Ce jour-là, quand le téléphone a sonné, c’était une de mes amies :
« Je viens d’accompagner des lycéens et des lycéennes pour visiter le Mémorial de Caen et l’une d’elles veut te parler : “Bonjour Grand-Pa, alors il paraît que tu as fait la guerre et pourtant tu ne nous l’as jamais racontée.” »
Et voilà pourquoi j’ai, alors, décidé de raconter « ma » guerre.
Mais plusieurs années se sont écoulées avant que je me mette à l’ouvrage. Quand, âgé de près de 90 ans, je me suis retourné vers ce passé dont tant de jours à jamais me séparent, afin que ne disparaissent pas complètement ces années, nos combats, nos souffrances mais aussi nos joies, et ayant eu la chance de retrouver des carnets où je tenais un journal, j’ai commencé à rédiger ces souvenirs, m’aidant aussi parfois des journaux de marche des unités auxquelles j’ai appartenu pour préciser certains détails.
Afin que les choses soient claires, et si combattre signifie au moins être soumis à des tirs ennemis, il faut savoir que, de 1940 à 1945, je n’aurai pas combattu plus d’un jour sur dix.
Ayant ainsi passé le plus clair de ces années sans risquer ma vie, je manquerais à la vérité si je ne parlais pas également de ces temps-là pour essayer de montrer combien la guerre avait changé les mentalités de tous ceux et toutes celles sur qui la mort planait sans cesse, de tous ceux et toutes celles dont la survie dépendait d’un avenir qu’ils ne maîtrisaient plus. Ainsi des civils soumis aux bombardements, ainsi des résistants risquant la déportation, ainsi de ceux qu’attendait la mort au combat. Comment n’auraient-ils pas voulu profiter de chaque instant ?
D’aucuns nous qualifient parfois de héros. Je récuse ce terme ; pour moi, un héros est celui qui prend une initiative sans y être obligé et en sachant qu’elle peut le mener à la mort. Ainsi sont des héros les résistants. Mon frère Michel, qui avait « tout le temps peur, peur d’être arrêté, peur d’être torturé, peur d’être déporté, peur d’être exécuté », l’était. Certes, il nous fallait souvent, au combat, faire face à des situations périlleuses, mais, ne faisant qu’obéir aux ordres, nous n’étions pas des héros.
En outre, il est également important de se souvenir qu’en dehors des moments où nous étions exposés, nous pouvions mener une vie normale. Ceux qui étaient dans la Résistance, en France, ne bénéficiaient d’aucun répit.