J’ai dormi presque quinze heures cette nuit-là. Quand je me suis réveillée, j’avais mal partout, j’étais aussi crevée qu’en me couchant, sinon plus. J’avais une boule permanente dans la gorge qui m’étouffait, et ma colère envers Camille était toujours aussi vive.
Malgré mon manque d’appétit, je picorai par principe, pris une longue douche chaude et me préparai soigneusement avant d’aller chez Camille. Cette rencontre ne serait pas très plaisante, mais il fallait qu’elle sache ce qu’elle avait fait. Je me doutais bien que la nouvelle avait déjà dû faire un bon bout de chemin et j’avais besoin de savoir comment elle se sentait dans tout ça. J’espérais vraiment qu’elle serait mal à l’aise, qu’elle regretterait, qu’elle admettrait que j’avais eu raison lorsque je l’avais confrontée la veille, mais j’en doutais. Camille n’admettait jamais le moindre tort et regrettait encore moins. Il était cependant temps qu’elle se fasse mettre le nez dans ce qu’elle avait provoqué.
J’espérais, sans pourtant y croire, qu’elle manifeste au moins un peu de remords, qu’elle réalise qu’elle était allée trop loin. Je ne voyais pas comment elle pourrait réparer un peu le tort qu’elle avait fait, mais au moins, ça prouverait qu’elle n’était pas aussi odieuse que je le croyais. Encore une fois, en route pour chez elle, je me surpris à me croiser les doigts.
Elle n’était pas là. Sa mère me dit qu’elle était allée au parc. M’y rendant à mon tour, je la vis, installée à une des tables de bois avec Aurélie et plusieurs autres filles. En me voyant, elle redressa les épaules comme si elle voulait se montrer forte et brave et, surtout, sans reproche. Je m’approchai lentement mais fermement, la colère provoquant un bourdonnement constant dans mes oreilles. Je m’efforçais de garder une certaine maîtrise de moi-même. Je savais que si je m’énervais et que je lui sautais au visage, les chances qu’elle admette ses torts passeraient de minces à totalement nulles.
Je me plaçai devant elle et décidai de la laisser parler la première.
— Quoi ? As-tu quelque chose à me dire de plus intelligent qu’hier ? J’comprends pas ce que tu fais ici. Me semble que t’es trop bonne pour me parler, à moi…
Je restai de glace, indiquant simplement l’enceinte déserte de la piscine d’un petit coup de tête pour voir si elle résisterait à la tentation de parler de ce qui s’était passé.
— T’es pas au courant ? Pourtant, Miss Parfaite devrait tout savoir. En tout cas. Y a vraiment toutes sortes d’histoires ce matin. La piscine est fermée. Y avait des policiers tantôt. Il paraît que Renaud est à l’hôpital. Y en a qui disent qu’il s’est fait taper dessus par une gang de la ville parce qu’il les aurait empêchés d’aller se baigner tard hier soir…
Ah, c’était donc ça, la version « officielle » ? Wow, quelle belle déformation des faits ! Je pris mon air le plus sarcastique et l’interrogeai, exagérant ma surprise pour qu’elle comprenne bien que je ne croyais pas un mot de ce qu’elle racontait :
— Ah, ouais ? Pour vrai ? Renaud est correct, j’espère !
Elle me dévisagea avant de continuer :
— Je sais pas, mais apparemment, toi oui. Allez, crache. C’est quoi qui se passe ?
— Je sais pas encore si Renaud est correct, mais j’avais l’intention d’aller à l’hôpital tantôt. Tu me demandes c’est quoi qui se passe ? Vraiment ? C’est sûr que t’en as pas la moindre idée, hein ?
Elle s’était levée, et nous nous regardions dans les yeux, comme deux cow-boys en duel se demandant qui allait tirer en premier. Ne manquait que la petite musique d’ambiance à l’harmonica. Je détestai Camille de tout mon être et j’eus honte d’avoir été son amie pendant si longtemps. Encore la honte. J’en avais assez.
J’aurais préféré lui parler seule à seule, mais les autres filles restaient là, en attente de ce qui allait se passer. Je leur donnai à toutes une chance :
— Camille, j’aimerais ça qu’on se parle, mais juste nous deux.
Long silence. Puis elle répondit :
— Pourquoi ? On est bien, ici ! Comme ça, si t’as envie de me traiter de menteuse, tu vas pouvoir le faire dans ma face cette fois-ci, et devant des témoins, en plus !
— J’essayais de protéger Renaud, Cam. Je voulais qu’il sache ce qui se passait, que c’était toi qui avais ouvert ta grande trappe et c’est pour ça que je suis venue ici hier soir, pour le prévenir, mais surtout pour lui dire que c’était toi qui avais tout gâché.
— Hey, j’ai rien gâché pantoute ! J’te l’ai déjà dit : c’est lui qui a le problème, pas moi !
— Peut-être, mais c’était pas à toi de le raconter à tout le monde, son « problème » !
— Ah, arrête donc, je l’ai pas dit à tout le monde, reviens-en. La façon que t’en parles, c’est comme si je l’avais même dit à ses parents !
— Tu penses qu’ils le sauront pas, ses parents ? Tu penses que ce qui se passe sur Facebook, ça reste juste entre nous ? T’es encore plus conne que je pensais ! La preuve, c’est qu’ils étaient une gang de gars à l’attendre, Renaud, hier soir, et qu’il aurait pu mourir ! Te rends-tu au moins compte de ça ?
— Hey, là, t’exagères. Ça a pas rapport ! C’était même pas des gars d’ici !
— Franchement, Camille, on dirait que tu fais exprès pour être stupide. Renaud, il les connaissait, les gars qui lui ont sauté dessus comme des sauvages. Et ça, ils l’ont pas fait parce qu’ils voulaient se baigner dans la veillée, crois-moi ! Je les ai pas vus, mais je les ai entendus et ils savaient. Je sais pas si c’était des gars de l’école, du football ou les deux, mais ils voulaient le tuer, Camille, y aurait pu MOURIR et C’EST DE TA FAUTE ! Comment tu te sens, là, hein ?
Elle ne dit rien. J’étais essoufflée, j’avais presque crié à la fin. Puis elle retourna s’asseoir et je crus que mes paroles l’atteignaient enfin, mais je me trompais. Elle ramassa son sac, fit signe aux autres filles qui se levèrent elles aussi et me dit :
— Reviens-en, Carolanne. C’est pas de ma faute si Renaud, c’t’une tapette. Peut-être qu’il y en a d’autres qui s’en sont rendu compte avant nous autres, avant toi. Je sais pas vraiment c’est qui la plus conne entre nous deux, mais j’te jure que moi, si mon chum était gai, je l’saurais avant tout le monde. Tu devais être vraiment plate au lit pour qu’il se revire vers les gars, pis là, bin y est trop tard pour qu’il change d’idée. C’est tout ce que j’ai à dire, pis achale-moi pus.
Elle partit, ses fidèles amies à sa suite. J’étais frustrée. J’avais été tellement en colère, et j’en avais encore tellement à lui dire ! J’aurais peut-être une autre chance de me vider le cœur complètement.
En téléphonant à l’hôpital un peu plus tard, ma mère apprit qu’il me serait impossible de voir Renaud avant quelques jours puisque seulement les membres de sa famille immédiate avaient la permission de lui rendre visite. Je patientai tant bien que mal. J’avais hâte de le voir, mais en même temps, j’éprouvais une frousse terrible à cette idée. Je ne savais pas trop ce que j’allais lui dire ni comment il réagirait et encore moins ce que je ferais s’il refusait de me voir ou s’il devenait tellement agité ou en colère qu’on me demanderait de partir. Je n’avais pas d’autre choix que de voir en temps et lieu et d’improviser au besoin. J’appris enfin, le vendredi, que je pouvais aller le voir.
Ma mère m’accompagna jusqu’à l’hôpital. Elle était déchirée entre son désir de monter à son étage au cas où le père de Renaud essaie encore de m’accuser de quelque chose et celui de rester à l’écart pour ne pas avoir à le confronter. Elle voulait me protéger, mais n’était pas certaine d’être capable de rester suffisamment calme si la situation se détériorait. Elle comprenait bien qu’il soit dans un état lamentable ; ce qui arrivait à son fils rendrait fou n’importe quel parent. Mais avec le père de Renaud particulièrement, elle était incapable de faire preuve de compréhension. C’était viscéral, et le fait qu’elle en sache plus sur Renaud que le propre père de celui-ci la mettait mal à l’aise. Elle s’en voulait de réagir aussi fortement, mais je réussis à la convaincre de m’attendre au rez-de-chaussée tandis que je me rendais, toute seule et tremblante de nervosité, à l’étage où se trouvait la chambre de mon ami.
Sa mère sortait justement et prit le temps de me serrer dans ses bras avant de me faire un bref bilan. Elle m’apparut vieillie, amaigrie ; elle n’en menait pas large et c’était bien compréhensible. J’appris donc que Renaud était éveillé mais incommodé, qu’il avait mal et, surtout, qu’il ne parlait pas beaucoup. Je fis un pâle sourire en disant :
— Ça, c’est pas nouveau…
Elle me rendit mon sourire et poursuivit :
— Il va aller de mieux en mieux. Les médecins disent qu’il a été chanceux dans sa malchance. Il reprend des forces chaque jour, mais je pense pas qu’il va pouvoir commencer le cégep cet automne. Le football, comme tu t’en doutes, c’est fini, au moins pour cette année… La police est venue plusieurs fois, mais il refuse de dire ce qui s’est passé. Tu as dit qu’il les connaissait, ceux qui lui avaient fait ça. Pourquoi il s’obstine tant que ça à se taire ?
Elle avait l’air de tellement souffrir ! J’aurais aimé la soulager d’un peu de cette douleur, mais je n’en avais évidemment pas la possibilité. Renaud n’était pas assez naïf pour croire que, s’il ne disait rien, les gars ne dévoileraient pas son secret et qu’il pourrait reprendre une vie normale. Il savait que ça ne se passerait pas ainsi et que sa « vie normale » était bel et bien terminée. Il ne voulait pas faire accuser ses agresseurs et risquer de subir encore pire. C’était assez compréhensible, dans les circonstances, même si je n’étais pas d’accord. Sa mère reprit :
— Robert a parlé au coach de football tout à l’heure. J’imagine que les gars vont tous venir le voir, alors t’as bien fait de venir de bonne heure. Je suis contente que tu sois là, ma belle, ça va lui faire du bien.
Je n’allais pas lui dire que selon moi, la visite se ferait rare ; ça aurait suscité beaucoup trop de questions auxquelles je n’étais pas prête à répondre.
— Je m’en allais rejoindre Robert à la cafétéria. On a passé la journée ici et on a oublié de manger…
— Allez-y, j’vais rester ici, à moins que Renaud soit trop fatigué ou qu’il ait pas envie de me voir…
Je la saluai, pris mon courage à deux mains et entrai dans la chambre.
On aurait dit qu’un train était passé sur le corps de Renaud. Il était tout enflé, tout cabossé, son œil, même nettoyé, était encore très gonflé et presque complètement bouché. Il avait des bleus partout, des points de suture à deux endroits sur le visage, ses deux bras étaient couverts de bandages et d’attelles et il avait une jambe suspendue au-dessus de son lit. Je pris place sur la chaise tout près de lui et attendis qu’il réagisse. Sans tourner la tête, il me dit :
— Je savais que tu viendrais.
— T’as mal ?
— Oui, mais c’est pas si pire, ils me donnent de quoi qui me fait dormir. Ce qui me dérange le plus, c’est que j’ai trop de temps pour penser. Je suis tellement tanné de penser, tu peux pas savoir…
Il était beaucoup plus éveillé que ce à quoi je m’étais attendue. J’étais terriblement mal à l’aise.
— Renaud, je sais pas quoi dire. Je te jure que c’est pas de ma faute…
— Je l’sais, Caro. T’as essayé de m’avertir, j’ai lu ton message. Mais je m’attendais quand même pas à ça. Merci d’avoir appelé la police. T’as eu pas mal de guts…
— Ah, du guts, je sais pas. J’aurais aimé mieux réussir à tout empêcher. C’était qui, Renaud ? Faut que tu le dises à la police !
— Es-tu malade ? Regarde dans quel état je suis, Caro. Penses-tu vraiment que je vais dire un seul mot à quelqu’un ? Il faisait noir, j’ai pas bien vu, pis y ont commencé à me taper dessus. C’est tout ce que je sais. Et je t’en supplie : je sais pas ce que t’as vu ou entendu, mais va pas dire que je les connaissais !
— Y est trop tard, Renaud, je leur ai déjà dit ! J’vous ai entendu parler avant qu’ils commencent à te frapper… J’étais pas mal énervée et je voulais qu’ils se fassent prendre !
— C’est pas de ta faute. Ça aurait peut-être été mieux qu’ils m’achèvent.
Je sursautai violemment.
— Voyons, Renaud ! T’es pas sérieux. T’as mal là, mais ça va aller. Tu vas être comme neuf dans pas grand temps !
— Comme neuf, ouais, peut-être. Mais tout va changer, pus rien va être pareil. J’suis cuit, Caro, fait à l’os. J’te gage que tout le monde le sait. Y manque juste mes parents pis mon frère, et c’est juste une question de temps.
Je savais qu’il avait raison et je ne trouvai rien à dire.
— J’étais pas capable de te le dire, Caro. J’étais même pas capable de me le dire à moi-même. D’autres l’ont fait à ma place, faut croire.
— J’voudrais tuer Camille, Renaud. Elle réalise même pas ce qu’elle a fait !
— Non, sûrement pas, pis je suis certain qu’elle voulait pas que ça aille aussi loin. Je peux comprendre qu’elle m’en voulait. Je comprends pas que tu m’en veuilles pas plus que ça, toi…
— Je t’en ai voulu, Renaud, mais ça, c’était hier. C’est pas comme si t’avais fait exprès…
— J’ai tellement essayé d’oublier ça, de faire comme si c’était pas vrai. Pis je pense que j’aurais continué de même longtemps, sauf que là je peux pus et je sais juste pas ce que je vais faire.
— Tu penses pas que tu peux en parler à tes parents ou à quelqu’un d’autre ? Me semble qu’il y a du monde pour ça, non ?
— Pff. Bin oui. Ils vont me dire de me tenir la tête haute, d’oser dire comment je suis. Mais je suis pas une maudite folle de tapette, Caro ! Même toi, tu t’en doutais pas !
— Arrête, c’est pas nécessaire d’en faire un cas non plus. Me semble que tu pourrais juste vivre ta vie…
— Ah oui, quelle vie ! J’en ai pus de vie, Caro. De toute manière, je pense que mon père va s’en occuper, de ça. Si y me tue pas, y voudra pus jamais me regarder en pleine face. Pis tous les autres, au village, comment tu penses qu’ils vont me traiter ? Peut-être que devant moi ils diront rien, mais aussitôt que je vas avoir le dos tourné, j’vas devenir le fif du village ! C’est sûr que si je veux avoir la paix, va falloir que je me pousse. Le cégep, c’est bin beau, mais là, c’est d’un appart que j’ai besoin, et le plus loin d’ici possible ! Fuck, j’étais tellement pas rendu là !
— Tu penses pas que t’exagères ?
Je disais ça tout en sachant qu’il avait au moins un peu raison. Même si la plupart des gens arriveraient à ne pas en faire un cas, d’autres ne pourraient pas s’empêcher de porter un jugement, de le harceler.
— Sais-tu ce qui me fait le plus mal ? J’en peux pus de penser à ça, j’ai vraiment trop de temps ici. Ça me revient tout le temps dans la tête : moi, couché dans un lit d’hôpital parce que j’me suis fait taper dessus. Sais-tu combien j’en ai fait chier, moi, du monde ? J’ai envoyé personne à l’hôpital, mais ça aurait pu. Je repense au p’tit cave de Marc-Antoine, à Cassandra, à Ricardo et à d’autres. Je les ai fait suer comme tu peux pas t’imaginer. Le gros tough. C’est peut-être moi que j’étais pus capable d’endurer quand je leur bûchais dessus. Ça donnait pas grand-chose, ça changeait rien, faque je recommençais. J’ai l’air smatte là, hein ? Y était peut-être temps que ça m’arrive, à moi aussi. J’pas sûr que je mérite d’avoir une chance anyway.
J’entendis des éclats de voix venant de l’extérieur. Deux hommes discutaient un peu fort, sans que nous puissions bien les comprendre. Je regardai Renaud, mis ma main sur la sienne et l’embrassai sur la joue. Je ne m’attardai pas sur les larmes qui coulaient de ses yeux, car je savais qu’il ne voudrait pas que je les aie remarquées.
En sortant, je reconnus tout de suite l’entraîneur de Renaud et compris qu’il se passait quelque chose. L’entraîneur essayait de rester calme :
— Robert, j’ai rien de plus à te dire, juste que j’entends des drôles de rumeurs dans le vestiaire. Je pensais t’en parler moi-même avant que tu l’apprennes de quelqu’un d’autre. Je sais pas si ça a un lien avec la raison pour laquelle Renaud est ici, mais tout ce que je sais, c’est que les gars viendront pas. Quand je leur ai dit que Renaud était out pour le reste de la saison, au lieu de me poser plein de questions, ils m’ont juste regardé, comme si ça les surprenait pas.
— C’est clair que c’est eux autres d’abord qui ont mis mon gars à l’hôpital ! Pis toi, tu fais rien ? T’as besoin de quoi de plus pour réagir ? Qu’est-ce qui leur a pris ?
— Si la police vient les voir et leur pose des questions, j’vas la laisser faire sa job. C’est pas à moi de me mêler de ça.
Des infirmiers s’approchèrent des deux hommes et leur demandèrent de respecter le silence. L’entraîneur de Renaud se dirigea vers les ascenseurs, et Robert emprunta un long corridor et disparut. La mère de Renaud était restée dans un coin et elle se tordait les mains ; elle avait l’air d’une petite bête pitoyable. Elle était pâle et je crus qu’elle allait tomber dans les pommes. Je m’approchai d’elle et la fit asseoir sur un fauteuil. Je ne savais pas quoi faire ni où me mettre. Je lui offris un verre d’eau, mais elle ne me répondit pas. Elle regardait droit devant elle, le visage sans expression. Elle faisait vraiment pitié.
Je n’avais pas envie qu’elle me parle, je ne voulais pas vraiment savoir ce à quoi elle pensait. Mais j’étais là et elle s’accrochait à moi comme à une bouée de sauvetage :
— Je comprends pas. Je comprends rien. Y a des p’tits gars qui disent que Renaud… que mon Renaud est homosexuel.
Elle ne dit rien de plus et continua de fixer le mur devant elle. Puis, avec une lenteur incroyable, elle se tourna vers moi et j’aurais voulu disparaître. Dans son regard, je pouvais lire toute la tristesse du monde. Elle poursuivit :
— Est-ce que ça se peut, Carolanne ? Non, hein ? T’es sa blonde, tu dois bien savoir ! Non, c’est pas possible. Pas mon bébé. Dis-moi que ça se peut pas ?
Je ne pouvais pas répondre. Ce n’était pas à moi de le faire. Je préférai détourner sa question :
— Vous savez comment y en a qui disent n’importe quoi. Laissez faire ça pour tout de suite. L’important, c’est que Renaud aille mieux, non ?
Elle se leva et partit aux toilettes. Je retournai dans la chambre de Renaud et lui racontai ce qui venait de se passer. Il ferma son œil et je vis des larmes fraîches couler le long de ses joues. Je pleurai aussi, pour lui. Ce qui l’attendait ne serait pas facile, loin de là, mais je ne pouvais m’empêcher de croire qu’il arriverait à passer au travers. Je ne pouvais certainement pas non plus le condamner pour autant. Probablement parce qu’il avait du remords pour ce qu’il avait fait subir à d’autres à cause de son malêtre à lui. Un peu tard, mais du remords quand même, ce qui n’était malheureusement pas le cas de tout le monde. Au bout d’un moment, il me serra la main et me dit :
— Je pense que t’es mieux de partir. Ça risque d’être un peu laid ici. J’imagine que mes parents vont me poser plein de questions. Je suis pas prêt à leur dire grand-chose, mais je sais pas si j’ai le choix…
— Justement, je peux rester… Ça pourrait être plus facile, non ?
— Non, merci. C’est vraiment fin de ta part, mais faut que je m’arrange tout seul, et je sais pas pantoute ce qui va se passer. Peut-être qu’avec un peu de chance, ils vont me laisser tranquille encore quelques jours, le temps que je prenne des forces. J’suis fatigué, vraiment brûlé.
Je l’embrassai une dernière fois et sortis. J’avais l’impression que mon cœur pesait une tonne. Je ne croisai pas la mère de Renaud, et c’était tant mieux.