Et dans le fleuve

Peut-être, un jour, Robinson s’emparera-t-il d’une clé récupérée sur une porte et la lancera-t-il à travers la chambre. Elle ira rebondir contre le radiateur, dont la peinture blanche s’écaille. Au lieu de la ramasser en faisant semblant de rien, ou de le gronder parce que, tout de même, la violence du geste et du bruit m’a fait sursauter, j’arracherai la poignée de la porte, qui n’est pas si bien fixée que cela, et la jetterai au hasard devant moi, de toutes mes forces. Miraculeusement, comme si mon geste primordial avait été guidé par la lumière, c’est dans la fenêtre qu’elle atterrira, faisant éclater la vitre. Ce sera très drôle. Ensuite, je ferai basculer la grande armoire par terre tandis que Robinson, heureux de cette soudaine activité, se déculottera pour pisser sa joie sur le tapis. Je ferai de même. Puis, profitant de cette parfaite synchronie des corps qui ne se rencontre que dans le sport, la danse et l’amour, nous chierons de concert en lançant en l’air des rires burlesques. Robinson prendra sa merde en main et, après en avoir vérifié l’odeur, il m’en maculera le visage avec tendresse et avec une souveraine gaieté. Là encore, j’imiterai chacun de ses gestes comme un apprenti scrupuleux. Nous nous rendrons ensuite à la fenêtre, marchant pieds nus sur les débris de verre, méprisant la douleur, ou plutôt en jouissant comme d’une saine stimulation. Dehors, il pleuvra et nous canarderons la rue avec le reste de nos productions anales.

Nous quitterons ensuite la chambre et dévalerons les escaliers, même si cela ne fait pas partie de nos prudentes habitudes. À chaque pas, des débris de verre minuscules s’enfonceront plus profondément dans la plante de nos pieds : la douleur est l’amie de la joie. La maison gardera trace de notre passage de merde et de sang.

Dehors, la pluie diluera quelque peu la couche fécale qui nous sert de peinture de guerre. La matière alvine coulera sur nos joues et imbibera nos chemises. Culs nus, nous courrons par les rues, sous la pluie, comme lady Chatterley et son amant, fondant sur la ville, comme Attila sur l’Occident, sans prendre garde à la circulation, comme un cheval au milieu d’un aéroport.

Les voitures freineront brusquement pour éviter de se salir à notre contact, dérapant sur l’asphalte mouillé. Mais les coups de klaxon rythmant notre escapade seraient moins tonitruants que nos deux rires conjugués. En passant devant les terrasses chauffées des cafés, nous produirons encore quelques crottes, cueillies directement à notre anus, et, après les avoir reniflées, nous les jetterons, sans haine et sans colère, comme autant de pures pépites de joie, en direction des consommateurs avachis, les petites productions dures et mates de Robinson renversant les verres de bière pisseux et mes semences plus molles, plus salissantes, s’écrasant sur les tissus.

Les membres en sang, trempés de pluie, nous arriverons enfin au cœur de la ville, et là, inconscients, insouciants, ignorants, mêlant l’eau à l’eau dans un ultime éclat de rire, scellant les liens étroits qui enchevêtrent la Mort, l’Amour et la Merde, nous sauterons ensemble à pieds joints dans le vieux fleuve majestueux, merdique et glacé.