Robinson lève calmement la jambe pour que je lui enfile un nouveau lange, sec, propre et léger. Il regarde par la fenêtre. Dans la rue, en contre-plongée, je vois trois petites filles, qui doivent avoir entre quatre et six ans. Elles sont toutes trois vêtues de mauve, mais la couleur, chez chacune d’elle, a investi un vêtement différent : chez l’une, le capuchon, chez l’autre, la doublure du manteau, chez la plus petite, une jupe plissée. En attendant une femme, sans doute leur mère, qui échange encore quelques mots avec un homme demeurant sur le pas de sa porte, elles s’amusent à courir, une dizaine de mètres dans un sens, demi-tour, une dizaine dans l’autre. Elles se croisent exactement à mi-course, ce qui rend visiblement l’exercice jubilatoire. Je devine l’allégresse de leur petit corps à la mécanique parfaitement huilée, leurs jambes galopant d’elles-mêmes, sans effort, leurs cheveux bouclés par l’air qu’elles bousculent et leur complicité, cerise sur le gâteau, qui donne une signification à leur course. Quel bonheur de faire la même chose au même moment et d’en rire de concert !
Je ne suis pas certain que ce soient elles que Robinson regardait un instant plus tôt. Il est de toute façon à présent ailleurs. S’il les a observées, ce n’est certainement pas avec envie. Il ne joue jamais avec les autres enfants.