Au carrefour des adieux

Robinson a compris, en fonction de la rue dans laquelle je gare la voiture, que nous allons nous quitter. Il ne sait pas pour combien de temps, même si je mets un point d’honneur à le lui spécifier. La situation l’excite visiblement, mais son excitation est difficile à interpréter. D’une part, il me demande de le prendre dans mes bras, de façon urgente, radicale, insistante : je m’exécute et il s’accroche à mon cou avec fougue. D’autre part, il rit comme avant une attraction foraine, comme un enfant qui joue à se faire peur. Il ne manifeste aucune tristesse à l’idée de la séparation.

Ensuite, il me tient très fort par la main, jusqu’à la dernière seconde. Mais, passé celle-ci, quand s’interrompt le dernier contact physique, c’est terminé, il semble déjà être passé à autre chose. Il part sans se retourner, sans un dernier au revoir, partageant, dirait-on, l’avis de la princesse Bibesco pour qui « Prolonger des adieux ne vaut pas grand-chose ; ce n’est pas la présence que l’on prolonge, mais le départ ». Je le regarde s’éloigner paisiblement, avec l’impression d’assister à ma propre disparition.