Robinson est prudent dans les escaliers. Il les gravit ou les descend toujours lentement. Si, quand il monte, il met, comme tout un chacun, le pied droit sur une marche et le gauche sur la suivante, en revanche, lorsqu’il descend, le gauche rejoint toujours précautionneusement le droit, sur la même marche, avant de gagner ensuite, de la même manière, le degré inférieur. En outre, dans un sens comme dans l’autre, il a pris l’habitude de sacrifier à une petite pause sur l’un des paliers en encastrant son corps bien droit dans un coin, toujours le même, entre deux murs aveugles peints en jaune ocre, telle une sentinelle au fond de sa guérite.
Comme j’exploite toujours chaque seconde de liberté, souvent j’en profite — dévalant l’escalier à grandes enjambées — pour vite faire un détour par mon bureau, y déposer un livre et regagner la cuisine quand il y arrive de son train de sénateur.
Ce soir, lors du repas familial, Robinson est surexcité. J’interromps avec regret une conversation avec son demi-frère, sa demi-sœur, sa belle-mère et ses sœurs par alliance pour m’isoler en sa compagnie, en haut, dans nos chambres contiguës. Il s’engage dans l’escalier et semble décidé à le monter de son rythme mesuré. Je le suis durant trois marches puis, pour apaiser ma frustration, je me précipite dans la cuisine et embrasse rapidement les uns et les autres et leur distribue des « Au revoir » pleins de regrets précipités.
Trop tard. Un éclat de rire s’élève, aérien, triomphant, impérieux, dans la cage d’escalier et semble trouver son pendant aquatique avec un bruit de cascade : Robinson, Manneken-Pis hilare et vivant, a baissé son pantalon et son lange, et a lancé son urine par-delà les marches qu’il venait de gravir.