom est dérivé d’un mot algonquin qui signifierait : endroit où on n’entend que le bruissement du vent dans les arbres.

Chappaqua se trouve en effet loin de l’énergie débordante de la ville de New York, plus précisément à une heure de route au nord-est de Manhattan. L’achat a fait sourciller, car le couple a eu besoin de l’aide d’un riche homme d’affaires, Terry McAuliffe, pour conclure la transaction. Cet ami du couple avait codirigé la campagne de réélection de Bill Clinton, en 1996. Il a aussi, au fil des ans, amassé des sommes considérables tant pour Bill que pour Hillary et le Parti démocrate en général. Pour garantir le prêt nécessaire à l’achat de la résidence, il a offert 1,35 million de dollars. La maison a été acquise pour la somme de 1,75 million. C’était trop cher pour le couple Clinton, qui devait rembourser plus de 5 millions en frais d’avocats à l’issue des deux mandats à la Maison-Blanche. Notons que ce même Terry McAuliffe est aujourd’hui gouverneur de la Virginie. Et que les Clinton ne se sont, bien sûr, pas fait prier lorsque le moment est venu de faire campagne en sa faveur.

En tant que sénatrice, Hillary allait aussi avoir besoin d’un logement à Washington, la Maison-Blanche étant dorénavant occupée par le Texan George W. Bush. À la toute fin de l’année 2000, le couple Clinton a fait l’acquisition d’une seconde luxueuse maison, au coût de 2,85 millions. Une résidence de plus de 500 mètres carrés, achetée au moment où Hillary venait de conclure une entente avec la maison d’édition Simon & Schuster pour publier son autobiographie. Elle allait recevoir, à titre d’avance, pas moins de 8 millions de dollars. La maison à Washington est surnommée Whitehaven, du nom de la rue sur laquelle elle est située. Cette résidence dans la capitale américaine est rapidement devenue le quartier général d’Hillary. Symbole éloquent, puisque son mari venait pour sa part de quitter Washington après huit ans à la présidence.

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La candidature d’Hillary représentait en quelque sorte une thérapie conjugale pour son couple.

Ce sont deux des biographes d’Hillary qui l’ont affirmé. Jeff Gerth et Don Van Natta, deux anciens journalistes du New York Times, en sont venus à cette conclusion après avoir interviewé certains amis du couple. L’un d’eux leur a dit que Bill Clinton « n’oublie pas qu’il a beaucoup à se faire pardonner ». Un autre a affirmé que l’ancien président comprenait alors qu’il n’y avait « pour lui qu’une seule manière de rentrer en grâce : offrir à sa femme tout ce qu’elle demande ». Ce qui est sûr, c’est que Bill Clinton a souvent dit avoir été conscient que sa propre carrière politique avait freiné pendant longtemps les ambitions de sa femme. Il l’a énoncé on ne peut plus clairement en juin 2015, à la suite du lancement de la seconde campagne à la présidence de sa femme. « Nous avons été mariés très longtemps et elle s’en remettait à ma carrière pour ce qui est de la politique. Je lui ai dit, quand elle a été élue sénatrice de New York, qu’elle m’avait donné 26 ans et que j’avais l’intention de lui en donner 26 moi aussi, a-t-il déclaré sur les ondes de CNN. Peu importe ce qu’elle voulait faire, cela m’allait. Si elle voulait mon avis, je lui donnais, mais elle avait carte blanche pour prendre les décisions qu’elle voulait et me dire ce que je devais faire. »

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Après les attentats du 11 septembre 2001, Hillary a convaincu George W. Bush d’octroyer 20 milliards à New York.

« Je pensais que j’étais debout face aux portes de l’enfer. […] Je n’ai jamais rien vu de tel. Et j’ai pourtant vu beaucoup de scènes de sinistres et volé au-dessus de champs de bataille en hélicoptère – j’étais en Bosnie après les accords de Dayton. C’était pour moi inconcevable », a raconté Hillary après avoir visité le site de l’effondrement des tours du World Trade Center, en plein cœur de New York, trois jours après les attentats de 2001.

Parmi tous les politiciens à Washington, Hillary figurera parmi ceux et celles qui ont joué un rôle de premier plan dans la foulée du drame en tant que sénatrice de l’État où se trouve la métropole frappée par des terroristes d’Al-Qaïda. Elle avait, a-t-elle estimé, « la lourde responsabilité de soutenir les habitants de cette ville meurtrie ».

Elle a raconté à quelques reprises, dans ses mémoires ou à des journalistes, comment l’expérience avait été à la fois traumatisante – impossible de rester insensible lorsqu’une telle tragédie survient – et jusqu’à un certain point réconfortante en raison de la solidarité manifestée après les attentats, mais aussi de la détermination constatée sur le terrain. Celle des premiers répondants, qui ont travaillé sans relâche pendant et après le drame. Et celle des survivants, qui ont parfois dû déployer une énergie surhumaine pour garder le moral et s’en sortir.

L’histoire retiendra – et ses stratèges veillent à ce qu’on ne l’oublie pas – qu’Hillary Clinton, conjointement avec l’autre sénateur de l’État de New York, Charles Schumer, a réclamé et obtenu du gouvernement fédéral la somme de 20 milliards pour la ville de New York. L’histoire retiendra aussi qu’Hillary a également fait de la santé des premiers répondants son cheval de bataille au Sénat. C’est en raison de sa ténacité qu’une somme de 90 millions a été accordée pour effectuer des études dans ce domaine. Un sujet qui ne semblait pas, à l’époque, figurer dans les priorités des politiciens américains. Par la suite, elle a été louangée par le président de l’association des pompiers de New York, Peter Gorman.

On a dit que George W. Bush était véritablement devenu président à la suite des événements du 11 septembre. Rudy Giuliani, qui terminait son ultime mandat à la mairie de New York, a été si inspirant qu’on le surnommera « le maire de l’Amérique ». Hillary aura également impressionné par sa fermeté, son dévouement et sa détermination. Et jusqu’ici, contrairement à Bush et à Giuliani, son étoile n’a pas pâli au cours des dernières années.

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Au Sénat, Hillary priait régulièrement avec des républicains.

Imaginez un jeune qui doit changer d’école au cours de ses études. Il s’expose, en tant que petit nouveau, à être la cible d’intimidation. S’il est astucieux, il cherchera rapidement à mettre les élèves les plus menaçants de son bord.

C’est un peu ce qu’Hillary a fait au Sénat américain.

Les républicains affichaient alors ouvertement leur mépris à son égard. L’un des meilleurs exemples est celui du leader de leur parti au Sénat, Trent Lott, originaire du Mississippi. « Si cette Hillary se rend jusqu’au Sénat, si elle y arrive – peut-être que la foudre va frapper et qu’elle ne viendra pas – elle ne sera qu’une parmi 100 (sénateurs) et nous veillerons à ce qu’elle ne l’oublie pas », a-t-il déclaré à la suite de la victoire de la candidate démocrate. Hillary a fait fi de l’insolence de Trent Lott. Rapidement, elle s’est mise à collaborer, autant que faire se peut, avec des ténors républicains, y compris ceux qui avaient mené la charge contre son mari et tenté de le destituer pour avoir menti sur sa relation avec Monica Lewinsky.

Un journaliste du magazine Bloomberg Business Week a calculé qu’elle s’était associée à 49 sénateurs républicains, au fil des ans, pour présenter des projets de loi sur des sujets aussi divers que l’éducation et la sécurité nationale. Mais ce n’est pas tout. Ce rapprochement avec les républicains s’est aussi fait dans les coulisses du Capitole, siège du gouvernement à Washington. Il n’est pas de notoriété publique qu’il y a plusieurs groupes de prière pour les membres du Congrès. Pourtant, ils existent bel et bien et jouissent d’une popularité certaine. Hillary n’a pas hésité à se joindre à l’un des plus prestigieux, qui regroupait plusieurs républicains ultraconservateurs et qui se réunissait tous les mercredis.

Elle a ainsi gagné encore un peu plus le respect d’une partie des sénateurs qui n’étaient pourtant pas prédisposés à avoir d’atomes crochus avec elle. L’un d’eux, Sam Brownback (aujourd’hui gouverneur du Kansas), a présenté ses excuses à Hillary lors d’une des séances de prière parce qu’il l’avait « détestée et avait dit des choses désobligeantes à son sujet », a rapporté le magazine The Atlantic en 2006.

Pour l’anecdote, notons qu’elle a par ailleurs défié des sénateurs républicains – notamment celui qui allait être candidat à la présidence en 2008, John McCain, alors qu’ils étaient en Estonie. L’épreuve consistait à avaler un certain nombre de shooters de vodka. On ne connaît pas tous les détails de ce qui s’est passé ce jour-là, car « ce qui se passe en Estonie reste en Estonie », a déclaré avec humour un porte-parole de la politicienne. Ce qu’on sait, c’est qu’au fil des ans elle a tissé des liens avec McCain et un de ses bons amis, le sénateur de la Caroline du Sud Lindsey Graham, qui était lui aussi du voyage dans cette ex-république soviétique.

En cette ère où la polarisation est à son comble en politique américaine, le parcours d’Hillary au Sénat a été à la fois étonnant et rassurant. Elle a complété ce nouveau – et crucial – chapitre de sa carrière avec succès. Elle a su apprendre à devenir une candidate, à s’affranchir de son époux et à renouer avec des républicains qui avaient pourtant déclaré la guerre à son couple. Bref, elle a su montrer qu’elle avait la trempe d’une politicienne d’envergure et qu’elle était en mesure de tracer son propre chemin en tant que femme politique.

Un peu d’histoire

Interrogé par The New Yorker au sujet de la carrière d’Hillary au Sénat, presque trois ans après son élection, Bill Clinton a répondu : « Ma seule surprise est qu’elle fait ça encore mieux que je le pensais, ce qui veut tout dire. » Invité à résumer la contribution d’Hillary au Congrès américain, il a offert une réponse en sept parties.

Elle aime les gens et se préoccupe de leurs problèmes.

Elle sait comment mettre en œuvre de bonnes politiques.

Elle est intelligente et travaille très dur.

Elle se bat pour ce en quoi elle croit et n’abandonne pas.

Elle se cherche toujours de nouveaux alliés, incluant des républicains.

Elle aime son pays et son État.

Elle pense toujours à ce à quoi la vie ressemblera pour nos enfants et leurs propres enfants.

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La plus grande erreur d’Hillary au Sénat aura été de donner le feu vert à la guerre en Irak.

« Quand nous paraissons faibles à une époque où les gens ne se sentent pas en sécurité, nous perdons. Quand les gens se sentent peu sûrs, ils vont préférer avoir quelqu’un de fort qui a tort plutôt que quelqu’un de faible qui a raison. »

C’est ce qu’avait dit Bill Clinton en 2002, au moment où les républicains de George W. Bush venaient d’infliger un cuisant revers aux démocrates lors des élections de mi-mandat. Il était convaincu que les démocrates devaient, dans la foulée des attaques du 11 septembre 2001, cesser de prêter flanc à la critique en matière de sécurité nationale. Depuis la guerre du Vietnam, les politiciens démocrates étaient généralement perçus comme pacifistes et, donc, plus faibles à ce chapitre que leurs rivaux républicains. Et ces derniers en profitaient pour les dénigrer.

C’est sans doute en grande partie ce désir de ne pas paraître « faible » qui a, visiblement, amené Hillary à commettre l’erreur stratégique la plus coûteuse de son passage au Sénat : son vote sur la guerre en Irak. Rappelons-nous : peu après les attentats terroristes menés par l’organisation d’Oussama ben Laden en sol américain, le président George W. Bush et certains membres de son entourage ont affirmé à plusieurs reprises que Saddam Hussein avait un lien avec ces attaques. Ce n’était pourtant pas le cas.

Le président demandait néanmoins aux membres du Congrès qu’on lui permette de recourir à la force « comme il le juge nécessaire et approprié pour défendre la sécurité nationale contre la menace continuelle posée par l’Irak ».

Hillary a dit oui du bout des lèvres, affirmant, lors de son allocution au Sénat le 10 octobre 2002, souhaiter de tout cœur que le président n’ait pas à utiliser la force… Ajoutant qu’il s’agissait de l’une des décisions « les plus difficiles » de sa vie… Mais le fait est qu’elle a dit oui.

Elle n’a bien sûr pas été la seule à se ranger derrière son président. À l’époque, 77 sénateurs ont voté cette résolution. Seuls 23 ont voté contre, incluant le sénateur démocrate Robert Byrd, de la Virginie-Occidentale. Ce vieux routier du Sénat, un octogénaire qui avait voté jadis en faveur de la guerre du Vietnam, n’en revenait pas de voir à quel point l’histoire bégaie. Il exhortait ses collègues du Sénat à ne pas offrir de « chèque en blanc » au président. Hillary a eu nettement moins de scrupules. Elle a même soutenu publiquement, avant de voter, que Saddam Hussein avait offert « aide » et « soutien » aux « terroristes », incluant, selon elle, « des membres d’Al-Qaïda ».

Le montant qui allait s’inscrire sur le chèque en blanc qu’elle et ses pairs avaient donné à la Maison-Blanche allait augmenter à une vitesse vertigineuse au fur et à mesure que la guerre devenait le fiasco que l’on sait. Un fiasco selon les experts, mais aussi selon une majorité d’Américains, qui, pourtant, avaient eux aussi souhaité que leur pays fonce tête baissée vers Bagdad.

Ce vote, Hillary l’a traîné comme un boulet pendant plus d’une décennie, tout particulièrement lors de la course à la Maison-Blanche en 2008. Sous le couvert de l’anonymat, bon nombre de ses conseillers ont expliqué qu’elle avait eu du mal à décider si elle devait présenter ses excuses et faire son mea culpa ou, au contraire, garder le cap. Elle a choisi cette dernière option. Non sans, toutefois, graduellement, édulcorer sa position. Son défi : montrer qu’elle comprenait qu’elle avait fait une erreur, sans admettre publiquement qu’elle avait eu tort.

Ainsi, en 2007, elle a soutenu un projet de loi visant à empêcher l’envoi de renforts en Irak, ce qui relevait selon elle d’une « stratégie perdante ». La politicienne a même proposé de retirer au président Bush le pouvoir que lui avait accordé le Congrès en 2002 quant à la guerre en Irak. Mais elle continuait de s’opposer à ceux qui souhaitaient prévoir une date de retrait des troupes américaines en Irak. Bref, elle était prête à mettre de l’eau dans son vin, mais pas trop.

Il va sans dire que ses deux rivaux principaux lors de la course à la direction du Parti démocrate en 2008, Barack Obama et John Edwards, n’ont pas cessé de tourner le couteau dans cette plaie qui ne s’est jamais vraiment cicatrisée. Le premier avait dénoncé le projet d’invasion irakienne une semaine avant le vote au Sénat. Le second avait dit oui à la guerre en 2002, mais fait son mea culpa en 2005.

Tant Obama qu’Edwards ont pu contester le jugement d’Hillary, qui rêvait initialement de miser sur son expérience pour se démarquer de ses rivaux. Rétrospectivement, son vote sur l’Irak a été une magistrale erreur de calcul. La pire de ses années au Sénat.

Le résultat de la course au leadership démocrate a donné tort à Bill Clinton. Les Américains, échaudés par l’échec de l’aventure irakienne, en avaient ras le bol des politiciens forts, mais qui avaient tort, à la George W. Bush.

Un peu d’histoire

Obama et l’Irak

Barack Obama, qui était en 2002 un membre méconnu du Sénat de l’Illinois, avait prononcé un discours sans équivoque au sujet de la guerre à venir en Irak, moins de deux semaines avant le vote au Congrès américain. Il était alors aux antipodes d’Hillary. Voici quelques extraits de cette allocution : « Je ne suis pas contre toutes les guerres. […] Ce à quoi je m’oppose, c’est à une guerre stupide. Une guerre irréfléchie. Une guerre fondée non pas sur la raison mais sur la passion, non pas sur des principes mais sur la politique. Je ne me fais aucune illusion sur Saddam Hussein. C’est un homme brutal. Un homme implacable. Un homme qui massacre son peuple pour consolider son pouvoir. […] Mais je sais aussi que Saddam Hussein n’est pas une menace imminente ni directe pour les États-Unis ou pour ses voisins… […] Vous voulez vous battre, président Bush ? Alors il faut se battre pour s’assurer que les inspecteurs de l’ONU puissent faire leur travail… »

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Il a fallu 12 ans à Hillary pour qu’elle reconnaisse avoir eu tort en autorisant George W. Bush à utiliser la force en Irak.

Il y a des politiciens qui admettent plus facilement que d’autres avoir eu tort. Dans le cas d’Hillary, admettre avoir erré dans le dossier irakien a été particulièrement pénible et douloureux. Pas moins de 12 ans lui auront été nécessaires. Des années lors desquelles (guidée par son mari et ses conseillers) elle aura graduellement introduit de subtiles variations à sa position initiale. Jusqu’à l’aveu final, en 2014. Voici un résumé de ces tergiversations en cinq déclarations.

2002

Lors de son discours au Sénat, dans le cadre du vote :

« Un vote pour (cette résolution) n’est pas un vote pour hâter la guerre. C’est un vote qui met entre les mains de notre président une responsabilité énorme. Et nous lui disons : utilisez ces pouvoirs judicieusement et en dernier recours. C’est aussi un vote qui dit clairement à Saddam Hussein : c’est votre dernière chance. Désarmez ou soyez désarmé. »

2003

Devant les membres du Council on Foreign Relations à New York :

« J’ai fait partie de ceux qui ont soutenu qu’il fallait donner à Bush le pouvoir, si nécessaire, d’utiliser la force contre Saddam Hussein. Je crois que c’était le bon vote. J’ai eu plusieurs litiges et désaccords avec l’administration quant à la façon dont ce pouvoir a été utilisé, mais je soutiens qu’il fallait voter pour offrir ce pouvoir, car j’estime qu’il s’agissait d’une étape nécessaire… »

2004

À l’émission Larry King Live, sur les ondes de CNN :

« Je ne regrette pas d’avoir donné ce pouvoir au président parce que le contexte, alors, était celui de (la présence) d’armes de destruction massive. De sérieuses menaces à l’égard des Nations Unies. Et, clairement, Saddam Hussein représentait un véritable problème pour la communauté internationale depuis plus d’une décennie. Ce que je regrette, c’est la façon dont le président a utilisé ce pouvoir. »

2006

À l’émission Today, sur les ondes de NBC :

« Vous devez considérer la situation d’alors et ce que nous savions. Je prends mes responsabilités pour ce vote. Bien sûr, si nous avions su alors ce que nous savons maintenant, il n’y aurait pas eu de vote. Et je n’aurais certainement pas voté de cette façon. »

2014

Dans ses mémoires, Le temps des décisions :

« Je croyais agir de bonne foi et prendre la meilleure décision possible avec les informations dont je disposais, se justifie-t-elle. Mais j’avais tort. C’est aussi simple que cela. »

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Hillary aurait pu, potentiellement, devenir présidente dès 2004.

« Si [Hillary] donnait une de ses couilles à Obama, ils en auraient chacun deux ! » C’est ce qu’a lancé en 2008 un proche conseiller du couple Clinton, James Carville. Son objectif, à l’époque ? Démontrer que la politicienne n’avait pas froid aux yeux. Qu’elle avait plus de cran que son rival.

Cette détermination, jumelée à l’ambition indéniable de la politicienne, a bien failli la pousser à se lancer dans la course à la Maison-Blanche dès 2004. Moins de trois ans après avoir quitté son poste de première dame et être devenue sénatrice, Hillary y a très sérieusement songé.

Ses intentions à cet effet ont été ébruitées à l’époque et confirmées plusieurs années plus tard par les journalistes John Heilemann et Mark Halperin, dans leur livre Game Change. Hillary, racontent-ils, était alors choquée par la direction prise par son pays sous la gouverne de George W. Bush. Parallèlement, elle était consternée par la faiblesse des candidats qui briguaient l’investiture du Parti démocrate pour affronter le président républicain en novembre 2004. Le plus populaire, avant le début de la saison des caucus et des primaires, était l’ancien gouverneur du Vermont, un médecin prénommé Howard Dean. Et Hillary, tout comme une bonne partie de l’establishment démocrate, était convaincue qu’il n’avait pas l’étoffe d’un président.

Enthousiasmée par ses succès dans l’État de New York, Hillary a commencé à réfléchir à une candidature à la Maison-Blanche et à en discuter, très discrètement, avec ses proches conseillers. Plusieurs lui ont recommandé de ne pas hésiter, convaincus qu’elle triompherait des autres démocrates et saurait ravir la Maison-Blanche à George W. Bush, dont la carrière politique commençait à s’enliser dans le bourbier irakien.

L’opinion publique aussi était derrière elle. Un sondage mené par le magazine Newsweek en septembre 2003 indiquait que parmi tous les candidats potentiels, elle était le choix numéro un de 33 % des électeurs démocrates, ce qui lui donnait une bonne longueur d’avance sur les autres.

Le hic, c’est qu’un autre sondage révélait que six démocrates sur dix, dans l’État de New York, ne voulaient pas qu’elle devienne candidate, préférant qu’elle demeure sénatrice pendant toute la durée de son mandat de six ans.

Au final, c’est ce qui a freiné les ardeurs de la politicienne. D’autant plus que sa fille, Chelsea, n’était pas non plus chaude à l’idée. Elle « estimait que sa mère devait terminer son mandat, qu’elle en avait fait la promesse et qu’elle devait la respecter, que si elle ne le faisait pas, les électeurs ne lui pardonneraient pas », ont rapporté John Heilemann et Mark Halperin.

L’abstention d’Hillary aura laissé le champ libre au sénateur du Massachusetts John Kerry. À la toute dernière minute, il a réussi à damer le pion à Howard Dean. Il n’a toutefois pas fait le poids face à George W. Bush et à ses stratèges, adeptes des publicités négatives et des coups en bas de la ceinture. Les républicains, Karl Rove (l’éminence grise du camp Bush) en tête, ont miné la crédibilité de John Kerry et convaincu un assez grand nombre d’Américains qu’ils ne seraient pas en sécurité si ce démocrate était élu président.

Ce qui est certain, c’est qu’Hillary n’aurait fait face, en 2004, à aucun rival aussi redoutable que Barack Obama. Par ailleurs, son vote en faveur de la guerre en Irak ne lui aurait probablement pas nui.

Aurait-elle pu, contrairement à John Kerry, vaincre le président républicain en perte de vitesse et s’emparer de la Maison-Blanche ? Elle doit parfois, encore aujourd’hui, se le demander…

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Quand Hillary a fait campagne pour être réélue, elle a dépensé plus d’argent que tout autre candidat au Sénat américain cette année-là.

En politique américaine, l’argent est sans contredit le nerf de la guerre. Tous les quatre ans, le coût de la course à la Maison-Blanche bat le record établi lors du scrutin précédent. Les campagnes menées par les candidats au Sénat ou à la Chambre des représentants – les deux chambres du Congrès américain – nécessitent aussi des investissements qui dépassent l’entendement. En 2006, quand Hillary Clinton a fait campagne pour sa réélection, elle a dépensé plus de 30 millions de dollars. Au total, de 2000 à 2006, elle aura investi 41 millions afin de conserver son siège. À quoi aura servi tout cet argent ? Le New York Times a rapporté que plus de 7 millions en 2006 ont servi à l’achat de publicités et que d’imposantes sommes ont été accordées aux stratèges de la politicienne. L’architecte de sa campagne, Mark Penn, a obtenu au moins 1,1 million. Sa spécialiste des communications, Mandy Grunwald, a pour sa part récolté au moins 930 000 $. Sans compter les 160 000 $ déboursés pour les déplacements d’Hillary et de ses conseillers en jet privé. Ou les 746 450 $ pour « le service de traiteur et le divertissement ». Ou encore les 13 000 $ en fleurs…

Tout ça pour vaincre un adversaire qui livrait une bataille perdue d’avance : le républicain John Spencer, ex-maire de la ville de Yonkers. La stratégie a fonctionné. Elle a obtenu 67 % des voix (contre 31 % pour son rival) et a triomphé dans 58 des 62 comtés de l’État. Était-ce nécessaire d’injecter une telle fortune pour vaincre un rival méconnu ? Certains de ses proches, à l’instar de donateurs, ont sonné l’alarme. « Cet argent gaspillé… ça rend tout le monde fou, a confié l’un d’eux au quotidien new-yorkais sous le couvert de l’anonymat. Elle doit absolument régler ça si elle a l’intention de briguer la présidence. » Ce contributeur n’était pas que généreux. Il était clairvoyant. Les problèmes de gestion du budget de la campagne d’Hillary à la Maison-Blanche ont été tels qu’ils sont aujourd’hui cités lorsqu’on tente d’expliquer sa défaite aux mains de Barack Obama en 2008.