À la fin du mois de janvier, le concours du poste de radio entrait dans une deuxième ronde et faisait jouer de nouvelles chansons des groupes finalistes, dont Existence. Cette seconde chanson, Cœur perdu, était aussi bonne que la précédente ; je ne me souvenais pas l’avoir déjà entendue avant. Elle devait être toute nouvelle. Comme l’autre, les paroles m’atteignirent de plein fouet, certaines réveillant ma culpabilité et ma honte, d’autres me faisant me demander si Cassandra pourrait, un jour, me pardonner. D’autres encore représentaient Renaud dans la douleur de ce qu’il devait confronter et le désespoir qui l’avait presque perdu :
L’âme écorchée, j’m’en suis voulu, je voulais en finir
Trop amochée pour voir qu’la vie pourrait encore m’sourire
J’ai cru que la douleur serait ma seule, ma plus fidèle amie
Qu’elle ne me quitterait jamais et empoisonnerait chaque jour de ma vie
Mais là, quand je les espérais plus
Des anges m’ont fait comprendre que j’avais tant d’choses à apprendre
Et que, si j’voulais un jour continuer
Faudrait que j’apprenne à m’pardonner, à m’pardonner…
Tout ce que nous, Camille, moi et tous les autres, avions fait subir à Cassandra revenait me hanter presque chaque jour. Mais tandis qu’autrefois je blâmais Camille, prétendant qu’elle m’avait influencée, j’admettais enfin complètement que j’étais aussi coupable qu’elle sur tous les plans : j’avais voulu blesser Cassandra et j’y étais parvenue. Que Camille ne ressente aucun remords, aucun regret, je n’y pouvais rien. Elle aurait à vivre avec sa propre conscience. Moi, par contre, je n’en pouvais plus et je n’arrivais pas à croire que j’avais reculé chez Cassandra, ce soir-là, si près du but.
C’est Renaud qui a proposé que nous assistions au spectacle du concours de la station de radio. Ma mère avait accepté, comme elle le faisait de plus en plus, de nous prêter « ma voiture » ; je ne pouvais pas la conduire seule, n’ayant encore que mon permis d’apprenti conducteur, mais pour Renaud il n’y avait pas de problème. J’étais contente qu’il ait eu envie de sortir. C’était trop rare. L’occasion me semblait parfaite, ne serait-ce que pour voir Existence ; de plus, il était vraiment tentant d’aller dans une grande ville, au milieu d’une foule où les chances que quelqu’un connaisse Renaud et gâche notre soirée étaient minces.
Nous avions toujours une relation privilégiée, lui et moi. Nous étions plus près que si nous étions des amoureux, même des amis, car c’était encore plus que ça. Souvent, nous marchions jusqu’au parc tous les deux, tard le soir, en nous collant comme si nous étions un couple ou en nous tenant par la main. Au début, il n’osait pas : il avait peur de me blesser, encore, en me faisant voir des petits morceaux de quelque chose d’impossible, une relation amoureuse. Je le rassurai que je n’avais plus ce désir-là, que ce rêve avait fait place à quelque chose de bien plus global. Ce que je vivais avec lui allait bien plus loin et je l’accueillais avec joie. Je ne ressentais pas de désir pour lui, mais énormément d’affection, et c’était la même chose pour lui.
Nous sommes donc allés voir le spectacle, main dans la main. L’auditorium où se tenait l’événement était plein à craquer. Plusieurs bannières ornées des noms des groupes finalistes flottaient ici et là, dont plusieurs pour Existence, mais nous ne voulions pas nécessairement nous joindre à un groupe en particulier. Être tous les deux anonymes au beau milieu de la foule nous convenait amplement. L’atmosphère était à la fête. Chacun des quatre groupes finalistes voulait terminer gagnant, évidemment. Les deux premiers jouèrent leurs pièces et sortirent de scène sous une tempête d’applaudissements. Existence monta sur scène et je regardai Sarah-Jeanne. Je souriais. J’étais réellement heureuse pour elle et lui envoyai mes pensées les plus positives pour sa prestation. Ça me fit sourire encore plus. Cette fille ne se doutait même pas que j’existais, et voilà que je croyais avoir une quelconque influence sur le déroulement de la soirée. J’étais devenue une vraie groupie !
Le groupe joua ses deux chansons et, plusieurs fois, je sentis la main de Renaud serrer la mienne. À la fin, il me prit dans ses bras et me serra si fort que j’étouffai. L’émotion était à son comble tant pour moi que pour Renaud et je ne fus pas étonnée de sentir ses larmes couler librement. Le dernier groupe termina enfin le spectacle. Il ne restait plus qu’à annoncer les gagnants. Mes doigts croisés me faisaient mal tellement je les serrais, mais c’était pour une bonne cause.
Nous n’avons pas été tellement étonnés de voir Existence remporter la première place. C’était fantastique ! Ça voulait dire qu’ils allaient pouvoir enregistrer leurs chansons et faire une série de spectacles. À partir de là, tant de belles opportunités s’ouvraient à eux ! Les juges venaient d’annoncer la bonne nouvelle et tous les membres du groupe bondissaient de joie en s’embrassant. Il était évident que Sarah-Jeanne et le batteur étaient amoureux, ça sautait aux yeux, et pas seulement à cause de la façon dont ils s’embrassaient. Le batteur regardait sa chanteuse avec tellement d’étoiles dans les yeux que c’en était touchant, et c’était réciproque. J’eus un drôle de pincement en les voyant, de la nostalgie, sans doute.
La claviériste et la chanteuse firent signe, à trois filles qui étaient dans la foule, de venir les rejoindre. Parmi elles, à ma grande surprise, se trouvait Cassandra.
Il ne m’a fallu qu’une fraction de seconde pour la reconnaître. Renaud, lui, n’avait eu aucune réaction jusqu’à ce que je lui dise :
— Regarde, Renaud, c’est Cassandra…
Nous ne comprenions pas ce qu’elle faisait là, mais ce n’était pas grave. L’important était qu’elle était entourée de gens qui semblaient lui vouer une amitié sincère puisque les trois filles qui étaient montées sur scène étaient au beau milieu de l’embrassade du groupe, comme si elles en faisaient partie, elles aussi. Mon sourire s’agrandit. J’étais vraiment heureuse pour elle. Renaud, lui, ne savait pas trop comment réagir : son premier instinct avait été de reculer dans son siège, comme s’il avait eu peur qu’elle le voie, ce qui était à peu près impossible vu la quantité de monde qui s’entassait dans l’auditorium. Je pouvais cependant le comprendre. Il y avait toujours cette foutue culpabilité qui nous suivrait tant et aussi longtemps que la situation demeurerait inchangée. Il fallait absolument que je me déniaise, et lui aussi, si nous voulions enfin mettre tout ça derrière nous et nous débarrasser de la honte.
Je demandai donc à Renaud de me conduire à mon cours de chant, la semaine suivante, comme il le faisait de plus en plus régulièrement. Sauf que cette fois, il y avait un autre item à l’ordre du jour. Après mon cours, il ne serait que huit heures ; c’était un soir de semaine, et je me dis qu’il y avait de bonnes chances pour que Cassandra soit chez elle. Renaud n’était pas certain d’être prêt, doutant qu’elle accepte de le voir. Je craignais la même chose, moi aussi, mais je ne pouvais plus retarder l’échéance. Je m’étais préparée depuis suffisamment longtemps et j’avais conclu qu’il valait mieux être totalement honnête envers elle. Le plus difficile serait de l’approcher. Si elle ne paniquait pas en me voyant — j’irais seule faire le premier contact, car j’étais à peu près certaine que de « montrer » Renaud mènerait tout droit à l’échec —, j’arriverais sans doute à lui faire comprendre que je n’étais là que pour m’excuser, que je n’avais rien d’autre en tête. Je l’espérais de tout mon cœur. Comme l’immeuble où elle habitait comportait une entrée commune munie d’un système d’interphone, il me fallait d’abord trouver une façon de me faire ouvrir la porte et d’approcher Cassandra si je voulais lui parler. J’eus une idée qui me sembla douteuse à première vue, mais que je décidai d’utiliser malgré tout puisque mon but, cette fois-ci, était louable.
Je me présentai donc à la porte de l’immeuble et sonnai. Mon cœur battait trop fort, mon ventre se tordait. Une voix d’homme répondit et demanda qui était là. Je répondis, la voix assurée :
— C’est Sarah-Jeanne, j’aimerais voir Cassandra !
La sonnerie retentit et je montai. J’arrivai devant la porte au moment où elle s’ouvrait sur une Cassandra souriante et vaguement étonnée :
— Saja ? Qu’est-ce…
Elle s’arrêta net et l’incompréhension envahit son visage d’un seul coup. Elle allait me claquer la porte au nez. Je me dépêchai donc de dire :
— Cassandra, j’aimerais vraiment ça te parler. Excuse-moi de m’être fait passer pour Sarah-Jeanne, mais j’avais peur que tu veuilles pas me voir si je disais vraiment qui j’étais, et j’aurais pas pu te blâmer. Je comprends que t’aies pas envie de me voir la face, mais je suis juste venue ici pour te faire des excuses. Trop tard, je sais bien, et encore une fois, tu peux me dire de me les mettre où je pense, mes excuses, c’est ta décision. Sinon, si t’es assez généreuse pour au moins me donner une toute petite chance, on peut aller marcher un peu…
J’avais tout déballé ça en quelques secondes à peine et je pouvais facilement lire l’indécision, l’étonnement et la méfiance dans son regard. Elle me regarda d’un air vraiment étrange en me faisant signe de l’attendre, puis elle revint avec son manteau et passa devant moi, se dirigeant vers l’extérieur.
Une fois là, elle tourna vers la droite et marcha, vite, tandis que je la suivais du mieux que je le pouvais. Arrivée au coin de la rue, elle s’arrêta et me fit face. Je ne l’avais jamais vue comme ça. La Cassandra qui était devant moi n’avait plus l’allure de la victime que nous l’avions forcée à être : elle avait l’air fâchée, se tenait droite et me regardait dans les yeux, l’air très sûre d’elle. Wow. Puis, elle me dit d’une voix claire recélant une colère mal contenue :
— Qu’est-ce que tu viens faire dans ma vie, même ici, Carolanne ? Je suis partie de chez ma mère pour tout oublier, pour avoir la paix. T’as besoin de pas être venue jusqu’ici pour me faire chier parce que tu vas voir que je suis pus la même fille qu’avant et je te laisserai pas gâcher ma vie une deuxième fois.
Je tentai de mettre dans mon regard tout le regret, la sincérité, la douceur dont j’étais capable pour lui répondre :
— Je sais qu’on t’a accusée d’avoir fait quelque chose et que c’était même pas vrai. Je sais qu’on t’a même pas laissé la chance de te défendre. Je sais qu’on a fait de ta vie un enfer et je le regrette plus sincèrement que tu pourras jamais le croire. Je sais que j’arriverai jamais à réparer ce que j’ai fait, Renaud non plus. Je peux au moins m’excuser, par exemple. C’est vraiment tout ce que je peux faire, mais je le fais sincèrement et de tout mon cœur. Je m’attends évidemment pas à ce que tu me dises : « OK, cool, on oublie ça ! » parce que t’as toutes les raisons de me détester pour le reste de tes jours. J’aimerais quand même ça que tu saches que si je pouvais faire quelque chose pour me faire pardonner, réparer tout le mal que je t’ai fait, je le ferais sans hésiter. Renaud aussi…
— Renaud ? Bin oui. Il s’est jamais excusé, je vois pas pourquoi il le ferait aujourd’hui.
— Parce qu’avant il était con et il avait des méchants problèmes. Il en a toujours, il va en avoir pour un boutte, mais je pense qu’il est moins con.
Je lui racontai tout ce qui s’était passé entre Renaud et moi, puis le reste : comment j’avais appris que ce que Renaud avait raconté n’était pas vrai, et la suite, jusqu’à sa tentative de suicide. Je lui dis comment Camille était responsable de tout ce qui était arrivé à Renaud et comment moi, je m’étais lentement « réveillée » et avais réalisé à quel point nous lui avions fait du tort. Je lui dis qu’à partir du moment où Camille l’avait accusée d’avoir volé de l’argent du projet humanitaire, j’avais essayé de lui parler sans toutefois en avoir le courage. J’avouai que j’étais même venue chez elle pendant les vacances de Noël et qu’encore une fois, j’avais reculé. Je lui dis que j’étais allée voir sa mère, que ça m’avait fait voir à quel point nous avions détruit le seul endroit, l’école, où elle trouvait peut-être un peu de répit, et que je m’en étais voulu encore plus.
Renaud arriva à ce moment-là. Il avait les mains dans les poches et avait l’air mal à l’aise, se dandinant sur un pied puis sur l’autre. Cassandra se raidit, arrêta de parler et essaya de le regarder, mais ils détournèrent tous les deux la tête. C’est moi qui parlai, encore :
— Renaud, je lui ai tout raconté, elle sait…
Renaud suggéra que nous allions au petit café du coin de la rue puisqu’il commençait à faire sérieusement froid, là, sur le trottoir. À mon grand bonheur, Cassandra accepta et, après avoir commandé du chocolat chaud pour tout le monde, Renaud vint nous rejoindre à une petite table tout au fond.
Il se racla la gorge et dit à Cassandra :
— J’ai pas d’excuse pour ce que je t’ai fait, Cass. J’étais un lâche, un menteur, un profiteur. J’étais surtout fucké, j’avais peur de ce que j’étais en train de découvrir sur moi-même et je faisais payer tous les autres, dont toi. Il faut que je m’excuse à plein de monde, et je vais le faire même si ça me prend des années. Mais il faut que je commence par toi, parce que ce que je t’ai fait, c’était vraiment dégueulasse. Je sais que c’est toi qui as eu à le subir, mais ça va peut-être te faire un peu de bien de savoir que je m’haïs pour ça, que je m’en veux, que je vais m’en vouloir pour toujours. C’est pour ça pis un paquet d’autres choses que je pensais que je voulais mourir. Après pas mal de thérapie, j’commence à comprendre qu’il faut que tout ce que j’ai en dedans sorte, à commencer par les excuses. Mais je comprends surtout qu’il faut que j’me regarde en pleine face, même si j’aime vraiment pas ce que je vois. Va falloir que je l’accepte un moment donné.
Cassandra haussa les épaules :
— Non, ça me fait pas de bien de savoir ça, Renaud, ça me rend triste. Que tout ça soit arrivé me rend triste. C’était tellement pas nécessaire. Mais on y peut rien, c’est fait. Là, je suis pas mal mélangée, c’est trop d’affaires en même temps, je sais pas comment réagir. Y a une chose que je sais, c’est que je les accepte, vos excuses, malgré tout, c’est ça qui me fait du bien. Je sais pas si c’est pardonné, j’aimerais ça dire oui, mais je sais vraiment pas.
Renaud et moi nous sommes regardés et j’ai ajouté :
— T’as pas à savoir ça maintenant, Cassandra. Que tu aies accepté de nous écouter, c’est déjà plus que ce qu’on espérait, merci. Merci de les accepter, nos excuses, t’étais pas obligée de faire ça non plus. Pour le reste, on va laisser le temps décider, OK ? Si tu y arrives, à nous pardonner, tant mieux. Sinon, on va devoir apprendre à vivre avec les remords, comme avec bien d’autres choses, hein, Renaud ? On a tous nos problèmes à régler…
Maintenant que j’avais commencé à lui dire tout ce que j’avais voulu lui avouer depuis tant de mois, je ne pouvais plus arrêter. Je me rendais compte que tout ce que je lui avais fait me pesait depuis longtemps et que plus je lui en confiais, mieux je me sentais. Je lui demandai la permission de lui en dire davantage, et elle accepta avec un petit hochement de tête.
Je lui racontai enfin les fois où j’avais voulu aller la voir au sous-sol de l’école où elle se réfugiait, combien je m’étais trouvée idiote de suivre Camille comme un mouton, sans réfléchir par moi-même. J’insistai sur le fait que je ne mettais pas le blâme sur Camille. J’avais participé, j’avais accepté de me fermer les yeux et de ne voir que ce que je voulais bien voir. Il n’était pas si difficile, finalement, de lui confier que ce que je trouvais le pire était de m’être laissé influencer comme si je n’avais pas été capable de me faire ma propre opinion, comme si ce que les autres pouvaient ressentir n’était pas important. Elle sut enfin combien je m’en voulais pour ça, entre toutes les autres choses, comme si je n’avais été qu’un stupide clone de Camille. Je conclus enfin :
— J’imagine que c’est pas toujours le cas, mais là, je peux juste dire : maudites gangs.
Cassandra m’interrompit :
— Oui, maudites gangs, c’est souvent vrai, mais pas tout le temps. Dans les pires cas, y a un paquet de monde correct qui perd toute capacité de réfléchir quand ils sont en gang et qui font des conneries qu’ils feraient jamais tout seuls.
Ça ressemblait tellement à ce que ma mère m’avait dit dernièrement que je frissonnai. Mais elle continua :
— Par contre, y a aussi des gangs qui font le contraire, qui t’emmènent à faire ressortir le meilleur de toi, et je pense que j’en ai trouvé une. T’sais, si tout ça était pas arrivé, j’aurais jamais rencontré Sarah-Jeanne et les autres. Je pense vraiment qu’ils m’ont sauvé la vie. C’est pas toutes les gangs qui sont mauvaises, j’pense qu’il faut juste choisir la bonne…
Nous nous sommes regardés tous les trois et nous savions qu’elle avait totalement raison. À son tour, elle nous raconta brièvement ce qui s’était passé après qu’elle était partie de chez sa mère. Elle avait vécu chez Catherine, son ancienne gardienne, et même si, au début, ça avait été toute une libération, elle s’était vite rendu compte que plusieurs choses clochaient. Elle travaillait dans un restaurant et c’est là qu’elle avait rencontré la chanteuse et d’autres membres du groupe, mais ce n’est qu’en commençant son secondaire cinq à sa nouvelle école qu’elle était devenue vraiment amie avec eux. Elle nous raconta un peu ce qui s’était passé depuis qu’elle était partie, en commençant par sa relation avec sa mère. Elle nous avoua combien elle la détestait, à quel point cette femme l’avait toujours méprisée et comment, avec son nouveau copain, un « vieux crapaud vicieux », elle s’en était pris à Raphaël, son petit frère. C’est en retournant là-bas pour aider ce dernier que l’accident s’était produit. Le chauffeur de la voiture dans laquelle elle prenait place avec Catherine et son copain avait trop bu et roulait beaucoup trop vite. Ils avaient percuté un camion de plein fouet. Cassandra n’avait eu que très peu de blessures, mais avait encore du mal à monter dans une voiture, ça la faisait paniquer. Elle était incapable d’en parler davantage. Ça l’avait de toute évidence traumatisée.
Tout ça nous bouleversait. Elle avait tant vécu d’horreurs ! Elle nous dit qu’elle pourrait nous en raconter toute la nuit, mais qu’elle n’était pas tout à fait prête à ressasser tout ça. C’était son droit le plus strict. Elle ne nous devait rien et je trouvais qu’elle avait déjà fait preuve de beaucoup de courage pour nous dire ça, à nous.
Pour alléger un peu la discussion, je lui dis que Marc-Antoine avait tenté d’avoir de ses nouvelles, qu’il était venu en ville plusieurs fois, mais n’avait pas réussi à retrouver sa trace. Elle eut un air tellement mélancolique que ça me fit mal. Puis Renaud dit en regardant Cassandra dans les yeux :
— C’est lui le prochain sur ma liste de personnes à qui je dois des excuses.
Elle lui sourit à son tour, les yeux mouillés.
Nous avons marché jusque chez elle en silence, Renaud et moi nous tenant la main. Quand Cassandra nous a regardés, juste avant de nous quitter, elle pleurait. Je ne savais pas si elle pleurait sur ce qui aurait pu être différent ou à cause de tout ce qui s’était passé ; je me demandais si elle versait des larmes de chagrin, de frustration ou de soulagement maintenant que nous avions fini par admettre tant de choses. Je savais juste que moi, je me sentais assez bien. Plus légère, comme libérée d’un poids trop lourd. Dans la voiture, Renaud me dit :
— Maintenant, elle va pouvoir se venger. Elle sait que je travaille à la pharmacie, elle connaît peut-être du monde qui travaille là aussi, c’est juste à côté. Facile de dire à tout le monde que je suis juste un fif !
— Je pense pas, Renaud. Quelque chose me dit qu’elle est trop correcte pour vouloir qu’on souffre. À travers tout ça, elle a jamais essayé de nous faire de mal, je vois pas pourquoi elle commencerait maintenant. Ça fitterait pas, c’est pas elle, me semble.
— Non, t’as raison. Si elle avait été aussi bitch que ça, on l’aurait pas écoeurée, c’était plus facile, justement, parce qu’elle était trop fine, trop douce. Eh, que ça me fait chier ! C’est justement ceux qui le méritent le moins qui, justement, se ramassent à manger la marde.
Il avait trop raison pour que je réponde quoi que ce soit.