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La guerre est finie

 


Après une période de repos bien méritée, le 2 avril, le groupe franchit le Rhin à Gemersheim en profitant de la tête de pont fraîchement établie ; suivent des combats, notamment à Karlsruhe, Pforzheim, Berghausen, Königsbach et Waldrennach. La poursuite d’un ennemi désormais en pleine déroute continue le long du lac de Constance avant d’entrer en Autriche.

Le 2 mai, Bregenz est occupée et les commandos continuent leur progression sur la route de l’Arlberg. Le 8 mai, la capitulation de l’Allemagne est annoncée officiellement, et pour bien marquer que l’avance extrême a été réalisée par le groupement de choc, le colonel Gambiez demande que les couleurs soient hissées à l’entrée du col de l’Arlberg par le bataillon de choc et les commandos de France.

Les pertes totales du groupe de commandos pendant toute la campagne se sont élevées à 134 tués, dont 25 officiers, et 293 blessés, dont 30 officiers. Des tombes ornées d’une simple croix blanche où figure la mention « Mort pour la France » jalonnent, nombreuses, les milliers de kilomètres parcourus. Dans notre progression à travers l’Allemagne, nos rapports avec les habitants ne posent aucun problème ; ils ont évidemment compris que la guerre est perdue et, lors de nos rencontres, ils nous accueillent d’une façon très détendue, quasiment comme si nous étions des alliés !

Mais bien que les combats soient finis, la guerre devait faire une nouvelle victime, et de la façon la plus stupide. Dans un hangar au bord d’une piste, un de nos hommes s’est installé dans le cockpit d’un Messerschmitt et a commencé à tripoter au hasard tous les boutons. Quand il a appuyé sur celui qui commandait le siège éjectable, il a été projeté en l’air contre le toit du hangar où il s’est fracassé le crâne.

Quant à moi, je reçois le commandement de ce qui reste du 1er commando et je prends mes quartiers d’occupation à Bodnegg, en Forêt-Noire, à quelques kilomètres au nord de Friedrichshafen, sur le lac de Constance. Je m’installe dans la maison du Burgmeister, sur la place du village bordée d’un côté par la mairie et, de l’autre, par l’auberge qui va nous servir de mess. Le maire, nous l’apprendrons plus tard, sera fusillé par les Grecs pour crimes de guerre.

Le lendemain de notre arrivée, la Burgmeisterin me propose d’envoyer son fils dans la forêt voisine pour me rapporter des mûres ou des myrtilles, mais il lui faut un laissez-passer. Flairant, je ne sais pourquoi, quelque chose de louche, je demande à un des sergents de suivre le gamin sans se faire voir. A son retour, confirmant mes idées, il rapporte que l’enfant a déposé un panier dans une cabane pour en ressortir avec le panier plus léger. Je rassemble donc une section. Nous entourons la cabane et envoyons une salve de FM au-dessus ; la porte s’ouvre et trois soldats allemands en sortent les bras en l’air. Nous les ramenons au village. Je rassemble les habitants sur la place et fais traduire mes remerciements à la Burgmeisterin pour nous avoir permis cette capture. Il fallait voir sa tête.

Deux jours plus tard, inspectant « mon » secteur, je tombe, dans une clairière, sur une très jolie maison avec tennis. Je me présente aux occupants, quatre femmes, quelques enfants et deux vieux messieurs. Ce sont des gens de la Ruhr, réfugiés là pour éviter les bombardements. Plusieurs parlent français et ils sont, bien entendu, antinazis ! Du coup, j’ai l’occasion de faire une très agréable partie de tennis. Baignades dans le lac, promenades à cheval, de vraies vacances. La guerre est bien finie en Europe.

Le temps passe ainsi sans histoire et je bénéficie enfin, le 15 juin, d’une permission. Comment décrire le bonheur de retrouver mon père, de retour de ses cinq années de captivité à Colditz puis à l’Oflag de Lübeck ; nous ne cessons de nous tenir les mains en essayant de raconter les années écoulées. Nous déambulons dans les rues, mon capitaine de père et son lieutenant de fils, salués par les quelques militaires que nous croisons.

Je retrouve également ma tante Sarah. Pendant toutes ces années, pendant tous ces combats, la citation de l’Oncle Mathieu, qu’elle m’avait remise en juin 1940, était restée pliée dans un étui de cellophane qui l’avait préservée des sables, de la poussière et de l’eau. Comme ma tante Sarah l’avait prédit, j’arborais une Légion d’honneur. De son côté, à travers toutes les vicissitudes de l’Occupation, elle avait conservé le tableau. Elle m’a demandé la citation, l’a dépliée avec soin en l’aplatissant bien de la main, et puis elle l’a remise à sa place avant de me rendre le tableau qui est maintenant, plus de soixante ans plus tard, toujours au mur près de moi.

Et surtout, je retrouve Monique, que je vais épouser le 25 octobre.

Enfin, j’ai l’immense orgueil de défiler le 18 juin 1945 sur les Champs-Elysées à la tête du 1er commando de France.

Mais la guerre continue avec le Japon et
nous apprenons que nous allons être envoyés
en Indochine pour y être parachutés. Nous bénéficions de permissions avant ce départ et j’en profite pour aller à Londres, le 14 août, pour
rendre visite aux parents de Moïra. Le lendemain on annonce qu’après avoir reçu des bombes
atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, le Japon
a capitulé. Emporté par une foule immense,
j’arrive devant Buckingham Palace où le roi
et la reine apparaissent au balcon sous les acclamations de leur peuple.

La guerre est bien finie et je suis vivant.

Je serai démobilisé le 9 novembre 1945.