C’est donc en célibataire que j’ai commencé mon mois de novembre. Je gardais la tête haute même si chaque soir je me dépêchais de rentrer chez moi pour m’enfouir la tête dans l’oreiller et pleurer un bon coup, de rage autant que de chagrin. C’est seulement après avoir fait ça que j’arrivais à fonctionner normalement. Le pire, c’était chanter : chaque fois que j’essayais de chanter une chanson qui parlait d’amour, de jalousie ou de douleur, je me mettais à pleurer. Je n’avais jamais remarqué combien il y en avait, de ces chansons ! Brusquement, il me semblait que toutes les paroles me touchaient personnellement, étaient le reflet de ce que je ressentais, et je n’arrivais qu’à chevroter comme une vieille femme et cette « faiblesse » m’enrageait. Je voulais parler à Renaud, lui dire que je m’excusais une ultime fois, mais je n’arrivais simplement pas à être certaine que j’avais réellement tout imaginé. J’attendais de voir les nombreuses filles lui tourner autour comme des mouches et aussitôt que l’une d’elles le faisait, Camille s’empressait de me révéler quelque chose de vraiment méchant à son sujet. Si elle ne trouvait rien, elle inventait, ce qui était facile pour elle et me faisait un bien énorme.
Mon amie n’arrêtait pas d’ailleurs de me répéter qu’on était faits l’un pour l’autre, mais que Renaud ne le savait tout simplement pas encore. J’arrivais donc à me dire que notre « pause » n’était que temporaire. Après tout, nous étions toujours amis, lui et moi, même si je trouvais parfois pénible de le voir, à l’école ou dans un party.
À peine quelques jours après notre dispute, nous avons recommencé à nous parler, de tout et de rien, mais certainement pas de ce qui s’était passé. Je n’étais pas encore prête à admettre mon erreur, et il n’était pas prêt à me la pardonner. J’en vins à me convaincre que nous n’étions véritablement qu’en « break » même si je savais que bien souvent ce terme ne sert qu’à déguiser une rupture permanente. Alors, je laissais le temps passer en en profitant pour reprendre les cours de chant que j’avais un peu délaissés pour cause de boule dans la gorge, et c’est là que j’ai recommencé à jouer de la guitare, essayant d’appliquer toute la technique que j’avais apprise à ce que j’avais envie de jouer.
Ma mère était étonnée mais ravie. Elle essaya bien de me poser des questions sur ce qui se passait — elle me devinait vraiment trop facilement —, mais j’arrivai assez habilement à éviter toute discussion sérieuse. Sauf que pour la guitare, comme pour le reste, c’était peine perdue : je n’aboutissais à rien. Je réalisais que je n’avais aucune imagination musicale et ça me frustrait, mais, faute d’avoir autre chose à faire, je continuais tout en ayant l’impression de tourner en rond.
Du côté social, les chances de voir Renaud étaient presque plus fréquentes que du temps où nous sortions ensemble. C’était l’automne et les partys se multipliaient. Il nous arrivait de nous retrouver, chez Camille bien souvent, à une quinzaine d’amis ou plus. Camille espérait, pas très subtilement, provoquer un rapprochement entre nous et profitait de chaque occasion qui se présentait. Renaud était bien gentil avec moi, mais sans plus. Il n’était certainement pas froid, mais pas chaleureux non plus. Je me surveillais constamment, pour être certaine de ne pas dire de conneries ou d’agir bizarrement, mais, plus que tout, je trouvais que nous perdions du temps. Il me manquait plus que ce que je n’aurais jamais osé lui admettre, et me demandais combien de jours, de semaines, il faudrait voir passer avant que nous soyons à nouveau réunis. Moi, j’aurais bien réglé ça sur-le-champ ! À force de l’observer de loin, je me rendais bien compte que, non, je n’étais pas toujours d’accord avec ce qu’il disait ou faisait ; oui, je trouvais qu’il avait un sale caractère, qu’il s’emportait souvent pour rien, qu’il jugeait tout le monde trop vite et qu’il était toujours certain d’avoir raison sur tout. Sauf que moi, je connaissais son « autre côté », celui qui était doux, gentil, celui qui me manquait le plus. J’avais envie qu’il m’embrasse, qu’il me caresse, j’avais envie de faire l’amour avec lui, je voulais vivre ma première fois avec lui. Mes premières fois, de toutes sortes de choses. Même si je ne lui faisais pas totalement confiance au chapitre de la fidélité, je me sentais bien avec lui. Je savais que d’autres gars se réjouissaient de notre rupture et ça me flattait, mais aucun autre ne m’intéressait autant que Renaud.
Il était évident que de son côté, aussi, plusieurs filles n’attendaient qu’un signe de sa part pour me remplacer à ses côtés. Je les voyais, à l’école, qui essayaient de se rapprocher de lui, se rendant ridicules en jouant au ping-pong ou en faisant plein de pirouettes en espérant qu’il les remarque. Cependant, les paroles qu’il m’avait souvent dites pour me rassurer semblaient vraies puisqu’il ne semblait en préférer aucune en particulier. Tout ça me fit réaliser à quel point j’avais peut-être eu tort de douter de lui. Je l’entendais encore me dire :
— Arrête donc, Carolanne. Elles m’intéressent pas, ces filles-là. Elles passent un gars après l’autre, comme si elles cherchaient un petit chien qui va se pâmer sur elles. J’ai pas de temps à perdre avec ça !
Et comme s’il trouvait ça drôle, il ajoutait :
— Une fille, c’est assez compliqué de même, j’en voudrais pas une deuxième !
Ce genre de remarque me mettait hors de moi. Peut-être que Renaud n’était pas intéressé aux autres filles, mais il était clair qu’elles l’étaient, elles, intéressées à lui. Je les connaissais trop bien, ces filles qui ont absolument besoin du défi de séduire, tout le temps, et surtout le chum des autres. Celles qui sautent au lit dès le premier soir et qui sont prêtes à tout pour agrandir leur collection de conquêtes. Elles se seraient volontiers glissées dans son lit si je les avais laissées faire ! Camille et moi les aurions tuées une après l’autre. Grrrrrr.
Je n’étais pas folle. Je savais bien que plus un gars est hot, plus il est facile de le perdre. J’avais donc fermement l’intention de reconquérir mon Renaud. Il était à moi, c’était tout. Tout ce dont nous avions parlé ensemble ne pouvait s’effacer, à commencer par faire l’amour. Nous allions découvrir ça ensemble, lui et moi. Il m’avait avoué, presque comme s’il en avait honte, que je serais aussi sa « première ». Je ne savais pas pourquoi, mais ça semblait l’embarrasser comme s’il pensait qu’il devait tout savoir, tout connaître, tout maîtriser. Moi, même si cette révélation m’avait d’abord étonnée, elle faisait bien mon affaire ; je me sentais bien plus à l’aise avec quelqu’un d’aussi inexpérimenté que moi ! Et puis, il fallait bien commencer quelque part. Il m’avait fait jurer de ne le dire à personne, surtout pas à ses amis. Je n’aurais pas fait ça. Je savais qu’il détestait ne pas être parfait, ne pas être en contrôle. Ce que j’avais redouté, alors que nous étions ensemble, était qu’il lui prenne l’idée d’aller chercher de l’expérience ailleurs, avec une autre fille. Nous n’étions plus ensemble, mais je craignais exactement la même chose. Pas parce que je me sentais moins attirante qu’elles, simplement parce que je voulais le garder pour moi toute seule et qu’il n’avait besoin de personne d’autre : je pourrais lui donner, le moment venu, tout ce qu’il voulait. Mais moi, je le ferais pour les bonnes raisons, par amour pour lui, pas juste pour avoir l’air hot. En tout cas. Depuis que nous ne sortions plus ensemble, ces filles ne m’avaient plus dans les pattes, et Renaud était libre de faire ce qu’il voulait. J’étais donc d’autant plus fière de constater qu’il ne mordait pas à l’hameçon ou en tout cas, pas ouvertement. Il devait attendre, lui aussi, le bon moment pour que nous reprenions les choses là où nous les avions laissées. Je n’avais donc qu’à être patiente ; en attendant, je m’occupais avec Camille à parler dans le dos des filles que je détestais le plus. Fallait bien passer le temps ! Puis, Cassandra est arrivée dans le décor.