Nous sommes nos mains : doigts longs, doigts courts, ongles rongés, ongles vernis, mains manuelles, mains qui écrivent, elles sont, depuis l’enfance jusqu’à l’âge mûr, la part de nous-mêmes que nous avons le plus souvent sous les yeux. Notre corps est la plupart du temps revêtu. Et notre visage, malgré sa nudité, demeure un inconnu : nous ne l’apercevons jamais qu’à travers un média, miroir, photographie, regard de l’autre penché vers nous ; jamais nous n’aurons à l’affronter en face et chacune de ses apparitions nous stupéfie : « Est-ce bien moi ? N’étais-je pas plus jeune, plus beau, plus lisse ? D’où viennent toutes ces rides que je n’ai pas senties se creuser ? » Nos mains ne sont pas capables de nous étonner ainsi. Nous ne les voyons pas vieillir parce que nous les voyons sans cesse.
Robinson, pour sa part, considère souvent ses doigts de l’extérieur, comme s’il s’agissait de serpents au bout de son bras, de vers de terre alambiqués, des cheveux de Méduse. Avec lenteur et circonspection, il fait tourner une de ses mains sous ses yeux et ses doigts prennent alors d’étranges poses, bénéficiant les uns vis-à-vis des autres d’une forme d’indépendance souple : l’index se couche sur le majeur qui se recroqueville, l’auriculaire s’écarte, l’annulaire part en oblique comme pour former des entrelacs avec le pouce plié en angle droit. Et l’ensemble paraît dire au regard de Robinson : « Je est un autre. »