Ce livre qui a d’abord cru s’intituler L’Amour et la Merde aurait-il pu porter le titre La Merde et la Mort ?
Tabou dérisoire et tabou métaphysique. On sait qu’on est destiné à mourir et on l’oublie : de même on sait que chacun chie et on ne veut rien en savoir. Les exégètes bibliques se sont plu à penser et à faire croire aux fidèles que Marie était tombée enceinte sans avoir été pénétrée — ce qui fait, soit dit en passant, de Jésus le premier homme à avoir crevé l’hymen de sa mère —, mais aucun commentateur n’a précisé que, non loin de son infranchissable vagin, par un autre orifice et dans l’autre sens, la merde ne s’est pas frayé de passage. Marie chiait, donc, et, plus que probablement, le Christ lui-même. Mais Karl Marx aussi chiait, soyons juste, tout comme Lao-tseu, Freud ou Nietzsche. Ni le royaume des Idées pures ni le souvenir des dialogues socratiques n’empêchèrent Platon d’être chieur à ses heures. Volontiers l’on imagine que Jean-Sébastien Bach produisait des petites crottes rondes et bien tempérées, rebondissantes comme des notes sur le clavecin. Sans doute Kant devait-il souffrir régulièrement de constipation pure — ou de constipation pratique —, un doute subsiste. Quant à Victor Hugo, au contraire, il devait avoir tendance à la diarrhée pendant douze jours d’affilée.
« Ce n’est pas humain », m’a dit une amie après que je lui ai raconté quelque épisode glorieux mettant en scène Robinson et ses fèces. Oh que si ! De même qu’aucun animal ne prend le temps de peindre les parois des grottes ou de graver l’ivoire, aucun autre mammifère ne joue avec sa merde. Celle-ci fait partie de notre rapport au monde, et de l’étrange nœud, ambigu, paradoxal, qui nous lie à notre propre corps, mêlant culture et nature, attirance et rejet, désir et culpabilité — comme la nourriture, comme la sexualité, comme la mort.