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Le tour de l’Afrique

 


Fin septembre 1941, un petit groupe d’aspirants, dont je fais partie, est rassemblé au PC du camp et nous apprenons que nous allons partir prochainement pour rejoindre les Forces françaises libres au Moyen-Orient.

Un retour en arrière s’impose. Fidèle au maréchal Pétain, le général Dentz, commandant les forces françaises au Liban et en Syrie, collaborait avec les Allemands et les Italiens. Sur ordre de Darlan, il fit transiter par la Syrie des armes à destination des partisans du Premier ministre irakien révoltés contre les Britanniques.

De plus, vers la fin mai 1941, le colonel Collet et ses escadrons de cavaliers tcherkesses avaient quitté la Syrie pour rejoindre les FFL en Palestine. Ce ralliement faisait espérer que d’autres unités suivraient. Malheureusement il n’en fut rien et lorsque, le 8 juin, les troupes françaises libres pénétrèrent en Syrie, elles furent entraînées dans des combats acharnés et victimes d’actes de traîtrise. Quand, le 21 juin, le capitaine de corvette Détroyat, avançant vers Damas à la tête du 1er bataillon de fusiliers marins, s’arrêta à Mezzé devant les forces vichystes et proposa une trêve, qui fut acceptée, des coups de feu claquèrent et Robert Détroyat s’écroula, mortellement touché. Ses hommes massacrèrent alors ceux d’en face.

Et c’est finalement le 12 juillet que cessent les hostilités et que commence à se constituer en Syrie la 1re brigade française libre que nous allons rejoindre.

En mer, le 4 octobre 1941. Nous sommes partis il y a deux jours de Camberley, de très bonne heure, pour aller prendre le train à la gare d’Euston, direction Liverpool, où nous arrivons peu après midi ; puis un car nous emmène au port et nous embarquons sur le bâtiment qui va nous conduire au Moyen-Orient. Grande surprise, c’est le Chantilly, un paquebot français des Messageries maritimes réquisitionné par les Anglais sur lequel, à Pâques 1939, nous avions fait, mes parents, mes frères et moi, une croisière en Grèce. C’était il y a deux ans et demi : un siècle !

Nous sommes quelques Français, six officiers et aspirants, dont Jérôme, qui revient comme moi d’un stage de transmissions dans le nord de l’Angleterre, Albert et André, ainsi qu’une trentaine de soldats. Mon grade me dispense de la cale et je partage une cabine avec deux officiers anglais. Et puis montent à bord des femmes qui, parfois avec des enfants, vont rejoindre mari, père ou fils en Afrique du Sud. C’est ainsi que nous apprenons qu’il nous faudra faire le tour de l’Afrique pour arriver au Liban : sous la menace des marines et aviations germano-italiennes, la Méditerranée est infranchissable.

A la nuit, nous avons largué les amarres, et chaque tour d’hélice, chaque mètre d’eau qui nous séparait du quai, qui me séparait encore plus de l’Europe et de tous ceux qui me sont chers, faisait battre mon cœur de plus en plus fort.

Le 7 octobre. Nous formons un grand convoi, une vingtaine de bateaux escortés par trois destroyers qui tournent sans cesse autour de nous ; nous allons plein ouest, apparemment pour éviter les sous-marins allemands.

La vie s’organise, des groupes se forment, on fait connaissance et le temps passe lentement, entrecoupé de longues parties de bridge et de repas. C’est plutôt une bonne surprise, deux cuisiniers français sont restés à bord et la cave est intacte : nous avons même fêté l’événement avec du dom pérignon, bien entendu gratuit, comme tout ce que nous consommons.

Le 11 octobre. Le commandant du détachement français, considérant que nous ne sommes pas à bord pour nous tourner les pouces, ne cesse, depuis trois jours, de nous donner des cours ou de faire manœuvrer sur le pont la trentaine de militaires français, au grand ébahissement du reste des passagers. Il a même décidé d’organiser des tours de garde... Toute la journée et toute la nuit, un militaire français, en armes, monte la garde au pied de la passerelle ; et, bien entendu, il faut également un officier de service qui fasse des rondes. C’était mon tour hier soir et quand je me suis approché, vers 2 heures du matin, de la sentinelle, je l’ai trouvée en plein sommeil. Sans faire de bruit, j’ai pris son arme que j’ai cachée et je suis revenu, cette fois en faisant du bruit, et j’ai trouvé mon brave soldat complètement affolé, et encore plus quand je l’ai menacé du conseil de guerre pour désertion en temps de guerre. Je crois qu’il m’a cru et j’ai donc mis fin à la plaisanterie en lui rendant son arme et en lui offrant une rasade de whisky. Naturellement je n’en ai rien dit au commandant. C’est un ancien combattant de la Grande Guerre, il doit se croire sur le front, alors que le seul « ennemi » que nous ayons rencontré jusqu’à aujourd’hui est une baleine qui nous a salués de grands jets d’eau.

Le convoi trace sa route lentement dans une mer calme et grise ; nous avons viré de bord et, après dix jours vers l’ouest, voguons maintenant en direction du sud-est, vers l’Afrique.

Finalement l’idée du commandant n’était pas si mauvaise : en nous imposant des contraintes de temps et d’activité, il a rompu la monotonie de ce voyage et nous a obligés à penser à autre chose qu’à nous-mêmes.

Il y a des jours et des jours que nous sommes en mer et bientôt nous naviguerons sous les tropiques. Malgré une bonne brise, il fait très chaud et tout le monde est en tenue coloniale (et ce n’est pas toujours très beau). Je suis installé sur un transat, à l’ombre bien entendu. Tout autour de moi, à part quelques gosses, tout le monde lit ou fait la sieste. Les journées passent et se ressemblent mais sans ennui : lecture, travail, un peu de gymnastique, bridge, échecs. Je lis Pages du Journal de Gide. Dans le genre idée stupide, nous avons réuni tous les gamins et leur avons donné à chacun un ballon. En fait, ce sont des préservatifs que nous avons gonflés ; nous avons reçu chacun, au départ, avec notre paquetage, une boîte de douze douzaines (oui, 144) capotes anglaises ! Il fallait voir la tête des mères de famille quand les bambins sont revenus en les brandissant : « Maman, regarde ce que les gentils messieurs nous ont donné. »

L’autre jour, au soleil couchant, une lumière violette extraordinaire a éclairé la mer, donnant aux images une teinte blafarde. De l’avant du bateau et jusqu’à l’horizon, nous étions face à une eau-forte avec ses multitudes de petits traits.

Vendredi 17 octobre. Il paraît que nous allons passer le tropique du Cancer cet après-midi ; il faudra guetter la ligne pointillée. Le ciel est bleu, les nuages blancs et la mer luisante sous le soleil qui chauffe beaucoup trop à mon goût, même à l’ombre et en tenue légère : espadrilles, bas roulés, shorts et chemise à manches courtes.

J’ai laissé le Gide pour l’Introduction à la poésie française de Thierry Maulnier, c’est excellent. J’ai copié hier soir, pour mon « anthologie », une ballade de Villon : « Dame du Ciel, régente terrienne... », une élégie de Jodelle, la « Chanson de Barberine » de Musset, « La mort de l’aigle » de Heredia, « Chanson d’automne » et « Ariettes oubliées » de Verlaine, « La mort des amants » et « La vie antérieure » de Baudelaire, un sonnet et « La brise marine » de Mallarmé. Le « Heureux ceux qui sont morts » que j’aime tant ainsi que « Paris vaisseau de charge » de Péguy ; enfin « Palme » de Valéry. J’ai travaillé jusqu’à minuit mais j’avais vraiment envie de les copier. Aujourd’hui, je crois que j’y ajouterai des poèmes anglais et américains.

Je suis resté étendu sur le pont à écouter les Cinquième et Sixième Symphonies de Beethoven. La voûte du ciel n’a même plus le petit balancement habituel. La mer est tout à fait plate et les phosphorescences qui fuient le long de la coque semblent autant d’étoiles qui seraient tombées. Dans les cabines, malgré le ventilateur, il fait terriblement chaud et pourtant je suis nu sur ma couchette, et en première classe. Je plains les soldats qui sont dans la cale. Je vais essayer de dormir.

Je passe mon temps sous la douche. On devrait interdire à la gent féminine du bord de porter des shorts : quel horrible spectacle. « Le charme ni l’esprit ne sont de ce voyage », dit un des passagers qui ajoute : « J’espère qu’à la prochaine escale une femme charmante va monter à bord. — Vous croyez aux miracles, docteur ? — Non, à l’impromptu ; d’ailleurs, un miracle ce n’est qu’une erreur de diagnostic. »

Lundi matin, 20 octobre. Hier soir j’ai bien cru mourir. Nous étions au large des îles du Cap-Vert quand un des bateaux du convoi a été torpillé et a pris feu. Immédiatement les sirènes des destroyers d’escorte retentissent ; tous les bateaux commencent à zigzaguer alors qu’explosent les mines anti-sous-marins. Nous sommes tous sur le pont avec des brassières de sauvetage ; à côté de moi, la femme d’un commandant de la Royal Air Force tient dans ses bras un bébé. Elle a déjà été torpillée il y a trois mois et a dû passer plus d’une heure dans l’eau avant d’en être sauvée ; elle tremble, se serre contre moi, ce qui n’est pas facile avec nos brassières, prend mon bras et y enfonce ses ongles. « S’il vous plaît, aidez-moi, je ne veux pas mourir », et je m’efforce, sans trop y croire, de la rassurer. Un autre bateau est torpillé, un cargo également, et puis plus rien. Le sous-marin a-t-il été coulé ? Au bout d’une heure nous pouvons retourner dans nos cabines.

Le convoi a repris sa trajectoire habituelle pendant qu’un des bâtiments d’escorte reste en arrière pour sauver ceux qui peuvent l’être. Pour nous, plus de peur que de mal.

Notre vie quotidienne a peu changé. Le commandant nous a affirmé que tout danger était passé car si les Allemands utilisaient, pour s’y réfugier et s’y ravitailler, les îles du Cap-Vert, ils n’avaient jamais été signalés plus au sud.

La nuit n’amène qu’une fraîcheur toute relative et il fait bon dormir sur le pont, étendu sur une chaise longue. Quelques tours au pas de gymnastique, une douche prolongée et toilette avant le petit déjeuner. Le matin, généralement je travaille, puis échecs ou tout autre jeu avant le déjeuner. L’après-midi, sieste, lecture, et, après le thé, conversations.

Parmi les passagers français, il y a un médecin et un journaliste. J’ai ouvert avec eux une « Académie ». Nous allons organiser des « jeux Floraux ». Il faut faire des quatrains plus ou moins vaches sur les autres passagers. Il est même question d’écrire une épopée. Le médecin et le journaliste ont à peu près les mêmes goûts littéraires ; ils sont très spirituels et leur compagnie est agréable. Voici justement le journaliste qui se dirige vers moi un livre à la main : « Je viens de lire le plus beau poème d’amour que j’aie jamais lu. » C’est vraiment merveilleux. Il y a là-dedans une musique délicieuse, et les sentiments exprimés ne gâchent rien : c’est « Annabel Lee » d’Edgar Allan Poe.

Vendredi 24 octobre. Depuis quelques nuits, je dors sur le pont. La nuit est magnifique, d’un noir un peu bleuté où les étoiles sont d’un éclat inconnu. Vers une heure du matin, réveillé par je ne sais quoi, je suis allé m’accouder à la rambarde et j’ai vu la croix du Sud. Ce n’est d’ailleurs pas exactement une croix, c’est plutôt, comme il se doit, une croix de Lorraine. Elle était juste sur l’avant du bateau. A l’arrière, au-dessus du sillage lumineux, des matelots, accompagnés par une guitare, chantaient doucement des chants mélancoliques en une langue étrange et sonore.

Hier soir, pendant que je m’endormais, les éclairs éclataient dans toutes les directions et, à 3 heures, nous avons été pris dans une tornade. Roulements de tambour sur un ton assez élevé, claquement des toiles et le bruit de la pluie qui ruisselle de tous les côtés. Les passagers plus ou moins protégés sont moins ou plus trempés ; une cascade commence à descendre près de moi et il faut bien se décider à finir la nuit dans les cabines car, quoique le ciel soit à nouveau très clair, tout est dégouttant d’eau. Je vais boire un whisky – sec – et me recoucher.

A 9 h 30 ce matin, nous avons aperçu la terre. D’abord la ligne d’horizon devient plus sombre, puis on distingue très vaguement, dans les nuages, quelques hauteurs bleutées et pendant le reste de la journée nous avons guetté les détails qui se révélaient peu à peu. Nous arrivons à Freetown, en Sierra Leone.

Le soir tombe et des lumières brillent autour du port et sur tous les bateaux. Quelques éclairs de chaleur à l’horizon. Depuis que nous nous sommes approchés de la côte, il fait moins chaud et maintenant la température est très agréable.

Jeudi 30 octobre. Après avoir quitté Freetown où nous nous sommes ravitaillés, notamment en charbon, nous avons repris la mer en longeant les côtes, cette fois sans le convoi ni son escorte. Les jours s’écoulent, monotones, au doux balancement d’un très léger roulis, la mer est plate, les côtes verdoyantes bornent l’horizon d’un côté cependant que, de l’autre, la mer et le ciel se confondent dans le même blanc laiteux. J’apprends le poker, conseillé par un adjudant de la Légion étrangère.

Pour des raisons que j’ignore, nous avons fait, le 3 novembre 1941, escale à Lagos, la capitale du Nigeria ; le Chantilly a remonté la rivière pour s’amarrer de l’autre côté de la lagune, un endroit qui s’appelle Apapa où se trouve une usine de mise en bouteille d’eau minérale dont les étiquettes portent, bien entendu, la mention « Lagos – Apapa » ; on imagine tout de suite les plaisanteries du détachement français.

Le soir, couverts de crème antimoustique et après avoir avalé de la quinine, nous traversons en barque la lagune pour visiter Lagos by night ; après plus d’un mois à bord, quel plaisir de mettre pied à terre, même dans cette ville coloniale assez miteuse. Après un dîner fortement épicé, nous allons dans LA boîte qu’il faut visiter, probablement la seule, où nous goûtons sous une chaleur étouffante à un jazz de musiciens noirs, mais pas très Nouvelle-Orléans.

Au retour, la crème a fondu et nous rentrons à bord couverts de piqûres de moustiques. Bonjour le paludisme ? Eh bien oui, ça n’a pas raté.

En mer, 6 novembre. Aujourd’hui, passage de la ligne d’équateur, avec la grande cérémonie traditionnelle pour ceux de l’équipage qui la passent pour la première fois : vêtus d’un seul caleçon, ils sont amenés au bord d’un grand bassin d’eau de mer monté pour l’occasion, barbouillés de savon à l’aide de balais-brosses, « rasés » avec des « lames » en bois avant d’être précipités dans le bassin, le tout sous les ordres du commandant en second déguisé en Neptune avec barbe, couronne et trident. Non seulement les enfants sont ravis, mais c’est avec une joie également enfantine que tout le monde accueille cette rupture du train-train ; il n’en faut pas beaucoup pour nous changer les idées.

Ce qui fait plus que m’agacer, c’est que je ne peux pas recevoir de courrier ; j’erre sur la mer sans demeure ni adresse.

Nous sommes arrivés le 10 novembre à Pointe-Noire, au Congo (alors Afrique-Equatoriale française). Cela a été assez spectaculaire : nous étions sur le pont, à l’avant, regardant les lumières du port qui se rapprochaient quand, soudain, d’un seul coup, plus rien, et sans que nous ayons eu le temps de commenter l’événement, nous avons été tous copieusement douchés par un orage tropical.

Le lendemain matin, je descends à terre et retrouve un vieux copain de Janson et de Londres, Jean-Paul Slyper, qui commande la batterie de deux canons de 155 qui défendent – contre qui ? – le port de Pointe-Noire. Je l’emmène à bord profiter de la cave qui contient encore bien des trésors.

Nous sommes arrivés en rade du Cap, en Afrique du Sud, le 26 novembre. Le Chantilly semble à bout de forces et se traîne depuis quelques jours. Nous attendons des heures en rade qu’une place à quai se libère. Et puis c’est l’accostage, et le départ des familles anglaises vers leurs proches ; quant à nous, permission d’aller à terre à condition de revenir à bord, le soir, en attendant de savoir comment nous allons continuer le voyage.

Nous nous sommes promenés dans la ville, une ville quasi européenne, en pente douce vers le port, qui, le plus au sud de l’Afrique, est la source de sa prospérité (avant l’ouverture du canal de Suez, tout le trafic maritime, aussi bien vers l’Asie que l’Afrique orientale, s’y ravitaillait).

Ce soir du 28 novembre 1941, le commandant du Chantilly a réuni les passagers restés à bord, ceux qui, comme nous, continuent au-delà du Cap. Il nous a fait un gentil discours où il disait notamment que son bateau avait certes un feu vert à tribord et un feu rouge à bâbord, mais que, compte tenu des ébats entre la gent féminine et les militaires, il aurait mérité de n’avoir qu’une lanterne rouge ! Il a ajouté, ce que nous savions déjà, qu’en raison d’avaries de machine, le bateau se traînait depuis plusieurs jours et qu’il nous faudrait l’abandonner pour continuer notre voyage vers le Liban. Nous apprenons alors notre départ, pour le lendemain matin, en train, vers Durban, d’où un autre bateau doit nous amener à Suez.

Le 29 novembre à l’aube, nous avons pris un train à la gare du Cap, direction Durban. Le train s’est dirigé vers le nord et s’est arrêté à Johannesburg avant de repartir vers le sud-est, en passant par Pietermaritzburg et de somptueuses forêts d’eucalyptus.

Deux jours de train jusqu’à Durban, ville en pente au bord de l’océan Indien, où l’on éprouve de fortes émotions quand, en pousse-pousse, en bas d’une descente empruntée à grande vitesse, apparaît un tramway qui n’a pas l’intention de s’arrêter ; il faut voir comme celui qui tire le pousse-pousse s’arc-boute pour éviter le choc.

A Durban, nous avons embarqué sur l’Elisabeth II, un paquebot belge très confortable pour aller vers le nord, direction Suez. Loin des sous-marins allemands, nous ne sommes pas en convoi et nous voguons de nuit tous feux allumés.

Le dimanche 7 décembre 1941, vers 22 heures, alors que nous passons dans le canal du Mozambique, entre l’Afrique et Madagascar, un grand coup de sirène éclate, tous les feux s’éteignent et le commandant nous annonce que, les Japonais ayant attaqué Pearl Harbor, toute lumière est désormais interdite ; le bateau commence d’ailleurs à zigzaguer, bien qu’il y ait fort peu de chances, heureusement, de rencontrer un sous-marin japonais.

Bien entendu, les conversations vont bon train. Un consensus se dégage : cette attaque est plutôt une bonne chose, car elle oblige les Etats-Unis à nous rejoindre enfin dans la guerre.

Le 13 décembre nous faisons escale à Aden, dans l’actuel Yémen, pour charbonner. Finalement, notre navigation s’est déroulée sans encombre et nous sommes arrivés à Suez dans la journée du 18 décembre. Le surlendemain, un bus nous amène un peu au nord d’Ismaïlia, sur le canal de Suez, prendre le train jusqu’à Haiffa en Palestine, et, de là, un nouveau bus jusqu’à Beyrouth, au Liban, où, arrivés le 20 au soir, nous sommes logés dans un hôtel de la place des Canons.

Le lendemain, nous étions un groupe d’officiers de la France Libre dans un bistrot, quand éclate, pour une raison probablement futile, une bagarre avec des militaires australiens. Réfugiés derrière le bar, nous envoyons les bouteilles à la tête des assaillants jusqu’à ce qu’une patrouille de la Military Police vienne mettre un terme au combat en emmenant tout le monde au poste. Ils découvrent alors que parmi leurs prisonniers figure un général, Monclar, qui nous prêtait main-forte. Tout le monde est libéré.

Ceux d’entre nous qui sont affectés au 1er régiment d’artillerie vont rejoindre Damas, en Syrie, le 27 décembre 1941.