Avant-propos

José Carlos Suárez-Herrera
et André-Pierre Contandriopoulos

Le 3e symposium de la Conférence lusofrancophone de la santé (COLUFRAS) L’amélioration continue de la performance des systèmes et des services de santé: un enjeu incontournable s’est tenu à Campo Grande dans l’État du Mato Grosso do Sul, au Brésil, du 29 novembre au 1er décembre 2010. Ce symposium a permis de réunir des responsables gouvernementaux, des professionnels de la santé, des chercheurs, des membres du milieu universitaire, des gestionnaires de la santé des secteurs public, privé et philanthropique, ainsi que des membres d’une organisation non gouvernementale (ONG) et d’organismes internationaux des pays lusophones et francophones des Amériques, d’Europe et d’Afrique, afin de trouver ensemble des réponses opérationnelles pour engager les systèmes et les organisations de santé des pays participants sur une trajectoire d’amélioration continue de la performance.

La pertinence du thème du symposium découle de la tension, exacerbée par la crise financière et économique de 2008, qui existe dans tous les pays entre, d’une part, la très forte demande de la population pour que l’État garantisse un accès équitable à des services de santé de qualité et, d’autre part, la nécessité pour qu’il contrôle les dépenses publiques de santé pour limiter les déficits de l’État.

Les gouvernements sont ainsi devant un dilemme inquiétant: ils savent que leur légitimité repose sur leur capacité à répondre aux attentes de la population, en améliorant le système et les services de santé. Mais, ce faisant, ils risquent de perdre leur capacité d’agir de façon démocratique en devenant de plus en plus dépendants des marchés financiers internationaux. La seule option viable consiste donc à faire plus et mieux avec les ressources existantes. Pour y arriver, il faut concevoir et mettre en œuvre des réformes qui visent toutes à améliorer l’intégration, à penser autrement la gouvernance et à offrir aux décideurs de nouveaux outils d’évaluation de la performance du système de santé et de ses services.

Que recouvre le concept de performance?

Dans le chapitre 1, Contandriopoulos, Champagne, Sainte-Marie et Thiebaut proposent une définition de la performance qui permet de montrer de la complexité des organisations et des systèmes de santé. En s’inspirant des travaux de Talcott Parsons, ils conçoivent la performance comme un construit multidimensionnel qui rend compte des quatre fonctions que tout système organisé d’action doit accomplir de façon cohérente au cours du temps: 1) l’atteinte de buts légitimes; 2) l’adaptation à l’environnement; 3) l’intégration des processus de production et; 4) le maintien des valeurs communes et la qualité de vie au travail. Pour être performant, tout système organisé d’action doit également être cohérent dans le temps qui existe entre ces quatre fonctions. C’est pourquoi les auteurs proposent le modèle EGIPSS, très largement utilisé, notamment au Québec, en Europe, au Brésil et en Afrique du Nord.

Dans le chapitre 2, Martins examine les relations qui existent entre les concepts de performance et de qualité des services de santé. La compréhension de ces concepts et de leurs modèles explicatifs est essentielle, tant du point de vue théorique que du point de vue pratique, pour outiller les gestionnaires et les administrateurs des organisations et des systèmes de santé. Cette compréhension exige la création d’espaces de production de connaissances scientifiquement valides, mais aussi socialement responsables. Dans ce sens, quelques enjeux perdurent, comme le besoin d’intégrer la recherche évaluative pour l’appréciation de la performance ou encore les défis associés à l’utilisation des résultats de ces évaluations par les décideurs des différents paliers des organisations de santé pour améliorer de façon continue la performance.

Dans le chapitre 3, Dedobeeleer explique comment le modèle EGIPSS a pu être utile à l’évaluation de la performance d’un des centres de santé et de services sociaux (CSSS) promoteur de santé – organismes qui ont été créés à la suite de la réforme de 2003 du système de santé et de services sociaux du Québec. Cette extension du concept de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), «hôpital promoteur de santé» était vu comme intégratrice, compatible avec les pratiques et les besoins des CSSS. Un réseau québécois d’établissements promoteurs de santé, regroupant 38 établissements, dont 26 CSSS, a même été formé en 2012 et, en 2015, une nouvelle intégration des établissements de santé et de services sociaux est lancée, avec une vocation élargie: il s’agit des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), et des centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS). Cette réorganisation va maintenant très loin: elle suscite de nombreuses critiques et soulève de nombreuses inquiétudes. Dans ce contexte, l’analyse de la performance d’un CSSS promoteur de la santé reste pertinent.

Dans le chapitre 4, Suárez-Herrera, montre combien l’existence d’une gouvernance fondée sur la configuration en réseau et la concertation intersectorielle s’avère une stratégie clé pour orienter les systèmes de santé sur une trajectoire innovatrice d’amélioration continue de la performance. Il décrit le processus d’amélioration de la performance en trois étapes essentielles: 1) la configuration en réseau des acteurs clés du secteur de la santé; 2) l’intégration de nouvelles formes de gouvernance fondées sur la concertation intersectorielle; et 3) l’émergence de nouvelles pratiques organisationnelles. Par un processus complexe de mobilisation de savoirs et de pratiques socialement responsables, cette modalité de la gouvernance pourrait s’avérer un levier clé d’amélioration de la performance du système de santé.

Comment évaluer la performance des organisations
et des systèmes de santé?

Simos, dans le chapitre 5, propose d’appréhender la performance en utilisant les approches mises au point dans le domaine des évaluations d’impact sur la santé (ÉIS), un processus flexible et créatif qui intègre différentes méthodes pour comprendre l’influence sur la santé des politiques publiques dans une perspective interdisciplinaire et multisectorielle. La combinaison de ces méthodes permet d’aborder l’évaluation des politiques, des programmes et des projets dans les différents secteurs reliés à la santé publique d’une façon multisectorielle, transversale et systémique. Cette démarche, qui repose sur une bonne connaissance des déterminants sociaux de la santé, peut contribuer à améliorer la performance du système de santé en prenant en particulier en compte les besoins des populations vulnérables ou défavorisées.

Dans le chapitre 6, Schaetzel constate que les inégalités de santé sont une préoccupation constante depuis de nombreuses années. Dans le contexte français, la loi «Hôpital, patients, santé et territoires» (HPST), adoptée en juillet 2009, a comme ambition de réformer en profondeur le système de santé, et tout particulièrement sa gouvernance, en créant les Agences régionales de santé (ARS). Celles-ci ont comme objectif de réduire les inégalités sociales de santé (ISS). L’évaluation de la réduction des ISS devrait inciter les différents acteurs concernés à créer de nouvelles coalitions et à faire émerger de nouvelles pratiques professionnelles porteuses de performance.

Thiebaut et ses collègues, dans le chapitre 7, insistent sur l’importance d’analyser et de mesurer la qualité de vie au travail des personnes qui œuvrent dans les organisations de santé lorsque l’on évalue la performance. Ils proposent des outils opérationnels pour évaluer les valeurs individuelles et organisationnelles et les différents aspects de la qualité de vie au travail des employés. Les valeurs en tant que source de sens constituent un réservoir de la motivation et par conséquent un puissant levier de changement pour orienter l’action collective vers l’amélioration de la performance. La qualité de vie au travail et les valeurs individuelles et organisationnelles influencent ainsi d’autres dimensions de la performance des systèmes de santé, dont la productivité ou la qualité des soins et des services.

Comment utiliser les résultats de l’évaluation
pour amener les systèmes et les organisations
de santé à améliorer
de façon continue leur performance?

Dans le chapitre 8, Jabot et Marchand constatent l’ambiguïté des relations entre performance et évaluation du système de santé. La notion de performance englobe les activités de contrôle et de gestion, mais aussi d’évaluation, une notion dont le développement a largement bénéficié du déploiement de plans et de programmes régionaux de santé. L’analyse de la performance du système de santé régional est réalisée à partir de l’étude de ces plans et de leurs évaluations. Le bilan en matière de structuration de la politique régionale de santé est mitigé, et met au jour la confrontation entre les différentes logiques d’acteurs, les convergences et les oppositions au sein d’un système complexe, qui, au final, va fonctionner en dépit de ses imperfections. À la lumière de la réforme française de la politique de santé de 2009, les acteurs se sont engagés dans les travaux de conception de leur système d’évaluation.

Dans le chapitre 9, Carvalho montre que le droit à la santé de tous les citoyens, au cœur de la Constitution brésilienne de 1988, constitue une responsabilité publique nationale qui a comme corollaire la nécessité d’évaluer de façon très large la performance du Système unique de santé (SUS). Les grands principes organisateurs du SUS sont actuellement remis en question par les inégalités croissantes dans l’accès aux services de santé. Il propose donc plusieurs critères pour mesurer les iniquités dans une approche intégrée de l’évaluation de la performance.

Finalement, Salois, ancien Commissaire à la santé et au bien-être du Québec explique dans le chapitre 10 comment mobiliser les citoyens dans un processus structuré d’évaluation de la performance. L’approche consiste à rassembler les sources d’information disponibles au Québec et à l’étranger pour évaluer la performance avec le modèle EGIPSS. Il s’agit ensuite de faire débattre, dans un forum citoyen, 27 personnes et des groupes d’experts pour compléter le portrait et définir des pistes d’actions. Dans ce contexte, l’appréciation de la performance ne se veut pas une simple manœuvre de reddition de comptes, mais plutôt un outil collectif d’évaluation participative afin de promouvoir un mouvement collaboratif d’amélioration continue de la performance, pour bien répondre aux besoins de la population et garantir la pérennité du système québécois.

L’amélioration continue de la performance devient ainsi une condition essentielle à la survie des systèmes de santé. Cependant, pour améliorer la performance, il faut d’abord la mesurer, ce qui est difficile à accomplir. D’une part, les systèmes et les services de santé sont complexes et fortement dépendants de leur contexte. Ils sont formés d’une multitude d’organisations, de composantes et de programmes de services. Ils requièrent la participation de nombreux acteurs aux intérêts divergents, et leur amélioration passe par des transformations parfois contradictoires. D’autre part, le concept de performance est loin de faire l’unanimité. Les modèles utilisés pour l’évaluer paraissent souvent fragmentés, reflétant les préoccupations et les intérêts divergents des nombreuses catégories d’acteurs impliqués.

Remerciements

Nous tenons d’abord à remercier chaleureusement ceux qui ont permis au 3e symposium de la Conférence lusofrancophone de la santé (COLUFRAS) de se tenir, en particulier le comité scientifique de la conférence, le bureau de la COLUFRAS, le Conseil national des secrétaires d’État à la santé (CONASS) et la Secrétaire à la santé de l’État du Mato Grosso do Sul. Nous souhaitons aussi remercier tous ceux qui ont permis à ce livre de voir le jour: le Réseau de recherche sur la santé des populations du Québec (RRSPQ) et l’Institut de recherche en santé publique de l’Université de Montréal (IRSPUM) qui ont participé financièrement à la publication. Bien sûr, nous remercions aussi les Presses de l’Université de Montréal, en particulier les personnes qui ont révisé avec une grande attention les différents chapitres de ce livre.